3 conditions du brevet : Application industrielle, activité inventive, nouveauté

LES CONDITIONS DE LA BREVETABILITÉ DES INVENTIONS

Le droit des brevets pose trois conditions de fond à la brevetabilité d’une invention :

  • · L’invention doit être nouvelle (que nous étudierons plus en profondeur dans un autre chapitre);
  • · Elle suppose une activité inventive (§ 2) : il s’agit de savoir si « l’homme du métier » c’est-à-dire celui qui possède les connaissances de l’état de la technique du domaine, aurait, de manière évidente, été capable de réaliser l’invention.
  • · Elle doit pouvoir faire l’objet d’une application industrielle (§ 3).
  • 1 : L’invention doit être nouvelle

Le caractère de nouveauté est particulièrement important et sera donc étudié de manière plus approfondie dans un autre chapitre. La condition de nouveauté est absolue : la divulgation de l’invention avant la date de dépôt de la demande de brevet, quelle qu’en soit la forme (brevet ou demande de brevet, publication, exposition, divulgation orale…) ou le lieu, détruit la nouveauté. Souvent, ce sont les indiscrétions de l’inventeur lui-même ou de ses salariés qui détruisent sa propre invention. D’où l’importance d’organiser la confidentialité de ses innovations.

Selon L.611-10 1° une invention pour être brevetable doit être nouvelle.

  1. Le concept de nouveauté – état de la technique
  • L611-11 al2 : une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique. Définition de l’état de la technique : il est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public par une description orale ou écrite, un usage ou tout autre moyen avant le jour du dépôt de la demande de brevet ou demande déposée à l’étranger et dont la priorité est valablement revendiquée (Art. L611-11 al2).
  • La nouveauté est détruite par une antériorité cad tout fait ayant eu pour conséquence de mettre l’invention à la disposition du public. L’antériorité doit revêtir certains caractères :
  • Ø Être certainequant à son existence, sa date, son contenu, la consistance de la matière qu’elle divulgue
  • Ø Être suffisante cad permettre l’exécution de l’invention par un homme de l’art (cad une personne apte à comprendre l’invention)
  • Ø Être de toutes pièces c’est à dire homogène, complète et totale (c’est à dire reprendre les éléments principaux selon la même forme, agencement, fonctionnement et résultat technique).
  • Ø Être publique c’est à dire connue du public
  • Ø Être prouvée par celui qui conteste la nouveauté
  • La nouveauté en droit français est absolue dans le temps (c’est à dire que l’on peut opposer une antériorité en remontant indéfiniment dans le temps) et l’espace (peu importe le lieu de divulgation).
  • Problème de la double brevetabilité: l’état de la technique ne comprend que les connaissances accessibles au public avant la date de dépôt de la demande d e brevet, mais pas les informations antérieures, idem pour les demandes de brevets étrangers non encore publiés idem pour les demandes de brevets français. Problème on voit mal comment on pourrait délivrer 2 brevets à 2 personnes # pour la même invention. 2solutions :
  • Ø Le « whole content approach» qui consiste à considérer que le contenu de la demande non publiée fait fictivement partie de l’état de la technique. Solution retenu par L611-11 al3, le contenu de la 1e demande est assimilée à une antériorité publique
  • Ø Le « prior claim» consistant à limiter les revendications de la 2e demande à ce qui n’est pas déjà revendiqué dans la 1e.
  • Règles de divulgation de l’invention: désigne la publicité de l’invention faite par l’inventeur soit à des fins d’essai/expérimentation ou par négligence. L’essai n’est pas constitutif de divulgation si l’invention est communiquée aux personnes qui sont les agents nécessaires des expériences requises. L’invention n’est pas divulguée si les personnes mises en contact avec l’invention ont été choisies en raison de leurs fonctions, idem pour les personnes tenues au secret (personnes liées par un contrat de confidentialité).
  • Appréciation de la nouveauté : quant à la date c’est au jour du dépôt de la demande de brevet, et vérifier que l’invention ne se retrouve pas dans l’état de la technique.
  1. Les exceptions

2 cas ou la divulgation de l’invention avant la date du dépôt n’est pas destructrice de la nouveauté :

  • L’abus commis par les tiers: le déposant du brevet est victime d’un agissement illicite d’un tiers ex : la violation du secret. La demande est quand même traitée si la divulgation a eu lieu dans les 6 mois précédant la demande. Il doit s’agir d’u abus évident.
  • L’immunité temporaire des exposants: présentation de l’invention au cours d’une exposition officielle ou non reconnue au sens de la Convention Internationale du 22 novembre 1928, la nouveauté n’est pas détruite si l’invention a fait l’objet d’une demande de brevet dans les 6 mois.

  • 2 : L’activité inventive

Selon l’article L.611-14 du Code de la propriété intellectuelle, «Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique».

  1. Définition de l’activité inventive

C’est une condition qui vise à limiter l’encombrement des marchés par des titres trop facilement accessibles. En clair, l’exigence d’activité inventive permet d’éviter qu’un concurrent du titulaire du brevet puisse, par le biais d’améliorations mineures, tirer un large profit d’une invention qui aura nécessité de lourds investissements pour son concurrent. C’est un critère qui va élever le niveau de l’invention, c’est un critère qualitatif qui va donner au brevet sa valeur économique.

  1. L’état de la technique

L’état de la technique de l’activité inventive est quasiment identique à celui de la nouveauté, à deux différences près :

  • Il n’inclut pas les demandes de brevet français et les demandes européennes ou internationales désignant la France qui n’ont pas encore été publiées ;
  • L’état de la technique doit être appréhendé dans son ensemble, et non plus sur la base de chaque document pris isolément.

Le champ d’investigation du juge en matière d’activité inventive est plus large qu’en manière de nouveauté. L’examinateur pourra rapprocher différents documents, différents brevets préexistants pour apprécier l’activité inventive. Cela doit le conduire à être prudent. Dans son appréciation, il doit faire abstraction de l’invention qu’on lui présente et de ce qu’elle apporte. Il faut qu’il se place à la date du dépôt de la demande pour apprécier l’activité inventive.

  1. L’homme du métier

L’homme du métier est le personnage de référence en matière d’activité inventive. C’est un standard juridique comme le bonus pater familias. L’homme du métier est la référence à un homme d’intelligence moyenne qui a une connaissance normale du secteur technologique pertinent. L’Office européen des brevets, dans ses directives, énonce que « L’homme du métier est un praticien normalement qualifié au courant de ce qui formait les connaissances générales communes dans la technique, à la date du dépôt».

Cette notion présente l’avantage de la souplesse, et a été amenée à évoluer parce que le niveau technologique s’est considérablement élevé, si bien que les inventions qui sont proposées aujourd’hui sont généralement le fait d’une équipe de recherche. De fait, on pouvait se demander si l’homme du métier pouvait être un homme pluridisciplinaire, ou s’il convenait de se référer à l’homme d’un métier.

La jurisprudence est assez souple et considère que dans certaines hypothèses, l’examinateur peut raisonner comme si l’homme du métier était une équipe pluridisciplinaire. Cette conception a pour effet d’augmenter le niveau d’exigence, et notamment le niveau intellectuel de l’invention.

  1. La non-évidence

L’examen de l’activité inventive consiste à mesurerun écart entre l’objet de l’invention et l’état antérieur de la technique. La recherche de la nouveauté conduit à rechercher si l’invention présente un apport à l’état de technique, sans en considérer la qualité. Pour la caractérisation de l’activité inventive, on recherche un écart significatif entre l’objet de l’invention et l’état de la technique. Cette qualité tient à son caractère non évident.

Dans ses directives, l’OEB indique que le terme «évident» se réfère à ce qui ne va pas au-delà du progrès normal de la technique, mais ne fait que découler manifestement et logiquement de l’état de la technique, c’est-à-dire qui ne suppose pas une qualification ou une habileté plus poussée que celle qu’on est en droit d’attendre d’un homme du métier.

  1. L’appréciation de l’activité inventive

L’appréciation de l’activité inventive repose sur une approche plus complexe que celle de la nouveauté. Les critères ont été élaborés progressivement par la jurisprudence, selon des règles d’application bien spécifiques.

  1. Les caractères de l’appréciation de la non-évidence

L’appréciation de l’activité inventive peut être envisagée selon deux approches :

  • Une approche subjective : elle s’attache à la démarche empruntée par l’inventeur ;
  • Une approche objective :dans cette approche, il n’est tenu compte que de l’invention.

Certains auteurs considèrent que l’appréciation de l’activité inventive peut résulter de l’une ou de l’autre de ces deux approches. Ils considèrent que l’activité inventive peut découler de divers éléments. Elle peut se situer dans le problème posé, dans le moyen mis en œuvre pour résoudre le problème, ou encore dans le résultat. D’autres considèrent que l’appréciation doit être objective. On ne mesurerait donc pas l’effort inventif de l’inventeur mais uniquement les caractéristiques de l’invention.

La jurisprudence offre des décisions assez variables, et pour ce qui est de l’OEB, il y a tout de même une préférence pour une démarche objective, avec une tendance à ne pas considérer la performance de l’inventeur. Cela semble logique, mais pour autant, l’on observe que cela n’est pas clairement tranché en jurisprudence.

  1. Les indices de l’activité inventive

Les indices de l’activité intensive sont appréciés par rapport à la réaction normale de l’homme du métier face aux changements qui peuvent être apportés par l’invention. La non-évidence peut ainsi s’induire de la solution qui est apportée à un problème posé depuis plusieurs années mais non encore résolu. Le fait que la solution réponde à un besoin existant démontrerait que si elle avait été évidente, les recherches menées par ceux qui avaient intérêt à la trouver auraient dû leur permettre de l’obtenir.

L’activité inventive peut également être déduite du constat que l’invention permet de vaincre un préjugé ou de surmonter une difficulté. L’OEB explique que, généralement, il y a activité inventive si l’état antérieur de la technique détourne l’homme du métier de la marche à suivre proposée par l’invention. Il en est ainsi en particulier lorsqu’il n’envisageait même pas d’effectuer des expériences en vue d’établir s’il existe plusieurs autres solutions pour surmonter un obstacle technique, réel ou imaginaire.

L’effet nouveau et surprenant, ainsi que l’avantage inattendu sont également des indices auxquels la jurisprudence se réfère fréquemment. Ainsi, l’Office européen des brevets lie l’activité inventive d’un produit chimique nouveau à l’apparition de propriétés imprévisibles pour un homme du métier.

Exemple :des effets secondaires moindres, une plus grande stabilité, un meilleur rendement.

Enfin, dans certains cas, le succès commercial de l’invention peut être retenu comme indice de l’activité inventive. Le succès commercial peut démontrer que l’invention répond à un besoin ressenti depuis longtemps, à une attente du public. Pour autant, le succès commercial peut aussi résulter d’une bonne politique de communication. Dans ce cas, il faut faire la part des choses entre ce qui résulte de la performance du chargé de communication et de celle de l’équipe de recherche et développement.

  • 3 : L’application industrielle

En vertu de l’article L.611-10 du Code de la propriété intellectuelle, «pour être brevetable, les inventions doivent être susceptibles d’application industrielle». La définition de cette condition est donnée à l’article L.611-15 du Code de la propriété intellectuelle, qui énonce qu’«une invention est considérée comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture». Le terme d’industrie n’est pas défini par le Code de la propriété intellectuelle, mais on admet qu’il doit faire l’objet d’une acception large. Le texte fait référence à l’agriculture, alors qu’en droit l’industrie fait partie du secteur commercial. Le caractère industriel découlera finalement de l’exercice de toute activité physique de caractère technique.

Cette exigence renvoie au caractère concret que doit présenter l’invention. Elle fait penser à la condition d’utilité du droit américain. L’invention relève du domaine des réalisations et non du domaine des abstractions. Au regard de la définition, on peut observer que l’invention sera considérée comme répondant au critère industriel, dès lors qu’elle peut être fabriquée industriellement, ou bien qu’elle peut être utilisée industriellement. Ce n’est pas cumulatif, mais alternatif. Dès lors, la condition paraît assez aisée à remplir, même pour des inventeurs qui ne travaillent qu’en recherche fondamentale, car il sera toujours possible d’expliquer dans la demande de brevet qu’on peut au minimum fabriquer l’invention à l’échelle industrielle.

En pratique, ces conditions de brevetabilité ne font pas l’objet d’un examen attentif des offices de brevet. C’est plutôt des conditions qui sont examinés par des juges lorsque le brevet est attaqué.