Commentaire de l’arrêt Bertrand (responsabilité des parents)

La responsabilité des parents du fait de leurs enfants depuis l’arrêt Bertrand (19.février 1997)

Descriptif:
L’évolution jurisprudentielle en matière de la responsabilité civile des parents du fait de leurs enfants: vers une aggravation de la responsabilité des parents.

La responsabilité des parents du fait de leurs enfants depuis l’arrêt Bertrand (19.fév.1997)

Introduction

“…seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer M. X de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui…”

L’arrêt inattendu rendu le 19. février 1997 de la 2. chambre civile de la Cour de Cassation a confirmé la solution de l’arrêt attaqué de la Cour d’appel de Bordeaux. Rendu le même jour qu’un arrêt sur la cohabitation, l’arrêt Bertrand fait partie d’une jurisprudence très récente qui a profondément changé la responsabilité des parents du fait de leur enfants. Il confirme une tendance à l’aggravation de la responsabilité des parents, même une tendance de l’aggravation de la responsabilité civile en générale; il fait partie d’une évolution vers la garantie complètement objective des dommages causés.

Avec l’arrêt Bertrand, la responsabilité des parents a changé de nature; la présomption simple a dû faire place à une responsabilité de plein droit. Selon l’ancienne solution de la Cour de Cassation, la responsabilité des parents reposait sur une présomption réfragable, soit de faute d’éducation, soit de faute de surveillance. L’exonération n’était donc pas véritablement facile, mais il était néanmoins possible pour les parents d’apporter la preuve qu’ils n’avaient pas commis de faute.

Si on parle de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, il faut tout d’abord se rappeler qu’il s’agit des parents uniquement qui sont responsables du fait de leurs enfants. En ce qui concerne la responsabilité du fait des mineurs, le caractère du droit français reste ambigu: Bien qu’il connaisse une responsabilité très grave en cette matière, le domaine des personnes tenues responsables est en même temps strictement limité.[5][5] Certes, la charge du mineur peut être déléguée aux tiers par jugement. Une responsabilité du fait d’autrui naît d’un tel “transfert de garde”. Il ne s’agit néanmoins pas d’une responsabilité parentale et il ne convient donc pas de l’analyser ici.

En aggravant la responsabilité parentale, l’arrêt Bertrand a donc marqué une rupture considérable. Dans un premier temps, il convient d’analyser l’arrêt Bertrand sous l’angle de la rupture principale qu’il impose: La responsabilité parentale est devenu une responsabilité de plein droit.

La portée de l’arrêt Bertrand ne s’arrête néanmoins pas au changement des moyens d’exonération des parents. Il fait partie d’une tendance vers une responsabilité de garantie, semblable à la responsabilité du gardien du fait d’une chose. Dans un deuxième temps, il faut donc examiner la jurisprudence récente, des chambres civiles et criminelles, depuis l’arrêt Bertrand sur la responsabilité parentale, et apprécier les conséquences d’une telle évolution.

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I – La responsabilité des parents: Une responsabilité de plein droit

Certes, l’aspect inattendu de l’arrêt Bertrand était sa rupture avec la présomption réfragable d’une faute des parents. Il ne se prononce néanmoins pas seulement sur la présomption simple, mais il confirme tacitement une jurisprudence ancienne. Deux questions simples se posent: Qu’est-ce qui est nouveau depuis l’arrêt Bertrand?

Et, au contraire, qu’est-ce qu’il confirme, explicitement ou tacitement, de l’ancienne jurisprudence sur la responsabilité parentale? Dans une première sous-partie (A), nous parlerons donc des critères de l’exonération depuis l’arrêt Bertrand. L’analyse des confirmations de la jurisprudence ancienne se passe dans uns deuxième partie (B).

A) Les critères de l’exonération depuis l’arrêt Bertrand

L’arrêt Bertrand se prononce d’une manière très claire sur les critères de l’exonération parentale. “…seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer M. X de la responsabilité de plein droit.” La notion de la faute (de surveillance ou d’éducation) a complètement disparu, il reste deux moyens d’exonération: Force majeure et faute de la victime.

Une exonération est devenue pratiquement impossible. La force majeure exige une condition de l’extériorité, qui est très difficile à prouver si le dommage a été causé par un enfant. La force majeure présuppose que les parents sont (avant l’événement extérieur, imprévisible et irrésistible) en situation d’empêcher le dommage causé par leur enfant. Il en résulte que, depuis l’arrêt Bertrand, l’exonération parentale devrait plus volontiers intervenir à propos d’enfant que d’adolescent, ce qui marquerait un renversement de perspective par rapport au système antérieur dans lequel l’exonération devenait d’autant plus facile que l’enfant approchait la majorité. Depuis l’arrêt Bertrand, le risque de payer les conséquences du fait du mineur est extrêmement grand pour les parents des adolescents. Et ce sont souvent des adolescents qui font des bêtises qui coûtent le plus cher.

C’est pourquoi les parents vont, sur le plan pratique, essayer de prouver une faute de la victime. Il est plutôt vis-à-vis de l’enfant que vis-à-vis des parents que la faute de la victime produit un effet d’exonération. Il est question de lien de causalité; une faute de la victime qui a contribué au dommage implique que l’enfant n’a causé le dommage que partiellement.

Certes, cette jurisprudence présente des avantages pratiques et dogmatiques. Premièrement, elle facilite la compensation des victimes. Sur le plan pratique, la présomption simple, donc l’appréciation de la preuve contraire, menait à des solutions incertaines et aux risques considérables pour le demandeur.

Sur le plan dogmatique, il faut admettre que la construction d’une faute de surveillance et d’éducation était très artificielle. On ne peut justement pas surveiller un enfant – ou un adolescent! – continûment. De plus, les préjudices causés par des enfants ne sont normalement pas du tout créés volontairement; il s’agit dans la plupart des cas d’accidents. La faute d’éducation, comme la faute de surveillance, est donc une construction juridique qui ne correspond pas du tout à la réalité.

En abolissant la notion de la faute de surveillance et d’éducation, l’arrêt Bertrand a donc imposé une réforme partielle de la responsabilité parentale, tout en gardant les idées principales de l’ancienne jurisprudence.

B.) L’arrêt Bertrand: L’affirmation tacite de l’ancienne jurisprudence?

Vivement discutée et critiquée depuis l’arrêt Fullenwarth, le fait dommageable de l’enfant a-t-il encore changé de nature depuis l’arrêt Bertrand? Selon le célèbre arrêt Fullenwarth, une simple intervention causale de l’enfant dans la production du dommage suffit d’engager la responsabilité parentale – même si le comportement de l’enfant n’était pas de nature à engager la responsabilité personnelle.

Selon la thèse traditionnelle, toujours d’une actualité brûlante dans la doctrine, la responsabilité des parents est de caractère complémentaire. Le comportement du mineur doit donc engager sa responsabilité personnelle.

Bien que l’arrêt Bertrand ne se prononce pas directement sur ce problème, il confirme la tendance de l’aggravation de la responsabilité des parents. Il est fort logique qu’une responsabilité de plein droit, imposée par l’arrêt Bertrand, correspond mieux avec la responsabilité principale des parents. La responsabilité dérivée de la responsabilité de l’enfant ne va pas avec l’idée de compenser la victime à tout prix.

La Cour de Cassation est évidemment inspirée par le régime de responsabilité du fait des choses: L’arrêt Fullenwarth a garanti l’indépendance de la responsabilité parentale du comportement qualifié fautif de l’enfant; l’arrêt Bertrand a arraché la dernière exigence de faute, cachée dans l’exonération.

L’arrêt Bertand fait donc partie d’une évolution jurisprudentielle de la responsabilité parentale. Il garde des idées principales de l’ancienne jurisprudence. La rupture est néanmoins grave et importante; c’est elle qui fait de l’arrêt Bertrand un arrêt de principe. La Cour de cassation rompait avec la faute comme fondement de la responsabilité parentale! Quelle vision de la responsabilité parentale est-ce que la Cour de Cassation a formulé depuis l’arrêt Bertrand? Les parents, est-ce qu’ils sont finalement devenus les gardiens de leur enfant comme chose dangereuse, animée, en mouvement, d’un dynamisme propre? La responsabilité parentale, est-ce qu’elle est devenue une véritable responsabilité du gardien?

II – La responsabilité des parents: Une responsabilité du gardien?

La Cour de cassation a rompu avec la faute comme fondement de la responsabilité parentale. Depuis l’arrêt Bertrand, la jurisprudence, plutôt la chambre criminelle, a favorisé la notion de la garde par rapport à l’autorité parentale liée à la cohabitation, qu’il faut analyser dans une première partie (A). De plus, dans une deuxième partie (B), il faut apprécier les conséquences d’une responsabilité qui devient de plus en plus objective: La responsabilité en rupture la faute subjective, est-ce qu’elle favorise le laxisme, comme c’est souvent invoqué par la doctrine?

A) L’évolution de la cohabitation et la notion de la “garde” de l’enfant depuis l’arrêt Bertrand

En examinant la responsabilité des parents du fait de leurs enfants depuis l’arrêt Bertrand, il ne convient pas de s’arrêter avec l’analyse du changement en responsabilité en plein droit. La faute de surveillance ne joue plus un rôle aussi important. Il a complètement disparu de l’article 1384, al. 4. (Il reste important pour la faute personnelle de la responsabilité de l’article 1382.)

La disparition de la faute de surveillance sur le plan de l’exonération a des conséquences sur le plan des conditions de la responsabilité parentale. La raison d’être de l’exigence de la cohabitation était, selon la doctrine classique, de fournir une assise à la présomption de faute de surveillance.

Pour garantir l’indemnisation de la victime, la Cour de Cassation a élargi la condition de la cohabitation. Par arrêt du 19. févr. 1997, donc par arrêt rendu le même jour que l’arrêt Bertrand, la Cour de Cassation a statué que l’exercice d’un droit de visite ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce sur lui le droit de garde.

L’exigence de la cohabitation peut créer des résultats assez injustes: En cas de divorce, un des parents porte le risque de la responsabilité du fait de l’enfant commun, bien que le fait dommageable est souvent accidentel et n’a rien à voir avec la surveillance ou l’éducation. Le parent qui accueille l’enfant commun doit donc répondre aux dommages sans avoir, dans la plupart des cas, la moindre possibilité de les empêcher. L’exigence de la cohabitation va peut-être complètement disparaître car elle est inappropriée dans le cadre d’une responsabilité parentale objective.

Traditionnellement, la responsabilité de l’article 1384, al. 4, et donc la condition de cohabitation, résultait de l’idée que les parents habitant avec le mineur étaient les personnes qui pourraient le mieux empêcher le fait dommageable de l’enfant. La vie familiale a, pourtant, beaucoup changé. “Les parents” ne sont plus ceux qui s’occupent de l’éducation et de la surveillance des enfants. La responsabilité parentale ignore la responsabilité d’autres personnes qui ont souvent une influence très considérable sur l’éducation de l’enfant: les tuteurs, le concubin ou la concubine d’un des parents, les grands-parents. Une réforme de la condition de la cohabitation et l’autorité parentale semble donc nécessaire. La présomption que la cohabitation implique un contrôle sur le comportement de l’enfant ne correspond plus à la réalité.

Dans sa jurisprudence récente, la Cour de Cassation opte néanmoins pour une autre notion: La garde. Un mois après l’arrêt Bertrand, la chambre criminelle parle de la responsabilité de la personne qui a le pouvoir “d’organiser, de diriger et de contrôler le mode de vie d’un mineur.”[6][6] Formulation délicate: elle ressemble beaucoup trop à la notion de la garde d’une chose. La “cohabitation juridique”, c’est le droit de garde abstrait des parents. Comme le propriétaire d’une chose était tout d’abord présumé gardien sans moyen d’exonération, les parents qui exerce un droit de garde sur un enfant doivent répondre aux dommages.

Les parents – est-ce qu’ils sont les gardiens d’un enfant? Qu’est-ce que c’est, la garde d’un enfant? Les parents qui ont, en réalité, un pouvoir de contrôle sur leurs enfants. L’enfant n’est pas une chose, il est une personne humaine avec sa dignité propre. Il prend des décisions complètement inattendues. L’art. 371-2 précise que l’objet de l’autorité parentale est la protection de l’enfant, pas son contrôle permanent. Un adolescent peut et doit très bien choisir ce qu’il veut faire. La liberté de l’enfant est en danger si les parents doivent répondre à tout les dommages.

B) Trop de responsabilité?

“Trop de responsabilité tue la responsabilité” – est-ce que la responsabilité sans faute favorise le laisser-aller et encourage le laxisme en matière d’éducation des enfants?

La critique semble très logique: La responsabilité en rupture avec la faute pourrait provoquer l’insouciance des futures victimes, qui correspondrait à celle des parents couverts par la prime d’assurance “chef de famille”.

La responsabilité n’a pas seulement une fonction de compensation: Elle a un rôle normatif, elle doit protéger des droits fondamentaux de la victime par la voie de sanction. La responsabilité civile a des effets quasi-pénaux. Car les parents ne sont pas responsables pénalement de fautes commises par leurs enfants, le rôle normatif de l’article 1384, al.4 s’en trouve renforcé.

Ceux qui ont évoqué que l’arrêt Bertrand était un danger pour l’institution de la famille sont néanmoins allés trop loin. Il existe bien d’autres raison pour surveiller son enfant: La plupart des parents y tiennent. De plus, en cas de faute excessive de surveillance, les parents prennent toujours le risque que l’assurance ne payera pas leur dommage. La notion de faute n’a pas tout à fait disparu: Elle n’est plus en question entre victime et auteur du dommage, mais entre auteur et son assureur. Devenu invisible dans les arrêts de la Cour de Cassation, où le défendeur (l’auteur et son assurance intervenu en instance) forme un tout, la question tout à fait subjective d’un comportement fautif reste important sur le plan de couverture de risque.

De plus: La Cour de Cassation n’a pas violé la loi en rendant l’arrêt Bertrand. Le Code Civil ne contient aucun indice qui permet de rattacher la responsabilité des parents à une faute d’éducation ou de surveillance, bien que la doctrine classique ait déduit de l’article 1384, al. 7 l’existence d’une présomption simple et réfragable.

Conclusion

Un régime de responsabilité pour faute présumée présentait un compromis; la responsabilité de plein droit est très favorable aux victimes, peut-être même un peu trop favorable. En conclusion, la responsabilité des parents a connu une aggravation considérable. Qu’est ce qu’on doit donc recommander aux parents, quel conseil est-ce qu’on doit donner à ceux qui se voient en face des risques financiers complètement inattendus?

Est-ce qu’il faut avoir une assurance obligatoire pour la responsabilité des parents du fait de leurs enfants? Comme la responsabilité est devenue une responsabilité de plein droit, comme la possibilité de s’exonérer n’existe pratiquement plus, comme l’intervention causale de l’enfant suffit pour engager la responsabilité, être parent implique un risque financier considérable. Les parents ne savent plus se tirer d’affaire; embarrassés, les avocats ne peuvent rien conseiller qu’une assurance pour que les dommages soient couverts. Il ne reste pas de faute à éviter, car une faute n’est plus nécessaire.

Les parents doivent, suite à la jurisprudence de la Cour de Cassation, payer deux police d’assurance pour les dommages causés par leurs enfants: Pour la responsabilité personnelle du mineur, établie sans exigence de discernement, et pour leur propre responsabilité de plein droit, engagée même sans faute personnelle de l’enfant. Il faudrait pour que le système de la compensation automatique de la victime fonctionne – que ces assurances soient obligatoires.

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