Admission de la responsabilité pénale des personnes morales

L’avènement de la responsabilité pénale des personnes morales.

L’introduction en droit français de la responsabilité pénale des personnes morales, a été présentée comme l’innovation la plus remarquable du Code pénal de 1992. Cette innovation a été insérée dans les dispositions générales du code, plus précisément dans l’article 121 -2 du Code pénal.

D’après l’alinéa 1 les personnes morales à l’exclusion de l’état sont responsables pénalement selon la distinction des articles 121 – 4 à 121 – 7, donc en tant que complice et dans les cas prévus par la loi et le règlement, ces termes ont été abrogés à compter du 31 décembre 2005, les personnes morales sont responsables des infractions commises pour leurs comptes par leurs organes ou représentants. Cette responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas selon l’alinéa 3 du texte, la responsabilité pénale des personnes physiques auteur ou complice des mêmes faits, sous réserves depuis la loi Fauchon, des dispositions du 4e alinéa de l’article 121 – 3.

Cette innovation a donc marqué une rupture très nette entre l’ancien et le nouveau Code pénal. Il est vrai que, sous l’ancien droit, la responsabilité pénale des personnes morales avait existait puisqu’une ordonnance royale de 1670 avait prévu la possibilité de sanction à l’encontre des communautés des bourgs et des villages. Mais la révolution avait voulu réagir contre les corporations et elle avait supprimé cette responsabilité. Le Code pénal de 1810 se situait donc dans le droit-fil de la révolution et il n’avait édicté aucune responsabilité pénale des personnes morales. C’est ce qu’exprimait l’adage selon lequel une personne morale ne peut pas commettre d’acte de délinquance «societas delinquere non potest»

1§ L’évolution des idées.

A. L’évolution juridique.

Le mouvement est simple, tous les arguments qui avaient été avancés au 19e à l’encontre de la responsabilité pénale des personnes morales ont été réfutés, abandonnés, à la fin du 20e. Ces arguments tenaient à la fois aux conditions et aux effets de cette responsabilité.

1. Quant aux conditions de la responsabilité pénale des personnes morales.

Il y avait deux arguments hostiles. La personnalité morale a longtemps été considérée comme une fiction juridique au motif qu’il ne s’agit pas d’un être corporel. Dès lors on considérait qu’une personne morale ne pouvait pas personnellement commettre l’infraction, ni matériellement, ni moralement dans la mesure où elle n’aurait pas de conscience, de volonté propre. Cet argument a été ensuite réfuté, car la théorie de la fiction a été abandonnée en droit civil au profit de la théorie de la réalité.

Dès lors cette évolution qui avait existée en droit civil pouvait être prise en compte aussi en droit pénal. On a fait valoir le fait qu’une personne morale peut avoir une volonté propre, collective, différente de la volonté individuelle de ses membres, et elle permet de lui appliquer l’imputation de la responsabilité pénale, cette volonté étant exprimée par les organes sociaux, dans le cas des sociétés.

En droit civil les personnes morales ont un objet social qui est limité conformément au principe de spécialité.

Une personne morale ne peut pas avoir pour objet social déclaré de commettre une infraction. Il est tout aussi évident que l’activité de la personne morale peut donner lieu à la commission de l’infraction et il y a même des personnes morales qui sont constituées pour ça (société écran).

2. Les effets de la responsabilité pénale des personnes morales.

Les fonctions et la nature des peines ne pouvaient concerner des personnes physiques. Quant aux fonctions on faisait alors valoir que les idées diverses d’expiation, d’intimidation, de rétribution, de reclassement, de réinsertion n’avait de sens que pour les personnes physiques. Quant à la nature des peines, on ne pouvait que constater que la peine de mort, l’emprisonnement, avaient été conçues que pour les personnes physiques. Néanmoins l’argument était facile à retourner.

En ce qui concerne la nature des peines, on pouvait très bien trouver des équivalents spécifiques pour les personnes morales. À la peine de mort pouvait correspondre la dissolution de la personne morale. À la privation de liberté peut très bien correspondre l’interdiction d’exercice. Les personnes morales n’ont pas de corps, mais elles ont un patrimoine et l’on peut édicter des peines restrictives de droits et d’amendes. Ces différentes peines plus adaptées aux personnes morales auraient pour fonction l’idée de moralisation de ces personnes.

Certains disaient qu’édicter la responsabilité pénale des personnes morales porterait atteintes au principe de personnalité des peines dans la mesure où les peines prononcées contre la personne morale seraient en définitive supportées par des personnes physiques, comme les dirigeants, les associés, les salariés, la clientèle…

Il n’y a rien de différent entre les personnes physiques et morales. Quand une personne physique est condamnée, sa famille en subit aussi les conséquences matérielles et morales. Mais il n’y a pas pour autant principe à la personnalité des peines.

Ce principe signifie simplement que la sanction prononcée est propre au condamné et elle ne peut être exécutée que par lui.

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B. L’évolution de la politique criminelle.

Il faut partir des perspectives économiques qui ont évolués au 19e et au 20e. Au 19e on considérait que le moteur de l’économie c’était l’initiative individuelle des personnes physiques. Le 20e aura été le siècle de l’entreprise et du droit de l’entreprise, qui est souvent organisé sous la forme d’une personne morale. Au plan pénal, on s’est rendu compte que ces entreprises pouvaient être le théâtre de la commission d’infraction de plus en plus nombreuse dans les secteurs les plus divers. La criminologie a montrée que ces groupements constituaient des forces génératrices de délinquance, dans la mesure où les moyens économiques et financiers qui sont à la disposition d’une société, d’un groupement, n’ont rien à voir avec ceux d’une personne physique ordinaire. Dès lors le droit pénal au titre de la politique criminelle devait fournir une réponse adaptée à cette évolution et cette réponse a été l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales dans le Code pénal de 1992. Au demeurant cette responsabilité pénale n’était pas tout à fait inconnue même avant l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal.

2§ L’admission exceptionnelle d’une répression des personnes morales avant le nouveau Code pénal.

Cette répression existait de façon occasionnelle en droit français, un certain nombre d’états étranger avait admis cette responsabilité pénale.

A. En droit français.

En droit interne, la répression ponctuelle des personnes morales était le fait, soit de quelques textes, soit même de la jurisprudence.

1. Les textes.

Il y a chronologiquement deux séries de textes différents.

La première, ce sont des textes, abrogés aujourd’hui, qui ont été édictés à l’issue de la seconde guerre mondiale et qui avait expressément admis la possibilité de condamner pénalement une personne morale. Il y a en ce sens trois textes de 45 qui sont restés célèbres. L’ordonnance du 5 mai 45 relatives aux entreprises de presse coupables de collaboration avec l’ennemie et deux ordonnances des 30 mai et 30 juin 1945 en matière de réglementation de change et de prix.

La seconde série de textes, qui existent toujours, sont les textes relevant du droit répressif administratif, le droit « administratopénal », c’est-à-dire tout le droit répressif non directement pénal. Ces différents textes permettent aux Autorités Administratives Indépendantes, d’infliger des sanctions à des sociétés lorsque ces autorités constatent à un manquement à des prescriptions législatives ou réglementaires.

Au sens de l’article 6 de la CEDH, ces matières relèvent de la matière pénale et donc la cour le soumet aux principes du droit commun.

L’existence de ces autorités administratives indépendantes a influencé l’admission de la responsabilité pénale des personnes morales.

À l’époque on s’est dit que si ces AAI pouvaient prononcer des amendes quasi pénales a l’encontre des personnes morales, pourquoi ne pas permettre au juge pénal de les sanctionner en cas de violation de la loi pénale.

On a donc pu considérer que si ces AAI s’étaient développées, c’était peut-être à titre de palliatif car le juge pénale ne pouvait pas condamner pénalement les personnes morales.

Ceci étant l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales, non seulement n’a pas fait disparaître ces AAI, mais on a assisté à la création de nouvelles autorités, avec l’AMF en 2003 (Autorité Marché Financier), la HALDE en 2004.

La seconde incidence, c’est que l’on a assisté ces dernières années à un réencadrement de ces AAI dans le sillage de la CEDH et la cour de cassation les a soumises à plusieurs principes essentiels de procédure pénale, la présomption d’innocence, l’impartialité du juge, le principe de l’égalité des armes (entre les parties)

2) La jurisprudence.

La jurisprudence sous l’ancien Code pénal posait bien sûr comme principe l’irresponsabilité pénale, même simplement pécuniaire des personnes morales, mais ce principe avait quand même reçu une atténuation.

Le principe d’irresponsabilité avait été à plusieurs reprises affirmé par la chambre criminelle dans des formules diverses, par exemple elle énonçait que toute peine étant personnelles sauf exceptions prévues par la loi, elle ne peut donc être prononcée contre un être moral qui peut seulement être déclaré civilement responsable.

Une personne morale ne peut encourir une responsabilité pénale, il ne saurait en être autrement qu’en vertu d’une disposition particulière de la loi.

Mais ce principe jurisprudentiel avait connu une atténuation qui perdure toujours aujourd’hui depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal. La jurisprudence considérait que la responsabilité pénale des personnes morales pouvait être exceptionnellement retenue en présence d’une infraction matérielle désignant comme auteur, responsable de cette infraction, le propriétaire, l’employeur, la personne intéressée à la fraude, donc une formule générique qui peut s’appliquer à une personne physique comme morale. La jurisprudence considérait alors que cette qualité visée de façon générique permettait d’imputer la responsabilité à une personne morale.

Arrêt de la chambre criminelle du 5 février 2003, qui est intervenu dans le domaine des infractions douanières pour lequel en vertu du principe de spécialité, la responsabilité pénale des personnes morales n’avait pas été spécialement prévue. Néanmoins dans cet arrêt, la chambre criminelle a estimé qu’une personne morale pouvait être déclarée pénalement responsable d’une infraction douanière en tant que personne intéressée à la fraude donc sur la base d’une qualité générique. Depuis le 31 décembre 2005, la responsabilité pénale des personnes morales est devenue générale.

B. En droit comparé.

La France en édictant dans le nouveau Code pénal, la responsabilité pénale des personnes morales a rejoint d’autres pays précurseurs qui l’avaient devancé sur ce point, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, les Etats-Unis, le Canada…

La France a ainsi suivie les recommandations européennes en la matière, notamment deux recommandations du comité des ministres du Conseil de l’Europe, de 1981 et 88 qui demandaient aux états d’appliquer la responsabilité et les sanctions pénales aux entreprises lorsque certains facteurs l’exigent, la nature de l’infraction, la gravité de la faute de l’entreprise, les conséquences de la société.

L’ensemble de ces évolutions explique que la responsabilité pénale des personnes morales qui figurait dans le projet de Code pénal de 1934 dans le projet Matter, ceci explique que le projet ait été retenu dans les projets de 78 et 83 pour être enfin consacré dans l’article 121 – 2 du Code pénal.

Ce qui est regrettable c’est que comme les lois instituant le nouveau Code pénal n’ont pas été déférées au conseil constitutionnel, celui-ci ne s’est pas prononcé directement sur la constitutionnalité de cette responsabilité. Toute fois, il y a eu un rattrapage dans une décision du 5 mai 1998, à propos d’une loi qui réglementait le séjour des étrangers, le Conseil Constitutionnel a affirmé que les objectifs du législateur peuvent notamment justifier un régime de sanction pénale applicable tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.