L’attribution de la personnalité juridique internationale aux individus

La personnalité juridique internationale des personnes privées (individus, particuliers, entreprises)

La question des personnes privées comme sujets de Droit International a été mise entre parenthèses avec la question de l’apparition de l’Etat moderne.

Mais, historiquement, on a considéré le Droit International comme un droit des gens (JUS GENTIUM), comme un ensemble de règles juridiques s’adressant à des particuliers. Il ne s’intéressait pas seulement aux relations entre puissances. Avec les revendications de souveraineté au 16ème siècle, exacerbées aux 18ème et 19ème

Beaucoup d’auteurs militent pour un renouveau du JUS GENTIUM à l’heure actuelle qui tend à mettre en avant les personnes privées. Ce mouvement est largement aidé par la diversification des domaines dans lesquels le Droit International intervient (particuliers relégués au second plan que le Droit International se n’intéressait par exemple qu’au droit de la guerre). Le Droit International intervient beaucoup dans des domaines où les personnes privées interviennent. Les activités des personnes privées sont de plus en plus présentes sur la scène internationale.

Les particuliers ont-ils un statut en Droit International ?

Les personnes privées apparaissent dans l’ordre juridique international comme ayant un statut émergeant. La personne privée sera appréhendée à travers l’Etat dont elle dépend. C’est à travers le lien de nationalité que le particulier va pouvoir être pris en compte par l’ordre juridique international. Les finalités de cette médiation interviennent dans le cadre de la protection diplomatique, aussi à travers la notion de compétence personnelle.

La question de la personnalité juridique ne se pose pas pour les Etats (puisque les apparitions de l’Etat et du Droit International sont liées), ni pour les Organisations Internationales (depuis avis CIJ 1949). La question de ce qu’est un sujet de Droit International n’est apparue qu’à partir du moment où l’exclusivité de la personnalité juridique de l’Etat a été remise en cause par l’apparition d’entités qui pouvaient revendiquer ou se voir attribuer des droits, obligations, capacités. Il y avait une action juridique qui pouvait être constatée.

La notion de sujet de droit international

Il s’agit d’examiner la manière dont se pose le problème en Droit International contemporain. La première difficulté en Droit International est qu’on n’a pas élaboré une théorie générale de la personnalité juridique, on la résout au cas par cas. Il n’y a pas de règle explicite, conventionnelle qui détermine ce qu’est une personne juridique ; En droit interne, on en a (en droit interne, on a notamment pu s’interroger sur la personnalité juridique des personnes morales, la question a été réglée de manière explicite).

Syllogisme juridique: on constate une situation, puis, on constate une règle et on en tire la conséquence qui s’impose. Ce syllogisme soulève des difficultés pour les Etats au départ : quels sont les éléments factuels à réunir pour constater l’existence d’un Etat et en tirer les conséquences sur sa personnalité juridique ? Souvent, on va constater à postériori certaines manifestations de la personnalité juridique pour en déduire que l’entité a la personnalité juridique c’est à dire une potentialité d’exercice de droits, de capacités. Sachant qu’en droit interne, la personnalité juridique n’est pas affectée par le non exercice d’un droit (ex: ce n’est pas parce qu’on est jamais allé devant un tribunal que l’on ne possède pas la capacité processuelle à la fois active et passive). En Droit International, la plupart du temps, on va constater l’exercice de droits/capacités que l’on attribue traditionnellement à une personnalité juridique et en déduire que la cause réside dans l’existence de la personnalité juridique. Sur le plan théorique, les critères de la personnalité ne sont pas des éléments factuels mais des éléments légaux. Les critères de la personnalité juridique sont considérés comme des attributs de la personnalité.

On va constater certains attributs octroyés à des personnalités pour en déduire une personnalité juridique.

On peut se fonder sur l’avis du 11 avril 1949 de la CIJ qui avait dit que les sujets de droit, dans un système juridique, ne sont pas nécessairement identiques quant à leur nature ou à l’étendue de leurs droits. La cour dit qu’il y a variation de la personnalité juridique. Ca soulève une difficulté puisque la qualité de sujet, on l’a ou on ne l’a pas. Il convient de différencier la personnalité juridique de ses attributs. C’est en faisant cette distinction que l’avis de la cour devient lisible = les sujets de droit n’ont pas nécessairement tous les attributs de la personnalité juridique. Ca vient régler la question de la nature et de l’étendue. Ex: en droit interne, il y a des incapables (mineurs ou majeurs).

Ca permet d’éclairer l’avis mais ça ne fait pas disparaitre une question éthique, philosophique : qu’est ce qu’un sujet de droit de manière générale ? Il y a des enjeux philosophiques et éthiques qui dépassent la simple technique juridique. Ca peut nous amener à réfléchir sur la question des SMART SANCTIONS du Conseil de sécurité = c’est le fait pour le Conseil de sécurité d’ordonner aux Etats Membres d’adopter des sanctions non pas à l’égard des autres Etats mais sur des individus, dirigeants, terroristes nommément désignés. D’où la question, puisque le Conseil de sécurité s’adresse directement à ces personnes, est ce que ça ne les élève pas au rang de sujet de Droit International ? Beaucoup de gens trouvaient inadmissibles qu’on donne à des terroristes la qualité de sujet de Droit International. Mais, en même temps, les ériger en sujet est le meilleur moyen de les réprimer.

On ne veut pas attribuer cette sorte « d’honneur » qu’est la personnalité juridique à de tels individus. Ca dépasse la simple technique juridique. On a assisté à de tels débats quand il s’agissait de savoir si les personnes morales pouvaient avoir la personnalité juridique. On assiste au même débat aujourd’hui en droit interne en ce qui concerne la personnalité juridique potentielle des animaux.

En Droit International, c’est l’inverse, on trouve naturel d’imputer aux personnes morales une volonté. C’est plus problématique pour les personnes privées.

La définition d’un ordre juridique dépend intimement de la détermination de ses sujets. Il y a un lien très fort entre ces deux éléments.

Les relations juridiques régies par le Droit International s’étendent de plus en plus. La CIJ l’avait noté notamment à propos du domaine résiduel des Etats. Dans un avis du 7 février 1923 qui concernait le Maroc, la CIJ avait dit que le domaine du Droit International est une question relative qui dépendait de l’étendue des engagements de l’Etat. On est donc passé au XXème siècle d’un Droit International qui refoulait dans la sphère du droit interne les relations avec les particuliers (laissés à la libre appréciation des Etats) pour aboutir petit à petit à ce que le Droit International s’intéresse aux relations entre les Etats et les personnes privées, voire les relations entre les personnes privées elles mêmes. Le Droit International régit de nouvelles relations. En 1927, la CPJI disait que le Droit International régissait les relations entre Etats. Aujourd’hui, il serait plus exact de dire que le Droit International régit les obligations contractées par les Etats. L’Etat est débiteur d’une obligation mais, si on se concentre sur l’obligation, on laisse ouverte la question du créditeur = envers qui l’Etats s’est-il obligé ? C’est une question d’appréciation.

Ex: dans le traité de Versailles, il était pour la première fois prévu que les Etats étaient débiteurs d’obligations à l’égard de particuliers, et notamment des minorités (dues à l’éclatement des territoires). C’est surtout avec l’émergence des DDH que la question s’est posée. Dans un premier temps, même si le Droit International posait des obligations relatives au comportement des Etats à l’égard des individus, on a considéré que les Etats s’obligeaient entre eux. Les individus étaient des objets des obligations mais les Etats s’engageaient les uns vis-à-vis des autres à respecter des obligations, adopter certains comportements è Obligations interétatiques au départ. En témoigne le mécanisme initial principal de la convention EDH de 1950 = il ne pouvait pas y avoir de plaintes de particuliers, seulement d’un Etat envers un autre. Ca démontre que les Etats s’engagent mutuellement. La saisine individuelle des organes de la cour n’était qu’optionnelle. Ca a été le cas de la France, elle ne ratifie la saisine individuelle qu’en 1981. Le processus de saisine individuelle a été développé et ça a aboutit à ce qu’elle soit aujourd’hui obligatoire (protocole 11). Il y a en pratique peu de saisines interétatiques.

On constate donc une technique juridique = la capacité processuelle qui est généralement une conséquence de la personnalité juridique. C’est comme ça que la question se pose en Droit International = on constate un élément légal pour en déduire une qualité juridique. En droit interne, cet élément légal est source de droits subjectifs c’est à dire la possibilité donnée à un être la possibilité de faire valoir une prérogative, c’est la possibilité d’obtenir de qqn qu’il fasse ou s’abstienne de faire quelque chose. Qui peut donc faire valoir ces droits ? Entre les mains de qui met-on l’efficacité des normes substantielles ?

Dès lors qu’on constate une capacité processuelle/procédurale, elle n’est que la conséquence d’une capacité substantielle, c’est à dire qu’un droit a été créé au profit de la personne qui peut le faire valoir. C’est à travers une procédure que l’on découvre le droit.

Ex: la protection diplomatique qui est procédure n’est qu’une manière de palier une carence (absence de droit processuel prévu pour les personnes privées) = ça permet aux Etats de représenter ses ressortissants. On constate que lorsqu’est mise en place une technique juridique de réclamation individuelle (tribunal), il n’y a plus de protection diplomatique. Face à ce constat, il y a soit des analyses qui disent que ce n’est qu’un mécanisme général de protection diplomatique, soit on va assez souvent sur la théorie de la reconnaissance pour dire que finalement, dans certaines situations, les Etats vont reconnaitre la possibilité d’exercer certains droits. Mais, la théorie de la reconnaissance se réalise sur une base strictement volontaire, c’est un acte discrétionnaire. On retrouve le débat sur le caractère déclaratif ou constitutif de la reconnaissance (la doctrine s’accorde pour dire que la reconnaissance n’est pas constitutive). Tout cela semble assez incompatible avec la notion de personnalité juridique qui est une notion nécessairement objective, ERGA OMNES. C’est une qualité attribuée qui ne peut pas varier dans l’espace.

Ex: dans le cadre de la Convention EDH, les Etats s’engagent sur une base territoriale (l’Etat Membre doit assurer les droits des individus se trouvant sur son territoire, peu important sa nationalité) : un ressortissant chinois dispose d’une personnalité juridique en France car il dispose de certains droits et peut les faire valoir. Mais, quand il franchit les « frontières » de l’Europe, il n’a plus de personnalité. Il y a personnalité ou non selon l’endroit où se trouve. C’est insensé. Ce n’est pas nécessairement l’opinion dominante.

Les personnes privées, sur un plan théorique disposent d’une personnalité juridique parce que c’est la seule explication qui peut, justifier le constat des conséquences de la personnalité juridique, du fait que certains attributs sont octroyés. Si on en revient à l’avis de 1949 : Certes, il ne s’agit pas d’une personnalité originaire, certes l’étendue des attributs va dépendre des Etats (vis-à-vis de qui) = c’est le seul moyen d’expliquer et de décrire le Droit International contemporain. Le fait de disposer de ces Etats va dépendre de ces Etats, l’Etat peut aussi retirer ces attributs = ce n’est donc pas une question d’essence. En droit interne aussi on peut retirer des attributs de la personnalité (on peut par ex être privé du droit de vote).

Autrement d’un catalogue de droits dont peuvent bénéficier les particuliers, il n’y a pas d’objection à cette reconnaissance de la personnalité juridique.

L’efficacité du respect de l’obligation substantielle passe la plupart du temps par l’octroi d’une capacité processuelle aux particuliers.