Cours de droit international privé

 DROIT INTERNATIONAL PRIVE

  Le droit international privé est l’ensemble des règles juridiques qui régissent les relations nouées par des personnes ressortissant d’États différents et/ou résidant dans des États différents.. Les règles du droit international privé permettent de déterminer les lois nationales applicables à la situation, mais aussi les juridictions compétentes pour connaître d’une action en justice.

Le droit international privé définit également les règles de reconnaissance des jugements et des sentences arbitrales étrangères.

Introduction

Il va être question de théorie générale.

I.             Définitions et objets du droit international privé

Exemple : un français, domicilié en France, en vacances en Toscane. Il conduit et emboutit

une autre voiture, un américain également en vacances en Italie. Le français saisit les tribunaux français d’une demande en indemnisation contre l’américain. Ce dernier fait la même chose aux USA.

            Est-ce que l’on doit appliquer le droit français des accidents à cet accident ? La loi américaine est-elle compétente ? La loi italienne peut-elle s’appliquer ? Il y a donc plusieurs lois en concurrence. Il faut résoudre ce conflit de lois, c’est le cœur de la matière du droit international privé.

            Imaginons que l’américain ait été plus rapide que le français et a obtenu un jugement contre le français aux USA ou alors il a obtenu un jugement en Italie contre le français. La demande devant un juge français est-elle recevable alors qu’il existe déjà un jugement rendu à l’étranger ? Le problème que l’on touche est celui des effets en France des jugements rendus à l’étranger. Cette question varie selon le pays dont émane ce jugement à l’étranger.

            Est-ce que le juge français est compétent pour trancher un litige entre un français et un américain à propos d’un accident survenu en Italie ? Il faut un certain lien entre le litige et la France. Ce lien va varier selon le type de litige. Les règles qui déterminent la compétence internationale du juge français sont des règles dites de compétence internationale directe. On les oppose aux règles indirectes qui vont permettre d’apprécier le domaine de compétence du juge étranger.

            Ces deux dernières matières sont réunies ensemble sous le vocable « conflit de juridiction ».

            Si le juge français est compétent, doit-il appliquer la loi française, la loi italienne ou la loi américaine ?

            Les deux grands blocs du droit international privé sont donc conflit de lois et conflits de juridictions. Pour le conflit de lois, il y a vraiment des lois en concurrence. La règle qui va permettre est la règle de conflit de lois, elle a une caractéristique à savoir qu’elle est dite bilatérale. Selon les cas, elle pourra désigner la loi française comme une loi étrangère. Le conflit de juridiction est un peu plus particulier, il n’y a pas de caractère bilatéral. Là encore, il existera une règle de compétence directe. Si le juge français décide qu’il n’est pas compétent, ce n’est pas à lui de décider qui est le juge compétent (sauf exception). Il existe aussi parfois des conflits positifs où les différents juges se déclarent tous compétents. Chaque juge détermine sa propre compétence.

            Dans le cadre de l’Union européenne, un certain nombre de règlements ont été passés sur ce sujet. Les règles de compétence des juges sont alors communes à un certain nombre d’Etats.

            Exemple : l’américain obtient gain de cause car le jugement américain est reconnu en France. Le français en cause  a plusieurs créanciers qui vont donc venir en concurrence pour le paiement. Tous les autres créanciers sont français. Est-ce que la nationalité étrangère de l’un des créanciers ne s’oppose pas à ce qu’il puisse agir au détriment des autres ? En France, le statut d’étrangers entraine toujours quelques infériorités juridiques. Le statut d’étranger implique un certain régime juridique. Cette matière est appelée la condition des étrangers, ce sont l’ensemble des règles dont l’objet est de définir le statut juridique des étrangers en France. Dans beaucoup d’Etats, on ne trouve pas cette matière dans les ouvrages car ils ne considèrent pas cela comme un problème de droit international privé.

            Dans de nombreux cas, beaucoup de questions qui se posent vont pouvoir être résolues quand on aura connaissance de la nationalité de l’individu.  Lorsque cette nationalité est contestée, il faudra préalablement résoudre la question de la nationalité de l’individu. En France, c’est le droit français qui détermine les conditions d’acquisition ou de perte de la nationalité française.

            Le point commun de tous ces problèmes c’est qu’ils naissent pour une seule raison : le caractère international de la situation litigieuse.

            Le droit international privé est un droit spécial applicable aux personnes privées impliquées dans des relations juridiques internationales. C’est un ensemble de règles spéciales qui ont pour objet de régler les relations internationales entre les personnes privées.

          C’est un droit spécial car ce droit n’a pas pour objet premier  de régler intégralement le litige. Son objet premier est plutôt de traiter des problèmes spécifiques directement liés au caractère international du litige. Ces problèmes sont souvent antérieurs au règlement du litige.

          C’est un droit applicable aux personnes privées. Le droit international privé est une branche du droit privé car il vise les relations d’ordre privé entre des personnes de nationalité différente. Il arrive toutefois qu’un Etat agisse comme une personne privée, notamment dans le cadre du commerce par exemple. Lorsque le contrat est passé avec une personne privée, on soumettra ce contrat d’Etat au droit international privé.

          Les personnes privées impliquées dans des relations internationales. Le déclencheur du droit international privé est la présence d’une relation internationale. Il est donc essentiel d’identifier ce qu’est une relation internationale mais il existe plusieurs notions. On dit généralement qu’est internationale la relation qui présente, pour l’organe qui la contemple, au moins un élément d’extranéité, c’est-à-dire un élément qui la met en contact avec un ordre juridique étranger. Selon l’organe qui la contemple, les éléments d’extranéité peuvent être différents. Parfois la relation ne va être internationale que pour l’organe qui la contemple, le juge. La relation devient internationale que parce qu’un autre juge internationale en serait saisi. L’élément extrinsèque est en fait le juge saisi. C’est une situation subjectivement internationale. A l’inverse, on a des relations qui sont objectivement internationales. C’est une situation qui en elle-même, par ses éléments intrinsèques, met en cause plusieurs ordres juridiques, elle comporte en elle-même des éléments d’extranéité. Pour déclencher les problèmes de conflit de loi, est ce qu’il faut que la situation soit objectivement internationale ou suffit-il qu’elle soit subjectivement internationale ? La solution de principe est que, pour que le droit international intervienne, il suffit que la situation présente des éléments d’extranéité pour l’organe qui la contemple, il suffit donc que la situation soit subjectivement internationale. Pour éviter un certain nombre de manœuvres, lorsque l’ensemble des éléments de la situation pointe vers un seul pays, parfois les règles de droit international privé vont connaitre des règles particulières. Ex : pour un contrat de droit interne, on n’a pas le choix de la loi. En matière international, c’est el libre choix de la loi, les parties peuvent donc choisir la loi qu’elles veulent voir appliquer à leur contrat. Pour éviter certaines manœuvres, il y a des exceptions à ce principe.

          Quels sont els facteurs d’apparition du droit international privé ? Le monde est divisé en Etats souverains, chaque Etat a ses juges et ses lois. Auparavant, les peuples vivaient en autarcie. A partir du moment où il y a eu des échanges, le droit international privé a été nécessaire. Dans tous les domaines, les législations sont différentes les unes des autres. L’unification mondiale du droit n’est pas pour demain. De même, chaque Etat a ses juges et ses solutions particulières. Chaque Etat va par ailleurs poser ses propres conditions à la reconnaissance des jugements étrangers. De la même manière, chaque Etat est libre de déterminer qui sont ses nationaux. De ce fait, le droit international privé est un droit qui, malgré les mouvements d’unification, est promis à un bel avenir. Toutefois, il ya de plus en plus de sources européennes du droit international privé. Pour la sécurité juridique des individus, un juge ne peut pas dire qu’il n’appliquera que sa loi sans prendre en compte les autres lois, il ne peut pas dire qu’il sera toujours compétent et il ne peut pas dire qu’il ne tiendra jamais compte de ce qui se fait à l’étranger. Pillet disait, pour défendre la nécessité du droit international privé, qu’ « il serait inadmissible qu’en passant d’un Etat dans un autre qu’un homme perde les qualités d’enfant légitime, d’époux, de père de famille qu’il avait régulièrement acquises ». Pour assurer la permanence du statut juridique d’un individu, le juge doit tenir compte éventuellement des jugements étrangers, des décisions prises à l’étrangers, des lois étrangères. Ceci étant, un Etat pourrait, pour régler les relations privées internationales, recourir à deux types de normes, soit appliquer les normes d’origine nationale, soit appliquer des normes non nationales. Le recours à des normes d’origine nationale : il existe encore deux possibilités, soit utiliser les normes édictées pour les relations internes, soit élaborer des normes spécialement pour les relations internationales. Le droit international privé ne cherche pas à trancher le fond du litige lui-même. Dans certains cas, le juge français peut être amené à appliquer la loi étrangère.

Dans le premier exemple, le juge français va d’abord voir s’il est compétent. Il va pouvoir se reconnaitre compétent en application d’un privilège de juridiction (article 15 du Code civil). Le juge français ne peut pas refuser la justice à un français. Si l’américain défendeur invoque un jugement étranger, américain par exemple, le juge français va examiner les règles de reconnaissance des jugements étrangers. Il va examiner la compétence indirecte du juge étranger, ce dernier doit avoir exercé une compétence raisonnable. Le deuxième critère à examiner est l’absence de fraude. Le jugement américain doit être conforme à l’ordre public français.

Un Etat peut aussi dire, que pour les situations internationales, il va créer des règles substantielles spécifiques. On appelle ça aussi des règles matérielles de droit international privé. Ce sont pas des règles de désignation mais des règles qui touchent au fond du droit et ont donc vocation à trancher au fond du droit la situation litigieuse.

Il existe deux domaines du droit privé international où ce procéder est très utilisé, c’est la nationalité et la condition des étrangers. Généralement, on considère que ce qui vaut pour les relations internes vaut aussi pour les relations internationales. L’arbitrage, en tant que mode privé de résolution des litiges, doit être mis à part. L’arbitrage est devenu le mode de droit commun de résolution des litiges en matière de commerce international. Cette justice privée est vue comme essentielle au développement du commerce international. Les Etats ont vu l’intérêt qu’ils avaient à favoriser l’arbitrage. En matière interne, l’arbitrage a longtemps été assez mal vu. La jurisprudence a pris le parti de dire que si c’est le droit français qui est appliqué, il faut appliquer des règles spécifiques et non les règles françaises sur l’arbitrage qui ne sont pas bonnes.

Pour que cette règle matérielle s’applique, encore faudrait-il, en principe, que l’ordre juridique français soit compétent. Pour certaines règles matérielles, ce préalable est gommé. La jurisprudence française a tendance à dire qu’il faut faire une réglementation spécifique pour les relations internationales et à l’appliquer à chaque fois qu’elle est saisie.

En droit international privé, on peut aussi choisir de recourir à des règles internationales. Essentiellement, les sources du droit international privé sont internes. Ceci étant, les choses ont un peu évolué et on a vu apparaitre des normes internationales. La encore, on peut en avoir deux types :

          Soit la norme émane d’un accord entre plusieurs Etats, c’est donc une convention internationale.

          Soit la norme émane d’aucun Etat et s’élabore en dehors des Etats. C’est essentiellement dans le domaine du commerce international où les intervenants ont développé un corps de règles, on parle de droit transnational, droit a national ou encore la lex mercatoria.

S’agissant des conventions internationales, deux sortes peuvent être adoptées. Dans certains

domaines, les Etats posent des règles de juridiction, ou des règles de conflits de lois vont être posées. Mais les Etats peuvent aussi s’entendre pour poser des règles communes. Par exemple, pour les transports internationaux, il existe un certain nombre de conventions internationales qui posent des règles matérielles. En principe, ces conventions ne sont applicables qu’à des situations internationales qui présentent un certain lien avec les Etats signataires, lien que la conventionnelle même va définir.

            Le droit a national vise un secteur spécifique qui est le commerce international. En effet, dans le domaine commercial international, on a vu se développer, en dehors des Etats, un droit de nature privé. Ils ont développé des usages entre commerçants, des règles, des principes propres au commerce international. En effet, les professionnels ont élaboré entre eux des usages, parfois tellement importants que ces usages s’appliquent automatiquement, sauf s’il est fait mention du contraire. Parfois, ces usages vont même être codifiés par des organismes privés (ex : les incoterms). Il existe aussi une importance accordée aux contrats types auxquels les parties se réfèrent quasi automatiquement. Toutes ces règles n’ont qu’une valeur contractuelle. Il y a aussi tous les principes et les règles privées énoncées par des organisations privées ou par les arbitres internationaux. Les parties s’engagent, par la clause compromissoire, à se tourner vers l’arbitre et non devant un juge. Dans le commerce international, les Etats ont reconnu une grande liberté aux arbitres dans la manière dont ils tranchent les litiges, l’arbitrage n’est donc pas contrôlé. Les arbitres ont le droit d’appliquer les règles privées, lesdites règles ont donc une certaine effectivité.

            Les arbitres disposent de la plus grande liberté dans le droit qu’ils appliquent. De ce fait, certains d’entre eux profitent de cette liberté pour appliquer des principes transnationaux qu’ils élaborent eux-mêmes, ils les appellent principes généraux du droit international. En pratique, on rencontre ce type de droit car les Etats ne contrôlent pas. Il reste aussi des principes généraux élaborés par des institutions internationales privées. Les plus importants ont été élaborés par UNIDROIT qui est organisme privé réunissant des patriciens de différentes nationalités. Dès 1994, Unidroit a élaboré des principes relatifs aux contrats du commerce international. Ces principes ont été augmentés en 2004. Enfin, une troisième version a été élaborée en 2010. Plus il y a de révisions plus le code grossit. Ces principes n’ont, en eux-mêmes, aucune force obligatoire. Dans l’arbitrage, on n’est pas obligé d’appliquer des lois étatiques donc en fait, les parties à un contrat peuvent donc décider que ce contrat sera soumis aux principes Unidroit. Si les parties font ce choix là, les arbitres appliqueront ces principes. Il en va de même si les parties n’ont rien préciser.

2. Les sources du droit international privé

            L’essentiel des sources de ce droit ne se trouve pas forcément à un échelon international. Au contraire, ce droit est essentiellement de source nationale. Chaque Etat développe pour lui-même son droit international privé. Dans le cadre européen, les textes communautaires ont toutefois de plus en plus importance. Le mot international vise donc plus l’objet de ce droit que la source de ce droit qui elle reste essentiellement nationale.

A. La place encore prépondérante des sources internes

Ce sont exactement les mêmes sources que pour les autres branches du droit privé, on en

retient essentiellement trois, à savoir la loi, la jurisprudence et la doctrine. En droit international privé, la source primordiale a d’abord été la jurisprudence, ensuite la doctrine puis la loi.

1.  La loi

Elle a tenu et tient toujours, en France, un rôle relativement limité. En France, le droit

international privé ne fait pas l’objet d’une codification.

            Même de façon ponctuelle, on peut remarquer que le législateur n’est pas très actif en matière de DIP. Les Codes civil et de procédure civile ne contiennent que quelques dispositions relatives au conflit de lois et au conflit de juridiction. Sur ces domaines, la loi est très peu intervenue et ne l’a fait qu’à partir des années 1970. Depuis quarante ans, il n’y a eu que peu de dispositions. On trouve ainsi la loi sur la filiation du 3 janvier 1972 qui contient quelques dispositions de DIP (art 311-14 à 311-18 du Code civil). Par la loi du 11 juillet 1975 réformant le divorce, le législateur a prévu un article 310 (devenu article 309) du Code civil sur le conflit de lois. Plus récemment, le législateur a passé une loi spécialement pour une situation internationale, par la loi du 6 février 2001, il a posé les règles spéciales sur l’adoption internationale (articles 370-3 à 370-5 du Code civil). La dernière modification d’ampleur date d’une loi du 12 mai 2009 qui a introduit l’article 515-7-1 relatif à la loi applicable aux partenariats enregistrés (PACS, etc.).

            La loi est si pauvre en droit international privé car, souvent, quand le législateur a essayé de faire du DIP, il a été très critiqué.

            Toutefois, il faut aujourd’hui relativiser cette faiblesse de la loi. En effet, si on prend le DIP au sens large, la loi règne notamment sur la nationalité et la condition des étrangers.      

2.  La jurisprudence 

Elle a joué et joue encore un rôle essentiel dans l’élaboration des règles de droit international privé.  

            La jurisprudence a élaboré toutes les règles de conflit de lois en DIP ; c’est elle qui a définit quelle était la règle applicable en matière de régimes matrimoniaux, en matière de contrat, etc. La loi est parfois intervenue ensuite. Tout l’ensemble du conflit de lois a été élaboré par la jurisprudence. Elle a rendu beaucoup d’arrêts sous le visa de l’article 3 du Code civil, il ne s’intéressait qu’à l’application de la loi française sur le territoire français, «  Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers sont régis par la loi française. Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les français, même résidents en pays étrangers. ». La jurisprudence a bilatéralisé ce texte et a construit dessus tout le conflit de lois. Pour prendre plus d’autonomie, la jurisprudence invoque des principes généraux du DIP.

            Le DIP de droit commun est donc essentiellement de sources jurisprudentielles.

3.  La doctrine

Elle a probablement joué un rôle plus important en DIP que dans les autres branches du

droit.

            L’élaboration des concepts a beaucoup servi à la jurisprudence dès le 16ème siècle. Plus récemment, la doctrine a proposé et la jurisprudence a adopté les concepts en matière de fraude à la loi, du statut de la loi étrangère devant le juge. Il arrive parfois que la jurisprudence ait adopté des décisions qui ont été critiquées par la doctrine, la jurisprudence a alors changé d’avis.

Henri Batiffol  avait développé une théorie en matière de lois applicables aux contrats lorsque les parties n’ont pas choisi de loi. Il avait proposé une théorie selon laquelle il faut localiser le contrat dans l’ordre juridique qui lui est le plus proche. La jurisprudence a ensuite rendu des arrêts dans laquelle elle disait qu’il fallait « localiser le contrat ».

B. La place grandissante des sources internationales

1.  La faiblesse relative des sources internationales

Au 19ème siècle, on croyait que le DIP devait être un droit international par sa source.

            A la toute fin du 20ème siècle, on a compris que le DIP s’set essentiellement développé de façon unilatérale par chaque Etat. Il a été admis et il est encore admis qu’un Etat est libre de régler comme il l’entend les relations privées internationales.

En ce qui concerne la nationalité, le droit international public reconnait une quasi liberté,

pour chaque Etat, de déterminer qui sont ses nationaux. Il faut aujourd’hui tempérer cette affirmation au regard de l’Union européenne.

            Il en va à peu près de même pour la condition des étrangers. Il existe un principe de droit international public d’égalité de traitement entre les nationaux et les étrangers. Toutefois, aucun Etat ne respecte complètement ce principe et tous les Etats discriminent les étrangers par rapport aux nationaux. Il n’existe que deux limites réelles : il ne faut pas instaurer une discrimination dépassant les limites du raisonnable ; il y a un traitement international modèle à respecter, c’est-à-dire un minimum de droits qui doivent être accordés aux étrangers.  

            En ce qui concerne le conflit de lois et de juridictions, le droit international public ne dit pas grand-chose mais interdit une chose, à savoir que les organes d’un Etat ne peuvent exercer une contrainte sur le territoire d’un autre Etat.

Un Etat n’est pas obligé de tenir compte des normes édictées par un autre Etat. Il n’y a pas d’obligation de tenir compte de ce qui émane d’un autre Etat. De la même manière, un Etat peut édicter les normes qu’il veut et les déclarer applicables à qui il veut. Ces trois règles de combinent pour déterminer la sphère de compétences internationales réelles d’un Etat. Ainsi, un Etat peut édicter une norme et la déclarer applicable à tous, mais encore faut il que les autres Etats soient d’accord. Ils ne le feront que s’ils la jugent raisonnable. Chaque Etat est libre, il pose les normes qu’il veut.

Voilà les raisons de la faiblesse des sources internationales. Cette faiblesse a des conséquences néfastes.

En effet, en matière de nationalité, le fait que les Etats soient libres peut amener à deux types de situations : une personne a trop de nationalités ce qui pose des problèmes, ex : une personne peut se retrouver avec plusieurs nationalités ; vis-à-vis des obligations militaires fondées sur la nationalité. Le deuxième effet c’est qu’une personne peut se retrouver sans nationalité.

 De plus cela crée une grande incertitude vis-à-vis des justiciables.

Le fait que toutes ces sources soient nationales entraine une grande incertitude pour les

justiciables, cela crée une insécurité juridique alors même que le DIP a pour but d’assurer la sécurité juridique des individus.

            Parfois, certains individus essayent de profiter de ces divergences en droit comparé pour obtenir des droits qu’ils ne pourraient pas obtenir sur leur propre territoire/ ex : deux époux sont nationaux d’un Etat interdisant le divorce, ils vont donc faire un déplacement rapide dans un Etat qui admet le divorce et dans lequel les juges se reconnaissent vite compétents.

           

Comment lutter contre ce défaut d’harmonie ?

          Le premier moyen de lutter est d’essayer de regarder ce qui se fait ailleurs et d’adopter les mêmes solutions.

          Parfois un juge est saisi et va constater que lorsque la situation est née, les parties ne pouvaient pas songer à la compétence de l’ordre juridique français. Ils ont pu compter des prévisions en regardant un certain nombre de droits. Le juge français ne pourrait-il pas alors, au lieu d’appliquer le système de DIP français, tenir compte des légitimes prévisions des parties.

          La technique la plus efficace est de d’adopter des règles communes.

 

2.  L’avènement des sources internationales

a.    Les sources écrites

Un Etat n’est pas obligé de conclure des conventions internationales en DIP mais cela peut

avoir un intérêt au regard de la sécurité juridique.

Il faut distinguer les traités et le droit européen.

Les traités de DIP peuvent être bilatéraux ou multi latéraux. Quand un Etat conclut un traité,

il peut poursuivre généralement trois objectifs :

          La volonté d’aboutir à des règles substantielles communes, les mêmes règles de fond. Le plus connu est la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises.

          Le deuxième but est d’essayer d’assurer une certaine égalité de traitements entre les Etats. Cela se rencontre beaucoup en matière de condition des étrangers ou encore en matière de reconnaissance des jugements.

          Le troisième objectif est d’éliminer les éventuels conflits de compétence. Il faut souligner le travail fait par la conférence de La Haye créée à la fin du 19ème siècle. cette conférence réunit aujourd’hui une soixantaine d’Etats. Des sessions ont lieu régulièrement depuis 1993 qui ont aboutit à un certain nombre de conventions internationales. Dans celles qui sont en vigueur, on peut noter des conventions en matière de vente, d’obligation alimentaire, de protection des mineurs, etc. Mais parfois, leur entrée en vigueur prend du temps

Dans le cadre de l’UE, un effort particulier est mené pour une unification, on chercher à créer

un espace juridique européen.

            La première étape s’est déroulée de façon traditionnelle par la voie des traités. Pour unifier les règles, il fallait passer par le mode de la négociation internationale. Deux conventions sont donc été adoptées : Bruxelles I du 27 septembre 1968 sur la compétence internationale des tribunaux et les effets des jugements entre Etats membres en matière civile et commerciale ; la convention relative aux conflits de loi de 1991.

            La convention de Bruxelles II du 28 mai 1998 sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale.

            Puis, le rôle de l’Europe a été de plus en plus prégnant pour ce qui est de la situation des étrangers. Toutes les grandes libertés ont eu un impact en matière de condition des étrangers. Mais le poids de l’UE s’est aussi fait sentir dans les domaines du conflit de loi et du conflit de juridictions. Auparavant, les autorités communautaires intervenaient à la marge dans des domaines où elles étaient compétentes. Comme la communauté faisait peu de DIP, les règles énoncées n’étaient pas forcément très bonnes. Le rôle des institutions s’est accentué avec le traité d’Amsterdam et plus encore avec le traité de Lisbonne. Dans le traité d’Amsterdam, les compétences des autorités communautaires étaient variables selon les activités. Les conventions ont été rectifiées en règlements, Bruxelles I a donc été transformé en règlement le 22 décembre 2000 et Bruxelles II d’abord le 29 mai 2000 mais il a été modifié pour donner lieu à un règlement de 2003.

            Le Conseil peut « favoriser la compatibilité des règles de conflit de lois et de compétences entre Etats membres ». Certains ont dit que le Conseil n’avait pas de compétence directe, la compatibilité n’est pas l’uniformisation. Les autorités européennes ne sont pas embarrassées de cela et se sont auto-octroyées des règles de compétence. L’adoption du règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles le 11 juillet 2007, puis adoption du règlement Rome I car il est l’héritier de la convention de Rome. Plus récemment, il y a eu un règlement Rome III de 2010 sur la loi applicable au divorce.

            Si on dépasse le cadre de l’UE, il faut évoquer l’impact de la CEDH qui a été conclu entre les membres du Conseil de l’Europe. Son influence sur le droit français interne est grandissante. Mais il y a aussi un impact de la CEDH en DIP, elle énonce en effet un certain nombre de principes fondamentaux. Ces principes vont s’opposer à l’application de la loi désignée par la règle de conflit de lois.

            La Cour de cassation l’a notamment appliqué en matière de répudiation (le mari répudie son épouse contre compensation pécuniaire).  Avant, ce n’était pas du tout admis et puis dans les années 1980, le cas se présentait souvent, ce qui a conduit à une sorte de tolérance pour les reconnaitre en France. A compter de 2004, la Cour de cassation a écarté la reconnaissance en France des répudiations musulmanes au nom du principe de l’égalité des époux qui figure dans la CEDH.

            Elle a fait de même pour une loi suisse qui discriminait l’épouse en matière de liquidation d’un régime matrimonial. Dans un arrêt du 24 février 2008, la Cour de cassation a donc écarté cette loi suisse.

            Plus il y a de conventions internationales, plus le risque de créer des contradictions est présent.

b.    Les sources non écrites

Elles sont de deux ordres : la coutume internationale et les décisions des juridictions

internationales.

Il y a la coutume de droit privé qui vise les usages commerciaux, les décisions des arbitrages.

C’est la source principale du commerce internationale.

            La coutume de droit public est l’ensemble des règles non écrites de droit international public que la plupart des Etats considèrent devoir respecter. Parfois, la jurisprudence française invoque ces principes de droits international public pour poser des solutions de droit international privé. Ainsi, la Cour de cassation a parfois visé « les principes de droit international régissant les relations entre Etats ». On l’a notamment vu pour justifier l’irrecevabilité des demandes formulées par un Etat étranger fondées sur des dispositions de droit interne et ceux devant les juridictions françaises. L’Etat français ne peut pas juger des relations entre un Etat et ses propres ressortissants.

            La référence à la coutume de droit international public est rare car cette coutume dit peut et est essentiellement permissive. De plus, en France, cette coutume se voit reconnaitre un statut inférieur. Le Conseil d’Etat a en effet dit que ni l’article 55 de la Constitution et aucune autre disposition n’impose aux juges de mettre de côté la loi au profit de la coutume internationale.

A côté de la coutume internationale, il y a aussi les décisions des juridictions internationales. Les décisions de ces juridictions ont peu d’impact en droit international privé. Toutefois, quelques décisions de la Cour internationale de justice telles que celle du 6 avril 1955 (affaire Nottebohm) dans lequel la Cour a décidé qu’un Etat ne pouvait pas assumer la protection diplomatique d’un individu qu’il considère comme national lorsque le lien de nationalité n’est pas assez effectif. Un autre exemple est l’arrêt Bolle du 28 novembre 1958 qui concerne la tutelle des mineurs, il existait une convention qui donnait pour critère la nationalité ; la CJCE a dit que le pays de la résidence peut prendre des mesures en application de sa loi pour le mineur étranger.

3.  Quelques éléments historiques sur l’évolution du DIP

Le DIP est un droit conceptuel, méthodique et méthodologique. Cette méthode s’est

élaborée au fils des années. Elle est partie de problèmes pratiques, on est alors passé de la pratique à la théorie pour redescendre à la pratique.

            L’élément de rattachement est l’élément du rapport juridique qui est retenu par la règle de conflits pour désigner la loi applicable ou la juridiction compétente à ce rapport juridique.

            En matière de délit par exemple, l’élément est le lieu de l’accident.

En schématisant un peu, on peut distinguer dans l’histoire du DIP trois grandes périodes : la période pré-doctrinale, la période doctrinale et la période contemporaine

A. La période pré-doctrinale

 A cette époque, il n’y avait pas de grands auteurs mais des problèmes se posaient déjà.

1.  L’Antiquité

C’était une période très peu propice aux problèmes de DIP car il y avait un gros problème qui

était celui de la condition des étrangers. Si on ne reconnait pas de droits aux étrangers, il n’y a pas de problèmes de DIP.

            Or, pendant l’Antiquité, l’étranger n’est pas un sujet de lois et ne bénéficie d’aucune protection. Il y avait toutefois des exceptions. En effet, pour certaines raisons économiques et politiques, on va prendre des accords entres cités pour accorder aux citoyens d’une cité des droits à peu près équivalents aux citoyens de la propre cité. On va d’abord instaurer un système de patronage, l’étranger est placé sous la protection d’un individu citoyen de la cité. Le juge continuera à appliquer la loi de sa cité. Parfois, deux cités vont passer des traités d’isopolitique. Grâce à ces traités, est reconnu le droit pour un individu d’une cité de jouir dans l’autre cité de tout ou partie des droits reconnus dans cette cité.

Ceci étant, les choses vont un peu évoluée en raison de l’expansion territoriale des empires. Quand un empire s’octroyait un nouveau territoire, il ne pouvait appliquer directement sa propre loi. Des litiges survenaient donc. Il était inconcevable pour un juge d’appliquer autre chose que sa propre loi, tout va donc se jouer au niveau de la compétence juridictionnelle. Ainsi, dans chaque province conquise, pour un conflit entre pérégrins, on va avoir des juridictions locales qui appliquent la loi locale. Dans la même cité, s’il y a des litiges entre romains ou entre romains et pérégrins, on va devant la juridiction du gouverneur qui applique un droit spécial, mélange entre le droit romain et les coutumes locales. A Rome, on avait un peu le pendant, il y avait un juge particulier créé pour les litiges entre romains et pérégrins ou entre pérégrins, c’est le préteur pérégrin. Ce dernier n’applique pas toujours le même droit, il applique un droit spécial, l’édit du préteur pérégrin. Les choses vont un peu changer car petit à petit les pérégrins vont acquérir la citoyenneté romaine.

2.  Le haut Moyen-âge

Les invasions barbares posent à nouveau la question de la condition de l’étranger qui est

dénué de droits.

            Les envahisseurs ne peuvent pas soumettre tout le monde à leurs lois, il va donc être adopté un système appelé système de la personnalité des lois. Les nations barbares adoptent ce système car ce sont des peuples nomades, leurs lois doivent donc les suivre. Quand ils envahissent un territoire, ils veulent apporter leurs lois mais veulent bien que les peuples conservent leurs lois. Ainsi, lorsque plusieurs peuples cohabitent sur un même territoire, plusieurs lois vont ainsi s’appliquer.

            Parfois, des relations pouvaient se nouer entre ces différents individus. On a alors commencé à penser qu’un juge peut appliquer plusieurs lois sur un même territoire. On appliquait distributivement les lois de chacun. Les juges faisaient ensuite prévaloir la loi des conquérants sur le territoire.  

            Les choses vont progressivement changer car les populations vont se mélanger. Le système de personnalité des lois va être progressivement remplacé par un système de territorialité des lois.

La période doctrinale

Elle débute avec l’apparition de la théorie des statuts, élaborée par la doctrine et par des auteurs italiens d’abord. A cette époque, il y a eu une renaissance en Italie des études de droit romain dans les universités. Cette théorie qui s’est imposée dans le droit italien va se propager petit à petit ; elle va aller dans le reste de l’Europe. Ces échanges vont se révéler fructueux puisque la théorie des statuts va évoluer en se confrontant aux opinions étrangères. Il y a trois stades d’évolution de la théorie.

1.  La théorie italienne

Tout a démarré à l’université de Bologne. Les universitaires vont s’intéresser à deux types de conflits. D’abord, le conflit entre le droit romain et le droit propre à chaque cité. Puis ils vont s’intéresser aux conflits entre le droit de deux cités, donc entre des statuts différents. Pour résoudre ces problèmes, ils vont partir de la méthode de la glose des textes romains. C’est la phase des glossateurs et des post glossateurs. Ils vont élaborer les solutions, à partir de ces textes, permettant de répondre à des questions pratiques. Ils vont partir du principe que ça doit être un droit commun à l’ensemble des cités et supérieur qui peut obliger les juges d’une cité à appliquer les statuts d’une autre cité et à quelles conditions. Or le droit commun et supérieur est le droit romain. C’est dans les textes de droit romain qu’on va aller chercher les solutions. Mais comment trouver des solutions de droit international privé dans le droit romain ? C’est là qu’intervient la glose.

            Accurse s’est particulièrement intéressé à la 1ère constitution de Justinien qui débutait par la formule suivante : « nous voulons que tous les peuples qui sont soumis à l’empire de notre clémence (…) ». Accurse en déduit qu’un statut ne lie que les sujets de la cité. Chaque cité doit vouloir imposer la loi à ses sujets mais pas aux autres. Accurse donne un exemple : un bolognais de passage à Modène et qui fait un testament à Modène → son testament doit-il être soumis au statut de Modène ou au statut de Bologne ? Réponse d’Accurse : si un habitant de Bologne se rend à Modène, il ne doit pas être régi par les lois de Modène auxquelles il n’est pas soumis. Il doit être soumis au statut de Bologne. Bien sûr, c’est un peu trop général et schématique pour résoudre l’ensemble des situations.

Progressivement, les glossateurs vont affiner les choses mais toujours en partant de questions très pratiques. Ils vont analyser le statut en cause et, en glosant, ils vont en déterminer le champ d’application en fonction de sa nature. Même si tout ça est très pragmatique, on va pouvoir dégager quelques grandes tendances chez les glossateurs. Tous les statuts relatifs à la procédure s’appliquent sur le territoire (ancêtre de la lex fori). En revanche, pour les statuts relatifs au fond, la loi locale s’applique. Idée qu’un juge ne doit pas nécessairement appliquer sa loi. La loi locale, ça veut dire quoi ? On a commencé à distinguer les statuts réels (concernant les choses), s’appliquant sur le territoire, et les statuts personnels (concernant les personnes), s’appliquant aux personnes. On commence aussi à dégager des statuts sur les contrats (commerce) et sur les délits (responsabilité civile). On élabore donc des catégories de rattachement pour lesquelles on trouve des critères d’application (ancêtres de nos critères de rattachement).

            Deux auteurs italiens vont entamer un travail de synthèse de toutes ces découvertes : Bartole et Balde. Ils vont opposer deux catégories de statuts : il y a les statuts qui disposent relativement aux personnes et les statuts qui disposent relativement aux choses. Les 1ers ne s’adressent qu’aux individus mais ils s’adressent à eux où qu’ils se trouvent. Ils sont donc d’application extra territoriale. Les 2nds sont territoriaux parce qu’ils ne s’appliquent qu’aux choses situées sur le territoire. Les mêmes auteurs, puisqu’ils admettent qu’un juge va pouvoir appliquer des statuts différents du sien, vont distinguer les statuts étrangers favorables qu’un juge peut appliquer et les statuts étrangers odieux que le juge n’appliquera pas. C’est Bartole qui a émis cette distinction ; chez lui, « odieux » = prohibitif. Mais ses successeurs l’ont interprété comme « inique » [choquant] (ancêtre conceptualisé de l’exception d’ordre public). Il y a encore quelques statuts résiduels (relatifs à la solennité des actes et aux contrats notamment, s’appliquant au lieu de conclusion du contrat).

2.  La théorie française des statuts (16ème -18ème siècles)

Les italiens ont beaucoup influencé la doctrine française. Au 16ème siècle, deux auteurs

français vont fortement œuvrer pour la théorie des statuts en France alors même qu’ils sont très opposés, ce sont Dumoulin et D’Argentré.

Dumoulin (1500-1566) était avocat au Parlement de Paris, il apporte à la théorie des statuts

une innovation fondamentale, il va dire qu’il existe des statuts dont l’application dépend de la volonté des parties. Il a été consulté par des époux en 1525. Ces époux De Ganay s’étaient mariés à Paris et possédaient des immeubles à Paris et en Bourgogne. La coutume de Paris s’appliquait et le droit romain s’appliquait lui en Bourgogne. On considérait que le problème de régime matrimonial s’appliquait selon le territoire. Les immeubles situés à Paris étaient communs alors que ceux situés en Bourgogne étaient séparés. Dumoulin dit que le régime matrimonial doit être analysé comme un contrat tacite entre les époux, il faut donc admettre que les époux peuvent choisir le statut qui leur convient le mieux. En se mariant sans faire de contrat écrit, les époux De Ganay ont tacitement choisi la loi de leur premier domicile conjugal, c’est-à-dire à Paris. Leur régime matrimonial est donc soumis à la coutume de Paris, ils sont communs en biens pour tous leurs immeubles. Le parlement de Paris est saisi et donne raison à Dumoulin.

            Plus tard, la Cour de cassation va reprendre cette solution et l’étendre au-delà du régime matrimonial à tous les contrats.

            D’Argentré (1519-1590)  va apporter une contribution très différente, il va simplifier la théorie des statuts à l’extrême. Il était président du Présidant du tribunal de Rennes. Son souci va être de maintenir le plus possible l’application des coutumes de Bretagne sur le territoire breton. Il va construire une doctrine des statuts totalement orientée par ce souci. Il va reprendre la distinction entre statuts réels et statuts personnels et supprime toutes les autres catégories. Il dit qu’il y a les coutumes sont soient réelles, soit personnelles dans la mesure où elles concernent soit des biens, soit des personnes. Si une coutume est réelle, elle s’applique à tous les biens situés sur le territoire, quels que soit l’origine et le domicile des parties. Si une coutume est personnelle, elle suit la personne même hors de son domicile donc elle est extra territoriale. Les deux coutumes ne sont pas mises au même plan. D’Argentré pose le principe de la réalité des coutumes. Toutes les coutumes sont a priori réelles. Il va dire que sont personnelles, uniquement les coutumes qui concernent principalement le droit, la condition et la qualité des personnes, abstraction faite de tout élément réel. Ex : un statut défendait à une femme de léguer ses immeubles à son mari. Ca concerne des immeubles ; il y a un élément réel donc c’est réel. Ainsi, en tant que magistrat breton, il pourra appliquer la coutume bretonne le plus souvent possible.

Sa doctrine va avoir un grand succès parce qu’elle va beaucoup séduire par sa simplicité. Elle est facile d’application et elle incite le juge à appliquer sa loi. Pour autant, elle n’était pas sans inconvénients (trop simpliste). Ex : où rattacher les délits, les contrats ? Surtout, le problème est que chacun étant incité à appliquer sa loi, les solutions vont varier en fonction du juge saisi pour tout ce qui est statut mixte. L’objectif d’harmonie des solutions n’est pas atteint.

La théorie hollandaise

Elle va s’inspirer D’Argentré, elle est en même temps plus rustre et plus subtil.

Au 17ème siècle, en Hollande, il y a des villes indépendantes qui se développent, elles

commercent beaucoup, notamment par le biais de grandes foires.

            D’un point de vue politique, la Hollande est animée d’un fort sentiment national car elle vient d’acquérir son indépendance vis-à-vis de l’Espagne. Il n’y a pas de cohésion interne très forte. Il faut donc trouver une justification à la cohésion.

            Les auteurs vont développer ce fondement théorique sur l’idée de souveraineté des Etats. Cela va avoir un impact en DIP car les auteurs hollandais vont exacerber les idées D’Argentré et accentuer son territorialisme. Ils vont dire que tous les statuts sont, par nature, d’application territoriale. Un Etat ne peut imposer sa loi que sur son territoire, c’est une question de souveraineté. Un Etat a le droit d’imposer ses statuts à tous sur son territoire.

            A l’inverse, la Hollande n’est pas obligée de tenir compte des normes élaborées par un Etat étranger.

            Pour eux, seule la loi hollandaise est obligatoire mais l’Etat peut aussi appliquer une loi étrangère s’il le veut, pour des raisons d’opportunité ou de courtoisie internationale. La condition est que le juge étranger soit prêt à appliquer un statut hollandais.

            Cette idée va être développée par Huber, il dit qu’il y a une sorte d’obligation naturelle d’un Etat de respecter les droits acquis à l’étranger. D’un autre côté, l’Etat peut avoir un intérêt à respecter ces droits valablement acquis.

            Les auteurs hollandais vont alors suggérer aux juges les cas dans lesquels il est opportun d’appliquer la loi étrangère.

            En France, cette théorie a eu peu d’impact car elle s’est développée à une époque où une autre théorie s’est développée. En revanche, elle a eu un énorme succès en Angleterre et aux USA. Le premier grand traité, élaboré par Story en 1834, reprend la théorie hollandaise des statuts. Dicey, en Grande Bretagne, aura sensiblement la même influence.

B. La période contemporaine

On en marque l’apparition au 19ème siècle.

Cette période est marquée par la création des Etats modernes et l’homogénéisation de ces

Etats.  Le droit romain perd donc de son influence.

            Sur le plan économique, on assiste à la révolution industrielle et à de véritables échanges internationaux. Une troisième dimension s’ajoute, c’est le phénomène de colonisation, et donc l’apparition de nouveaux problèmes.

Face à ces différents phénomènes, la doctrine va réagir de façon très diverse. Les courants de pensée vont s’opposer sur de nombreux points.

1ère question qu’on s’est posé : est-ce que les solutions en matière de conflits de lois doivent être universelles ou sont-elles propres à chaque Etat ? C’est l’opposition entre les universalistes et les particularistes.

            2ème question : ces solutions de droit international privé doivent-elles être guidées par un esprit nationaliste (on privilégie la loi du fort) ou par un esprit internationaliste (toutes les lois sont sur un pied d’égalité) ?

            3ème question : faut-il des solutions territorialistes (privilégier l’application des lois sur le territoire) ou personnalistes (privilégier l’application des lois aux individus) ?

            4ème question : plus généralement, la matière du conflit de lois est-elle un problème de conflit de souverainetés ou est-ce un conflit d’intérêts privés entre les parties au litige ?

            On va pouvoir répertorier les grands courants de pensée à partir de ces 4 oppositions.

 

1.  Le conflit de lois : conflit de souverainetés ou conflit d’intérêts privés ?

            Jusqu’au milieu du XIXème siècle, tout le monde (loi, juges, doctrine) considérait que le droit international privé était une question de conflit de souverainetés entre Etats. La soumission des personnes aux lois et aux tribunaux d’un Etat est la marque du pouvoir souverain de cet Etat. Chaque Etat exerce son pouvoir en imposant ses lois et ses juges ; dans les conflits internationaux, chaque Etat revendique son pouvoir, d’où un conflit entre plusieurs Etats. Cette conception est restée dominante pendant tout le XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle. Les auteurs vont ensuite se séparer sur le reste. Tous sont d’accord sur ce point, sauf un : Savigny.

            Savigny était un grand romaniste allemand et il a écrit un Traité de droit romain qu’il n’a jamais eu le temps de finir. Un des tomes, paru en 1849, était consacré au domaine d’application de la loi dans l’espace et dans le temps. Il entame une véritable révolution copernicienne en prenant le problème par l’autre bout. Son idée : le conflit de lois n’est pas un conflit de souverainetés entre Etats tout simplement parce que la non application de sa loi à un rapport juridique ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’Etat, dès lors que le législateur n’a en principe ni la volonté ni un intérêt particulier à ce que sa loi s’applique à ce rapport de droit. La plupart du temps, l’Etat n’est pas directement intéressé au litige. C’est vrai que généralement, l’Etat veut que sa loi s’applique aux rapports internes entre les individus pour assurer la cohésion du droit sur son territoire. Mais ces impératifs ne jouent plus dès lors qu’on est en matière internationale. Contrairement aux rapports internes, les rapports internationaux ne se rattachent pas complètement à un Etat. De plus, ils sont beaucoup moins nombreux que les rapports internes. Il en déduit que l’application par le juge d’une loi étrangère à quelques rapport internationaux ne va pas remettre en cause l’autorité de la loi en droit interne puisque la loi étrangère ne sera appliquée qu’à des rapports internationaux.

            Bien sûr, il appartient à chaque Etat de dire quand sa loi pourra être écartée au profit d’une loi étrangère ou quand un jugement étranger pourra avoir des effets sur son territoire. Dans sa décision, le législateur ne doit pas se préoccuper d’un éventuel conflit avec les autres Etats, il doit surtout rechercher la solution commandée par la satisfaction des intérêts privés des parties au litige. A partir de cette idée, Savigny va proposer un système de règles de conflits de lois dont l’idée générale est la suivante : l’application d’une loi ne revient pas à donner satisfaction à l’auteur de cette loi. La vraie question, l’objectif est de s’interroger sur le rapport juridique en cause et de lui donner la solution qui lui convient le mieux. Contrairement à la conception où on part des lois pour en délimiter le champ d’application, on part du rapport juridique, on l’analyse (il crée des catégories de rapports juridiques) et on va en déduire la loi qui lui convient le mieux. Donc le choix de la loi va dépendre de la nature du rapport juridique en cause et non pas de la volonté de l’auteur de la loi. On passe à une conception complètement privatiste du droit international privé.

            Pour opérer le rattachement du rapport juridique à une loi, on prend en compte les intérêts privés et « les légitimes prévisions des parties ». Si les parties y avaient pensé, à quelle loi se seraient-elles attendues ? Imaginons deux époux de même nationalité qui se marient : ils doivent s’attendre à ce que les conditions de leur mariage soient régies par leur loi nationale commune. Dans le même temps, on va ménager les intérêts des Etats. Puisqu’on va appliquer la loi du siège du rapport (loi prépondérante), on ne va porter atteinte à l’autorité d’aucune des lois en présence. En réalité, les Etats dont la loi ne s’appliquent pas avaient un lien moins fort avec le rapport juridique ; de plus, plus c’est distendu et moins l’Etat a la volonté de voir sa loi appliquée.

 

            Savigny va catégoriser les rapports juridiques. Toute situation juridique a vocation à entrer dans une catégorie. A cette catégorie on va affecter un rattachement, c’est-à-dire la loi qui lui convient le mieux. De ce fait, il va élaborer une méthode générale de conflit de lois, abstraite mais générale (on aura toujours une loi compétente puisqu’on envisage toutes les situations juridiques). C’est finalement la méthode qui a réussi à s’imposer et qui est encore à l’heure actuelle la méthode dominante en droit international privé.

            Savigny mettait un bémol à sa théorie : c’est vrai que parfois, un Etat peut avoir un intérêt particulier à ce que l’une de ses lois s’applique à des rapports juridiques que la règle de conflit de lois ne lui soumet pas. Dans ce cas là, il pourrait y avoir une remise en cause exceptionnelle de sa méthode. Il envisageait l’ancêtre des lois de police, qui s’imposent même si elles ne sont pas désignées par la règle de conflit de lois.

2.  Universalisme contre particularisme

            Pendant le XIXe siècle, tout le monde (ou presque) est universaliste et idéaliste. C’est l’influence des lumières. Dans cette perspective, on pense que le règlement des problèmes de conflit de lois doit être uniforme dans tous les pays, comme le problème se pose de la même manière partout. On doit avoir des solutions universelles qui valent pour tous. Tous les Etats doivent avoir les mêmes règles de conflit. Les divergences commencent sur la nature et la force de ce modèle commun. Savigny va chercher la nature de son modèle commun dans les rapports entre individus ; pour lui, c’est la « communauté de droit entre différents peuples, tous héritiers du droit romain et du christianisme » qui justifie l’uniformité. Les pays de l’Europe ont tous le même droit à l’origine. Donc c’est normal que le droit international privé réponde à un modèle commun. En plus, il ajoute que le droit international privé est une science et doit donc, comme toute science, porter la marque d’un certain universalisme. Savigny voit un intérêt dans cette uniformité : quel que soit le juge saisi, la solution donnée au rapport de droit sera toujours la même. C’est l’harmonie des solutions, qui est un des objectifs premiers du droit international privé. Il faut aussi justifier le caractère contraignant du modèle pour les juges. Pour lui, il y aurait un accord amiable entre Etats souverains pour l’application de ce modèle commun. C’était un peu léger pour conduire à une véritable force contraignante du modèle ; c’était plus un conseil, une recommandation.

 

            D’autres auteurs vont être dans une position beaucoup plus favorable pour justifier la force contraignante du modèle : ils envisagent le conflit de lois comme un conflit de souverainetés. L’obligation pour l’Etat de se conformer au même modèle que les autres résulte de cette analyse. Chaque Etat est souverain mais doit respecter la souveraineté des autres. Le contenu de cette obligation de respecter les souverainetés doit être le même pour tous. Les règles de conflits de lois doivent donc être les mêmes pour tous les Etats.

            Deux auteurs sont importants : Mancini et Pillet. Mancini, universitaire et homme politique italien de la 2ème moitié du 19ème siècle. Selon lui, un Etat souverain manquerait aux lois internationales (droit international public) s’il refusait l’application sur son territoire des lois étrangères et s’il soumettait les rapports juridiques, qui, par leur nature, dépendent de ces lois étrangères, à l’action incompétente de la loi territoriale. C’est le droit international public qui définit la loi applicable aux relations internationales. Mais Mancini voit bien que sa théorie n’est pas le droit positif ; les Etats ne suivent pas un modèle commun. Mancini va donc militer pour l’adoption de règles communes par le biais de traités internationaux posant des règles communes de conflits de lois. Il sera partiellement entendu et sera à l’origine de la première réunion de la conférence de La Haye en 1893.

            En France, Pillet, professeur à la faculté de droit de Paris, considérait aussi que le droit international privé est un conflit de souverainetés donc de droit international public. Lui aussi est universaliste et va partir de la loi. Pour lui, toute loi a toujours deux caractères : toute loi se veut à la fois générale (suit les sujets sur tout le territoire français) et permanente (→ elle veut suivre ses sujets dans leurs déplacements). Donc nécessairement, dès que quelqu’un se déplace, il y a conflit de souverainetés, chaque loi voulant s’appliquer (l’une du fait de sa permanence, l’autre du fait de sa généralité). Il applique la méthode du moindre sacrifice : il faut en sacrifier une des deux, c’est-à-dire donner la préférence à la loi de l’Etat qui a le plus grand intérêt à ce que le but poursuivi par la loi en question soit atteint. Pour chaque matière, il faudra déterminer ce qui est le plus important en fonction du but social des règles : généralité de la règle (application sur l’ensemble du territoire) ou permanence (elle suit les individus) ? Il va distinguer les lois qui ont pour but la protection des individus (elles doivent être permanentes et s’appliquer au-delà des frontières) et les lois qui ont principalement pour but de garantir l’ordre public et la paix sociale (elles doivent être d’application générale et s’appliquer à l’ensemble du territoire).

 

            On va constater que la plupart des Etats vont chacun de leur côté développer leur droit international privé. Mais à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, on va assister à une réaction particulariste dans la doctrine à l’encontre des théories universalistes. Anzilotti, Kahn et Bartin. Ces auteurs sont toujours dans la même idée : le conflit de lois est un conflit de souverainetés. Cependant, chaque Etat fait ce qu’il veut et adopte son propre système de conflit de lois. Ils constatent ce particularisme et vont chercher à le justifier. Pour eux, il existe un lien nécessaire entre les solutions du droit interne de chaque Etat et les règles de conflit de lois de cet Etat. Idée : chaque Etat a son droit interne. Quand on s’intéresse à l’application de la loi en matière internationale, c’est nécessairement en fonction de la conception qu’on en a en droit interne. On projette notre conception interne. Chaque Etat va poser des règles de conflit de lois propres parce que ces règles sont intimement liées à la manière dont il envisage ces règles en droit interne.

 

            Cette thèse est réaliste mais reste critiquable car elle cherche à attiser les divergences plutôt qu’à les combattre. Or ce n’est pas très bon pour l’harmonie des solutions. Néanmoins, elle a beaucoup influencé la doctrine française au XXe siècle, et notamment Lerebours-Pigeonnière et Batiffol. Ils sont aussi réalistes et constatent que le droit international privé est essentiellement de source nationale. Mais ça ne les satisfait pas. Il faudrait essayer de coordonner les différents systèmes, de procéder à des rapprochements. Mais pour cela, ils ne vont pas d’abord privilégier la voie des traités. Ils vont dire que les rapprochements peuvent se faire de façon unilatérale par chaque Etat par l’étude du droit comparé. Quand l’Etat adopte des solutions de droit international privé, il doit regarder ce que font les autres.

            En second lieu, il faut aussi éventuellement adopter des conventions internationales. Mais si elles sont trop générales, ça ne marchera pas. Ils vont plutôt militer pour l’adoption de conventions très précises sur un objet très particulier. En étant modestes dans les objectifs, on pourra peut-être recueillir l’accord d’un plus grand nombre d’Etats.

3.  Nationalisme contre internationalisme

            Cette opposition recoupe partiellement la précédente. Les particularistes sont généralement nationalistes et les universalistes ont plutôt tendance à être internationalistes. Etre nationaliste en droit international privé signifie qu’on attache plus d’importance à l’intérêt national qu’à une vision idéalisée où tous les Etats seraient traités sur un pied d’égalité (même par le juge saisi). L’intérêt national doit être privilégié (application de la loi du for par le juge, droit pour un Français de se voir juger par un juge français, quelle que soit la situation ; privilège de juridiction). Primauté de l’ordre interne sur l’ordre international. Cette tendance nationaliste apparaît généralement après des périodes de guerre. Fort nationalisme en France après les deux guerres mondiales.

            A l’inverse, les internationalistes considèrent que tous les Etats sont égaux. Il ne faut pas privilégier l’intérêt national au détriment des intérêts des autres Etats.

        

4.  Personnalisme et territorialisme

            Être personnaliste = donner un rôle prépondérant à la loi personnelle des individus, c’est-à-dire à leur loi nationale. Cela revient à favoriser, comme critère de rattachement, la nationalité.

            Etre territorialiste = vouloir donner la primauté aux rattachements territoriaux (ex : lieu de situation des biens, de réalisation d’un acte ou fait juridique…). On va restreindre le domaine des lois personnelles (on les admet mais elles sont plus rares). La loi personnelle est, dans cette conception, la loi du domicile (et non la loi nationale). L’idée qui se cache derrière le territorialisme et une volonté d’appliquer le plus souvent possible la loi du for (loi du juge saisi). Parce que généralement, quand on a à juger du régime d’un bien, on saisit le juge du lieu où se situe le bien. On constate que quand un juge est amené à appliquer une loi étrangère, c’est souvent au titre de la loi nationale (parce que c’est la loi nationale des individus). Le territorialisme est souvent lié à un certain nationalisme.

 

            Le personnalisme marque la volonté de respecter pour chaque Etat la souveraineté des autres Etats. Souvent, les personnalistes sont universalistes et internationalistes. Le meilleur exemple : Mancini. Pour lui, la nationalité est le fondement du droit des gens. Elle se caractérise par une origine. Chaque nation se définit par une communauté de caractères mais à laquelle la législation de chaque nation est adaptée. C’est bien l’idée de la nationalité commune qui fonde la structure de la loi en cause.

            Il en tire la conséquence que le droit civil est personnel et national. Il doit accompagner l’individu même en dehors de sa patrie. A l’opposé, un individu qui est en dehors de sa patrie doit pouvoir demander à l’Etat étranger, au nom de ce principe de nationalité, la reconnaissance de son droit privé national.

            Mancini fait une réserve à cette obligation pour l’Etat étranger de respecter le droit national de l’individu qui vient sur son territoire : s’agissant des lois pénales et des lois d’ordre public, un Etat peut les imposer aux étrangers sur son territoire parce qu’il s’agit là d’assurer la défense sa souveraineté et de son ordre public. Ça recouvre les lois pénales, le droit public, les lois sur la publicité foncière, la responsabilité civile.

            Cette théorie personnaliste a eu beaucoup de succès chez les législateurs et les codificateurs. C’est aussi une idée qui a eu beaucoup de succès dans le cadre des 1ères conférences de La Haye. Les 1ères conventions adoptées étaient principalement fondées sur l’idée de la nationalité.

            En revanche, aujourd’hui, le personnalisme n’a plus le vent en poupe. Au XXe siècle, phénomène de mouvements migratoires importants. Des individus venant de différents Etats qui s’installent sur un Etat, si on continue à les soumettre à leur loi nationale, ça ne favorise pas la cohésion sociale sur le territoire ni l’intégration de ces individus à la communauté nationale. Donc on va avoir plutôt tendance à privilégier le domicile ou la résidence habituelle.

 

 

 

 

 

 

 

Titre 1. La pluralité des méthodes de résolution des conflits de lois

 

Le conflit de lois naît lorsque les législations de deux ou plusieurs États ont potentiellement vocation à régir une question de droit privé donnée. Il y a conflit lorsqu’une relation privée présente des liens avec plusieurs systèmes juridiques. Du coup, les législations de plusieurs systèmes juridiques ont vocation à régir cette relation.

            Il y a plusieurs méthodes pour résoudre ce conflit. On verra que l’une de ces méthodes, la méthode bilatérale (ou savinienne), est la plus utilisée. C’est la méthode de droit commun, à tel point qu’on la verra parfois désignée sous le nom de « méthode conflictuelle ». Or n’est pas tout à fait exacte car ce n’est que l’une des méthodes.

            On va déterminer précisément comment le problème du conflit de lois se pose, avant de voir les méthodes propres à le résoudre.

 

Chapitre 1. La position du problème du conflit de lois

 

            Les problèmes de conflits de juridictions sont, par hypothèse, résolus. Le juge français est compétent et la question du conflit de lois va se poser à lui. Mais comment ? Il faut distinguer les termes du problème (quel est le problème) et le domaine du problème (quand est-ce que le problème se pose).

 

 

Section 1. Les termes du problème

 

 

            Un litige, lorsqu’il se pose à un juge, qu’il soit interne ou international, pose différentes questions de droit substantiel.

Ex : un sujet A demande au juge qu’un sujet B soit condamné à réparer le préjudice qu’il a subi du fait de la chose que B avait sous sa garde. Art 1384 al 1.

1ère question : est-ce qu’un agissement, même non fautif de B, peut engager une responsabilité ?

Oui.

Mais une autre question peut se poser : B peut invoquer une cause d’exonération (FM, faute de la victime, faute d’un tiers)…. Le juge pourra être amené à se demander si la faute d’un tiers, par exemple, est susceptible d’exonérer B de sa responsabilité. Etc.

 

            Quand on est dans un litige international, il ne faut pas oublier qu’il peut y avoir toute une série de questions. Car le problème de droit international privé va se poser pour chacune des questions de droit posées au juge. Dans un même litige, il peut y avoir plusieurs questions  de nature différentes et donc plusieurs lois applicables (ou de nature semblable). C’est pour chaque question que le juge va devoir se demander quelle est la loi applicable. Parfois, les questions sont de natures très différentes et il faut bien les distinguer.

Ex : on est l’enfant adoptif de M. X qui est décédé ; on prétend venir à sa succession. Mais M. X a aussi des héritiers officiels. Ces-derniers nous contestent le droit de venir à la succession en invoquant la nullité de l’adoption. Erreur à ne pas commettre : utiliser les critères applicables en matière de succession. Car il y a d’abord la question de savoir si l’adoption est valable ; la loi à appliquer est celle propre à l’adoption. Si la loi de l’adoption valide l’adoption, on pourra ensuite s’intéresser à la loi relative à la succession. Il faut bien toujours penser, dans un litige, à se dire qu’il y aura peut-être plusieurs problèmes de conflits de lois.

 

            Toute question de droit posée à un juge peut se décomposer en deux éléments :

Une prétention ; un ensemble de faits invoqués à l’appui de cette prétention.

Ex : les faits sont le préjudice subi par A du fait de la chose que B avait sous sa garde. La prétention de A : B doit réparer le préjudice subi.

Quand le litige est interne, ce n’est pas trop dur pour un juge parce qu’il va simplement rechercher dans l’ensemble des règles françaises celle qui a vocation à régler la question qui lui est posée et l’appliquer.

Il va qualifier les faits pour voir si la prétention peut être accueillie ou pas.

            Quand un litige est international, il y a une question préalable qui se pose : Dans quelle loi (dans quel système juridique) vais-je aller puiser les règles substantielles qui vont résoudre la question au fond ? Les règles qui vont permettre de résoudre cette question sont les règles de conflit de lois.

            On pourrait se dire que la question ne se pose pas toujours parce que pour qu’elle se pose, il faut qu’il existe dans la loi étrangère une règle de fond substantielle qui est apte à résoudre la question posée (ex : une règle en matière de responsabilité du fait des choses). Il faut que, dans les lois potentiellement applicables, il y ait une réponse à la question posée au fond. Mais en réalité, dans toutes les législations, il existe toujours une règle apte à régir toute question de droit posée au juge. Autrement dit, tout ordre juridique a vocation à régir toute question de droit.

 

            Pour le démontrer il suffit de rappeler la structure hypothétique de la règle de droit. Toute règle de droit peut être formulée sous forme d’hypothèse : si tel événement se produit, telle conséquence juridique en découle ou n’en découle pas. On peut formuler toute règle de droit de cette manière.

Meilleur exemple : art. 1382 → Si (hypothèse) un fait quelconque de l’homme cause à autrui un dommage (événement), il oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (conséquence). Le « si » est l’hypothèse ou le présupposé ; le « alors » est la conséquence ou l’effet juridique.

            Donc dans une demande en justice, le demandeur va avoir une prétention (qu’on rattache à la conséquence juridique) à l’appui de laquelle il invoque des faits (qu’on fait entrer dans l’hypothèse).

Dans tout système juridique, on trouve toujours une réponse à l’hypothèse. Soit la règle de droit va considérer que telle hypothèse entraîne telle conséquence juridique, soit elle va considérer que l’hypothèse n’a pas d’effet juridique. On aura ça dans tout ordre juridique.

 

            Il faut, pour que cette proposition soit vraie, aller au-delà des termes exprès de la loi. C’est plutôt du silence de la loi qu’on déduira une règle implicite.

Ex : si dans un pays on n’a ni la loi ni la jurisprudence ni le règlement qui dit que la lésion entraîne la nullité du contrat, on peut en déduire que s’il y a une lésion, il n’y a pas nullité du contrat.

En résumé, tout système juridique étatique est complet et contient au moins en puissance la solution à toute question de droit qui peut se poser. Donc la question peut se poser.

 

            Le juge français est obligé de choisir entre plusieurs lois. Il ne peut toutes les appliquer cumulativement. Par ailleurs, il ne peut pas appliquer que la loi française dès qu’il y a un conflit de lois ; souci d’assurer une certaine continuité du statut juridique des personnes et des choses. On bouleverserait les prévisions des individus, plus vraiment de sécurité juridique.

Comment va-t-il faire ? Il va utiliser ces règles de droit international privé pour trancher le conflit de lois (pour déterminer quelle règle étrangère appliquer). Ce n’est pas la loi étrangère qui commande le juge français mais ce sont les règles de droit international qui commandent d’appliquer la loi étrangère.

            Pour accepter d’appliquer une loi étrangère, il n’est pas nécessaire que le juge constate que l’État en question soit reconnu par la France. On peut appliquer une loi étrangère provenant d’un État qui n’est pas reconnu ; il suffit que le juge puisse constater que cette loi étrangère est effectivement en vigueur sur le territoire étranger et qu’elle a vocation à régir la relation des parties au litige (donc qu’elle est désignée par nos règles de conflit). La question s’était posée à propos des lois de l’Union soviétique qui avait succédé à la Russie tsariste, à une époque où l’Union soviétique n’était pas reconnue par la France. La Cour de cassation a décidé qu’il fallait appliquer les lois de l’Union Soviétique, arrêt Stroganoff du 3 mai 1973.

 

Section 2. La délimitation du domaine du conflit de lois

 

            La condition sine qua non est qu’il faut que la situation présente un caractère international. Mais au-delà de cette condition et en découlant, il faut que plusieurs ordres juridiques nationaux soient impliqués. Ce qui va permettre de délimiter le domaine du conflit de lois de deux manières : de manière négative et de manière positive. Négativement, on va pouvoir exclure du conflit de lois tous les conflits internes qui peuvent apparaître dans un système juridique non unifié (I). Et de façon positive, on peut affirmer que le problème du conflit de lois existe même dans le cas d’une unification législative internationale qui serait réalisée entre tous les États impliqués dans le litige (II).

 

§1. L’exclusion  des conflits internes à un système juridique non unifié

 

            Certains pays n’ont pas un droit unique applicable à l’ensemble des personnes vivant sur leur territoire. Au contraire, ces Etats ont plusieurs corps de règles dont l’application dépend de différents critères personnels ou territoriaux.

→ Critères personnels : la distinction se fait selon l’appartenance religieuse ou ethnique des individus. On appelle ce type de conflit interne un conflit interpersonnel.

→ Critères territoriaux : la distinction se fait, à l’intérieur d’un même Etat, selon les provinces. On n’appliquera pas la même loi dans telle ou telle province. Ce sont les conflits interterritoriaux.

            Les conflits interpersonnels se rencontrent essentiellement dans les États non laïques où l’application de la loi varie selon la confession des individus (Ex : Liban). On peut aussi les rencontrer dans certains pays anciennement colonisés : on aura maintenu les différences en fonction de l’origine des individus. Même en France, on rencontre encore parfois ce type de conflits interpersonnels, essentiellement à cause des TOM, dans lesquels le droit civil applicable aux populations indigènes reste en partie coutumier. Cour de cassation 1997. On n’abordera pas ce type de conflits.

            Les conflits interterritoriaux se rencontrent surtout dans les Etats à statut fédéral, dans lesquels chaque Etat fédéré a ses juges et  ses lois. Conflits interfédéraux entre les lois des différents Etats fédérés et parfois aussi entre la loi d’un Etat fédéré et la loi de l’Etat fédéral.

Même lorsqu’il n’y a pas d’Etat fédéral et lorsque l’unité politique semble être totale, on peut encore rencontrer des conflits interterritoriaux.

Ex : en France, l’Alsace-Lorraine bénéficie encore d’un statut particulier. En 1918, l’Alsace-Lorraine est venue dans le giron de la France ; le législateur français a décidé d’y laisser un certain nombre de législations allemandes.

           

            Il est facile d’exclure le conflit interpersonnel puisque le conflit de lois, au sens du droit international privé, n’est pas un problème de répartition selon un facteur spatial. Mais il est plus difficile de distinguer le droit international privé des conflits interterritoriaux : les deux sont des conflits de lois dans l’espace.

Fallait-il donc les inclure dans l’étude du droit international privé ? Grand débat à l’issue duquel on décide qu’en principe, les conflits interterritoriaux ne relèvent pas de l’étude du droit international privé.

            On va s’intéresser aux conflits de lois entre Etats souverains. Mais il faut savoir que les modes de résolution des conflits de lois internationaux et interterritoriaux sont très proches. La meilleure preuve : aux Etats-Unis, les juges sont plus souvent confrontés à des conflits interterritoriaux qu’à des conflits internationaux.

 

§2. L’existence du conflit de lois malgré l’unification législative internationale réalisée entre les pays concernés

 

            Hypothèse : on a deux ou plusieurs États qui décident d’adopter une législation uniforme de fond dans un domaine donné.

Ex : conventions de Genève sur le chèque et sur la lettre de change. Si on a un litige qui concerne une de ces questions et que ce litige présente des liens uniquement avec des Etats parties à ces conventions, on pourrait dire qu’il n’y a plus de conflit de lois. Le juge n’a pas de choix à opérer. Il applique le traité lui-même. On voit que dès lors qu’il existe une législation internationale unifiant les règles de fond, il n’y a plus de conflits.

            Mais les apparences sont trompeuses, le problème du conflit de lois se pose toujours dans cette hypothèse. Cour de Cassation Com, 4/03/1963, Hocke : Litige relatif au règlement d’une lettre de change qui avait été émise en Allemagne en garantie de laquelle une personne avait donné son aval. Mais le règlement était demandé en France. Il n’était pas précisé pour qui était donné l’aval.  Etait-il donné pour le tireur ou le tiré ? Selon la Convention de Genève à laquelle étaient parties la France et l’Allemagne, un aval en blanc est réputé garantir le tireur de la lettre de change. Mais le tireur a prétendu qu’en l’espèce, l’aval garantissait le tiré. La question qui s’est posée est de savoir si la convention de Genève pose une présomption simple ou une présomption irréfragable. A l’époque, les jurisprudences françaises et allemandes divergeaient. Pour la Cour de cassation, la présomption était irréfragable alors que pour la Cour fédérale allemande, c’était une présomption simple.

            Deux attitudes peuvent être adoptées :

          On dit que la convention est un traité et qu’on l’applique en suivant l’interprétation donnée par la France car on est devant le juge français et que chaque Etat qui applique un traité fait prévaloir sa propre interprétation.

          Soit on adopte le raisonnement conflictuel et on se demande quelle est la loi interne compétente pour trancher la question. En l’espèce, c’était la loi allemande puisque désignée par la règle de conflits française.

            Dans l’arrêt Hocke, entre les deux solutions, la Cour de cassation a choisi la seconde. Elle a raisonné en termes de conflit de lois, ce qui lui a fait désigner la loi allemande. Elle a considéré que la présomption était simple.

            C’est une bonne solution ; bien qu’il y ait une convention internationale unifiant les règles, il n’y a pas vraiment de loi uniforme dans les faits, puisqu’il y a des divergences d’interprétation entre les Etats. Or l’interprétation qui est faite d’une loi fait partie de cette loi. On peut généraliser : il n’y a jamais véritablement unification tant qu’il n’y a pas unité juridictionnelle pour imposer une interprétation unique de la loi internationale.

            Autre avantage : cette solution respectait les prévisions des parties. Les parties pourront du coup prévoir quelle version du texte leur sera appliquée en cas de litige, et ce quel que soit le juge saisi, dès lors que les juges ont les mêmes règles de conflit de lois (or c’était le cas parce que la convention de Genève unifiait également les règles de conflit de lois).

            Deux exclusions : l’exclusion du droit pénal et l’exclusion des lois de droit public (notamment fiscales). On raisonne en termes de conflits de lois.

 

 

 

 

 

Chapitre 2. Les méthodes de résolution possibles du conflit de lois

 

            Hypothèse : on pose une question au juge français qui est compétent mais elle touche à plusieurs systèmes juridiques qui offrent tous une solution. Comment le juge va-t-il déterminer le droit à appliquer ?

 

            Premièrement, le juge peut prétendre n’appliquer aucune règle et seulement respecter les droits subjectifs acquis des parties. C’est ce qu’on appelle la théorie des droits acquis.

            Deuxièmement, il peut choisir comme loi applicable au fond, la loi de l’un des Etats en présence ; c’est la méthode bilatérale ou savinienne.

            Troisièmement : il peut adopter une méthode concurrente à la méthode bilatérale classique, avec deux sous-catégories : soit il rejette la méthode bilatérale de façon générale et applique l’unilatéralisme, soit il applique une méthode concurrente mais pour une raison plus ponctuelle liée à l’existence d’une règle substantielle qui veut particulièrement et directement s’appliquer. L’hypothèse recouvre plusieurs catégories : les lois de police, les règles matérielles et reconnaissance des situations.

 

            On exclut la première méthode (respect des droits acquis) ; elle n’a pas du tout de succès dans notre système juridique. Elle a été conçue au 17ème siècle par l’école hollandaise pour atténuer les inconvénients du principe de territorialité qu’avait retenu la loi hollandaise. Chaque Etat souverain applique sa loi dans les limites de son territoire. Mais par courtoisie internationale, il doit respecter les droits acquis sur les territoires des autres Etats. Cette théorie a beaucoup plu aux anglo-saxons parce qu’elle semblait permettre d’un côté d’assurer une certaine sécurité juridique mais sans avoir d’un autre côté à appliquer des lois étrangères sur son propre territoire.  Cette théorie prétend supprimer le problème du conflit de lois. On n’a pas à rechercher quel est le droit applicable. Il suffit de constater qu’un droit étranger a été créé valablement à l’étranger : on le consacre.

            Le problème de cette théorie est  d’être lacunaire ; elle ne donne pas de solution dans le cas où il est demandé au juge non pas de constater un droit né à l’étranger mais de donner naissance à un droit en suivant une loi étrangère. Parfois, il n’y a aucune place du tout pour la loi étrangère et le juge applique systématiquement sa loi. C’est nier le droit international privé. Surtout, cette théorie est fausse (démonstration Savigny) : pour reconnaître, même lorsqu’on parle des droits acquis à l’étranger (constatés par le juge), il va bien falloir déterminer selon quel droit on doit juger de leur acquisition légitime. Ex : Deux Français se marient à l’étranger et on demande au juge français de constater. Le juge français va constater la qualité d’époux uniquement s’il estime que le mariage est valable. Pour juger de cette validité, il faut déterminer la loi applicable aux conditions de validité du mariage. Donc les droits acquis est une théorie fausse.

            Cette théorie a une sorte de résurgence dans la théorie de la reconnaissance des situations.

 

Section 1. La méthode bilatérale

 

            Méthode de résolution des conflits de lois qui cherche à désigner la règle substantielle qui permettra de résoudre au fond le litige. Pour ce faire, elle va opérer un choix en fonction de la nature de la question de droit posée au juge. La méthode bilatérale repose sur l’enchaînement d’une qualification et d’un rattachement. Qualification de la question posée au juge pour en déterminer la nature. Ensuite, on va rattacher cette question, on va la localiser. On va rattacher la catégorie à laquelle appartient la question posée à l’Etat dont la loi est la plus appropriée pour régler les questions de cette nature. On qualifie, ce qui permet de ranger la question dans une catégorie : la catégorie des questions de même nature. Pour opérer ce rattachement, on va utiliser un critère de rattachement (pour rattacher la catégorie à un Etat). Méthode critiquée dans la période moderne, ce qui a contribué à un renouvellement de l’analyse.

 

§1. L’analyse classique

 

A. La structure de la règle de conflit bilatérale

 

            Le point de départ : une règle substantielle doit être appliquée à la question de droit pour la résoudre. Or, puisque la situation est internationale, il y a plusieurs lois en présence donc il faut en choisir une. Pour choisir, on va partir de la question de droit posée. On va s’interroger sur la nature de cette question de droit. Une fois qu’on en aura déterminé la nature, on va rechercher quel élément la localise, c’est-à-dire quel élément désigne l’ordre juridique avec lequel elle présente objectivement les liens les plus significatifs. C’est au regard de la nature de la question qu’on va déterminer quels sont les liens les plus significatifs.

 

            Il faut partir de la structure hypothétique de la règle de droit. Or les règles de conflit sont des règles de droit, donc c’est pareil. La règle de conflit de lois, comme toute règle de droit, attribue une conséquence juridique (critère de rattachement, désignation de la loi applicable) à un présupposé (appartenance de la question posée au juge à une catégorie juridique donnée). Il y a donc 2 étapes. On a une question de droit posée au juge. Le juge va d’abord devoir la faire entrer dans le présupposé de la règle de conflit et ensuite il aura la loi applicable. 2 étapes : qualification puis rattachement.

 

            Difficulté principale : déterminer le bon critère de rattachement, celui qui est approprié pour une catégorie juridique donnée. Ex : on a un accident qui survient en Italie entre un Français et un Américain résidant en Grèce. Le Français agit contre l’Américain. Il faut définir la nature de cette question. Il faut qualifier. C’est facile ; c’est un problème de responsabilité délictuelle. Il y a une règle de conflit en matière de responsabilité délictuelle, donc on va l’utiliser. Pour trouver le bon rattachement, la démarche à adopter est de penser que le rattachement doit permettre de choisir la loi qui a les liens les plus pertinents avec la situation juridique en cause. Cette pertinence dépend elle-même de la nature de la question posée. Pour chaque catégorie, on va réfléchir sur le rattachement qui serait le plus approprié. Quand on choisit ce critère de rattachement, on le fait de façon abstraite. On va se poser la question pour tous les délits : quand une question de délit se pose, quelle est la loi la plus appropriée ? On raisonne in abstracto.

            Pour résumer, la règle de conflit est une catégorie juridique à laquelle on attribue un critère de rattachement qui va permettre de désigner un ordre juridique.

           

            On peut formuler la règle de conflit de lois sous la forme hypothétique : si le juge doit résoudre une question de droit de tel type, alors il doit appliquer la loi désignée par tel élément.

            Ou alors : si une question de droit relevant de telle catégorie se pose, on doit lui appliquer la loi désignée par tel élément. On appelle l’élément en question « élément » ou « facteur » ou « critère » de rattachement. Effet juridique : désignation de l’élément de rattachement. Présupposé : définition de la catégorie juridique. 

 

            Exemples concrets : le juge est saisi d’une question relative aux effets d’une adoption. Le critère de rattachement désigné par cette règle de conflit est la loi de l’Etat dont l’adoptant a la nationalité. On applique à la question la loi de l’Etat dont l’adoptant a la nationalité. Critère de rattachement : la nationalité.

            Pareil pour les délits : le chien d’autrui m’a causé un dommage. Quelle est la loi applicable ? C’est un problème de responsabilité du fait des animaux ; c’est la catégorie juridique. La règle de conflit en matière de responsabilité civile délictuelle désigne la loi du lieu du délit. Critère de rattachement : le lieu du délit.

 

B. Les caractères de la règle de conflit bilatérale

 

            Elle est abstraite : la désignation de la loi applicable se fait sans que le juge ait eu à prendre connaissance du contenu des lois en présence. C’est uniquement après désignation qu’il va voir quelles sont les conséquences concrètes de son choix sur le litige.        

            Elle est indirecte : elle ne tranche pas au fond le litige. Elle se borne à permettre la désignation d’une loi dans laquelle on trouvera la solution du litige.

            Elle est neutre : elle n’a pas pour objectif de privilégier une des solutions possibles au litige. Elle ne va pas chercher à désigner la loi qui indemnisera la victime. Elle ne cherche pas à avantager une partie au litige plutôt qu’une autre. On dit qu’aucune considération relative à la justice du résultat final ne doit venir influencer la désignation de telle loi plutôt que de telle autre. La règle de conflit savinienne se désintéresse du fond du droit.

            Elle est bilatérale : elle peut aussi bien désigner la loi du for (du juge saisi) qu’une loi étrangère.

            En principe, la règle de conflit bilatérale est dénuée de tout nationalisme. On ne cherche pas à privilégier la loi du for par rapport aux lois étrangères.

 

§2. Le renouvellement de l’analyse

 

Deux caractères de la règle de conflit ont particulièrement été critiqués : sa bilatéralité et sa neutralité. Ces critiques ont conduit à certaines évolutions.

 

A. Les critiques

 

S’agissant de la bilatéralité, certains auteurs ont estimé qu’une règle de conflit de lois doit être unilatérale et non bilatérale. Elle doit seulement servir à délimiter la compétence de l’ordre juridique auquel elle appartient. Les règles de conflit françaises doivent uniquement servir à délimiter la compétence de la loi française et dire quand la loi française s’applique. En revanche, quand la règle de conflit dit que la loi française n’est pas applicable, elle n’a pas à dire qu’un ordre juridique étranger est compétent. Il faudra aller interroger les règles de conflit étrangères pour voir si le droit étranger veut s’appliquer.

 

            S’agissant de la neutralité, ce sont surtout les auteurs anglo-saxons qui ont critiqué. Au premier rang desquels Cavers qui a, en 1933, procédé à une véritable attaque en règle de la méthode savinienne à laquelle il reprochait d’avoir un caractère purement mécanique. Selon lui, le juge applique sa règle de conflit et à l’issue du raisonnement, il se voit imposer une règle de fond sans en connaître la teneur puisque ne la connaîtra qu’une fois qu’il l’appliquera et surtout, sans connaître la teneur des lois concurrentes qu’il a écartées. Le juge se prive de la possibilité d’examiner le contenu des différentes lois en présence. Le juge opère un choix les yeux fermés, sans connaître les implications au fond de son choix sur le litige. Selon Cavers, au contraire, le juge devrait tenir compte à la fois des liens plus ou moins étroits des diverses législations en présence avec la situation litigieuse mais aussi du contenu de ces différentes lois. Le juge devrait tenir compte de la solution substantielle à laquelle son choix conduirait. Tout ça est marqué d’une grande incertitude.

 

            Cavers a proposé les principes de préférence qui doivent servir à guider le juge dans son choix. En matière délictuelle, 2 personnes domiciliées dans un Etat X ont un accident dans un Etat Y. Si on applique mécaniquement la règle savinienne, on désigne la loi de Y, lieu de l’accident. Or c’est mauvais puisque les 2 personnes domiciliées dans X vont saisir le juge de X, donc pour lui ce sera plus difficile d’appliquer la loi Y. Si on saisit le juge de X, il faut appliquer la loi X pour respecter les légitimes prévisions des parties. Mais il va encore beaucoup plus loin. Il va aussi examiner le contenu des lois en présence. Il faut aussi privilégier la loi qui va favoriser la victime plutôt que la loi qui va favoriser l’auteur du dommage. D’où un principe de préférence.

 

            Sa méthode a eu assez peu d’échos en France et tant mieux ; en réalité, elle n’est pas si éloignée des règles de conflit de lois classiques puisqu’en posant des règles de préférence, il propose des règles de conflits de lois. La différence est que ses règles de conflits de lois vont avoir un contenu substantiel très marqué. Ex : pour la responsabilité délictuelle : si une question de responsabilité délictuelle se pose et que la loi du lieu où le dommage a été causé est plus protectrice de la victime que la loi du lieu où l’auteur a agi ou du lieu de son domicile, alors on applique la loi du lieu du dommage. En revanche, si la loi du lieu où l’auteur a agi est plus protectrice, c’est elle qu’il faudra appliquer. Etc.

            Surtout, cet esprit de faveur à l’égard de l’une des parties paraît gênant. D’abord par rapport à nos conceptions. Ça laisse trop de liberté au juge. On estime qu’il est injustifié de donner a priori, de façon générale, la préférence à l’une des solutions possibles au fond plutôt qu’à une autre. Parce que la règle de droit vise toujours en principe à réaliser un équilibre des intérêts en présence. Mais cet équilibre est variable d’un législateur à un autre et même parfois au sein d’un Etat. Donc privilégier une solution plutôt qu’une autre, c’est rompre cet équilibre. Cette idée d’avoir une préférence a priori pour l’une des parties peut paraître choquante.

 

B. Les évolutions de la règle de conflit

 

            Pas de remise en cause générale en France aujourd’hui. Mais dans des domaines particuliers, la règle a subi quelques altérations. Dans certains domaines, on a cherché à atteindre certains résultats. Ce sont les règles de conflit à coloration matérielle. Leur point commun : elles prévoient une comparaison entre le contenu des différentes lois en présence en vue d’un résultat.

           

            Il y a des règles de conflit de lois qui établissent une option de législation offerte à l’une des parties. Il y a une idée de faveur mais le choix de la loi est laissé à une des parties en parties en présence. Le juge va devoir appliquer la loi désignée par le choix de ces parties. Exemple : art. 311-16 alinéa 2 du Code civil qui concerne la légitimation par autorité de justice. Cette légitimation est régie au choix du requérant par sa loi personnelle ou par celle de l’enfant.

            Il faut bien distinguer ces options de législation de la possibilité offerte à deux parties à un contrat de choisir d’un commun accord la loi applicable à ce contrat (c’est une règle de conflit classique qui est neutre, abstraite, bilatérale, etc.). On dit simplement que le critère de rattachement est la volonté des parties ; c’est la loi d’autonomie. On laisse les parties choisir la loi mais on ne s’intéresse pas du tout au résultat.

 

            2ème type : règles qui ordonnent la prise en considération d’une ou plusieurs autres règles. La règle de conflit va énoncer elle-même la solution de fond à la question de droit posée. Mais elle va la subordonner au contenu d’une ou plusieurs autres règles substantielles qui sont elles-mêmes désignées par un ou plusieurs éléments de rattachement. Le juge va prendre en considération ces lois désignées mais il ne va pas les appliquer puisque la solution est donnée par la règle de conflit. Si le juge doit résoudre telle question de droit et que la loi désignée par tel élément a tel contenu, alors il doit lui donner telle solution. La solution n’est pas celle donnée par la loi étrangère ; on regarde le contenu et en fonction du contenu, on donnera nous-mêmes des solutions.

            Le procédé est souvent employé en droit public et en droit pénal (ex : pour savoir si un fait constitue une infraction). En matière de droit privé pur, il y a 2 techniques : il y a des résultats qu’on veut favoriser et d’autres qu’on veut éviter. Quand on veut favoriser, la règle de conflit va ordonner au juge la prise en considération de plusieurs règles désignées par des rattachements alternatifs. Convention de La Haye du 5 novembre 1961 sur le conflit de lois en matière de forme des testaments. Art. 1er : une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-ci répond à la loi interne :

a. du lieu où le testateur a disposé

b. d’une nationalité possédée par le testateur

etc.

Il y a 8 rattachements possibles ; si la forme utilisée par le testateur est prévue par une des 8 lois possibles, le testament est valable. Le législateur a utilisé la même technique en matière de filiation à l’art. 311-16 alinéa 1er : le mariage emporte légitimation lorsque cette conséquence est admise soit par la loi régissant les effets du mariage soit par la loi personnelle de l’un des époux soit par la loi personnelle de l’enfant. On multiplie les consultations pour qu’il y en ait une qui le prévoit. Si elle le prévoit, on applique la règle de conflit.

            Quand on a un objectif de défaveur, on fait pareil mais on va utiliser des critères cumulatifs au lieu d’utiliser des critères alternatifs. Un certain résultat : le droit de divorcer. Si on est hostile, pour l’éviter au maximum, on va dire que les époux ont le droit de divorcer si les lois de leur nationalité respective admettent toutes cette possibilité. On peut aussi ajouter la loi de leur domicile commun et la loi des effets du mariage.

 

            3ème technique : la règle de conflit peut exprimer un principe de préférence en posant des critères de rattachement multiples et en instaurant une hiérarchie entre eux afin d’atteindre un résultat. La logique est de dire « on applique la loi n°1 mais si elle ne permet pas d’atteindre le résultat, alors on applique la loi n°2 ». Ex : convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. But : favoriser le créancier d’aliments. C’est l’article 4 qui donne le critère : la loi interne de la résidence habituelle du créancier d’aliments régit les obligations alimentaires. Mais l’article 5 nous dit que si le créancier ne peut pas obtenir d’aliments en application de la loi désignée par l’article 4, on applique la loi nationale commune du créancier et du débiteur d’aliments. Mais ce n’est pas suffisant ; il est possible que la loi nationale commune ne lui autorise pas des aliments. Dans ce cas, l’article 6 prévoit que lorsque le créancier ne peut pas obtenir des aliments en application de la loi désignée à l’article 4 ou à l’article 5, le juge saisi applique sa loi.

 

            Quelle opinion peut-on avoir sur ces règles de conflit à coloration matérielle ? D’un certain côté, on peut regretter un certain illogisme à privilégier a priori une partie au litige. On le fait nécessairement au détriment des autres solutions et des intérêts de l’autre partie au litige. Mais d’un autre côté, en France, ces règles de conflit à coloration matérielle restent d’utilisation très ponctuelle. Or on peut se dire que parfois, c’est normal que le législateur français veuille privilégier certains résultats. Il élabore des règles de conflit fonctionnelles. Il y a une fonction substantielle qui est de privilégier quelqu’un ou un résultat. Ce n’est pas trop grave tant qu’elles ne sont pas trop nombreuses.

 

§3. Exposé des principales règles de conflit bilatérales

 

            On expose les règles françaises. Le plus souvent, chaque Etat a ses propres règles de conflit de lois. On va localiser la situation litigieuse pour la soumettre à un ordre juridique. Cette localisation par le biais du facteur de rattachement, on peut la faire à partir de 3 éléments. On peut la localiser soit à partir du sujet de la relation, soit à partir de l’objet de la relation, soit par rapport à la source de la situation litigieuse (cas des actes et es faits juridiques).

 

A. La localisation  à partir du sujet

 

            On localise à partir du sujet dans une matière : celle du statut personnel. Traditionnellement, le statut personnel est soumis à la loi nationale.  Sur ce point, l’article 3 alinéa 3 du Code civil nous dit « les lois concernant l’Etat et la capacité des personnes régissent les Français même résidant en pays étranger ». A priori, on ne s’intéresse qu’à la loi française. Mais très rapidement, la jurisprudence a bilatéralisé cette règle : l’état et la capacité des individus sont régis par leur loi nationale (arrêt Busqueta, CA Paris, 13 juin 1814). Pourquoi cette règle est-elle la mieux adaptée ? En matière personnelle, il faut assurer une certaine permanence du statut juridique de la personne. Il faut que son statut la suive. La nationalité est plus stable que le domicile. Et pourtant, à l’heure actuelle, le critère de la nationalité en matière de statut personnel est de plus en plus en régression au profit du critère du domicile ou de la résidence habituelle. Il y a un phénomène où les Etats veulent un peu soumettre tous les gens installés sur leur territoire à un même traitement. L’autre tendance est une tendance à la spécialisation, on a affiné la catégorie en créant des questions particulières qui amènent à des réponses particulières.

            Quand il s’applique, le critère de la loi nationale ne pose pas de véritable difficulté de mise en œuvre lorsqu’un seul individu est en cause. Il va être appliqué facilement pour des questions relatives à son nom ou la capacité d’un individu. Sauf petite difficulté lorsqu’on s’interroge même sur sa nationalité. Parfois, l’individu en a plusieurs. Quand le critère d’application est la loi nationale, c’est important. On va faire un choix entre les deux nationalités. Si l’une des nationalités est française, elle prévaudra toujours devant le juge français. Si les deux nationalités sont étrangères, le juge français regardera quelle est la nationalité la plus effective (pays avec lequel il y a le plus de liens).

On va parfois faire une application distributive des lois en présence.

           

            Les difficultés commencent dans la mise en œuvre lorsque le statut de l’individu n’est plus envisagé isolément mais en tant qu’appartenant à un groupe particulier : la famille. Au sein d’une famille, il est possible que les différents protagonistes n’aient pas la même nationalité. Ex : validité du mariage en fonction de la loi nationale des époux. Epoux de nationalités différentes : on apprécie les conditions applicables à chaque époux. On va parfois faire une application distributive des lois en présence. Il y a néanmoins des conditions communes, appelées empêchements bilatéraux car ils concernent les deux époux, on va alors faire une application cumulative, c’est-à-dire que pour que la condition soit satisfaite, il faut qu’elle soit admise par les deux lois.

           

Pour le divorce de deux personnes de nationalité différente, on va recourir à d’autres critères de rattachement que la nationalité. Ex : divorce d’époux de nationalités différentes. Selon la jurisprudence Rivière (17 avril 1953), en matière de divorce, on devait appliquer la loi nationale commune. Mais à défaut de nationalité commune, on appliquait la loi du domicile commun. Mais il arrive que la jurisprudence applique aussi la loi du for, à défaut de domicile commun.  Dans un arrêt Chemouni (19 février 1963), la jurisprudence a étendu cette solution à l’ensemble des effets du mariage. Le législateur fait la même chose mais il a changé les critères par la loi du 11 juillet 1975, qui a réformé le divorce, a posé une règle de conflit de lois à l’article 310 du Code civil, c’est aujourd’hui devenu l’article 309. Cet article a posé une règle unilatérale. Le règlement Rome III de 2010 qui va entrer en 2012 pose des solutions différentes à l’article 309 et va venir le remplacer.

Un autre exemple est en matière de filiation, on applique la loi nationale aussi. Seulement, en droit international privé, il arrive relativement souvent que les individus n’aient pas la même nationalité. En effet, les deux parents et les enfants peuvent ne pas avoir la même nationalité. Donc l’établissement et les effets de la filiation posent un problème. La jurisprudence a distingué la filiation légitime et la filiation naturelle : on soumet la filiation légitime à la loi des effets du mariage (parce que c’est souvent un effet du mariage). La filiation naturelle est soumise à la loi nationale de l’enfant (c’est le plus concerné par la relation). Le législateur est, là encore, intervenu. Il a posé des règles de conflit de lois aux articles 311-14 à 311-18 du Code civil. Ce sont des règles de conflit de lois. Idée de base, en matière de filiation, légitime ou naturelle (sans distinction), une seule règle : c’est la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant.

 

Parfois on a un seul individu mais le critère de la nationalité n’est pas approprié, cela vise principalement les apatrides et les réfugiés. On substitue alors le critère de la nationalité à celui du critère du domicile.  

 

B. La localisation à partir de l’objet de la relation

 

            C’est le statut réel. Dans certaines relations, une chose est au cœur de la relation. Soit une chose mobilière soit une chose immobilière. Au départ : article 3 alinéa 2 Code civil : les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. La phrase est doublement limitée : d’abord dans son domaine (les immeubles) et ensuite dans sa formulation (les immeubles en France).

            Mais la jurisprudence a bilatéralisé l’article 3 alinéa 2, « les immeubles sont soumis à la loi du lieu de leur situation ». Elle a aussi étendu le domaine de la règle, qu’elle a appliqué aux meubles comme aux immeubles. Donc la règle de conflit est que les droits réels sont régis par la loi du lieu de situation du bien sur lesquels ils portent. C’est la lex rei sitae. On estime que lorsque le rapport de droit porte sur une chose, il est naturellement localisé là où se trouve cette chose. Ensuite, l’avantage est que pour la protection des tiers, le meilleur critère est aussi le lieu où se situe le bien.

            Principe dont la mise en œuvre peut poser des difficultés. La plupart des biens font l’objet de contrats. Va se poser un problème de délimitation des compétences d’un côté de la loi réelle et de l’autre côté de la loi de l’acte qui a transféré le bien. Ex : opposabilité au tiers, transfert de propriété, transfert des risques : loi réelle ou loi du contrat ?

 

C. La localisation à partir de la source du rapport de droit en cause

 

            C’est le statut des actes et des faits juridiques. C’est la source du rapport qui va localiser la loi applicable. Catégorie assez hétérogène. Pour les faits juridiques, il n’y avait rien dans le Code civil. Mais la jurisprudence a repris une solution assez traditionnelle depuis le Moyen-âge. La responsabilité civile délictuelle est régie par la loi du lieu du délit (Cour de Cassation, 25 mai 1948 Lautour). On l’appelle aussi la lex loci delicti. Justification : critère le plus pertinent. De plus, les conséquences d’un délit intéressent l’Etat sur le territoire duquel il a eu lieu. En matière d’accidents de la circulation, il est normal de retenir la loi du lieu du délit pour assurer le respect du Code de la route.

            Mais ce principe peut poser des problèmes pour les délits complexes où on a du mal à localiser le fait générateur ou le préjudice. C’est le cas par exemple des pollutions transfrontières. Tout cela donne lieu à des vraies difficultés de mise en œuvre.

 

            Pour les actes juridiques, il faut traditionnellement différencier la forme et le fond. Au fond, la solution est la loi d’autonomie, c’est-à-dire la loi choisie par les parties. C’est elle qui va régir au fond le contrat. Solution non formulée par le Code civil ; progressivement dégagée par la jurisprudence. Cela a commencé avec Dumoulin (XVIe siècle) et n’a été consacré qu’en 1910 (arrêt American Trading, 5 décembre 1910). La justification de cette solution est qu’on considère que pour bien faire marcher le commerce international, il y avait tout intérêt à laisser aux contractants la liberté de choisir leur loi ; comme ça, ils pourront établir des prévisions. En matière commerciale, on aime bien la prévisibilité. Et cette solution a été ensuite consacrée par la Convention de Rome du 19/06/1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles entrée en vigueur le 1er avril 1991 ; cette loi pose le principe d’autonomie.

            C’est plus compliqué quand les parties ne choisissent pas la loi applicable à leur contrat, soit parce qu’elles n’y pensent pas, soit parce qu’elles n’arrivent pas à se mettre d’accord. Dans ce cas là, on va essayer de localiser objectivement le contrat, de voir avec quel Etat le contrat entretient les liens les plus étroits.

 

            Pour la forme des actes juridiques, la solution traditionnelle est de soumettre la forme d’un acte à la loi du lieu où il est conclu. On appelle ça la règle locus regit actum. Solution dégagée au Moyen-âge. Idée : c’est là où on conclut un acte qu’il est le plus facile de se renseigner sur les exigences de forme. C’est d’autant plus vrai qu’il y a parfois des formes imposées. Parfois il faut faire intervenir des autorités publiques (notaire), or les autorités publiques n’agissent qu’en appliquant leur loi.

            Mais on s’est aperçu que c’était peut-être un peu trop rigide. Souvent, les contrats sont conclus à distance. Solution : assouplissement de la règle locus regit actum ; on la rend facultative. Arrêt Chaplin, 28 mai 1963 : les parties peuvent choisir de respecter soit la loi du lieu de conclusion de l’acte soit la loi applicable au fond de l’acte.

Le seul domaine où la règle reste impérative est en matière d’acte de mariage.

           

            Il y a des actes juridiques particuliers : ceux qui ont trait au patrimoine pécuniaire de la famille, qui vont organiser le statut des biens des époux (régimes matrimoniaux). Depuis Dumoulin, les régimes matrimoniaux sont soumis à la loi d’autonomie. Les futurs époux vont pouvoir choisir la loi applicable à leur contrat de mariage. Mais souvent ils ne le font pas. La jurisprudence retient alors la loi du pays où les époux ont fixé leur premier domicile conjugal. Pour tous les époux qui se sont mariés après le 1er septembre 1992, application de la Convention de La Haye du 14/03/1978 qui a un peu modifié les règles. En l’absence de choix, on fixe à la première résidence habituelle mais il y a des dérogations au profit de la loi de la nationalité commune des époux.

            En matière de succession, la jurisprudence a repris une distinction traditionnelle entre les successions mobilières et les successions immobilières. On applique la loi du dernier domicile du défunt pour la succession mobilière. On estime que les meubles sont un peu rattachés au dernier domicile du défunt. Alors que les successions immobilières sont régies par la loi du lieu de situation de l’immeuble.

 

Section 2. Les méthodes concurrentes

 

            On peut en répertoriée quatre principales. Trois sont plutôt classiques et la troisième est en cours de gestation, elle est essentiellement doctrinale.

            La première consiste à rejeter en bloc la méthode bilatérale, c’est l’unilatéralisme. Les autres sont un rejet ponctuel du bilatéralisme, ce sont les lois de police, les règles matérielles et la méthode de la reconnaissance des situations.

 

§1. L’unilatéralisme

 

            On envisage l’unilatéralisme comme une méthode générale de résolution des conflits de loi qui pourrait s’imposer en lieu et place de la méthode bilatérale.

 

A. L’exposé théorique et critique de l’unilatéralisme

 

C’est la règle héritière de la théorie des statuts. L’unilatéralisme  va délimiter le champ d’application des lois du fort sans permettre elle même la désignation d’une loi étrangère. L’idée de  l’unilatéralisme est qu’un état ne doit pas donner compétence à la loi d’un autre état lorsque cet autre état ne veut pas que sa loi s’applique. Or c’est à se résultat que conduit la méthode bilatérale pour les unilatéralistes. Par exemple, un anglais domicilié en France. Un juge français est saisi pour une question relative à sa capacité. Le juge français va appliquer la règle de conflit bilatérale selon laquelle la loi applicable est la loi anglaise. Il va l’appliquer sans tenir compte de ce que le législateur et le juge anglais auraient fait or en Angleterre, le critère de rattachement est le domicile et non la nationalité. Pour l’éviter, il faut que la règle de conflit se borne à  délimiter les cas dans lesquels la loi du fort est applicable. Lorsque la loi française ne se veut pas applicable, il faudrait aller interroger les règles de conflits unilatérales étrangères pour voir si elles se veulent applicables.

 

Le fondement de cette théorie vient du droit international public. Il le fonde sur un conflit de souveraineté. Le droit international public interdit à un état d’attribuer ou de nier compétence à la loi d’un autre état. Il y a deux auteurs essentiels unilatéralistes : Schmell (allemand) et Niboyet (français). Aujourd’hui ce n’est plus la tendance dominante. Néanmoins, les auteurs plus modernes partisans de l’unilatéralisme ont trouvé une autre justification. Ils dièsent que la loi est un commandement. Pour que ce commandement existe, il faut qu’il porte l’indication de ses destinataires. Il appartient ç chaque état de dire à qui ses commandements s’appliquent. Cela signifie que pour ces auteurs, notamment Gothot (français), que chaque état fixe les destinataires de ses lois, le champ d’application dans l’espace de ses lois. Comme chaque loi a potentiellement un champ d’application défini, il serait absurde de l’appliquer à des situations qu’elle ne vise pas. Cette critique a été critiquée par des auteurs favorables à la méthode bilatérale, notamment Pierre Mayer, qui a dit que cette théorie insiste trop sur le caractère impératif de la loi. Selon lui, la loi a un caractère abstrait, elle fait une correspondance entre une hypothèse et une conséquence juridique. C’est un phénomène de cause à effet. En principe, le législateur fait ses lois pour les relations internes. On va appliquer la règle interne qui est la plus proche du litige au problème international.

 

L’unilatéralisme va poser des problèmes de conflits positifs et négatifs de compétence. La plupart des auteurs reviennent à dire qu’en cas de conflit positif si l’une des lois est la loi du fort, on va appliquer la loi du fort. En cas de conflit négatif, il faut retenir le critère de rattachement retenu par notre règle de confit de loi unilatérale si elle avait été bilatérale.

 

B. La prise en compte ponctuelle de l’unilatéralisme en droit positif français

 

      La théorie unilatéraliste n’a pas eu un grand succès en France. Même s’agissant des règles de conflit unilatéral, il ne faut pas confondre : il y a des règles de conflits qui ont l’air unilatérales mais qui ne le sont pas. L’article 3 alinéa 3 du Code civil a une formulation unilatérale mais en réalité, la règle de conflit qui s’y cache est bilatérale car la jurisprudence a bilatéralisé cet article. A coté de cela, il existe parfois des règles de conflit bilatérales auxquelles on va rajouter un critère de rattachement unilatéral pour assurer un plus large domaine d’application à la loi du fort. Pour exemple, une règle de conflit bilatérale, l’état et la capacité des individus sont régis par leurs lois nationales, mais en toute hypothèse, l’état et la capacité des individus domiciliés en France sont régis par la loi française. Ce n’est pas de l’unilatéralisme pur, il y a une sorte de combinaison de l’unilatéralisme et du bilatéralisme pour favoriser l’application de la loi française.  Plus généralement, l’unilatéralisme lui même n’est as une bonne solution pour l’harmonie internationale des solutions. C’est le concept de faire en sorte que quel soit le juge saisi on aboutisse au même résultat, il faudrait donc que la loi appliquée soit la même. Or dans l’unilatéralisme on va voir apparaître des conflits positifs et négatifs de compétence.

 

Pourtant le législateur a décidé en 1975 lors de la réforme du divorce, de poser une règle de conflit de loi unilatérale. L’idée étant de favoriser l’application de la loi française. Cette règle de conflit se trouve aujourd’hui à l’article 309 du Code civil. Il se compose de trois alinéas : le premier nous dit que « le divorce et la séparation de corps sont régis par al loi française, lorsque l’un et l’autre époux sont de nationalité française ». Le second alinéa précise que « la loi française est également applicable si les deux époux sont domiciliés sur le territoire français ». La bilatéralisation est impossible. Le dernier alinéa nous dit que « la loi française s’applique également lorsqu’aucune loi étrangère ne se reconnaît compétente ». Le juge doit d’abord regarder s’il a deux époux de nationalité française, puis domiciliés en France, enfin il doit chercher si une autre loi étrangère se reconnaît compétente. Lorsque plusieurs lois étrangères se veulent applicables que fait-il ? En cas de conflit positif, la réponse n’est pas tranchée. Cette disposition est amenée à disparaître puisqu’à compter de juin 2012 elle sera remplacée en France par le règlement Rome III sur la loi applicable au divorce qui pose des critères différents. Ainsi avant de se référer à un critère objectif on se réfère à la volonté des parties.

 

§2. Les lois de police

 

Elles sont proches de l’unilatéralisme dans la configuration mais pas dans la philosophie. Comme le dit Pierre Mayer, dans le cas des lois de police, le choix de la loi applicable est fondé sur le but de la loi, sur une volonté particulière de l’auteur de cette loi de voir cette loi s’appliquer. Dans l’unilatéralisme ce n’est pas une question de volonté particulière. Dans les lois de police, on va prendre une loi particulière sur un sujet particulier et on va l’appliquer parce qu’elle veut particulièrement s’appliquer à la situation. Dans la règle de conflit bilatérale, on ne tient pas compte de la teneur des lois en présence, on désigne dans l’abstrait. Selon Savigny, le législateur n’a pas de volonté particulière à ce que sa loi s’applique à une situation internationale. On peut donc se permettre de raisonner à partir de la situation juridique et de rechercher une loi selon un critère de rattachement approprié. Ce n’est pas toujours vrai. Parfois un état peut manifester une volonté particulière à l’application d’une règle juridique qu’il a posée. Pour lui, cette règle doit être appliquée à telle situation internationale et ce peu importe la loi qui est normalement applicable en application de la règle de conflit de loi bilatérale.

 

Ces lois de police peuvent être dessinées par différents expressions : lois d’application immédiate, nécessaire. En effet, elles s’appliquent immédiatement sans passer par la règle de conflit de loi. Elles doivent s’appliquer en raison du but poursuivi par ces lois. Certains auteurs distinguent parmi les lois d’application nécessaires entre les lois d’application nécessaires dont le caractère nécessaire découle de leurs buts (leur application est nécessaire pour satisfaire le but qu’elles poursuivent) et les lois d’application nécessaires dont la nécessité vient uniquement du fait que le législateur l’a décrété. Pierre Mayer les appelle les autres lois d’application nécessaires. Pour cette deuxième catégorie, il cite un exemple, l’article 311-15 du Code civil en matière d’établissement de la filiation. Cet article nous dit que « toutes les règles françaises qui font produire en matière de filiation un effet à la possession d’état s’appliquent aux familles résidant sur le territoire français même si la règle de conflit de loi de désigne pas la loi française ».

 

 

A. La notion de loi de police

 

Il n’y a pas de définition dans le Code civil bien qu’il utilise le concept.  A l’article 3 alinéa 1er, il nous dit « les lois de police et sureté obligent tous ceux qui habitent le territoire ». En réalité dans cet article, ce n’était pas les lois de police au sens moderne du terme mais les lois de police au sens de sécurité. Dans une version plus moderne de droit international privé on peut dire qu’une loi de police est une règle de droit interne qui va s’appliquer à une relation internationale alors même qu’elle n’est pas désignée par la règle de conflit de loi bilatérale. Elle va s’appliquer car l’auteur de cette loi veut qu’elle s’applique en raison du but qu’elle poursuit.

 

La difficulté va être d’identifier ces lois. Francescakis disait « sont des lois de police, les lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique d’un pays ». Il ajoutait que « ces lois doivent être appliquées par le juge du fort (de l’état qui les a édictées) dès que la réalisation du but qu’elles poursuivent le commande même si la règle de conflit de loi ne les désigne pas ». Même avec ces guides, certains auteurs lui ont reproché l’imprécision de cette définition, notamment Loussouarn. Selon lui, il n’y a pas de différence entre les lois de police et les autres lois, car toutes les lois poursuivent un but. La plupart de ces buts concernent l’organisation d’un pays. Il y a les lois qui poursuivent un but social et celles qui sont essentielles à la sauvegarde de l’ordre social. Il y a différent degré. Pour lui c’est s’en remettre à la souveraineté du juge. Il critiquait l’incertitude du concept. C’est une critique sévère.

 

Mais le concept de lois de police peut être difficile à cerner. D’un autre coté, ce n’est pas le seul concept juridique incertain (exemple : bonne foi, bonnes mœurs, ordre public). De toute façon, les lois de police correspondent à une réalité. Dans tous les états, il y a des lois que l’état veut voir appliquer. Il faut retenir en réalité, la définition de Francescakis mais l’utiliser avec prudence. C’est vrai que toute loi poursuit un but. Au cas par cas, il faut se demander si le but poursuivit par la loi en cause justifie son application impérative dans un contexte international. Cette logique se retranscrit dans la définition donnée des lois de police par le règlement Rome I de juin 2008. A l’article 9-1 du règlement on donne une définition de la loi de police : « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics tels que son organisation politique, sociale ou économique au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application quelle que soit par ailleurs, la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ».

 

B. L’application des lois de police

 

1.  Les lois de police du for

 

Le juge français doit appliquer la loi de police même si la loi française n’est pas désignée par la règle de conflit de loi. Le législateur français a manifesté un intérêt fort à l’application de l’une de ses lois. On va dire que la loi de police s’appliquer immédiatement sans avoir à déterminer par ailleurs la loi de conflit de loi applicable. Une loi de police est généralement une seule disposition et non toute une législation. On devrait presque parler de disposition de police. Cela n’implique pas que tout le litige sera soumis à l’ordre juridique de cette loi.

 

La question de savoir quand est ce qu’il existe une loi de police qui se veut applicable ? Deux questions : il faut identifier la loi de police puis savoir si elle veut s’appliquer en l’espèce (son champ d’application spatial). Il n’y a pas de problème quand la loi le dit, il suffit de la suivre. Par exemple, la loi du 1er février 1995 sur les clauses abusives. L’article L135-1 du Code de la consommation est issu de cette loi : « nonobstant toute stipulation contraire, les dispositions de l’article L132-1 sont applicables lorsque la loi qui régit le contrat est celle d’un état n’appartenant pas à l’UE, que le consommateur ou le non professionnel a son domicile sur le territoire de l’un des états membres de l’UE et que le contrat y est proposé, conclu ou exécuté ». Le risque se situe pour les lois en dehors de l’UE, mais on ne veut protéger que les consommateurs européens quand ils ont été sollicités sur le territoire européen.

Souvent le législateur ne précise pas le champ d’application des lois de police, c’est du principalement à une raison, il ne précise pas que ces lois sont des lois de police. C’est la jurisprudence qui va découvrir, dans une législation une loi de police. Dans ce cas, ca va être à la jurisprudence de déterminer son champ d’application. Elle va déterminer le champ d’application en fonction du but poursuivit. Par exemple, les règles protectrices de la libre concurrence sont des lois de police. Leur but est d’assurer la libre concurrence sur un territoire. Selon la jurisprudence, ce sont des lois qui doivent s’imposer à tout accord qui aurait des effets anti concurrentiels sur le territoire. Pour certains champs d’application, la doctrine a trouvé qu’ils étaient excessifs.

 

On rencontre des lois de police surtout dans le domaine contractuel. En effet, c’est la contrepartie nécessaire du critère de rattachement en matière contractuelle (la liberté des parties). Ces lois vont être pour protéger des intérêts particuliers ou des intérêts plus généraux. Elles se rencontrent plus rarement en dehors du domaine contractuel. La jurisprudence a considéré que les règles françaises, sur l’assistance éducative étaient des lois de police, de même que celles sur les victimes d’infraction. En revanche, elle a considéré que la loi d’indemnisation des victimes de la circulation (loi Badinter de 1985) n’est pas une loi de police.

 

A l’heure actuelle, le juge français n’est pas toujours maitre de la qualification d’une loi de police ni de la détermination de son champ d’application. Il n’est pas libre lorsque cette loi a une origine européenne car la Cour de justice peut décider qu’une loi est ou non une loi de police et lui attribuer un champ d’application. Par exemple, les règles protectrices de l’agent commercial. En novembre 2000, la Cour de justice dit l’inverse de sa position initiale. Elle dit que « la fonction de ces règles exige qu’elles trouvent application dès lors que la situation présente un lie étroit avec la communauté européenne notamment lorsque l’agent commercial exerce son activité sur le territoire d’un état membre quelle que soit la loi à laquelle les parties ont entendu soumettre le contrat » (CJCE, 9 novembre 2000, Ingmard). A l’inverse, les lois de police originaires des états membres de l’UE sont soumises à un contrôle européen par la Cour de justice. La Cour de justice va vérifier qu’une loi de police nationale ne restreint pas de façon excessive les libertés qui sont garanties par le traité de l’Union. Elle va les soumettre à un double contrôle : un contrôle de légitimité et un contrôle de proportionnalité (moyens pris proportionnés aux intérêts protégés). L’arrêt le plus significatif est : CJCE, 23 novembre 1999, Arblade.

 

2.  Les lois de police étrangères

 

Le juge français doit-il en tenir compte ? C’est une question extrêmement débattue. Seul un cas ne fait pas de difficulté : lorsque la loi de police appartient à l’ordre juridique qui est par ailleurs désigné par la règle de conflit de loi. La difficulté nait lorsque la loi de police étrangère n’appartient pas à l’ordre juridique désigné par la règle de conflit de loi. Si on néglige c’est assez gênant. En effet, vous n’êtes pas solidaires avec les autres états, c’est mettre à mal une certaine réciprocité. De plus, les lois de police interviennent essentiellement en matière contractuelle qui fait référence à la volonté des parties. Le risque serait la possibilité pour les parties de détourner la loi de police.

 

On pourrait donc dire que le juge devrait imposer le respect par les parties des lois de police étrangères, lorsque cela lui apparait nécessaire à la satisfaction du but que ces lois poursuivent mais à certaines conditions :

(1)   Il faut que le but poursuivit par cette de police étrangère paraisse légitime au juge français.

(2)   Il faut que la revendication de compétence formulée par l’état étranger paraisse raisonnable au regard du but poursuivit au juge français.

(3)   Il faut que les moyens utilisés par la loi en cause paraisse proportionnés au but poursuivit par la loi pour le juge français.

 

On retrouve cette directive dans les instruments européennes, dans la Convention de Rome de 1981 et dans le règlement Rome I de 2008. L’article 7-1 de la Convention de Rome nous disait que « lors de l’application en vertu de la présente convention de la loi d’un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce pays ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat ». L’article ajoute « pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non application ». C’est une idée véhiculée mais il « pourra » être donné effet, le juge national bénéficie d’une liberté. C’est exactement la formulation des lois de police. Pour guider le juge dans le choix, on lui dit qu’il doit tenir compte de l’objectif poursuivi et de l’objet ainsi que des conséquences qui découleraient de cette application. Est-ce que c’est proportionné ou cela va-t-il nuire aux intérêts de cette loi de police ?

Le règlement Rome I de 2008 a repris la même idée mais sa formulation est plus précise mais en même temps moins progressiste. Il s’agit dorénavant de l’article 9-3, « il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées dans la mesure où les dites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non application ». On emploi dorénavant le terme de « lois de police ». Auparavant il pouvait s’agir de n’importe quelle loi de police, il s’agit maintenant que des lois de police du lieu d’exécution du contrat. Encore faut-il que cette loi de police rende l’exécution du contrat illégale. On trouver en jurisprudence des applications. (Cour de cassation Com, 16 mars 2010) : il s’agissait d’une vente de viande congelée d’origine française pour le Ghana. Au moment de l’exécution de la vente, le Ghana avait mis un embargo sur la vente de viande bovine française. Le contrat était soumis par les parties au droit français. La loi française dit que la vente peut avoir lieu. Le Ghana a une disposition impérative qui rend l’exécution illégale. Le lieu d’exécution des obligations était bien le Ghana. L’acheteur refuse de prendre livraison. Le vendeur français poursuit l’acheteur en justice. L’acheteur fait référence à la loi ghanéenne. La cour d’appel avait refusé et la Cour a censuré en disant qu’il y avait un défaut de base légale à ne pas avoir évoqué les conséquences du contrat en vertu de la loi ghanéenne. Hormis cela, il y a peut d’exemples en jurisprudence étatique. Il y a en a plus dans la jurisprudence arbitrale car pour les arbitres qui ne sont pas attachés à un état, toutes les lois de police sont étrangères.

 

3.  Le conflit des lois de police

 

Par exemple, lors d’une vente, le vendeur est domicilié en A et l’acheteur est domicilié en B. La législation de l’état A interdit toute utilisation dans les contrats, de produits fabriqués dans un état C. A l’inverse, la législation de l’état B interdit toute discrimination commerciale fondée sur des raisons politiques à l’égard de l’état C. Dans le contrat il y a des produits qui proviennent de l’état C. Que va faire le juge ? Les deux états ont intérêt à ce que leurs législations s’appliquent. Il s’agit d’un conflit de lois au sens premier.

 

Il faut distinguer les hypothèses. Si l’une des lois de police en conflit est la loi du fort, le juge saisit fera toujours prévaloir sa loi donc sa loi de police. Si pour le juge saisit les deux lois de police sont étrangères (état D). Parfois la question peut se résoudre car il n’y a pas de contradiction entre les deux, on peut satisfaire les états de deux états en cause en même temps. Parfois les deux lois poursuivent des objets différents mais mènent au même résultat. In concreto, en fonction du résultat de l’application des lois, il n’y a pas de conflit. Le cas le plus épineux c’est le cas où les deux sont contradictoires et ne peuvent être conciliées. Dans ce cas, le juge doit faire un examen comparé des deux lois. Souvent l’une ou les deux sera éliminées. En réalité, le vrai conflit va être extrêmement rare. Le règlement Rome I dit de ne prendre en compte que les lois de police du lieu d’exécution du contrat. A l’inverse pour un arbitre ce sont des hypothèses beaucoup plus courantes. Un arbitre est totalement neutre. Il est donc placé dans des situations particulièrement difficiles, il va essayer de voir quel est l’état de pensée de la communauté internationale sur le sujet et va se ranger à la majorité des états.

 

§3. Les règles matérielles

 

Il en existe beaucoup dans le domaine de conflit de juridictions. On va uniquement s’intéresser aux règles matérielles qui concernent le conflit de lois, elles y font figurent d’exceptions car le principe est la méthode bilatérale. On oppose la méthode indirecte, règle de conflit de loi savinienne, à la méthode directe, c’est à dire qu’un état va directement élaborer des normes substantielles spécialement faites pour les relations internationales.

Par exemple, un état peut-il s’engager dans une convention d’arbitrage internationale ? En raisonnant selon la méthode indirecte, il s’agit d’une question de capacité de l’état à s’engager. La règle de conflit de lois sur al capacité va être appliquée, il faut donc appliquer la règle de l’état concerné qui va dire si cet état en est capable ou non. La méthode directe est au contraire de dire pour le juge français, qu’il y a une règle substantielle de droit international privé français qui dit qu’un état peut s’engager dans une convention d’arbitrage internationale. Le droit français préconise de poser une règle de fond applicable à tous les états dans le commerce international.

 

La particularité de ces lois et qu’elles sont spécialement élaborées pour les relations internationales. Dans certains cas, on va considérer sue les législations internes ne sont pas appropriées pour les situations internationales, on va donc élaborer des règles spéciales. On rencontre de soucis essentiellement dans le commerce international. On va remplacer la méthode traditionnelle par une méthode de réglementation directe. Elles peuvent avoir plusieurs sources : une origine étatique, un état va édicter dans certains domaines des règles substantielles pour régler directement des problèmes poser dans des situations internationales (exemple : article 170 du Code civil).

Le plus souvent ces règles sont le fait de la jurisprudence. L’idée de la jurisprudence est la suivante : j’ai un droit interne mais il n’est pas approprié pour la question internationale qui m’est posée. Je vais donc écarter le raisonnement classique pour applique rune règle que j’invente. La jurisprudence l’a d’abord utilisé pour valider les clauses « or » dans les contrats internationaux (Cour de Cassation. 21 juin 1950, Les messageries maritimes). Il s‘agissait d’un contrat indexé sur l’or. En droit interne, les clauses d’indexation sont très restrictivement internes. Le contrat était soumis au droit français. La jurisprudence a dit que la règle interne était inappropriée aux contrats internationaux car il paraît normal que les parties indexent. Plus généralement, la jurisprudence l’a beaucoup utilisé dans le régime juridique de la convention d’arbitrage internationale. Hormis cette difficulté, elle est partie du principe que la plupart des lois en matière d’arbitrage n’étaient pas suffisamment  évoluées en interne, notamment la loi française, pour les besoins de l’arbitrage international. Elle a progressivement écarté le raisonnement conflictuel classique et a dit que le régime juridique de la convention d’arbitrage international est soumis à des règles matérielles françaises.

Elles sont parfois conventionnelles. Des traités ne sont pas relatifs au conflit de lois mais qui vont poser des solutions de fond. Par exemple, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandise pose des solutions substantielles. Ces règles peuvent également être d’origine coutumières ou a nationales.

 

La vraie spécificité de ces règles c’est le raisonnement au terme duquel elles sont appliquées. La plupart des auteurs disent qu’elles s’appliquent automatiquement dès lors que le juge de l’ordre juridique dont elles émanent est saisit. D’autres auteurs contestent cette présentation et disent que ce n’est pas toujours vrai. Ils font référence aux règles matérielles issues de conventions internationales qui délimitent leurs champs d’application dans l’espace. Par exemple, la Convention de Vienne est applicable que via les règles de conflit de lois. Elles ne sont pas directes sauf dans l’arbitrage. Dans d’autres cas, pour les règles matérielles d’origine étatiques qui ne délimitent pas leurs champs d’application, ces auteurs disent qu’en réalité même dans ce cas, il y a une règle de conflit de lois implicite préalable.

 

§4. La reconnaissance des situations étrangères

 

C’est une méthode assez compliquée qui est en gestation. Il a énormément d’incertitudes. Il faut donc être assez prudent. Elle n’est pas conceptualisée en elle même c’est la doctrine qui s’en est emparée à partir d’exemples piochés dans des arrêts de la CIJ. On la trouve dans certains textes internationaux qui ont une approche très pragmatique.

 

Cette méthode est très connue dans le domaine de la reconnaissance des jugements étrangers, c’est à dire les conditions posées par un Etat pour reconnaitre les jugements provenant d’un autre Etat. Mais traditionnellement on a un clivage entre les méthodes applicables aux jugements et celles applicables aux lois. On dit qu’un jugement est une décision donc on lui applique le régime des décisions. Le conflit de lois ce ne sont pas des décisions mais des lois. Ce clivage est remis en cause par cette méthode qui a vocation à s’appliquer dans le domaine du conflit de lois mais qui va emprunter ses solutions au domaine du conflit de juridictions.

 

Par exemple, un mariage est constitué à l’étranger. En principe, cela relève du conflit de lois, il n’y a pas de décision. Il faut tout d’abord identifier la question. Le problème c’est que parfois il y a une situation constituée à l’étranger, donc dans un autre ordre juridique qui a ses propres règles de conflit de lois qui peuvent donc être différentes. Parfois parce que les Etats ont des règles de conflit de lois différentes, on peut surprendre les parties en appliquent cette règle de conflit de lois classique.

 

Pour éviter ces remises en cause de situations valablement créées à l’étranger, certains ont pensé à élaborer la méthode de la reconnaissance des situations créées à l’étranger. Cette situation devrait être reconnue en France même si elle n’est pas conforme à la règle de conflit de lois française dès lors qu’elle s’est concrétisée à l’étranger et ce valablement aux yeux de l’ordre juridique étranger en question. C’est une théorie qui est un peu la résurgence de la théorie des droits acquis. Il y a deux différences : cette nouvelle théorie dit que les droits sont valablement acquis aux yeux de l’ordre juridique étranger. De plus, le fondement est différent, ici il s’agit de respecter des principes modernes tels que le respect de la vie privée. Ces fondements justifient qu’on accorde une certaine continuité du statut juridique d’un individu quand il passe des frontières. Cela va conduire le juge à mettre de coté sa règle de conflit de lois parce qu’elle pourrait remettre en cause une situation valablement acquise à l’étranger. On va reconnaitre, sous certaines conditions, une situation née à l’étranger même si elle ne répond pas aux conditions posée par notre propre règle de conflit de lois. On va dire que la situation doit répondre aux conditions posées soit par la loi de l’état où elle a été créée soit par la loi désignée par la règle de conflit de lois où elle a été créée. Il faut également que l’état d’origine de la situation ait un titre légitime à régir cette situation. Il faut donc qu’il y ait un lien suffisant entre l’état et la situation, afin d’éviter les fraudes. La troisième condition est que cette situation ne soit pas contraire à l’ordre public international français.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1. La structure de la règle de conflit de lois

 

Pour déterminer la loi applicable à une question donnée, il faut passer par une qualification afin de ranger cette question dans une catégorie. La situation qualifiée va ensuite être rattachée à la loi d’un Etat grâce à un élément de rattachement.

Parfois, il y a des difficultés de localisation de l’élément de rattachement retenu par une règle de conflit de lois. Parfois, la difficulté tient à un conflit de rattachements ou de systèmes de DIP.

 

Section 1. La qualification

 

C’est une opération essentielle en droit. Elle permet de déterminer la catégorie à laquelle se rattache une situation juridique pour en déduire les règles applicables.

En droit interne, de la qualification va dépendre le régime.

En droit international privé, la qualification va servir à choisir, parmi toutes les règles de conflit de lois du système français de droit international privé, celle qu’on va appliquer et qui va donc permettre de désigner la loi applicable à la question de droit posée au juge. Là aussi, la qualification conditionne le régime mais pas au fond ; elle conditionne le régime de désignation de la loi applicable.

Ex : deux époux grecs orthodoxes se marient en France devant un officier d’état civil. Pour le droit français, ce mariage semble valable puisque la loi française n’impose aucune cérémonie religieuse (au contraire). Le problème est que la loi grecque considère cette union comme nulle dans la mesure où il n’y a pas eu de cérémonie religieuse. La question de la validité ou de la nullité du mariage va dépendre de la loi applicable au fond. Pour déterminer quelle loi est compétente, il faut passer par une règle de conflit. Avant, il faut qualifier. On peut hésiter entre deux règles de conflit : la règle de conflit de lois relative à la validité au fond du mariage. En droit international privé français, la règle de conflit désigne la loi nationale de chaque époux pour la validité du mariage. On peut aussi appliquer la règle de conflit relative aux conditions de forme du mariage ; la loi française désigne la loi du lieu de célébration.

           

Cette opération de qualification est le plus souvent facile. Mais parfois elle se complique un peu ; en réalité, elle se décompose en plusieurs éléments : il faut d’abord définir précisément l’objet à qualifier, c’est-à-dire qu’il faut identifier les termes de la question juridique posée au juge (I). Ensuite, il faudra classer la question dans l’une des catégories des règles de conflit de lois du for (II). Et parfois, selon certains, il y aurait une 3ème étape : il faudrait dans certains cas procéder à une nouvelle qualification dans l’ordre juridique désigné, mais cette qualification portera sur les règles substantielles applicables (III).

 

§1. L’objet de la qualification ou l’identification des termes de la question posée au juge

 

            Ce qu’il faut qualifier, c’est la question de droit de fond qui est posée au juge. C’est cette prétention, appuyée par des faits, que le juge va devoir analyser. Il va devoir bien comprendre la question qui lui est posée pour pouvoir lui donner une qualification.

            Souvent, c’est assez simple car les parties vont faciliter le travail du juge. Ils vont précisément invoquer une prétention. Parfois pour bien identifier la question posée, le juge va devoir analyser une institution étrangère qui est inconnue du for avant de pouvoir identifier la question posée. Dans d’autres cas, les parties formulent leurs prétentions de façon très générales. De fait, le juge va devoir analyser ces prétentions pour comprendre la question.

 

A. Une phase d’analyse nécessaire d’une institution étrangère

 

Par exemple, les parties invoquent des faits mais ces derniers ne prennent leur signification

exacte qu’une fois éclairés d’une institution étrangère qu’il faudra donc analyser avant de pouvoir identifier la question réellement posée.

            Le 12 janvier 1966, TGI de la Seine, affaire Stroganoff-Scherbatoff : la succession comprenait des œuvres d’art, il y avait une complication car ces œuvres d’art avaient fait l’objet d’un majorat perpétuel par des oukases impériaux russes (décrets impériaux), la question était de savoir si ces meubles n’étaient pas devenus des immeubles par destination. Cela change tout car on applique plus la loi du dernier domicile du défunt mais la loi de la situation des biens. Le juge est allé voir ce qu’était, selon le droit russe, un majorat perpétuel. On ne qualifie pas encore mais on identifie les termes.

           

Le deuxième exemple est que la demande du demandeur va être formulée en empruntant des termes d’une règle étrangère. CA d’Alger, 24 décembre 1889, Veuve Bartholo : il s’agissait de deux époux anglo-maltais qui s’étaient installés en Algérie. Le mari avait acquis des immeubles en Algérie et était décédé. Sa veuve réclame au juge française le bénéfice de la quarte du conjoint pauvre. Le juge français ne connaissait pas ce terme, c’était une institution connue du droit anglo-maltais. Pour définir la loi applicable, le juge doit qualifier. Mais auparavant, il doit comprendre la demande qui est formulée. Il faut donc demander au droit anglo-maltais ce qu’est cette quarte et si elle est attribuée à un époux en tant que conjoint ou en tant qu’héritier. Une fois que la question aura été comprise, c’est le droit du for qui décidera de classer cette question dans les successions ou les régimes matrimoniaux. Raape disait « l’Etat étranger caractérise ses droits, l’Etat du for les classe ».

 

Dans un certain nombre de cas, il y a, dans les faits ou dans la formulation de la prétention, une référence à une institution étrangère.

 

B. La question posée au juge est formulée de façon très générale

 

Le juge va devoir décomposer cette question en plusieurs questions de droit qui pourront être soumises à des règles différentes.

            Par exemple, une veuve réclame, dans le cadre du partage des biens de son mari, tout ce qui lui revient. Elle peut avoir des droits au titre de son régime matrimonial et au titre de la succession. Il va donc falloir distinguer car les règles de conflits de droits peuvent être différentes. Pour bien faire ce travail de découpage, il faut avoir une bonne connaissance des institutions de droit interne.

 

§2. Le classement de la question de droit dans une catégorie

 

            Une règle de conflit  de lois  se décompose en un présupposé et un effet juridique. Le présupposé va définir la catégorie juridique et l’effet juridique va désigner le rattachement affecté à cette catégorie.     

            Pour ce faire, le juge va devoir interpréter la volonté de l’auteur des règles de conflit de lois. La Cour de  cassation contrôle les qualifications en droit international privé.

            Deux questions se posent : selon quel ordre juridique faut-il qualifier ? Une fois qu’on sait que c’est l’ordre juridique du for qui doit décider, comment choisir la catégorie dans laquelle il faut ranger la question.

 

A. Le principe de la qualification lege fori

 

La difficulté ne nait qu’en présence d’un conflit de qualification, c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle les différents systèmes juridiques en présence retiennent des qualifications différentes pour une même question de droit posé au juge.

 

1.  Exposé et solution du problème

 

Un conflit de qualification est une divergence, pour une même question de droit, entre la qualification retenue par la loi du for et celle retenue par d’autres ordres juridiques qui ont un lien avec le litige.

Exemple : deux grecs orthodoxes se marient en France. En droit grec, l’exigence d’une cérémonie religieuse est une condition de fond du mariage. En droit français, le caractère civil ou religieux d’un mariage est une question de forme. Problème : si on qualifie selon le droit grec, l’absence de cérémonie religieuse est une condition de fond. Donc c’est la règle de conflit sur les conditions de fond du mariage qui s’applique, à savoir la loi nationale des époux. Nullité du mariage. Mais si on applique le droit français, la loi de conflit désigne la règle du lieu de célébration pour les questions de forme du mariage. Donc application de la loi française.

Deuxième exemple : une créance est née d’un contrat soumis au droit anglais. Cette créance est-elle prescrite ? Le juge français est saisi. En droit français, ce serait une question relative au contrat ; donc application de la règle de conflit de lois relative aux contrats qui va désigner la loi anglaise. En droit anglais, les prescriptions relèvent de la catégorie procédure. La règle de conflit relative à la procédure est la loi du juge saisi. Le juge français appliquera la loi française.

Troisième exemple : le testament du Hollandais. Auparavant, le droit néerlandais interdisait aux Hollandais de passer un testament en la forme olographe, même à l’étranger. Un testament olographe est rédigé par un Hollandais en France. Selon le droit français, c’est une question de forme des actes. Loi du lieu de conclusion de l’acte. Donc, loi française. Selon le droit hollandais, cette question relevait de la capacité des individus. Or, la règle de conflit de lois en matière de capacité désigne la loi nationale, donc la loi hollandaise, qui interdit le testament olographe.

 

Ces conflits ont été mis en lumière par Kahn (Allemagne, 1891) et Bartin (France, 1897). Ils ont montré qu’il fallait choisir entre la qualification lege fori (selon les conceptions du juge saisi) et la qualification lege causae (selon le droit applicable à la cause). Ils ont tous les deux proposé la même solution, il faut qualifier lege fori, c’est à dire à partir des catégories juridiques posées par les règles du conflit de lois du for.

Rabel avait proposé une solution différente. Il disait qu’il ne fallait pas choisir mais qu’il fallait supprimer le conflit en faisant en sorte que tous les Etats aient les mêmes catégories.

 

            La jurisprudence a longtemps qualifié lege fori mais sans l’affirmer. Il a fallu attendre 1955 avec l’arrêt Caraslanis (Cour de Cassation, 22 juin 1955) pour que la Cour de cassation dise explicitement qu’il fallait qualifier lege fori. « La question de savoir si un élément de la célébration du mariage appartient à la catégorie des règles de forme ou à celle des règles de fond doit être tranchée par les juges français selon les conceptions du droit français ». Le mariage ayant été célébré en France, la loi française s’applique et le mariage est valable.

 

2.  Justification de la qualification lege fori

           

Le problème de la qualification est en fait un problème d’interprétation de la volonté de

l’auteur de la règle de conflit de lois. C’est normal qu’on interprète la volonté de l’auteur d’une loi selon les canons de cette loi. Pour interpréter une loi française, on le fait selon les conceptions du droit français.

            Certains auteurs avaient opposé qu’au stade de la qualification, on ne sait pas encore quel droit sera applicable. Ce qu’on va qualifier ce n’est pas le droit appliqué au fond, ce sont les règles de conflit de lois. Or, on connait ces règles de conflit de lois ; devant un juge français, ce sont des règles de conflit de lois françaises

            A l’heure actuelle, le principe de la qualification lege fori n’est pas contesté. On retrouve la qualification lege causae plus tard.

 

            Il ne faut pas confondre la qualification proprement dite, c’est-à-dire l’opération qui consiste à ranger la question dans l’une des catégories du for avec la prise en compte d’institutions étrangères pour comprendre la question.

            Il existe tout de même une exception à la qualification lege fori, c’est lorsque la règle de conflit de lois est de source internationale. On considère que le juge du for devrait alors plutôt adopter une conception internationale de la catégorie. Le juge doit faire l’effort d’adopter une interprétation conforme aux buts du traité. D’ailleurs, certaines conventions internationales ont pris la peine de formuler des précisions à cet égard.

Exemple : La Convention de La Haye 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires. L’article 5 dit qu’« aux fins de la présente convention, les prescriptions limitant les formes de dispositions testamentaires admises et se rattachant à l’âge, à la nationalité ou à d’autres qualités personnelles du testateur sont considérées comme appartenant au domaine de la forme. »

 

B. Le choix de la catégorie parmi les règles de conflit de lois du for

 

La question se pose de savoir si le système de catégorie peut être insuffisant ou lacunaire.

Est-ce qu’il peut arriver que le juge ne puisse ranger la question qui lui est posée dans une catégorie ? Est-ce que parfois il n’y a pas un risque d’hésitation car la question peut rentrer dans deux catégories.

 

1.  L’ensemble des catégories du DIP du for peut il être lacunaire ?

 

Ces catégories sont définies par rapport à des institutions juridiques connues du droit interne. Même si l’institution est connue de droit interne, par exemple la catégorie mariage de DIP ne correspond pas exactement à la catégorie équivalente de droit interne. En droit interne, le mariage est le mariage à la française, c’set un mariage laïc devant une autorité publique. Or à l’étranger, on peut avoir une conception différente du mariage, par exemple le mariage polygamique accepté dans certains pays. Chaque Etat entend une institution selon ses propres conceptions, lesquelles peuvent être différentes d’un Etat à un autre. Cela est vrai pour toutes les institutions juridiques. Selon les institutions et les pays, les différences seront plus ou moins grandes. Parfois, certains pays connaissent des institutions qui ne sont pas connues du for. Par exemple, la France connait l’adoption mais ce n’est pas le cas de certains pays musulmans.

            Si on s’en tenait à la catégorie interne, la RCL française en matière de mariage ne couvrirait que les situations qui correspondent à notre vision du mariage. De ce fait, notre système serait lacunaire. Pour éviter ces lacunes, il faut élargir le concept interne pour lui permettre de couvrir un maximum de situations analogues. Autrement dit, il faut que l’institution en cause en DIP prenne une certaine autonomie par rapport à son équivalent de droit interne. Pour ce faire, il faut élargir les catégories de droit interne pour les adapter aux problèmes posés par le DIP. Le but est de permettre d’appréhender les institutions étrangères proches de la notre. On peut considérer que c’est une démarche assez logique. Puisqu’il s’agit de résoudre des situations de conflit international, le législateur part de ses catégories mais avec une volonté d’assouplissement. Cet assouplissement va par exemple de faire entrer le mariage polygamique dans la catégorie mariage de DIP.

             Chaque catégorie doit être accueillante mais quand est ce qu’on s’arrête ? Pour poser la limite à l’élargissement, on peut se référer à Batiffol. Il disait « il faut au moins retrouver dans l’institution étrangère le noyau dur du concept équivalent du for ». Ce noyau dur doit être recherché dans les fonctions remplies par chacune des institutions au sein de son propre système juridique. Batiffol disait « on parvient à retrouver une communauté de nature dans des institutions différentes en considérant moins leur structure que leurs fonctions ». Il donnait l’exemple du mariage et du concubinage. « Le second ne remplit pas les buts du premier, il n’est pas un mariage s’il a été organisé sans un souci de la paix publique, de la procréation et de l’éducation des nouveaux membres de la société ». Batiffol dit de se concentrer sur la fonction des institutions. Mais certains auteurs, et notamment Mayer, ont reproché à la démarche de Batiffol de se concentrer exclusivement sur l’analyse des termes qui définissent le présupposé de la RCL. Pour Mayer, il faut regarder les deux car l’un est défini en fonction de l’autre. On choisit tel rattachement pour telle catégorie car c’est celle qui lui convient le mieux. Par exemple, on retient la loi nationale pour la capacité d’un individu car on se dit que c’est stable, mais en même temps tout ce qui nécessite une certaine stabilité devrait rentrer dans le statut personnel. Pour Pierre Mayer, il faut aussi s’intéresser aux raisons qui ont motivé le choix du rattachement.

            Le deuxième critère est de savoir si le critère de rattachement est approprié à l’institution étrangère.

            Il peut arriver qu’une institution étrangère ne rentre dans aucune catégorie. Cela devrait être assez rare. Là encore, Batiffol disait «  Tout système de droit positif, pour autant qu’il soit suffisamment développé, n’est jamais qu’une solution déterminée de problèmes qui dans leur tréfonds sont universels. Dans les cinq parties du monde, les hommes se marient, possèdent des biens, échangent des services, meurent». Autrement dit, les problèmes de la vie en société se posent partout et sont les mêmes. Il est quasiment impossible qu’une institution étrangère n’est pas un équivalent au for.

 

            Toutefois, il existe des institutions en France qui sont inconnues à l’étranger. De même, beaucoup de pays étrangers ne connaissent pas le PACS ou les partenariats. A l’inverse, des institutions existent à l’étranger mais pas en France, c’est par exemple le cas du trust ou encore la kafala musulmane.

            Quand la difficulté survient, il appartiendra à la jurisprudence de la résoudre. Le juge devra alors élaboré une nouvelle RCL. Il réfléchira donc à la fonction de cette institution et cherchera un rattachement approprié à cette fonction. C’est d’ailleurs pour ça que certains auteurs considèrent que le DIP ne devrait pas être législatif, s’il est jurisprudentiel, il est plus évolutif.

 

            En principe donc, le système de devrait donc jamais être lacunaire.

 

2.    Un conflit entre les catégories internes est-il possible ?

 

 Les catégories de DIP peuvent parfois sembler se recouper, au moins partiellement.

 

Cour de cassation Civ 1ère, 25 juin 1957, Silvia : en l’espèce, une femme de nationalité italienne avait signé deux contrats. Elle en demande l’annulation en raison de la dépression nerveuse qui aurait vicié son consentement. Le juge se demande quelle est la loi applicable à ce vice prétendu de consentement. L’hésitation est possible, on peut penser que cela relève de la catégorie de validité au fond du contrat, mais ces problèmes concernent aussi la protection de la personne donc il est possible de rattacher cela au statut personnel. Il va falloir interpréter les RCL en présence pour déterminer leur champ d’application respectif. Pour cette interprétation, il y a deux méthodes de raisonnement possibles qu’il faut combiner.

Dans un premier temps, il faut rechercher l’esprit des catégories équivalentes de droit interne. Par exemple, le Code civil traite des vices du consentement dans les dispositions relatives aux contrats, a priori il faudrait donc dire que cela relève plutôt de la catégorie du contrat. L’analyse du droit interne va souvent suffire à opérer le choix. Parfois, il faut aller un peu au-delà, c’est alors la deuxième méthode de raisonnement qui entre en action, il faut replacer ce conflit de catégories internes dans une perspective internationale. L’idée c’est que le juge doit ranger la question qui lui est posée dans la catégorie qui retient le rattachement qui convient le mieux à la question posée au juge.

Dans l’arrêt Silvia, la Cour de cassation a décidé que « l’insanité d’esprit et la démence constituent en réalité des cas d’incapacité naturelle soumis à la loi personnelle ». A cette époque, les déments étaient protégés uniquement par les vices du consentement. Aujourd’hui, une personne qui souffre de ce type de problèmes est protégée via les incapacités (Loi de 1968).

 

§3. La qualification des règles substantielles dans la loi désignée

           

Certains estiment que quand on arrive au stade de l’application de la loi étrangère, on devrait se demander quelle règle il faut spécialement appliquer dans cette législation. A priori, c’est simple puisqu’une question a été posée. Il suffit de rechercher dans la législation applicable la règle de droit au fond qui correspond à l’énoncé de l’hypothèse. Toutefois, certains auteurs ont voulu compliquer les choses ; ils ont soutenu qu’à ce niveau là, un problème de qualification réapparaît et que c’est un problème de qualification lege causae, selon le droit désigné.

 

            Dans certains cas, un problème de qualification va apparaitre au niveau des règles substantielles étrangères à appliquer. C’est ce qu’on appelle le problème de la qualification en sous-ordre. Normalement, cette qualification doit s’effectuer lege causae mais cela n’est pas toujours pertinent.

 

A. La délimitation de la théorie de la qualification lege causae des règles substantielles à appliquer

 

Pour certains auteurs, une fois que la loi est désignée, il faudrait toujours procéder à une nouvelle qualification selon les canons du droit à appliquer.

            Par exemple, on a qualifié une question de succession et la RCL a désigné la loi X. Il faudrait n’appliquer que des règles substantielles qui relèvent des successions selon le droit X.

            Le problème de cette proposition est que si on l’applique à la lettre, elle pourrait conduire à des cas positifs ou négatifs de compétence (Cour supérieure allemande, 1882 : il s’agissait de la prescription d’un effet de commerce émis aux USA, le juge allemand qualifie lege fori et en droit allemand, c’est une question contractuelle, il applique donc la RCL relative aux contrats qui désigne la loi américaine. Le juge va donc rechercher dans la loi américaine les règles relatives aux contrats. Mais aux USA, on classe les questions de prescription dans la catégorie procédure. Ainsi, aucune règle ne peut être appliquée dans le droit désigné donc la créance n’est pas prescrite alors que dans l’espèce, la créance était prescrite selon le droit allemand et le droit américain).

            Bien entendu, parfois, il faut tenir compte des classifications du droit étranger car elles vont permettre de choisir les règles applicables. Mais il ne faut pas que cette consultation aille jusqu’à remettre en cause la compétence de l’ordre juridique désigné par la règle de conflit de lois.

 

B. Les hypothèses de qualification en sous ordre relativement réduites

 

Principe : une fois que la loi étrangère est désignée pour trancher la question litigieuse, on va l’appliquer en retenant ses propres qualifications internes. Ex : règle de conflit étrangère désignée pour trancher une question sur un droit réel sur un bien. Dans cette loi étrangère, il faut trouver les dispositions applicables à la propriété. C’est ce qu’on appelle la qualification en sous-ordre. Elle peut être admise. Cette qualification en sous-ordre ne peut être admise que s’il s’agit de choisir entre les règles internes du droit étranger et à condition que cela n’influe pas sur la loi applicable. Autrement dit, il ne faut pas le faire quand le choix et l’autorité de la règle de conflit de lois française en dépendent. Ex : en matière de successions, il existe 2 règles de conflit, selon que le bien successoral en cause est un meuble (dernier domicile du défunt) ou un immeuble (loi de situation). Selon qu’on qualifie le bien de meuble ou d’immeuble, ça ne va pas désigner la même loi. On va qualifier le bien lege fori et appliquer la règle de conflit désignée, ce qui donne la loi applicable. Dans cette loi applicable, on va chercher des règles successorales relatives à ce bien mais sans se poser la question de savoir si c’est dans la catégorie meuble ou immeuble que ce droit le range. Si on se posait cette question et que le droit étranger qualifiait d’immeuble alors qu’on avait qualifié de meuble, on ne pourrait pas appliquer les dispositions sur les meubles. Remise en cause de la règle de conflit de lois elle-même. On va appliquer les dispositions sur les successions sans se soucier de savoir si l’Etat retient la même qualification. C’est pareil dans les questions de régimes matrimoniaux / successions.

 

           

 

 

Section 2. Le rattachement

 

C’est l’élément de la situation juridique qui va permettre de désigner la loi applicable. En principe, il suffit de localiser, parmi les faits de l’espèce, l’élément qui correspond à la définition de l’élément de rattachement, lequel va varier d’une RCL à une autre.

Ceci étant, l’application de la RCL peut être parfois compliquée par deux ordres de considération. Le premier facteur de complication, c’est lorsqu’une difficulté apparait dans la mise en œuvre de l’élément de rattachement qui est retenu dans la RCL. La deuxième source de difficulté c’est lorsque l’élément de rattachement subit une modification dans le temps, modification juridique ou factuelle. L’élément de rattachement va changer, par exemple parce que la RCL va changer. La modification factuelle c’est par exemple une RCL qui dit que le critère est la nationalité et la personne change de nationalité.

 

§1. Les complications dans la mise en œuvre de l’élément de rattachement

 

            D’abord, il peut y avoir une difficulté qui apparait au niveau du droit. Il y aussi des difficultés qui apparaissent au niveau des faits, c’est-à-dire que dans la situation, plusieurs éléments semblent correspondre à la définition de l’élément de rattachement (ou à l’inverse, il n’y a aucun élément).

 

A. Les difficultés de définition de l’élément de rattachement

 

On peut parfois hésiter sur le sens exact de l’élément de rattachement retenu par la RCL.

C’est en fait un problème d’interprétation de la RCL. C’est donc une difficulté qu’on résout selon les conceptions de l’auteur de cette règle. En principe, on va interpréter selon les conceptions du for.

           

Si la règle est de source purement interne, le point de départ du raisonnement est de se dire que généralement l’élément de rattachement retenu par la RCL a la même signification que celle qu’il a en droit interne, sauf quand cela paraitrait inadapté. On peut distinguer trois catégories de rattachement :

          Il y a des rattachements qui posent des problèmes trop spécifiques en DIP pour que le droit interne renseigne utilement sur leur sens. Par exemple, en matière contractuelle, l’élément de rattachement est la loi choisie par els parties. Il n’y a aucun équivalent en droit interne. Un autre exemple est le lieu du délit, en droit interne l’article 46 du Code de procédure civile laisse un choix à la victime. On considère que pour le conflit de lois, il existe parfois des délits complexes. Si on a un fait générateur en France et un dommage en UK, on considère qu’on ne peut pas laisser à la victime le choix. La jurisprudence a développé, en cas de délits complexes, des solutions propres au droit international privé.

          Il y a des critères de rattachement qui ne posent aucunes difficultés par nature. Par exemple, le lieu de situation d’un bien corporel ne pose pas de difficultés.

          Il y a des critères qui peuvent poser des difficultés mais le droit interne est alors utile. Cela concerne la nationalité et le domicile.

Parfois, la RCL va être issu d’un texte international (traité ou convention européenne). Le but d’un traité est d’unifier les solutions entre les pays signataires. Dans ce cas, certains traités donnent une définition d’élément de rattachement. Par exemple, la Convention de La Haye du 15 juin 1955 pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile. Dans cette convention, on nous dit que le domicile est le lieu de la résidence habituelle. Les textes européens ont tendance à faire la même chose. Quand les textes européens ne le font pas, la CJUE a tendance à donner des définitions européennes des critères de rattachement retenus.

 

B. Les difficultés tenant à la  pluralité ou au défaut de rattachement

 

Parfois, parmi les faits de l’espèce, on a l’impression que plusieurs éléments correspondent au critère de rattachement. C’est le cas par exemple avec la nationalité, on parle alors de conflit de nationalités. La jurisprudence française a trouvé une solution qui est discutée en doctrine et est remise en cause dans le cadre communautaire. Selon elle, il faut distinguer :

          L’individu a, parmi ses nationalités, la nationalité française ; elle prévôt alors toujours

          Lorsque les nationalités sont toutes étrangères, il faut retenir la nationalité la plus effective, c’est-à-dire celle qui est la plus réelle. Elle va être déterminée en fonction d’un certain nombre d’indices.

Certains auteurs critiquent cette position et militent pour une approche fonctionnelle de la nationalité. Cela signifie qu’il faut regarder les buts poursuivis par chacune des RCL qui retiennent la nationalité comme critère de rattachement. Paul Lagarde considère qu’il faut retenir une solution ou une autre selon la RCL.

            Dans un arrêt Garcia Avello, la Cour de justice a dit que les autorités d’un Etat membre ne pouvaient pas priver un binational des droits qu’il pouvait tirer de sa deuxième nationalité. Bien entendu, cela n’est valable que dans le cadre européen.

 

            Parfois, on ne trouve pas le rattachement retenu par la RCL. Ceci peut être dû à trois causes :

          Le rattachement n’existe pas en l’espèce.

          Le rattachement existe mais il est inconnu. Par exemple, une RCL en matière mobilière retient le lieu de situation du bien, or ce bien a été perdu et on ne sait pas où il est.

          Le rattachement existe, est connu mais en l’espèce, il ne permet pas désigner un ordre juridique. Par exemple, un bien qui se situerait dans un espace non soumis à l’autorité d’un Etat (ex : la haute mer) ou dans un espace disputé entre deux Etats.

Il y a alors deux solutions possibles qui sont combinées. La première est de trouver un rattachement subsidiaire au cas où le rattachement primaire ne fonctionne pas. La deuxième solution est d’appliquer la loi du for du fait de sa vocation subsidiaire. La loi du for est toujours là pour « combler les trous ». La jurisprudence française utilise ces deux solutions en les combinant, si les rattachements subsidiaires ne fonctionnent pas, on en vient à la loi du for.

 

§2. Les complications nées d’une modification temporelle dans l’élément de rattachement

 

            En droit interne, des règles de droit peuvent se succéder dans le temps, cela crée le problème de conflit de lois dans le temps. La question est de savoir si la loi nouvelle est rétroactive ou non. Ce facteur temps peut aussi intervenir en DIP. Le temps peut être une perturbation de la RCL quand à l’élément de rattachement de différentes manières. Le temps peut conduire à une modification juridique ou factuelle mais le résultat sera le même, il y a aura une modification du critère.

            La modification juridique veut dire qu’une loi va être modifiée entre le moment où la situation litigieuse est née et le moment où le juge est saisi. Cette règle de droit modifiée peut être la RCL du for ou c’est la loi interne du pays désigné par la RCL qui a changé.

            La modification de l’élément de rattachement peut être factuelle, c’est-à-dire que l’élément de rattachement se modifie lui-même entre le moment où la situation est née et le moment où elle est appréciée par le juge. On dit généralement que la localisation actuelle de l’élément de rattachement n’est plus la même que sa localisation initiale, on parle alors de conflit mobile.

 

A. Le changement de la règle de conflit de lois du for

 

            On appelle ça un conflit transitoire de DIP.

            En fait, il y a des appellations très proches car les problèmes sont très proches. Dans un cas comme dans l’autre, deux règles se succèdent.

Ex : le 1er août 1972 est entré en vigueur l’article 311-14 du Code civil qui a posé une nouvelle règle de conflit de lois en matière de filiation, qui soumet l’établissement de la filiation à la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant. Avant, la règle de conflit de lois ancienne élaborée par la jurisprudence distinguait filiation légitime (loi des effets du mariage) et filiation naturelle (loi nationale de l’enfant). Pour un enfant né avant 1972 mais dont on chercherait à établir la filiation après 1972, quelle règle de conflit applique-t-on ?

Auparavant, ces problèmes de droit transitoire étaient assez rares parce que le droit international privé était essentiellement d’origine jurisprudentielle. Or, la jurisprudence est censée est purement déclarative du droit, elle est donc immédiatement applicable car elle est censée être préexistante. Aujourd’hui, les conventions internationales se sont multipliées en droit international privé mais en général, elles prévoient des dispositions de droit transitoire. Mais surtout, il y a des interventions législatives de plus en plus fréquentes en droit international privé.

             

1.  Les hésitations doctrinales

 

Au moment où les difficultés sont apparues, la doctrine s’est divisée en deux camps. Le camp minoritaire a milité pour des solutions spécifiques au droit international privé. Le camp majoritaire a dit qu’il suffisait de transposer les solutions de droit transitoire interne.

            Le premier courant a insisté sur la spécificité du DIP. Pour eux, la RCL n’est pas une règle comme les autres, il faut donc élaborer des solutions propres. Le premier argument est de dire que la règle de droit interne crée des droits subjectifs, ce qui n’est pas le cas pour la RCL. Le deuxième argument c’est que la RCL ne s’adresse pas aux individus mais aux juges, elle est faite pour permettre au juge de trouver la loi applicable. Du coup, ce courant disait qu’il fallait appliquer la RCL nouvelle immédiatement, quelque soit la date de naissance de la situation.

            La tendance majoritaire a été plutôt favorable à la transposition du droit transitoire interne. Le principal argument est qu’un changement de RCL met els parties dans une situation analogue à un changement de législation interne. Dans les deux cas, il y a un changement de la réglementation applicable aux individus. Le deuxième argument est de dire que les impératifs sont les mêmes dans les conflits de droit interne et ceux de DIP. Ces impératifs sont d’assurer l’unité de la législation nationale tout en assurant la sécurité juridique des individus. Les solutions de droit transitoire sont d’assurer un passage de la législation ancienne à la législation nouvelle. En DIP, les mêmes objectifs sont visés. Les solutions devraient donc être tout aussi bonnes pour le droit transitoire en DIP. Au sein de ce courant, il y a toutefois des divisions. La division principale existe entre ceux qui disent qu’il faut simplement appliquer les principes généraux du droit transitoire alors que d’autres disent qu’il faut appliquer les solutions particulières du droit transitoire qui sont posées par lé législateur ponctuellement.

 

2.  Les solutions du droit positif

 

Il n’y a pas vraiment de problème lorsque l’auteur de la nouvelle règle donne la solution, c’est ce que font souvent les traités internationaux. Parfois, c’est le législateur français qui prend la peine de préciser quand sa RCL va s’appliquer.

            Mais parfois, le législateur ne dit rien, c’est alors la jurisprudence qui va donner les solutions. Son principe de base est d’appliquer les principes généraux de droit transitoire par matière. La jurisprudence va donner la même solution de droit transitoire à une RCL nouvelle dans une matière, la même que celle qu’elle aurait donné à une nouvelle règle de fond dans la même matière.

            La jurisprudence applique trois principes généraux :

          Application immédiate de la RCL nouvelle ;

          Les situations définitivement acquises ne sont pas remises en cause ;

On distingue donc la création des droits et le contenu des droits. Ce principe subit une exception en matière contractuelle, on maintient la RCL ancienne pour les effets prochains.

          En revanche, il y a un principe de droit transitoire interne qui n’est pas transposé par la jurisprudence. En droit interne, on considère que la loi nouvelle, lorsqu’elle est d’ordre public, peut s’appliquer à des situations qui auraient du rester soumises à la loi ancienne. En matière interne, quand on fait une nouvelle loi, c’est pour améliorer les choses. Mais avec une nouvelle RCL, on ne sait pas quel droit est plus protecteur.

 

            La deuxième question est de savoir si on applique les dispositions transitoires spéciales qu’on trouve dans certaines lois.

            S’agissant de la loi sur le divorce de 1975, la Cour de cassation a écarté la disposition transitoire de cette loi en DIP au motif que « cette disposition pose seulement des règles transitoires spéciales de la loi interne et ne régit pas la RCL, laquelle demeure déterminée par les principes généraux du droit transitoire qui commandent l’application immédiate de la RCL » (Cour de Cassation Civ 1ère, 13 janvier 1982, Ortiz-Estacio).

            On a un doute à propos d’un arrêt concernant la loi de 1972 (Cour de Cassation Civ 1ère, 9 juin 1996, Imhoos). La Cour de cassation a répondu au visa de la règle spéciale de la loi de 1972. En l’espèce, la solution revenait au même que si elle avait appliqué les principes généraux, un doute demeurait donc.

            Certains auteurs disent qu’il faudrait distinguer selon la RCL. Pour la RCL neutre, on applique les principes généraux. Mais pour les RCL qui poursuivent un but particulier, il faudrait alors appliquer les dispositions spéciales. L’exemple typique est l’article 311-17 du Code civil sur la reconnaissance d’enfant, le but est de favoriser les validations, il faudrait donc appliquer les dispositions de droits transitoires spéciales.

            De façon générale, la mise à l’écart des dispositions de droit transitoire spéciales est une bonne solution. En effet, en droit interne, ces dispositions sont élaborées en fonction de la teneur des règles de fond. Par exemple, la loi de 1972 se déclare immédiatement applicable à toutes les reconnaissances d’enfants naturels faites avant son entrée en vigueur, le législateur s’est montré plus libéral. Ce raisonnement n’est pas transposable en matière de DIP. Rien ne dit que la loi nouvellement désignée sera plus favorable que la loi anciennement désignée.

 

B. Le changement de la loi étrangère désignée par la règle de conflit de loi

 

On parle souvent de conflit transitoire de droit étranger.

La RCL ne change pas et désigne un ordre juridique. Mais dans cet ordre, deux règles de fond se sont succédées.

            Pour le juge ce qui change, c’est que ce qui est en cause c’est le droit étranger.

            Pour résoudre ce problème, la majorité de la doctrine était favorable à une solution de principe, celle d’appliquer les règles de droit transitoire étrangères. La justification donnée à cette solution c’est qu’il faut appliquer le droit étranger désigné par RCL sans le modifier. Or, les règles de droit transitoire étrangères sont là pour dire à quelles situations est applicable la loi ancienne et à quelles situations est applicable la loi nouvelle. Il faut donc suivre ce que disent ces solutions car l’application correcte du droit étranger suppose qu’on le respecte dans toutes ces dimensions. Sur le plan des idées, un courant minoritaire de la doctrine a contesté cette solution, il reproche à cette solution de ne pas tenir compte de la spécificité du problème, c’est un conflit de droit transitoire mais on est dans une dimension internationale. Ce courant dit que c’est un problème posé au juge français. Par ailleurs, la mission du juge français n’est pas d’assurer l’unité législative de l’ordre juridique étranger. Ces auteurs disent qu’en fait il faudrait adopter une autre solution et se fonder plutôt sur les finalités des règles françaises de DIP. On poserait donc la solution de droit transitoire en fonction de l’objectif d’une RCL. Par exemple, en matière de célébration du mariage, l’objectif des RCL est d’assurer une certaine faveur à l’égard de la validité du mariage, il faudra donc appliquer, dans le droit étranger, la loi ancienne ou la loi nouvelle selon celle qui correspond le mieux à l’objectif.

            Cette solution n’a pas été suivie par la jurisprudence. La Cour de cassation a clairement posé qu’il appartient à la loi étrangère de résoudre les conflits de lois dans le temps de droit étranger. La Cour de cassation l’a clairement exprimé (Cour de Cassation, Civ 1ère, 3 mars 1987, arrêt Leppert). En l’espèce, il s’agissait d’une action en recherche de paternité. C’était la loi allemande qui était désignée, mais cette loi avait été modifiée entre la date de naissance de l’enfant et la date où le juge avait été saisi. La Cour de cassation dit qu’il appartient au droit allemand de dire quelle loi doit être appliquée. Si la rétroactivité posée par la loi nouvelle apparait choquante au regard de l’ordre public, on applique alors la loi étrangère ancienne. C’est en principe la seule limite.

            Ceci étant, il existe parfois une autre limite qui est plus controversée. C’est lorsque la loi étrangère commande l’application de la règle substantielle nouvelle mais, au moment de l’adoption de cette loi étrangère nouvelle, la situation litigieuse avait perdu tout lien avec le pays dont cette loi est issue. Dans ce cas, on va alors appliquer la loi ancienne et non la loi nouvelle. C’est une théorie dite de la pétrification du rapport de droit au jour de sa naissance qui a été créée en Allemagne. On estime que cette situation n’avait plus aucun lien avec l’ordre juridique étranger. En fait, en France, la question s’est posée à propos de la modification légale en matière de régime matrimonial dans les anciens pays communistes. Ces lois se déclaraient applicables immédiatement, même à des époux mariés avant. Beaucoup de personnes étaient parties en France avec aucune volonté de revenir dans leur pays. Si on suit le raisonnement normal, la loi applicable est la loi du premier domicile conjugal. On a du coup un certain nombre de décisions françaises où els juges ont refusé de suivre les solutions étrangères de droit transitoire au motif qu’il y aurait un manque de réalisme à appliquer la loi nouvelle à des personnes qu’elle ne concerne plus. La Cour de cassation na parait retenir cette solution que dans le cas des réfugiés. Elle rendait alors ses décisions au visa de la convention de Genève. L’article 12 de cette convention dispose que « les droits précédemment acquis par les réfugiés et découlant du statut personnel, et notamment ceux qui résultent du mariage seront respectés par tous les Etats contractants ». La Convention ordonne aux Etats contractants de ne pas remettre en cause des droits acquis anciennement.

 

C. Le conflit mobile

 

Les droits français et étrangers ne changent pas mais l’élément de rattachement désigné par la RCL se modifie dans les faits. Dans ce cas là, la question sui se pose est de savoir quelle loi on applique, par exemple celle de son ancienne nationalité ou celle de la nouvelle.

            Ce problème ne nait pas avec tous les rattachements, il faut que le rattachement en cause soit susceptible de mobilité. Par exemple, le lieu de situation d’un immeuble n’est pas modifiable, il en va de même pour le lieu de délit qui n’est pas mobile non plus.

            Parfois, on pourrait avoir un critère mobile mais le critère va être immobilisé par une précision temporelle qui figure dans la RCL elle-même. Par exemple, en matière de succession immobilière, le critère de rattachement est le dernier domicile du défunt.

            Les critères qui peuvent poser problème sont essentiellement la nationalité, le domicile et le lieu de situation des meubles.

            La doctrine traditionnelle était favorable à la transposition des solutions de droit transitoire internes françaises. Il y a une analogie si l’on se place du point de vue de l’individu, vis-à-vis de son droit subjectif, deux lois vont se trouver successivement applicables. Pour l’individu, c’est la même chose. Il faut donc savoir si on va appliquer la législation anciennement applicable ou la législation nouvellement applicable. En principe, on va appliquer la loi nouvellement désignée mais sans rétroactivité. Plus précisément, une situation juridique déjà constituée restera soumise à la loi anciennement désignée pour ses conditions de validité et pour ses effets déjà accomplis. Par contre, pour ses effets futurs, elle sera soumise à la loi nouvellement désignée. Sauf pour les effets futurs des contrats qui restent soumis à la loi anciennement désignée.

            Une doctrine plus moderne a contesté ce point de vue. Elle a contesté les fondements de la solution traditionnelle. Pour la doctrine moderne, il y a une erreur de point de vue. Les règles de droit transitoire servent à assurer un passage entre les deux lois mais on cherche plus à appliquer la loi nouvelle car elle est censée améliorer l’état du droit. Pour le conflit mobile, ce n’est pas transposable car il n’y a pas de modification de lois. Cette doctrine souligne qu’en plus, la loi nouvellement désignée n’est pas forcément meilleure que l’ancienne loi désignée. Elle ajoute qu’ici le conflit mobile, contrairement au conflit de lois dans le temps, n’est pas une initiative du législateur mais nait d’une initiative personnelle. Cette action de l’individu va perturber la mise en œuvre de la RCL, on en revient donc à une difficulté d’application de la RCL elle-même. Il faut donc s’interroger sur les motivations de la RCL et poser la solution en fonction de ces objectifs.

            Souvent, on peut justifier les décisions jurisprudentielles par chacune de ces théories. Les solutions peuvent paraitre variables car la jurisprudence pose des solutions au cas par cas.

            Trois exemples :

          En matière de capacité. Si un incapable change de nationalité, on lui applique immédiatement la loi de sa nouvelle nationalité. Parfois, la jurisprudence va faire quelques entorses au raisonnement traditionnel. Cour de Cassation, Civ 1ère, 15 mai 1963, Patino : question de la prescription de l’action en nullité fondée sur l’incapacité d’une mineure. En théorie, on a deux solutions différentes, à savoir la solution en matière de capacité et la solution en matière de prescription. En droit transitoire interne, la loi nouvelle en matière de prescription est immédiatement applicable aux prescriptions non encore acquises, on devrait donc appliquer la loi de sa nouvelle nationalité qui pose une prescription de 10 ans. Selon la loi de son ancienne nationalité, le délai était de 30 ans et n’était donc pas encore prescrite. La Cour de cassation a décidé d’appliquer la loi de l’ancienne nationalité au motif « que la mise en œuvre de la nullité encourue, et notamment la prescription de l’action destinée à la faire valoir, forme avec l’incapacité originaire et sa sanction un ensemble indissociable, soumis à une loi unique ». Si on avait raisonné normalement, on aurait du dire que c’était la loi espagnole qui régissait sur le fond mais la prescription est appréciée au jour où le juge est saisi donc il aurait fallu appliquer la loi bolivienne.

          Sur les effets du mariage. Ils sont susceptibles d’entrainer de nombreux conflits mobiles car le mariage est susceptible de durer, de plus les époux peuvent changer de nationalité ou changer de domicile. La tendance majoritaire en jurisprudence est d’appliquer la loi nouvellement désignée aux effets du mariage car on estime que les époux s’intègrent à une nouvelle communauté en changeant de nationalité ou de domicile. Parfois, la jurisprudence va écarter l’application de la loi nouvelle, essentiellement dans deux cas, à savoir lorsque cela constituerait une fraude de l’un des époux et lorsque l’application de la loi nouvelle obligerait à trop l’adapter aux dispositions très différentes de la loi ancienne. Par exemple, dans un arrêt (Cour de cassation, civ 1ère, 19 février 1963, Chemouni), un tunisien avait épousé deux femmes en Tunisie. Il s’installe ensuite en France et est condamné à verser à sa seconde épouse une pension alimentaire en application de la loi tunisienne qui régit les effets du mariage. Il prétend qu’il ne doit pas cette pension car il a été naturalisé français en 1956. La loi des effets du mariage est donc la loi française puisqu’ils habitent tous les deux en France. Pourtant, la Cour de cassation va confirmer la condamnation au motif que « tant au regard de la loi commune des époux avant 1956 que de la loi française régissant, depuis cette date, les effets du mariage d’époux de nationalité différente domiciliés tous deux en France, la pension alimentaire est due ». La loi nouvellement désignée ne peut pas condamner à une pension alimentaire puisqu’elle ne prévoit pas le cas d’un époux polygame. Sans vraiment le dire, la Cour de cassation applique donc la loi tunisienne.

          Dans le domaine du statut réel (statut des meubles), la solution générale est de dire que si un meuble situé dans un pays étranger et transporté en France, la loi française est d’application immédiate (Cour de cassation Civ 1ère, 8 juillet 1969, Diac). La loi française va déterminer le contenu des droits réels mais la loi ancienne va rester valable relativement au mode d’acquisition du bien. La vision traditionnelle est de dire qu’on fait ça pour la sécurité des tiers. Dans une vision internationale, on peut dire que le critère de rattachement est le bénéfice des apparences. Pour la sécurité des transactions, on se fonde sur les apparences.

 

Section 3. Les conflits de rattachements et de systèmes

 

            Il va y avoir deux types de considérations qui peuvent compliquer les choses :

          Dans un litige, il est possible que plusieurs questions de droit soient soumises au juge. Certaines sont parfois préalables à d’autres. Ces questions peuvent parfois être interdépendantes les unes des autres.

          Dans le monde, chaque pays a ses propres règles de conflit de lois. La question se pose de savoir si le juge du for doit prendre en compte les RCL étrangères. On parle aussi de renvoi.

 

§1. Le problème des questions préalables et des questions interdépendantes

 

            Par exemple, il faut d’abord savoir si une adoption est valable avant de déterminer les droits d’un enfant adoptif dans la succession de l’adoptant. La question préalable est donc de vérifier la qualité du demandeur. Si la réponse est positive, on va interroger le droit applicable à la succession. Le plus souvent, il suffit d’appliquer à chaque question sa RCL. Cette solution simple a été critiquée par une certaine doctrine. Elle a élaborée une théorie intitulée la théorie des questions préalables.

            Selon cette doctrine, pour déterminer la loi applicable à la question préalable, il ne faut pas utiliser la RCL française mais il faut interroger la RCL du pays dont la loi est désignée comme applicable à la question principale. Ainsi, dans l’exemple, la RCL en matière de succession dit que la loi Y est compétente, il faut donc demander à la RCL du pays Y quelle est la loi applicable en ce qui concerne la question préalable. Pour eux, il faut respecter l’unité des systèmes législatifs. Or, si un juge Y était saisi de la question, il appliquerait sa RCL à la question préalable.

            Cette théorie est critiquable car d’une part elle est trop compliquée. Mais surtout, cette théorie introduit une très forte relativité dans les droits des individus. La solution à un même problème va dépendre de la question de savoir si on pose le problème à titre principal ou à titre préalable.

La Cour de cassation a donc rejeté cette théorie (22 avril 1986, Djenangi), « s’il appartient à la loi successorale de désigner les personnes appelées à la succession et de dire notamment si le conjoint figure parmi elle et pour quelle part, il ne lui appartient pas de dire si une personne a la qualité de conjoint, ni de définir selon quelle loi cette qualité doit être appréciée ». Ainsi, la loi applicable à la succession a pour but de dire qui peut venir à la question mais on ne lui demande pas dire qui est conjoint ni de dire selon quelle loi, on va apprécier la qualité de conjoint. En principe donc, il faut prendre chaque question posée au juge et on applique à chacune sa RCL, souvent cette démarche est satisfaisante. Parfois, elle est insatisfaisante car quand on fait ça, on articule des réponses sur des sujets différents par des lois différentes, or chaque législateur envisage les règles les unes en fonction des autres. On entre alors dans le domaine très complexe en DIP du problème des questions interdépendantes.

 

Ces questions interdépendantes ont des hypothèses très diverses, il n’y a donc pas de solution générale.

Leur point commun est que la solution donnée par l’une des lois à l’aspect du problème qu’elle régit a un lien avec la solution qu’elle donne à un autre aspect du problème mais qu’elle ne régit pas.

On distingue deux types de situations : les questions connexes et  les questions enchainées.

 

·         Les questions simplement connexes

 

Formellement, la solution donnée à l’une des questions ne semble pas dépendre de la solution que cette même loi donne à l’autre question. En réalité, dans l’esprit du législateur, les règles des deux aspects sont liées.

            Par exemple, en ce qui concerne les droits du conjoint survivant au titre de la liquidation du régime matrimonial et au titre de la succession. A priori, ce sont deux questions totalement indépendantes. Ceci étant, dans la plupart des législations, un lien existe entre les règles applicables à l’une et à l’autre. Certaines législations donnent peu de droit à l’époux survivant au titre de la succession mais posent comme régime légal, celui de la communauté. C’était pendant très longtemps le système français. A l’inverse, d’autres systèmes juridiques accordent beaucoup au conjoint au titre des successions mais en revanche, au titre du régime matrimonial, on pose le régime de la séparation de biens. Si on articule différentes règles de conflit de lois, on risque de rompre cet équilibre. Par exemple, une veuve dont le premier domicile matrimonial était fixé en Grande-Bretagne. L’époux est mort en France et ses biens sont essentiellement mobiliers. Si on applique les différentes règles conflits de lois, elle  n’a rien au titre du régime matrimonial car c’est la loi anglaise, et elle n’a pas grand-chose non plus au titre de la succession car c’est la loi française qui est compétente. Il y a donc un déséquilibre qu’aucune loi n’a vraiment voulu. Chaque ordre juridique est un ensemble législatif cohérent.

            En doctrine, on propose alors de substituer l’une des lois à l’autre. On va donc appliquer une loi unique aux deux aspects. La majorité des auteurs considèrent qu’il vaut mieux retenir la loi qui est chronologiquement la première. Le mariage ayant précédé le décès, il faudrait faire régir les deux aspects par la loi du régime matrimonial.

 

·         Les questions enchaînées

 

Cela vise deux types d’hypothèses :

          Les questions en série : c’est lorsque de la solution de l’une des questions posée au juge dépend la façon dont l’autre question posée au juge se pose. Ex : question de savoir si un enfant prétendument adoptif a des droits dans la succession de l’adoptant (question principale), cela dépend de la validité ou non de l’adoption (question préalable).

          Les questions en parallèle : de la solution de l’une et de l’autre question dépend un même état de droit, une même situation juridique. Ex : les conditions de fond et de forme d’un mariage.

 

Ces questions vont poser des problèmes dans certains cas uniquement. Cela crée une difficulté :

          Lorsque la loi applicable à l’une des questions est muette sur l’institution mise en cause par la loi applicable à l’autre question ;

          Lorsqu’il y a un lien entre les solutions données par l’une des lois aux deux questions.

Dans le premier cas, la loi est muette car elle ne connait pas cette institution. Ex : la RCL désigne pour les effets de l’adoption une loi X, une adoption est déclarée valable par la loi Y mais la loi X ne connait pas de l’adoption. La première solution est de nier la validité de l’institution mais ce serait une mauvaise solution. On pourrait aussi opérer une substitution, c’est-à-dire qu’on substitue à la loi qui ignore, la loi qui la connait. Il y a une autre solution moins radicale mais plus difficile à mettre en œuvre, c’est d’adapter la loi normalement désignée à l’hypothèse qu’elle n’a pas prévu. La jurisprudence l’a déjà fait par exemple en matière de mariages polygamiques. La jurisprudence a alors adapté la loi française en imaginant ce que la loi française aurait pu prévoir.

            Dans le cas de la deuxième situation, l’une des lois établit un lien entre les solutions qu’elle donne aux deux questions, celle qu’elle régit et l’autre.

Ex : Cour de Cassation, 17 juin 1958, Figué: question de la reconnaissance en France du jugement étranger de divorce. A l’époque, il y avait une condition, c’est que le juge français devait contrôler la loi qui avait été appliquée, il fallait que le juge français reconnaisse qu’il aurait appliqué la même loi. Dans ce cas, il y avait deux lois applicables, une loi applicable au fond, c’était la loi française mais aussi une loi applicable à la procédure, notamment en matière de preuve. A cette époque, la loi française n’admettait que le divorce pour faute. L’un des époux avoue ses fautes. La question était de savoir si cet aveu était admissible. La loi étrangère admettait l’aveu comme preuve. La Cour de cassation a refusé de reconnaitre ce jugement car selon elle, un lien existait à la réponse donnée à la question qu’elle régie (interdiction d’un divorce à l’amiable) et à celle qu’elle ne régit pas (l’aveu n’était pas admissible). Le juge étranger aurait donc du adapter sa loi et ne pas admettre l’aveu.

Ex  avec des questions en série : Cour de cassation, chambre des requêtes, 21 avril 1931 Ponnoucannamale : il s’agissait d’un problème de droits successoraux d’un enfant adoptif indien. L’adoptant, lui aussi indien, avait déjà un enfant légitime au moment de l’adoption. La question portait sur un immeuble situé en France. La RCL en matière d’adoption est la loi indienne qui validait cette adoption. En ce qui concerne la succession, la loi française était applicable et l’enfant avait les mêmes droits. A l’époque, il y avait un lien entre l’adoption et la succession car une personne qui avait des enfants légitimes ne pouvait plus adopter. La Cour de cassation a écarté la loi indienne au nom de la contrariété de la loi indienne à l’ordre public. Elle a ainsi dit que l’adoption n’était pas valable et donc il n’avait pas de droits dans la succession. Même sur le plan théorique, la loi indienne n’est pas contraire à l’ordre public français, ce qui est contraire c’est l’effet successoral qu’on pouvait lui donner et ce par la loi française. Il aurait fallu soit substituer, c’est-à-dire substituer à la loi française la loi indienne. Quand c’est possible, la doctrine est plutôt favorable à l’adaptation.

Un autre exemple est celui de l’arrêt Ferrari (Cour de Cassation, 6 juillet 1922), la question était celle de la conversion en divorce selon la loi française d’une séparation de corps obtenu par consentement mutuel selon la loi italienne. A l’époque, ni la loi française ni la loi italienne n’acceptait le divorce par consentement mutuel. En additionnant les deux lois, on arrive à obtenir le résultat qu’aucune des lois ne permet. Il ne faut pas remettre en cause la compétence de la loi applicable à la question préalable. La Cour de cassation a dit « l’article 310 du Code civil suppose qu’il a été prononcé un jugement de séparation pour une cause déterminée qui sera celle du divorce substituée à la séparation ». Cet article prévoyait les causes de prononciation d’un divorce. La Cour de cassation a adapté cet article. Elle a dit que la cause de la séparation (le consentement mutuel) sera celle du divorce. Comme ce n’est pas possible en droit français, ils ne pourront divorcer.

 

§2. La prise en compte d’une règle de conflit de lois étrangère ou le renvoi

 

            Cette prise en compte n’est jamais une nécessité logique. Dans certains cas, cette prise en compte pouvait être utile.

            Il y a eu des théories élaborées pour des prises en compte systématiques. Certaines théories proposent la substitution de la RCL du for par la RCL étrangère lorsque la RCL du for a peu de lien avec la situation alors que la RCL étrangère en a plus.

 

            On va se limiter à la question de droit positif, c’est-à-dire le renvoi.

            Le renvoi est une forme de prise en compte d’une RCL étrangère. Mais en réalité, le renvoi opère d’une articulation, une coordination entre les deux RCL.

            La question du renvoi se pose à un stade ultime du raisonnement conflictuel. Au moment où on va appliquer la loi X, on se rend compte que la RCL X désigne la loi du for ou une loi étrangère Y. par exemple, la question posée au juge est celle de la capacité d’un anglais domicilié en France. La RCL désigne la nationalité. On s’aperçoit que la RCL anglaise sur la capacité désigne la loi du domicile, donc la loi française. Est-ce qu’on ne regarde pas ce que dit la RCL anglaise et on ne tient pas compte du renvoi ou est-ce qu’on applique la loi française ?

            Pour que la difficulté apparaisse, il ne faut pas que les RCL des deux pays soient identiques. Parfois, elles ne sont pas identiques mais il n’y a pas forcément de problème de renvoi. Par exemple, un anglais domicilié en Angleterre, dans les deux cas c’est la loi anglaise qui est compétente.

           

A. L’admission du renvoi en droit positif

 

En fait, le renvoi désigne deux cas de figure différents, ce qu’on appelle le renvoi au premier degré et le renvoi au deuxième degré ou plus.

Le renvoi au premier degré c’est lorsque la RCL de la loi désignée par la RCL française désigne la loi française.

            Le renvoi au deuxième degré c’est lorsque la RCL de la loi désignée par la RCL française désigne une autre loi.

 

1.  Le renvoi au premier degré

 

C’est la Cour de cassation qui l’a admis et qui a créé le problème. Elle l’a fait dans un arrêt Forgo (Civ, 24 juin 1878). En l’espèce, Forgo était un enfant naturel bavarois qui était venu résider très jeune en France. Il avait acquis une assez grosse fortune mobilière. Sa succession était disputée entre ses parents les plus proches, à savoir des collatéraux de sa mère naturelle, et l’administration française. Selon la loi bavaroise, ils avaient droit à la succession. En revanche, selon la loi française, le lien était trop éloigné et ils n’avaient pas de droits à la succession. C’est donc l’administration française qui, en l’absence d’héritiers familiaux, hérite. L’administration française dit qu’on est en matière de succession mobilière donc la RCL française désigne le dernier domicile du défunt, donc la loi française. La CA de Pau donne raison à l’administration. La Cour de cassation censure au motif que Forgo n’avait pas été admis à domicile en France. Elle dit qu’il n’avait qu’un domicile de fait et non un domicile de droit car à cette époque il fallait avoir été admis à domicile par décret. La cour de renvoi est la CA de Bordeaux, elle dit que le dernier domicile de droit est la Bavière donc elle applique la loi bavaroise. L’administration se pourvoi en cassation. Dans l’arrêt de 1878, la Cour de cassation constate que la loi bavaroise est désignée par la RCL française mais la RCL bavaroise retient comme critère de rattachement le domicile de fait. La RCL bavaroise renvoie donc à la RCL française, laquelle se reconnait compétente donc on applique la loi française. A l’époque, cette solution a été très mal accueillie par la doctrine.

            La Cour de cassation a toutefois appliqué cette théorie une douzaine de fois. On rencontre souvent cette théorie en matière de succession, en matière de divorce avant la loi de 1975, en matière de filiation avant la loi de 1972. Le domaine de prédilection est donc le droit des successions.

           

 

 

 

2.  Le renvoi au deuxième degré

 

La RCL du pays désigné par notre propre RCL renvoie à une loi tierce qui accepte sa compétence. Ainsi, la RCL du pays tiers désigne la loi du pays tiers. Le juge français va alors appliquer la loi tierce.

            Par exemple, un anglais est domicilié au Danemark. Le juge français applique la RCL du for qui lui désigne la loi anglaise mais la RCL anglaise désigne la loi du domicile. La RCL danoise retient aussi le critère du domicile et se désigne donc. Le juge français va donc appliquer la loi danoise.

            La Cour de cassation n’a jamais eu l’opportunité de vraiment appliquer la théorie du renvoi au deuxième degré. Au fond peu importe puisque la Cour de cassation a clairement dit qu’elle était prête à appliquer le renvoi au deuxième degré.

            Si on admet ce renvoi, il faut être prêt à appliquer cette théorie à n’importe quel degré. En réalité, il y aura toujours une fin. Pour une même question, il y a un nombre de rattachement limité.

 

B. Les justifications doctrinales de l’admission du renvoi

 

Au départ, le renvoi a été très mal accueilli par la doctrine. On y voyait un abandon de souveraineté de la part de la France.

            On a cherché deux types de justifications, des justifications théoriques et pratiques.

 

1.  Les justifications théoriques

 

Il y en a plusieurs qui ont été données. Mais aujourd’hui, il y en a une communément admise, on parle de renvoi coordination. Batiffol a dit que le renvoi ne marque pas un abandon de la RCL française au profit de la RCL étrangère, il dit qu’il y a en fait coordination entre les deux. Il disait « la RCL étrangère n’entre pas en jeu par miracle mais par sa désignation par notre règle de conflit », il y a donc coordination des deux règles.

            Pierre Mayer l’a expliqué par nation de prise en considération de la RCL étrangère. Cette prise en considération est prévue par la RCL française elle-même. Il dit que pour le renvoi au &er degré, on pourrait formuler la RCL française de la manière suivante « si une question de droit de tel type se  pose et que la loi désignée par tel rattachement renvoi à la loi du for, alors la loi du for s’applique ». Ce serait la même chose au 2ème degré « si une question de droit de tel type se pose et que la loi désignée par tel élément de rattachement renvoie à une loi tierce qui se reconnait compétente, alors la loi tierce s’applique ». Ainsi, on tiendrait compte de la RCL étrangère dans le présupposé.

 

2.  Les justifications pratiques

 

Généralement, on voit que le renvoi serait un mécanisme qui favoriserait l’harmonie internationale des solutions et d’autre part, permettrait l’application de la loi française dans certains cas.

 

 

 

 

a.    Les justifications du renvoi au 1er degré

 

L’un des arrêts qui a tenté de justifier le renvoi (Soulié, Chambre des requêtes, 9 mars 1910), la Cour de cassation justifie l’admission du renvoi en disant « il n’y a qu’avantage à ce que tout conflit se trouve supprimé et à ce que la loi française régisse, d’après ses propres vues, des intérêts qui naissent sur son territoire ». Si on lit l’arrêt, il y aurait deux justifications : l’harmonie des solutions et l’application de la loi française pour le juge français. La première justification est en fait inexacte s’agissant du renvoi au 1er degré. Cela voudrait dire que, quelque soit le juge saisi, on applique la même loi au fond. Cette hypothèse ne serait vraie que si la France était la seule à appliquer le renvoi. Si tous les juges appliquent le renvoi, cela revient en fait à ce que chaque juge applique sa propre loi.

            En réalité, c’est une justification valable pour le renvoi au second degré.

            Pour le renvoi au 1er degré, c’est l’application de la loi française qui est plus juste. Dans l’affaire Soulié, le rapporteur du conseiller Denis disait «J’aime mieux que les tribunaux français, quand cela leur est permis, jugent d’après la loi française que d’après une loi étrangère qu’ils ne connaissent pas. J’aime mieux la loi française que la loi étrangère. » Dans le cadre du renvoi, cela peut se justifier. La loi française a un certain nombre d’avantages puisque la loi la connait. Par ailleurs, son application est contrôlée par la Cour de cassation. La loi française serait donc mieux appliquée que la loi étrangère. La loi française est par ailleurs insusceptible d’être contraire à l’ordre public français. Et enfin, elle a un lien avec la situation puisque c’est la loi du juge saisi. Quand on met toutes ces considérations bout à bout et qu’en plus le pays désigné désigne lui-même la loi française, cela peut justifier que le juge français applique plutôt la loi française.

            Le seul inconvénient du renvoi au 1er degré, c’est que c’est compliqué. Dans un sens ou dans l’autre, il n’y a pas d’harmonie des solutions.

 

b.    Le renvoi au 2ème degré

 

Ici, c’est bien l’harmonie internationale des solutions qui justifie le renvoi. Cela a été démontré par Raape. Il a donné un exemple indiscutable, il s’agit d’un oncle et d’une nièce tous deux de nationalité suisse qui se marient à Moscou où ils sont domiciliés. Pour eux, au moment où ils se marient, leur mariage est valable car s’ils saisissaient les juges suisses, la loi russe serait désignée et il en va de même s’ils saisissaient les juges russes. Selon la loi suisse pourtant, ce mariage ne serait pas valable mais le juge suisse n’appliquerait pas la loi suisse. Le couple s’installe ensuite en Allemagne, le juge allemand est saisi de la validité de ce mariage. La règle de conflit allemande désigne la loi de la nationalité, donc la loi suisse. Si on n applique pas le renvoi, le juge allemand va appliquer la loi suisse et va annuler le mariage.

            C’est une technique favorable à l’harmonisation des solutions et aux prévisions légitimes des parties.

 

C. Le régime juridique du renvoi

 

Aujourd’hui, on estime que le renvoi répond à une idée de coordination entre la RCL du for et la RCL étrangère.

 

 

 

1.  Le domaine d’application du renvoi

 

Pour que le renvoi fonctionne, il faut que la RCL du for soit une règle classique, à savoir une règle bilatérale avec un rattachement unique. Mais même pour des règles bilatérales, le renvoi est parfois exclu. C’est le cas notamment lorsque la règle bilatérale fait jouer la volonté des parties. Lorsque les parties font le choix d’une loi, elles veulent se voir appliquer le droit substantiel du pays. On exclut aussi le renvoi lorsque la règle de conflit exprime des rattachements alternatifs, on estime que ces règles contiennent un élément de règlement substantiel. Il y a une théorie qui consiste à dire que le renvoi est tout de même possible s’il permettait d’abonder dans le sens voulu, on parle de renvoi in favorem.

            Beaucoup de conventions internationales excluent le renvoi car elles veulent procéder à une unification.

            Enfin, l’article 311-14 du Code civil dispose que pour l’établissement de la filiation, la loi applicable est la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant. La jurisprudence a exclu le renvoi s’agissant de cet article. Une partie de la doctrine conteste cette décision. Mais pour certains, cela s’explique car c’est une règle faussement neutre. En réalité, cette règle vise la loi nationale de la mère car on considère que cette loi est favorable à la reconnaissance. Derrière des apparences de neutralité, cet article exprime une faveur du législateur.

 

2.  L’office du juge en matière de renvoi

 

Dans les matières où il joue, le renvoi s’impose au juge même si les parties ne l’ont pas invoqué.  Dans un arrêt (Ballestrero, 21 mars 2000), la Cour de cassation a dit que le juge devait prendre en considération la règle de conflit étrangère. Dans cet arrêt, la Cour ne distingue même pas selon que les droits des parties sont disponibles ou indisponibles. L’idée est que le juge doit appliquer la règle étrangère dans toutes ses dimensions. Encore faut-il que le juge connaisse la teneur de la RCL étrangère. Là, c’est un problème d’information qui se pose.

 

3.  L’interprétation de la RCL étrangère prise en considération

 

Pour qu’il y ait renvoi, il faut que la RCL française et la RCL étrangère désignent des lois différentes. Cette divergence peut tenir à deux raisons :

          Il peut s’agir d’une différence de qualification de la catégorie. On parle alors de renvoi de qualification.

          Il peut s’agir d’une divergence de rattachement. On retient alors la conception qu’a le droit étranger du rattachement. Cela a été clairement dit par la Cour de cassation (Cour de Cassation, 7 mars 1938, De Marchi : la RCL française désignait la loi argentine qui désignait la loi du domicile. Il fallait interpréter la notion de domicile selon les conceptions argentines).

 

4.  Comment choisir la loi applicable lorsque le renvoi est refusé ?

 

Il n’y a jamais de refus avec le renvoi au 1er degré. Le cas de refus peut apparaitre dans le renvoi au 2ème ou Xème degré.

            Par exemple, dans le cas du statut personnel d’un anglais domicilié en Allemagne. La RCL anglaise désigne la loi allemande. La RCL allemande désigne la loi anglaise.

            Certains pensent qu’il faut appliquer la loi du for qui a toujours une vocation subsidiaire. L’inconvénient c’est que ce n’est pas toujours très réaliste.

            D’autres pensent qu’il faut forcer la compétence de la loi tierce mais si cette loi refuse le renvoi.

            La solution majoritaire est d’oublier le renvoi.

 

5.  Comment choisir la loi applicable lorsque la loi désignée après renvoi ne peut pas être appliquée ?

 

Dans ce cas, le renvoi fonctionne mais au moment où le juge veut appliquer la loi étrangère il n’y arrive pas, soit parce qu’il n’arrive pas à établir le contenu du droit étranger, soit c’est que la loi étrangère va apparaitre contraire à l’ordre public.

 

La solution traditionnelle c’est que le juge applique la loi du for mais c’est dans le cas général.

 

Quand il y a renvoi, plutôt que d’appliquer la loi française, on devrait s’en tenir à l’application de la loi intermédiaire désignée par la RCL française.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2. Les questions d’ordre procédural en droit international privé

 

            Ici, on va s’intéresser à deux questions. La première est celle du statut procédural de la RCL française. La deuxième est celle du statut procédural de la loi étrangère désignée par la RCL.

 

Section 1. Le statut procédural de la RCL française

 

            Il y a un cas où il n’y a pas de problème, c’est lorsque l’une des parties invoque la compétence d’une loi étrangère.

            Lorsque les parties ne disent rien, c’est alors plus difficile. Dans ces cas là, le juge doit-il soulever d’office le problème ?

            Il faut donc distinguer deux cas :

          Une loi étrangère est invoquée par l’une des parties

          Aucune loi étrangère n’est invoquée

 

§1. La situation lorsqu’une loi étrangère est invoquée par l’une des parties

 

            Dans ce cas là, le juge est tenu  de mettre en œuvre les règles du DIP pour départager les parties. Cela peut le conduire à désigner une loi étrangère ou la loi française.

            La jurisprudence a apporté une exception dans laquelle le juge n’est pas tenu de trancher le problème. La Cour de cassation considère que les juges du fond peuvent ne pas choisir entre la loi française et la loi étrangère lorsque les juges peuvent relever que ces lois sont équivalentes. Cela signifie que « la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes conséquences juridiques en vertu des deux lois » (Civ 1ère, 13 avril 1999, Compagnie royale belge). La Cour de cassation a inventé ça pour sauver des arrêts de cours d’appel. Cela concerne des situations où les juges du fond ont appliqué la mauvaise loi mais cela ne changerait rien en fait.

 

            Sur le plan procédural, l’application de la loi étrangère peut être invoquée pour la première fois en appel. On peut créer la contestation en appel car  bien que l’article 564 du Code de procédure civile dit que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, l’article 565 précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lorsqu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

 

            Lorsque les deux parties sont d’accord pour appliquer une règle étrangère mais la RCL dit que la loi française s’applique.

            Lorsque les doits sont disponibles, la jurisprudence autorise les parties à dire au juge qu’elles veulent se voir appliquer la loi française. La question se pose de savoir si l’inverse est possible. La doctrine est divisée car certains auteurs estiment que les deux hypothèses ne sont pas tout à fait symétriques. L’application de la loi française est le travail normal du juge français. Seule la RCL peut obliger le juge à appliquer une loi étrangère. Il faut toutefois réserver le cas de la matière contractuelle puisque la RCL donne la possibilité aux parties de choisir une loi étrangère. Certains auteurs disent que cela va dépendre des hypothèses. Les parties ne veulent pas se voir appliquer la règle Y mais la loi X, dans les deux cas, le juge devra appliquer une loi étrangère. Mais si les parties désignent une loi étrangère à la place de la loi française, ce n’est plus acceptable.

            Le juge, quand il fait toutes les démarches éventuelles en la matière, doit respecter le principe de la contradiction.

 

§2. La situation lorsqu’aucune loi étrangère n’est invoquée par les parties

 

            Il n’y a pas de contestation sur l’application du droit français au litige. La RCL applicable au litige désignerait une loi étrangère. La question est de savoir si le juge peut soulever d’office le conflit.

            Sur cette question, la jurisprudence a été marquée par de grandes hésitations.

 

A. L’évolution chaotique de la jurisprudence

 

Le point de départ de cette jurisprudence est un arrêt Bisbal (Cour de Cassation, 12 mai 1959). Il s’agissait de deux époux espagnols séparés de corps et qui résidaient en France. Ils demandent à un juge français de convertir leur séparation de corps en divorce en invoquant uniquement la loi française. Or, à l’époque, la loi applicable au divorce est celle de la nationalité commune des époux. L’épouse change d’avis et fait un pourvoi en cassation. Devant la Cour, elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir appliqué la RCL française qui désignait la loi espagnole, laquelle prohibait le divorce. La Cour a dit « les règles françaises de conflit de loi entendues moins qu’elles prescrivent l’application d’une loi étrangère n’ont pas un caractère d’ordre public, en ce sens qu’il appartient aux parties d’en réclamer l’application et qu’on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas appliquer d’office la loi étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi française, laquelle a vocation a régir tous les rapports de droit privé ».

           

Un an après (Cour de Cassation, 2 mars 1960, Compagnie algérienne de crédit et de banque), la Cour a dit que le juge peut soulever la règle de conflit de lois. Le juge a donc la faculté de relever d’office ; il n’en a pas l’obligation. Partisans de cette solution : c’est logique parce qu’on ne peut pas demander au juge de connaître la teneur de toutes les lois étrangères. Mais argument peu pertinent ; invoquer la compétence d’une loi étrangère et l’appliquer sont deux choses différentes. Le juge pourrait très bien être tenu d’invoquer d’office la règle de conflit de lois (qu’il est censé connaître) et après, une fois la loi étrangère désignée, il pourrait être dispensé de l’appliquer effectivement si son contenu reste inconnu après des recherches infructueuses. D’ailleurs, ce mécanisme est celui retenu par de nombreux droits étrangers. C’est logique parce qu’au stade de l’application de la loi étrangère, le juge a des moyens de déterminer le contenu de la loi étrangère. En réalité, le souci de la Cour de cassation était essentiellement l’ignorance par le juge des règles de conflit de lois françaises.

            Cette solution avait un inconvénient pratique : elle pouvait conduire à une certaine inégalité devant la loi entre les justiciables. La jurisprudence reconnaissait une faculté pour le juge de relever d’office. Donc certains juges le feraient et d’autres non, selon qu’ils voient avec sympathie ou antipathie le résultat au fond du litige. Enfin, objection théorique : comme la règle de conflit n’est pas obligatoire, elle est ravalée à un rang inférieur par rapport aux autres règles de droit. Or l’article 12, alinéa 1er du NCPC dit que le juge est tenu de régler le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Les règles de conflit de lois françaises sont des règles de droit.

 

            La jurisprudence a opéré un spectaculaire revirement par deux arrêts, Rebouh et Schule, civ. 1ère, 11 et 18 octobre 1988. Très nettement, la Cour de cassation énonce que le juge du fond a l’obligation de rechercher, au besoin d’office, la loi applicable. Cette solution valait pour toutes les matières, que les parties aient ou n’aient pas la libre disposition de leurs droits.

            Tout le monde s’en félicite, la doctrine est très contente… et puis la Cour de cassation prend peur et revient en arrière (Civ 1ère, 4 décembre 1990, Coveco). Elle atténue l’obligation du juge en posant des distinctions assez subtiles. Elle refuse de censurer les juges du fond qui n’avaient pas relevé d’office la règle de conflit de lois au motif que « les parties n’ont pas invoqué d’autre loi que celle spécialement tirée du droit français en une matière qui n’était soumise à aucune convention internationale et où le demandeur avait la libre disposition de ses droits ». Elle restreint l’obligation du juge à deux cas : lorsque les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits et lorsque la règle de conflit de lois a une origine conventionnelle (résulte d’une convention internationale).

            Pourquoi ce revirement sur revirement ? Peur d’une inflation de pourvois. Mais par la suite, la Cour de cassation a bien vu que le 2ème cas de figure (règle de conflit d’origine conventionnelle) n’était pas très logique. Donc elle l’a abandonné dans un arrêt Mutuelle du Mans du 26/05/1999 (civ. 1ère) qui a supprimé l’obligation pour le juge d’appliquer d’office une règle de conflit d’origine conventionnelle. En effet, pourquoi une règle d’origine conventionnelle serait plus obligatoire qu’une règle nationale ? De plus, sur la plan pratique, cette réserve n’arrangeait pas la Cour de cassation, dans l’optique de limiter l’inflation des pourvois. On s’est rendu compte que la plupart des textes internationaux étaient relatifs aux droits disponibles ; donc ce qu’on avait donné d’une main au juge, on le reprenait de l’autre.

            Donc état actuel du droit positif : le juge n’a l’obligation que lorsque les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits. Situation sûrement critiquable sur le plan des principes, même si pour des raisons pratiques, elle peut se comprendre.

 

B. L’état du droit positif

 

1.  Les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits

 

            Les choses sont claires : le juge a l’obligation d’appliquer d’office la règle de conflit de lois. Cette obligation est absolue, au sens où aucun accord des parties, même exprès, qui inviterait le juge à désigner une autre loi (même française) que celle désignée par la règle de conflit, ne peut avoir d’effet. Bien entendu, le juge devra, là aussi, respecter le principe de la contradiction.

            En pratique, encore faut-il que le juge lui-même se rende compte du caractère international de la situation. C’est assez souvent facile parce que les parties, même sans invoquer le conflit de lois, font état d’éléments d’extranéité. Ex : dans les conclusions, on doit mentionner la nationalité et le domicile. Le juge est censé voir l’élément d’extranéité. S’il a un doute, il peut encore s’aider de l’article 8 du NCPC qui lui permet d’inviter les parties à fournir des explications de faits qu’il estime nécessaires à la solution du litige. Mais les obligations du juge s’arrêtent là.

 

            Le critère est la libre disposition des droits. Quelle est la loi qui décide si les droits sont disponibles ou pas ? Est-ce la loi du for ou la loi étrangère qui est désignée par la règle de conflit de lois ? Quelques éléments militent pour l’application de la loi étrangère désignée. Mais c’est compliqué ; le juge devra interroger la loi étrangère pour voir si les droits sont disponibles et si elle lui permet de ne pas invoquer d’office, pour finalement ne pas le faire. En jurisprudence, le caractère disponible ou indisponible des droits s’apprécie donc en vertu de la loi française. Ce n’est pas simple pour autant. La notion de libre disponibilité d’un droit est passablement floue.

 

2.  Les parties ont la libre disposition de leurs droits

 

            Après l’arrêt Mutuelle du Mans, on sait que lorsque les parties ont la libre disposition de leurs droits, le juge n’est pas tenu de relever d’office l’application de la règle de conflit de lois, et ce, quelle que soit la source de la règle de conflit. Ceci dit, il peut le faire. Donc cela peut avoir un intérêt pour le juge de relever d’office l’application de la règle de conflit de lois si les parties sont demeurées silencieuses. En tant que juge, il va plutôt être un peu réticent à le faire ; ça risque d’alourdir ses obligations. Mais intérêt sur le plan du principe : lorsque les parties restent silencieuses, c’est parce qu’elles n’ont pas vu le problème. Beaucoup d’avocats savent à peine ce qu’est le droit international privé, donc ils ne se posent pas la question. Et cela n’est pas nécessairement conforme aux intérêts de leurs clients. Donc il serait bon, pour une bonne administration de la justice, que le juge attire l’attention des parties sur le problème de droit international privé. Il peut le faire en soulevant d’office l’application des règles de conflit de lois, tout en respectant le principe de la contradiction. C’est utile parce qu’au moins, les parties seront renseignées. Après, libre à elles de s’entendre. On est par hypothèse dans un domaine où les parties ont la libre disposition de leurs droits. Si elles sont interrogées, elles peuvent quand même convenir entre elles que le litige sera tranché en application de la règle de droit française.

 

            Question du caractère obligatoire ou non de la règle de conflit de lois pour les parties (dans l’hypothèse où elles ont la libre disposition de leurs droits). On a déjà vu le problème lorsque la règle de conflit de lois désigne la loi française et que les parties veulent se voir appliquer une loi étrangère. La majorité de la doctrine estime que ce n’est pas possible.

            L’hypothèse plus fréquente est celle où la règle de conflit désigne une loi étrangère et où les parties veulent néanmoins que la loi française s’applique. La Cour de cassation, dans un arrêt du 19 avril 1988, Roho, a admis cette possibilité pour les parties en semblant exiger un accord exprès des parties pour l’application de la loi française. Contexte : arrêts Rebouh et Schule ; époque où la Cour de cassation décide que le juge est tenu de soulever l’application d’office dans tous les cas.

            On s’est interrogé ensuite, puisque la jurisprudence est revenue en arrière, sur cette possibilité lorsque la règle de conflit avait une origine conventionnelle (office obligatoire pour le juge). Dans un arrêt Société Hannover International, 6 mai 1997, la Cour de cassation a fixé sa jurisprudence en la matière : « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder sur l’application de la loi française du for malgré l’existence d’une convention internationale ». C’est ce qu’on a appelé la reconnaissance de l’accord procédural des parties. Dans le cadre de l’instance, elles s’accordent pour voir appliquer la loi française à la place de la loi étrangère normalement désignée. L’arrêt précise que cet accord peut être non seulement exprès mais également tacite : « il peut résulter du fait que les parties, dans leurs conclusions, invoquent la seule loi française ». Solution un peu critiquable parce qu’on ne sait pas si l’attitude passive des parties est volontaire ou pas. La Cour de cassation tire un accord d’une ignorance.

            Ça montre que le système d’ensemble n’est pas très satisfaisant. Dans un monde idéal, la solution la meilleure serait d’obliger dans tous les cas le juge à soulever d’office la règle de conflit de lois (retour aux arrêts Rebouh et Schule) parce que c’est du droit français, donc obligatoire ; et dans un 2ème temps, là où les droits sont disponibles, permettre aux parties de lier le juge par un accord exprès pour l’application de la loi française. On serait alors sûr que les parties se sont entendues en connaissance de cause. Les règles de droit international privé sont des règles à part, que les juges connaissent peu. En l’état, le juge peut soulever d’office. Mais l’état actuel du droit positif sur le statut de la loi étrangère, et notamment les règles de preuve, ne va pas beaucoup inciter le juge à faire preuve de zèle.

 

Section 2. Le statut procédural de la loi étrangère

 

On est dans la dernière phase du raisonnement du juge en droit international privé : l’application de la loi étrangère proprement dite pour résoudre le fond du litige. Mais cette application va poser des problèmes particuliers au juge. La loi étrangère n’est pas la loi française. Les deux lois n’ont pas le même statut. A priori, le juge français ne connaît pas le droit étranger, mais il est censé connaître l’ensemble du droit français. Donc problème de renseignement : comment connaître le droit étranger ? De plus, le juge français n’est pas habilité par l’Etat étranger à créer du droit étranger. La loi étrangère, contrairement à la loi française, peut choquer le juge par rapport aux concepts du for. Donc l’application de la loi étrangère va poser d’une part des problèmes de connaissance et d’interprétation du droit étranger, et d’autre part des problèmes d’éviction éventuelle de la loi étrangère choquante (chapitre 3).

 

§1. La connaissance de la loi étrangère

 

            Prendre connaissance de la loi étrangère, c’est fondamental mais ce n’est pas simple. La jurisprudence a élaboré en la matière un ensemble de principes que l’on range sous l’intitulé général de preuve de la loi étrangère. Mais avant cela, il faut souligner que le terme de preuve en la matière est assez ambigu. En principe, la seule chose qui doit être prouvée en justice, ce sont les faits et non le droit. Donc l’expression de preuve de la loi étrangère accrédite un peu l’idée que la loi étrangère est du fait, et non du droit. Débat doctrinal sur le statut de la loi étrangère : fait ou droit. Débat théorique mais qui n’est pas sans conséquences pratiques. Si on estime que la loi étrangère est un fait, il appartient aux parties d’en rapporter la preuve (art. 9 NCPC) ; par ailleurs, les faits font l’objet d’une appréciation souveraine par les juges du fond. Au contraire, si on estime que c’est du droit, c’est le juge qui va prendre une part plus active dans la recherche du contenu de la loi étrangère (c’est son office de rechercher le droit et de l’appliquer) et par ailleurs, l’application du droit est contrôlée par la Cour de cassation. Doctrine assez divisée. Du point de vue du juge français, la loi étrangère est un simple fait ; en tout cas, elle est dépouillée de son élément impératif. Or c’est dans l’élément impératif de la loi que résiderait son caractère de règle de droit. Mais une autre partie de la doctrine conteste ce raisonnement dans la mesure où elle considère que le juge français va bien constater l’existence d’un élément impératif dans la loi étrangère ; sinon, la loi étrangère n’aurait pas vocation à s’appliquer. Certes, le juge français n’obéit pas à la loi étrangère, mais la loi française non plus n’est pas impérative pour lui. La loi française s’adresse davantage aux individus plutôt qu’au juge. Ce qui est impératif pour le juge, c’est une règle plus générale qui lui ordonne d’appliquer les règles substantielles françaises (art. 12 NCPC). Y aurait-il une règle générale qui commanderait au juge d’appliquer les lois étrangères ? Débat théorique largement insoluble.

            Devant les juges, la loi étrangère bénéficie d’un statut mixte : par certains aspects elle est proche du droit, et par d’autres elle est proche du fait. A titre de principe, la Cour de cassation a reconnu le caractère juridique de la loi étrangère dans un arrêt du 13/01/1993, Coucke : « la loi étrangère est une règle de droit ». Mais ce n’est qu’un principe.

 

 

A.   La charge de la preuve de la loi étrangère

 

            Hypothèse idéale : la juge connaît le contenu de la loi étrangère. Dans ce cas-là, sous réserve de respecter le principe de la contradiction, le juge peut faire état de ses connaissances personnelles aux parties et appliquer le droit étranger tel qu’il le connaît. Seulement, la connaissance du droit étranger par le juge est assez rare.

            En général, les parties ont invoqué l’application d’une loi étrangère à juste titre ou le juge l’a relevée d’office, soit parce qu’il y était obligé, soit parce qu’il le voulait ; une loi étrangère est applicable. Qui doit en établir le contenu ? Le demandeur ? Le défendeur ? Le juge ? Sur qui pèse la charge de la preuve ? Et sur qui pèse le risque de la preuve ? Quid si le contenu de la règle étrangère demeure inconnu ? Sur ces sujets, la jurisprudence française a considérablement évolué.

 

            Jurisprudence Bisbal, 1959 : le juge n’a jamais l’obligation de relever d’office. A l’époque, l’essentiel de la charge de la preuve de la loi étrangère pesait sur les parties et plus exactement sur le demandeur à la prétention soumise à la loi étrangère. C’est le système Lautour Thinet, du nom de deux arrêts du 25/05/1948 et du 24/01/1984. Il en résultait que la charge de la preuve de la loi étrangère pesait « sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi et non sur celle qui l’invoque, fût-ce à l’appui d’un moyen de défense ». Ex : la victime d’un accident en Espagne agit contre le responsable en France sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil. Elle agit devant le juge français et invoque le droit français. Le défendeur invoque l’application du droit espagnol désigné par la règle de conflit de lois du for (lieu du délit) : en droit espagnol, il n’y a pas de présomption de responsabilité, contrairement au droit français. Il faut prouver une faute. Dans le système Lautour Thinet, la charge de la preuve de la loi espagnole pèse sur le demandeur et non pas sur le défendeur qui a pourtant invoqué l’application de la loi espagnole. Le demandeur devra prouver que la loi espagnole pose une présomption de responsabilité. La prétention est celle de la victime, donc c’est à elle de prouver que la loi compétente lui donne ce droit.

            La jurisprudence a précisé la notion de demandeur à la prétention soumise à la loi étrangère : il s’agit du demandeur à la question de droit soumise à une loi étrangère. Or ce demandeur peut très bien être le défendeur qui soulève une exception. Ex : le demandeur agit et le défendeur dit que l’action est prescrite en application du droit étranger. Le demandeur est défendeur à l’exception de prescription.

 

            La charge de la preuve pesait donc le plus souvent sur le demandeur à l’action en justice. Quid lorsqu’il n’arrive pas à rapporter la preuve du droit étranger ? La sanction du risque de la preuve dépendait de sa bonne ou de sa mauvaise foi. Il était considéré comme étant de bonne foi lorsqu’il s’était heurté à une impossibilité ou à une difficulté excessive compte tenu de l’enjeu du litige d’établir le contenu du droit étranger. Quand il est de bonne foi, le juge appliquait la loi du for à la place de la loi étrangère. Quand il était de mauvaise foi, qu’il ne donnait pas de justification pertinente à sa carence, le juge déclarait sa demande mal fondée. Avantage : éviter que le demandeur rende applicable, par son inaction volontaire, la loi française qui lui serait plus favorable. Inconvénient, ça permet au défendeur d’invoquer parfois de façon dilatoire l’application d’une loi étrangère. Du coup, ce système Lautour Thinet a commencé à faire l’objet de beaucoup de discussions en doctrine dans les années 1985 – 1990. En même temps qu’elle hésitait sur le statut de la règle de conflit de loi, la jurisprudence hésitait sur la preuve de la loi étrangère. D’où interaction entre les deux.

            La jurisprudence a tenté d’établir une distinction, comme pour la règle de conflit de lois, selon que les parties ont ou n’ont pas la libre disposition de leurs droits. Mais dans les deux dernières années, une polémique s’est instaurée au sein des Chambres de la Cour de cassation.

 

1.  Les parties ont la libre disposition de leurs droits

 

            A priori, on pourrait penser qu’on n’a pas à imposer au juge de rechercher le contenu de la loi étrangère. Si la loi étrangère a un contenu différent de la loi française et aboutit à une solution différente au fond du litige, l’une des parties aura intérêt à en établir la teneur. Si elles ne le font pas spontanément, c’est qu’il n’y a pas pour eux d’intérêt. Et comme ils peuvent disposer de leurs droits, il n’y a pas à forcer le juge à rechercher le contenu de la loi étrangère. Solution pour le juge : appliquer la loi française, dans sa vocation subsidiaire, à la place de la loi étrangère. Cette solution, qui paraît assez logique, a été clairement énoncée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 16 novembre 1993, Amerford. « Dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit du droit étranger désigné par la règle de conflit de lois conduirait à une résultat différent de celui obtenu par l’application du droit français de démontrer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire. »

 

            Ca signifie que dorénavant, c’est à celui qui invoque le droit étranger de le prouver. C’est à celui qui prétend que le droit étranger aboutit à une solution différente du droit français de l’établir. On passe du critère de la prétention soumise au droit étranger au critère de l’invocation du droit étranger. C’est resté jusqu’à cette année la position de la Chambre commerciale.

 

            Mais la 1ère Chambre civile a fait autrement, prise dans son élan de promotion du droit étranger. Elle confond la question du statut de la règle de conflit de lois et la question du statut de la loi étrangère. A partir du 8/12/1998, elle a posé une solution différente dans un arrêt Calberson Belgium. Rappel : pour les droits disponibles, le juge a la faculté de soulever d’office une règle de conflit de lois. Dans l’arrêt, la 1ère Chambre civile énonce que si le juge décide de soulever d’office, il devra faire comme dans les domaines où les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits : ce sera à lui d’aller rechercher le contenu du droit étranger. « Il appartient au juge qui déclare applicable une loi étrangère de procéder à sa mise en œuvre et spécialement d’en rechercher le contenu ». Par la suite, la 1ère Chambre civile a précisé que le contenu vise aussi la jurisprudence et la coutume étrangère. Par cette solution, la 1ère Chambre civile dissuade considérablement le juge de soulever d’office l’application de la règle de conflit de lois, puisque ce sera à lui de faire tout le travail de recherche du contenu du droit étranger.

            Néanmoins, la Cour de cassation persiste et signe et a même considérablement alourdi l’obligation du juge en ne distinguant plus les domaines : civ. 1ère, 28/06/2005 : « il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger. » Le juge peut reconnaître applicable un droit étranger soit parce qu’il est y est contraint, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque. Dans cette affaire, la Cour de cassation censure les juges du fond qui avaient appliqué la loi française au lieu de la loi allemande invoquée par l’une des parties en suivant la doctrine Amerford. Ca voudrait dire que dans toute matière, le juge, dès lors qu’il a dit que le droit étranger était applicable, devra en établir lui-même le contenu. Donc la seule échappatoire pour le juge, en matière de droits disponibles, est de se taire. S’il ne dit rien et que personne n’a rien vu, on ne lui reprochera pas d’avoir appliqué la loi française.

            Malheureusement, dans un arrêt du même jour du 28/06/2005, il semble que la Chambre commerciale se soit ralliée à cette position, qu’on espère provisoire.

 

2.  Les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits

 

            On a toujours été d’accord sur le fait qu’il ne faut pas leur permettre de rendre la loi française applicable simplement par inertie (parce qu’indirectement, elles pourraient disposer de leurs droits). Par ailleurs, on peut ajouter depuis 1988 que lorsque les droits sont indisponibles, le juge est tenu de relever d’office la règle de conflit de lois. Or il ne faut pas que cette obligation soit vidée de sa substance. Donc la Cour de cassation a décidé qu’en la matière, le juge devait rechercher d’office le contenu de la loi étrangère. Civ. 1ère, 1er juillet 1997, Driss Abbou : « l’application de la loi étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition impose au juge français de rechercher la teneur de cette loi ». C’est au juge de le faire, mais il ne doit pas pour autant tout faire. Certes, il peut ordonner une mesure d’instruction, mais il peut aussi inviter les parties à fournir des explications sur le contenu de la loi étrangère.

 

            Mais quid lorsque la preuve de la loi étrangère ne peut pas être établie ? Puisque maintenant, le juge a l’obligation de rechercher lui-même, le défaut de preuve de la loi étrangère devrait rester un cas exceptionnel. Mais si ça arrive, le juge devra spécialement motiver sa décision. La Cour de cassation va contrôler la pertinence des motifs. Parfois, c’est impossible (impossibilité matérielle de prouver le droit étranger) ou trop difficile (coûts excessifs) ; dans ce cas là, on devrait considérer que le juge peut appliquer la loi du for en raison de sa vocation subsidiaire. Ceci étant, on peut quand même hésiter, et réintroduire la distinction entre droits disponibles et indisponibles. C’est gênant lorsque les droits sont indisponibles ; appliquer le droit du for risque de permettre à une partie (à laquelle le juge a demandé des précisions), par son inertie, de disposer indirectement de ses droits.

            Doctrine divisée en deux camps : certains prônent le retour à la jurisprudence ancienne (Lautour Thinet) et de prononcer le débouté du demandeur quand il est à l’origine de la carence. D’autres disent que le juge doit poursuivre, dans ce cas, la recherche de la preuve. Mais tout cela reste un peu flou, du fait des arrêts de 2005 (régime bouleversé). On ne sait pas très bien ce qui va se passer lorsque le contenu de la loi étrangère ne pourrait pas être obtenu.

B. Les procédés de preuve de la loi étrangère

            Le plus utilisé est le certificat de coutume. Document rédigé (dont le nom est hérité de l’ancien droit) par le consulat ou l’ambassade en France du pays concerné ou rédigé par un juriste de l’Etat étranger concerné ou un juriste français spécialiste de l’Etat concerné. Le certificat produit par une ambassade ou un consulat est généralement très sommaire ; se limite à la reproduction des textes, traduits en français. Au contraire, le certificat qui émane d’un juriste est beaucoup plus détaillé : textes mais aussi références de jurisprudence et de doctrine et souvent une interprétation du droit étranger. Le certificat de coutume doit dans tous les cas contenir, en plus des indications sur le fond du droit étranger, des indications sur les règles de conflit étrangères dans les hypothèses où le renvoi est possible. Donc le certificat de coutume est le plus utilisé mais c’est aussi le plus condamnable. Le plus souvent, les parties préfèrent faire appel à des juristes qu’aux ambassades (texte brut), pour trouver une interprétation qui va dans leur sens. Souvent, il y aura deux certificats de coutumes différents (un par partie) qui vont donner un contenu assez différent à la même loi. Donc c’est difficile pour le juge de choisir, d’établir la vérité. Dans les procédures anglo-saxonnes, il y a une audition contradictoire de l’auteur du certificat devant le juge par l’avocat de la partie adverse. Mais il n’y a rien de tel en France.

            Le juge peut lui-même faire appel à un expert ou à un consultant pour établir la teneur de la loi étrangère ; un peu le même système que les parties avec le certificat de coutume et une personne privée, sauf que là, comme c’est le juge qui nomme, on peut imaginer que l’expert désigné dira les choses objectivement. C’est possible mais c’est très rarement utilisé.

            Il y a un autre moyen, très efficace et un peu plus utilisé : le juge peut recourir à un système d’information qui a été mis en place par la convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger. Convention signée à Londres le 7 juin 1968 entre les pays membres du Conseil de l’Europe. Elle est en vigueur en France depuis 1972 et dans une quarantaine de pays. Cette convention concerne le domaine du droit civil et du droit commercial ainsi que la procédure civile et la procédure commerciale. Elle vise à l’information sur le droit étranger dans tous ces domaines. Elle prévoit que le juge d’un Etat contractant peut demander des renseignements aux autorités d’un autre Etat contractant dont la loi est désignée par sa règle de conflit. Dans chaque Etat signataire, un organe est désigné qui est destiné à recevoir les demandes de renseignement en provenance des pays cosignataires. En France, un tel organe existe et il va recevoir les demandes étrangères mais il va aussi transmettre à l’étranger les demandes émanant des tribunaux français. Service des affaires européennes et internationales du ministère de la justice. La demande de renseignement ne peut provenir que d’un tribunal et non pas d’un avocat, et à l’occasion d’une instance déjà engagée et elle doit comporter les faits et les problèmes de droit posés par le litige. La réponse ne concerne que le droit objectif sans application aux faits. C’est très sûr ; ce sont les autorités mêmes de l’Etat étranger, sur place, qui vont fournir aux ministères des renseignements très précis. Ça pourrait être très efficace, mais c’est encore un procédé assez peu utilisé : une dizaine de demandes par an. Malgré cela, beaucoup d’auteurs disent que dorénavant, ce procédé devrait devenir obligatoire pour le juge. Ça reste une opinion doctrinale. Ce serait un peu délicat ; une grande majorité des magistrats français ne savent même pas que cette convention existe.

            Ce que les magistrats utilisent davantage comme procédé d’information sur les droits étrangers, hormis les certificats de coutumes, c’est un procédé informel : le juge demande des renseignements au service des affaires européennes et internationales du ministère de la justice mais pas dans le cadre de la Convention de Londres. Pratiques assez informelles. On peut davantage discuter la fiabilité de ces renseignements, dont on ne sait pas trop comment ils sont obtenus.

            Quel que soit le procédé utilisé, le juge apprécie souverainement la valeur probante des documents qui sont produits devant lui. C’est particulièrement vrai pour les certificats de coutumes, mais c’est même vrai pour les informations qu’il aura recueillies dans le cadre de la Convention de 1968.

            Le juge n’est pas davantage lié par un accord des parties pour prétendre que le droit étranger a tel contenu. Par ailleurs, si les documents qui sont fournis au juge ne le renseignent que de façon incomplète, le juge ne doit surtout pas dire qu’il applique la loi étrangère malgré ses doutes sur son contenu. Dans ce cas là, il serait censuré par la Cour de cassation soit pour ne pas avoir procédé à de plus amples recherches, soit pour insuffisance de sa motivation. En fait, si, après les recherches, les résultats demeurent infructueux, le juge ne doit pas inventer le droit étranger. Il doit dire qu’il ne peut pas connaître le contenu du droit étranger et que donc il doit appliquer la loi française du fait de sa vocation subsidiaire (avec nuances quant à la mauvaise foi des parties et selon que les droits sont disponibles ou pas).

§2. L’interprétation de la loi étrangère

            Le juge du fond doit interpréter la loi étrangère. Mais il faut se méfier du sens des mots. Certes, le juge français doit respecter la loi française. Mais en réalité, ce qu’il doit respecter dans la loi française, ce sont seulement les sources textuelles de la loi. Il n’a pas à respecter la jurisprudence, puisqu’il la crée. L’interprétation de la loi française, pour un juge français, est créatrice. L’interprétation de la loi étrangère ne relève pas du tout de la même perspective. Le juge français n’a pas à créer la loi étrangère lorsqu’il l’interprète. Batiffol disait que l’interprétation de la loi étrangère par les tribunaux français consiste seulement à rechercher le sens de la loi étrangère reçu dans le système étranger. On en déduit donc que le juge français doit respecter le droit étranger dans sa totalité : non seulement les textes mais aussi la jurisprudence et même les coutumes étrangères. Donc il n’a pas un véritable pouvoir d’interprétation tel qu’on l’entend habituellement. La Cour permanente de justice internationale, dans un arrêt du 12/07/1929 (affaire des emprunts serbes et brésiliens), a dit « il n’y a pas lieu d’attribuer à la loi nationale un sens autre que celui que ladite jurisprudence lui attribue » (référence à la jurisprudence nationale).

            Le juge doit respecter la jurisprudence étrangère mais il pourra toujours écarter un certificat de coutume faisant état d’une jurisprudence erronée ou périmée (il devra se justifier). Dans des cas extrêmes, il se peut que le juge français soit tenu de procéder lui-même à une véritable interprétation du droit étranger : c’est le cas où la seule source du droit étranger est un texte mais qui n’a pas encore fait l’objet d’interprétation à l’étranger (parce qu’il est trop récent) ou qui fait l’objet d’interprétations contradictoires. Dans ce cas là, il disposerait d’un véritable pouvoir d’interprétation mais il devrait se mettre dans la peau d’un juge du pays concerné. En théorie, il devrait raisonner comme un juge étranger et mettre en œuvre les maximes et principes d’interprétation qui ont cours à l’étranger. Mais beaucoup d’auteurs considèrent que ce n’est pas la meilleure solution et recommandent d’en revenir à l’application de la loi française plutôt que d’imposer son interprétation du droit étranger.

            Mais de toute façon, le juge dispose en pratique d’une grande marge de manœuvre en raison d’une règle toute bête : la Cour de cassation reconnaît un pouvoir souverain d’interprétation de la loi étrangère aux juges du fond. Donc elle ne contrôle pas l’interprétation de la loi étrangère donnée par les juges du fond. Ce pouvoir souverain vaut aussi bien pour la règle substantielle étrangère que pour la règle de conflit étrangère dans le cadre d’un éventuel renvoi. Justification théorique : la Cour de cassation française n’a pas été créée pour assurer l’unification du droit étranger. Justification pratique : on est peu intéressé et on se doute bien qu’il risque d’y avoir beaucoup d’erreurs d’interprétation du droit étranger.

            Cette absence de contrôle connaît quelques limites. Cas où il pourra y avoir contrôle de la Cour de cassation :

          Dénaturation de la loi étrangère. Méconnaissance du sens clair et précis de la loi étrangère. Civ. 1ère, 21/11/1961, Montefiore. Méconnaissance du sens clair et précis d’un document législatif, dans cet arrêt. Au départ, la Cour de cassation visait l’article 1134 du Code civil (pour contrôler la dénaturation des dispositions contractuelles). Et puis la jurisprudence plus récente vise l’article 3 du Code civil ; civ. 1ère, 1/07/1997, Société Africatours. Pour la Cour de cassation, la dénaturation de la loi étrangère constitue une violation de la règle de conflit de lois. En dénaturant la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois, le juge fait une mauvaise application de la règle de conflit de lois. Au final, il y a peu de cassations pour dénaturations parce qu’il est très rare qu’un juge méconnaisse le sens clair et précis d’un texte. En plus, le juge va apprécier la teneur de la loi étrangère mais telle qu’elle est reproduite devant lui. Ce serait une dénaturation du document qui est produit devant lui, et non une dénaturation de la loi étrangère. En revanche, à l’inverse, le juge peut s’écarter du sens clair et précis d’un texte, s’il le justifie par ailleurs. Ex : jurisprudence qui va en sens contraire du texte.

          Contrôle de la motivation. Le juge doit motiver son interprétation de la loi étrangère. Il doit expliquer pourquoi il retient cette interprétation. D’ailleurs, dorénavant, la Cour de cassation exige du juge du fond qu’il indique les dispositions du droit étranger sur lesquelles il fonde sa décision. Il y a un pouvoir souverain d’appréciation mais la motivation a été renforcée, puisque le juge doit s’expliquer. Civ. 1ère, 6/03/2001, Arab Investment Company.

            Pour l’instant, la Cour de cassation n’a utilisé le grief de dénaturation qu’à l’égard de documents législatifs. Mais même si on n’a pas d’exemples, on devrait considérer que la Cour de cassation serait prête à sanctionner la dénaturation d’une jurisprudence ou d’une coutume étrangère (claire et précise), puisque le juge doit en tenir compte pour interpréter.

Chapitre 3. La mise à l’écart du jeu de la règle de conflit de lois

            L’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois peut heurter notre ordre public et en conséquence, cette application sera refusée. C’est une réaction par rapport à la loi étrangère. D’un autre côté, parfois, les circonstances de l’espèce peuvent conduire le juge à refuser d’appliquer normalement la règle de conflit de lois, qu’elle désigne la loi étrangère ou la loi française. Les circonstances de l’espèce vont permettre au juge de découvrir une fraude à la loi. Réaction par rapport au comportement des parties qui ont fraudé une loi.

Section 1. L’exception d’ordre public

            Il arrive que la loi étrangère désignée par la règle de conflit consacre une situation particulièrement choquante au regard de certaines valeurs fortes du for. Le juge va l’écarter au motif que son application serait contraire à notre ordre public. C’est un peu la limite à l’acceptation des solutions différentes des nôtres. C’est le principe de départ du droit international privé : on est prêt à accueillir des solutions différentes. Parfois, on pose des limites à cette acceptation des différences. Le point où on décide de s’arrêter est constitué par l’exception d’ordre public. Ex : loi étrangère déclarant valable une union polygamique célébrée en France. Loi étrangère qui ne reconnaîtrait aucun droit à un descendant au motif qu’il n’a pas la même religion.

            L’idée de l’exception d’ordre public est assez ancienne. Elle était déjà présente en germe au Moyen-âge. Dans sa théorie, Bartole avait distingué les statuts odieux et les statuts favorables. Quand le droit international privé s’est vraiment développé, l’intervention de l’ordre public est restée pendant longtemps relativement rare. Au départ, les conflits de droit international privé mettaient en présence des Etats relativement proches et donc des législations proches : essentiellement des conflits entre Etats de la communauté romano-chrétienne. L’ordre public est réapparu avec l’émergence d’Etats indépendants, après la décolonisation. Il y avait un écart plus important entre les Etats et les législations. De plus, le XXème siècle est aussi un siècle de conflits. Tendance à en revenir à un certain nationalisme, à écarter un peu facilement des législations étrangères au nom de l’ordre public (tendance fréquente en période de conflit). Tout cela a marqué la 1ère moitié du XXème siècle et puis les choses se sont progressivement apaisées après la Seconde Guerre mondiale.

            Puis réapparition récemment (20-25 dernières années) de l’exception d’ordre public, mais qui véhicule une toute autre idée. C’est un ordre public moins nationaliste et plus universaliste. Mais qui revient à une conception assez nationale de l’universel. Philosophie droits-de-l’hommiste (ordre public des droits de l’homme, en quelque sorte) qui conduit à une certaine tendance des juges à considérer comme contraire à notre ordre public toute loi étrangère qui ne véhicule pas les mêmes valeurs que les nôtres.

            Il ne faut pas utiliser l’exception de l’ordre public trop souvent car, en premier lieu, elle va à l’encontre des objectifs du droit international privé. Il ne faut pas oublier que notre conception des droits de l’homme est une conception occidentale des droits de l’homme. Il faut l’utiliser avec une certaine précaution. Ceci étant, on peut schématiquement présenter le mécanisme de l’exception d’ordre public de la manière suivante : le juge va déterminer la loi compétente en appliquant sa règle de conflit de lois. Il en prend connaissance, il s’apprête à l’appliquer mais il constate que cette loi est contraire à son ordre public. Il l’évince et il lui substitue la loi française (on parle de l’effet d’éviction puis effet de substitution ; double effet d’éviction de l’exception d’ordre public).

§1. Le domaine de l’exception d’ordre public

            On estime généralement que l’exception d’ordre public a 3 fonctions :

          Elle permet d’écarter des lois étrangères qui conduisent à des solutions injustes qui apparaissent comme contraires aux droits naturels. Ex : privation de certains droits pour des raisons d’ordre racial, religieux… ou une loi qui admettrait l’esclavage. Le juste et l’injuste sont certes très relatifs, mais ils apparaissent toujours comme une vérité absolue à celui qui les éprouve. L’ordre juridique français a une vision du juste et de l’injuste qu’il considère comme une vérité absolue. C’est ce qui a permis à la Cour de cassation de dire que sont ici en cause « des principes de justice universels considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue ». Arrêt 25/05/1948 Lautour. C’est la vision française de l’universel.

          Elle va aussi permettre d’assurer la défense de principes qui ne peuvent pas certes être qualifiés d’universels mais qui néanmoins constituent les fondements politiques et sociaux de la civilisation française. L’expression est de Lerebours-Pigeonnière. Ex : la laïcité, la monogamie.

          Elle permet aussi d’assurer la sauvegarde de certaines politiques législatives françaises. Ce ne sont pas des principes qui représentent les fondements de la société ; ce sont des objectifs poursuivis par le législateur français. Le juge, par l’exception de l’ordre public, va écarter les lois étrangères lorsque leur application compromettrait la réalisation de l’objectif visé. Ex : le divorce. Avant 1884, interdiction absolue du divorce. Toute loi étrangère qui aurait amené un juge français à prononcer un divorce aurait été contraire à l’ordre public. Mais après 1884, idem pour une loi amenant le juge à prononcer le divorce par consentement mutuel. Depuis 1975, c’est l’inverse : on écartera une loi étrangère qui ne prévoit ni le divorce ni la séparation de corps (parce qu’on les favorise aujourd’hui). Le juge ne doit pas tenir compte des valeurs dominantes dans l’opinion française.

            Avec ces exemples, on peut percevoir deux choses : une grande variété de fonctions de l’exception de l’ordre public, d’abord ; une grande variété dans son contenu, ensuite. Ce contenu est assez difficile à cerner car il dépend des conceptions dominantes en France à un moment donné. D’un côté il est disparate, mais surtout, il est évolutif. Les législations évoluent mais les opinions publiques aussi. Parfois, il n’est pas facile de prévoir quelle sera la réaction du juge dans une situation donnée. Certains dénoncent cette exception d’ordre public au nom de son incertitude. Mais d’un autre côté, comme le disait Rappe, l’ordre public est « l’ultime rempart » en droit international privé pour éviter que la désignation de la loi étrangère ne constitue un saut dans l’inconnu. Donc c’est peut-être un mal nécessaire.

            On parle d’exception d’ordre public international mais il ne faut pas se tromper de sens. L’ordre public en question est l’ordre public du for ; il s’agit de défendre des valeurs, des politiques, des conceptions qui sont considérées comme fondamentales au for et non pas sur le plan international. On devrait plutôt appeler ça soit l’ordre public au sens du droit international privé soit l’ordre public international français. C’est un ordre public national par sa source et international par sa fonction. C’est un ordre public international au sens du droit français. On en trouve les sources essentiellement dans le droit français mais aussi parfois dans des sources internationales liant la France. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les droits de l’homme. On a une conception très occidentale de droits de l’homme. On pense surtout à la Convention Européenne des droits de l’homme ; en la ratifiant, la France a de fait confirmé son attachement à un certain nombre de principes. Pour nous, il y a le respect de la vie privée (art. 8), la liberté du mariage, le respect de la propriété, l’égalité de l’homme et de la femme, le respect des droits de la défense (art. 6), avec impacts en matière de conflit de juridictions et de reconnaissance des jugements étrangers. Ces grands principes font partie de l’ordre public de la France.

            On peut penser que ce n’est pas parce qu’une loi étrangère pose une solution contraire à celle retenue par la CEDH qu’elle doit être systématiquement écartée. Une solution, fût-elle contraire à la solution européenne à la CEDH, ne doit pas nécessairement être écartée au nom de l’ordre public. La Convention impose aux Etats qui l’ont ratifiée de respecter les principes qu’elle exprime, mais elle ne condamne pas pour autant nécessairement toute valeur différente retenue dans d’autres pays. La CEDH traduit seulement la conception européenne des droits de l’homme. On pourrait notamment imaginer que le juge français n’oppose pas sa propre valeur issue de la CEDH à l’encontre de la loi désignée par notre règle de conflit de lois lorsque la situation litigieuse ne concerne que de très loin la France (lorsque l’Etat français n’est pas vraiment concerné par la situation litigieuse). Ca ne vaudra pas pour des solutions particulièrement choquantes (ex : droit à la vie). Mais par exemple, respect de la vie privée, données personnelles, presse…

            Ceci étant, la pratique actuelle du juge n’est pas vraiment en ce sens. Les droits de l’homme sont à la mode judiciaire en France. En droit international privé, il y a une tendance des juges à un certain impérialisme des droits de l’homme : des valeurs étrangères différentes de celles véhiculées par la CEDH se verront plutôt systématiquement opposer l’ordre public, que le litige ait des liens ou pas avec la France.

            Autre remarque sur le domaine de l’ordre public : l’ordre public est évolutif dans le temps. Quand les valeurs changent, le contenu de l’ordre public change. Le juge doit-il tenir compte de ce qu’étaient les exigences de l’ordre public au moment de la constitution de situation litigieuse ou au moment où il statue ? Réponse de principe : le juge doit tenir compte de l’ordre public dans son état actuel, au jour où il statue. C’est ce qu’on appelle le principe de l’actualité de l’ordre public. Ce qui importe pour l’ordre juridique français, c’est que le juge ne rende pas une décision qui heurterait une valeur ou une politique du for telle qu’elle existe au moment où il se prononce. Si cette valeur a disparu au jour où il se prononce, sa décision ne sera pas choquante. Toutefois, il faut nuancer le propos. Assez souvent, un changement dans le contenu de l’ordre public provient d’un changement de politique législative. Il est plus rare de voir une valeur fondamentale changer radicalement. Lorsque la politique législative en question change, le législateur peut avoir eu la volonté de ne pas faire jouer le principe d’actualité. Assez souvent, il s’agit d’une volonté implicite du législateur. Il le dit rarement expressément.

            Exemple lorsque le domaine de l’ordre public s’élargit : parfois, lorsque le législateur pose une nouvelle interdiction, il peut néanmoins avoir voulu préserver les situations antérieurement acquises. Il suffit généralement de regarder les règles transitoires internes que le législateur a pu énoncer lors de l’adoption de la nouvelle loi. Parfois, il va donc dire que la loi nouvelle est d’ordre public mais que les situations créées conformément à la loi française sont maintenues. Quand on a ce genre de règles transitoires de droit interne, on peut en tirer des enseignements en droit international privé : on peut en déduire que des situations qui ont été créées antérieurement à la loi nouvelle et en application d’une loi étrangère demeurent valables.

            Exemple lorsque le domaine de l’ordre public se rétrécit : un acte était nul auparavant, mais l’ordre public change et ne l’annule plus. L’acte reste-t-il nul ? En droit international privé, on applique a priori le principe d’actualité. Mais parfois, on pourrait estimer qu’à l’époque de l’acte, les parties devaient respecter l’ordre public et ne l’ont pas fait donc c’était condamnable à l’époque où elles l’ont fait. Certes, ça ne l’est plus aujourd’hui, mais on pourrait avoir quelques réticences à valider postérieurement un acte qui était condamnable. On va pouvoir raisonner ici encore par analogie à partir des dispositions de droit transitoire interne. Ex : la loi du 3/01/1972 sur la filiation. Avant cette loi, la reconnaissance des enfants adultérins était nulle en matière interne. Donc en matière internationale, en droit international privé, le juge allait considérer que la loi étrangère admettant cette reconnaissance était contraire à l’ordre public français. En 1972, on admet la reconnaissance d’enfants adultérins en droit interne. Juge saisi après cette réforme pour une reconnaissance à l’étranger qui a eu lieu avant. Au jour de l’acte, l’acte était condamnable au regard de l’ordre public français. La loi de 1972 en matière de droit transitoire interne a validé dans l’ordre interne les situations anciennes en matière de reconnaissance d’enfants adultérins. Donc on peut se dire en droit international privé qu’on ne va pas reprocher à des étrangers d’avoir fait des reconnaissances d’enfants naturels alors qu’en France, toutes les reconnaissances qui avaient été faites ont été validées. Il faut faire jouer le principe d’actualité. Mais si le législateur n’avait rien dit.

            Distinction entre l’ordre public international et l’ordre public au sens du droit interne. Leurs domaines ne sont pas identiques. L’ordre public interne est visé à l’article 6 du Code civil (nullité des conventions qui dérogent à l’ordre public et aux bonnes mœurs). Or le domaine de l’ordre public international est plus étroit que le domaine de l’ordre public interne. Toute règle d’ordre public interne n’est pas nécessairement une règle d’ordre public international. Exemple en matière de vente : la détermination du prix est une exigence de validité, c’est d’ordre public. C’est de l’ordre public interne mais pas international. Une loi étrangère qui ne pose pas cette exigence d’un prix déterminé n’est pas contraire à l’ordre public international. Autre ex : les conditions de fond du mariage sont toutes d’ordre public interne. Mais elles ne sont pas toutes d’ordre public international. Certaines le sont, d’autre pas. Une étrangère de 19 ans se marie. Mais sa loi nationale exige un âge minimum de 20 ans. La loi étrangère n’est pas contraire à l’ordre public international. L’âge de la capacité à se marier n’est pas d’ordre public international. Le mariage sera nul (on applique la loi nationale). Mais il y a quand même certains principes d’ordre public international : pour se marier, il faut avoir un âge suffisant pour exprimer un consentement libre, éclairé et en connaissance de cause. Donc est d’ordre public international le fait d’avoir un âge public minimum. Ex : le mariage d’une étrangère de 11 ans autorisé par sa loi nationale serait déclaré nul en France ; loi nationale contraire à l’ordre public international. Ex : les règles en matière de responsabilité : loi de 1985 sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation est d’ordre public interne en France. La Cour de cassation a plusieurs fois dit qu’elle n’était pas d’ordre public international. Une loi étrangère moins favorable à la victime que la loi de 1985 n’est pas contraire à l’ordre public international. L’ordre public international est un peu un sous-ensemble de l’ordre public interne. Toute règle d’ordre public interne n’est pas nécessairement une règle d’ordre public international, mais toute règle d’ordre public international est nécessairement une règle d’ordre public interne.

§2. Les conditions d’application de l’exception d’ordre public

A. Les conditions d’intervention de l’exception

            La loi étrangère doit être concrètement contraire à l’ordre public. Ce qui déclenche le jeu de l’exception de l’ordre public, ce n’est pas le contenu en soi de la loi étrangère, mais c’est le résultat auquel conduirait son application en l’espèce. C’est ce résultat qui doit paraître inadmissible, et non la loi en elle-même. L’appréciation doit se faire in concreto. Affirmation qu’il faut un peu relativiser. Le plus souvent, elle est vraie. Mais ça implique qu’on puisse facilement et rapidement constater la conformité du résultat de l’application de la loi étrangère à notre ordre public. Mais parfois, c’est plus difficile, voire même impossible.

Ex : une loi étrangère attribue automatiquement la garde de l’enfant au père en cas de divorce. Au regard de notre ordre public, c’est choquant, en apparence. En droit français, la garde doit être accordée en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ceci étant, il est possible que dans un cas d’espèce, l’attribution de la garde au père soit conforme à l’intérêt de l’enfant. Mais pour le savoir, il va falloir faire des investigations. On ne peut pas le savoir rapidement et facilement. Dans ce cas-là, beaucoup d’auteurs estiment qu’autant écarter immédiatement la loi étrangère qui ne tient pas compte de toute façon des droits de l’enfant et appliquer la loi française. On procèderait à une appréciation in abstracto de la loi étrangère.

            Mais la condition essentielle du déclenchement de l’ordre public est la condition d’ordre spatial. En effet, la contrariété d’une loi étrangère à l’ordre public international ne va pas toujours conduire à un refus de l’appliquer. Encore faut-il vérifier que cette application aurait un impact négatif sur l’ordre public du for. Il faut qu’un lien spatial existe entre la situation litigieuse et la France. Mais alors, quel lien retenir ?

            Le 1er lien possible est le fait que le juge français est saisi de la question. On peut penser que c’est un lien suffisant. Mais ça l’est rarement. On estime rarement que la situation litigieuse est suffisamment proche de la France pour choquer son ordre public dès lors que le juge français est saisi. Donc pour que ce lien spatial soit considéré comme suffisant, il faut vraiment que la loi étrangère soit particulièrement choquante (cas d’une loi étrangère contraire à l’ordre naturel : loi qui permettrait l’esclavage, par exemple).

            2ème lien plus pertinent mais aussi plus complexe à mettre en œuvre : la société française doit être concernée. Or elle ne l’est pas par un rapport juridique qui est né à l’étranger entre des personnes domiciliées à l’étranger dont aucune n’est française. Et le juge français est simplement interrogé sur la validité de ce rapport. On pourrait faire valoir qu’opposer l’ordre public à cette situation risquerait de bouleverser les prévisions des parties. Donc question essentielle : à partir que quand considère-t-on que la société française est concernée ? Il faut distinguer un critère général et un critère plus récent dans le domaine du statut personnel.

1.    Le critère général

            Le critère général est le lieu de naissance de rapport juridique. Rapport juridique né à l’étranger : sans contact avec la France. Rapport juridique né en France : l’ordre public de la France est concerné. Ex : un divorce prononcé à l’étranger à l’époque où c’était prohibé en France a néanmoins été reconnu valable en France (Cour de cassation, 21/02/1860, Bukley). Mais surtout, le principe en la matière a été posé par la Cour de cassation dans une affaire où il s’agissait de reconnaître les effets en France d’un divorce par consentement mutuel prononcé à l’étranger en application de la loi étrangère alors qu’à l’époque le droit français n’admettait que le divorce pour faute. La Cour de cassation, dans un arrêt du 17/04/1953 Rivière, a dit que « la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de laisser produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger ». Dans ce divorce par consentement mutuel, l’ordre public réagit si on demande au juge français de prononcer le divorce. En revanche, pour voir si on reconnaît en France le divorce prononcé à l’étranger, il faut que le juge déduise des effets d’un divorce prononcé à l’étranger. Il s’agit seulement de laisser produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger.

            Donc l’ordre public va jouer parce que la société française est concernée lorsqu’il s’agira pour le juge français soit de créer une situation nouvelle en France soit de consacrer une situation préexistante mais non encore révélée. Ex : action en recherche de filiation naturelle. La situation est préexistante mais elle n’est pas encore révélée. Avant, on considérait que toutes les lois étrangères plus libérales que la loi française en matière de recherche de paternité étaient contraires à l’ordre public. Si le juge avait été saisi à cette époque, il aurait examiné la loi applicable (loi nationale de l’enfant, plus libérale). Cette loi était contraire à l’ordre public. Il ne s’agissait pas de créer un lien mais de constater une situation non encore révélée.

            Le juge pourra aussi opposer l’ordre public lorsqu’on lui demande de se prononcer sur la validité d’une situation antérieurement créée et révélée en France. Ex : il est saisi d’une action en nullité d’un mariage qui aurait été célébré en France. Le mariage a été créé et il a été révélé. Mais une des parties agit en nullité parce qu’il s’agit d’un mariage polygamique. Condition de fond : loi nationale des époux. Cette loi nationale permet l’union bigamique. Elle est contraire à l’ordre public français et le juge peut opposer son ordre public puisqu’on lui présente une situation créée en France et révélée en France. On dit dans ces cas là que l’exception d’ordre public joue dans son effet plein. Lorsque la société française n’est pas concernée, on parle de l’effet atténué de l’ordre public. L’ordre public ne va pas jouer lorsque la situation a été créée et révélée à l’étranger. En réalité, l’effet atténué est un effet zéro (on ne va pas opposer l’ordre public).

            La formule de l’arrêt Rivière n’envisage pas tous les cas de figure possibles. On n’envisage que le cas où la loi étrangère contraire à l’ordre public est relative aux conditions de création du rapport juridique. Mais parfois, c’est dans les effets attachés à un rapport juridique que la loi étrangère est contraire à l’ordre public. Ex : loi étrangère sur le mariage dont les effets conduisent à la soumission de la femme mariée à l’autorité de son mari. De nos jours, c’est contraire à l’ordre public français. Quand c’est l’effet et non pas les conditions de création qui sont contraires à l’ordre public, il suffit, pour que l’ordre public joue, que l’effet en question soit réclamé en France (même si le rapport juridique est réclamé à l’étranger). La seule chose sur laquelle l’ordre public ne jouera pas sont les effets qui se sont déjà produits à l’étranger avant la saisine du juge français. Tout nouvel effet réclamé à un juge français pourra déclencher le jeu de l’exception d’ordre public.

            2ème précision sur l’arrêt Rivière : le critère retenu est le lieu de l’acte ou du fait juridique à l’origine de la création du rapport de droit. Mais parfois, un acte peut très bien intervenir à l’étranger tout en intéressant la France parce que d’autres éléments du rapport juridique (notamment nationalité des parties ou résidence) se rattachent à la France. Ex : une décision d’un juge tunisien qui avait confié au père la garde d’un enfant sans tenir compte de l’intérêt de l’enfant ; or au moment de la décision étrangère, l’enfant vivait en France avec sa mère. Les juges français ont considéré que l’Etat français était suffisamment concerné et que la loi étrangère était contraire à l’ordre public français. Si, dans cette situation, tout le monde avait habité en Tunisie au moment de la décision, il n’y avait pas de lien avec la France au moment de la décision. Donc pas d’exception d’ordre public (probablement).

2.    Le critère spécial

            Apparemment, c’est le critère de la nationalité française de l’une ou l’autre des parties qui est utilisé en matière de statut personnel où on voit la jurisprudence introduire un ordre public de proximité. On peut en donner quelques illustrations. La jurisprudence a dit que cet ordre public impose la faculté pour un Français domicilié en France de demander le divorce. Cour de cassation civ. 1ère, 1er avril 1981, arrêt De Pedro. En principe, une loi étrangère qui interdit le divorce n’est pas contraire à l’ordre public ; l’ordre public exige seulement un mode de relâchement. Sauf si l’une des parties est domiciliée en France.

            En matière de filiation, la Cour de cassation pose à titre de principe que les lois étrangères qui prohibent la recherche de paternité naturelle ne sont en principe pas contraires à la conception française de l’ordre public international (civ. 1ère, 3/11/1988). Mais la Cour de cassation retient par ailleurs : « il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d’établir sa filiation » (civ. 1ère, 10/02/1993).

            Selon la Cour de cassation, la conception française de l’ordre public s’oppose à ce que le mariage polygame contracté à l’étranger par celui qui est encore l’époux d’une française produise ses effets à l’encontre de celle-ci (civ. 1ère, 6/07/1988 Baaziz).

            Cet ordre public de proximité pose de nombreuses questions : quel est le critère exact de déclenchement de l’exception : nationalité, cumul de la nationalité et de la résidence habituelle, seule résidence ? Question du domaine aussi. Du coup, la doctrine se demande si c’est véritablement de l’exception d’ordre public. Si les règles étrangères sont vraiment contraires à l’ordre public, pourquoi va-t-on discriminer un enfant étranger qui agit en France ?

B. Les effets de l’intervention de l’exception d’ordre public

            Deux effets : éviction de la règle étrangère contraire à l’ordre public, puis remplacement par la règle du for apte à régir la question de droit posée au juge. Effet négatif d’éviction et effet positif de substitution. Sur l’aspect positif, on trouvera toujours au for une règle susceptible de régler la question de droit (caractère complet des ordres juridiques). Si on évince la loi étrangère, on trouvera toujours une règle équivalente au for pour régler la question de droit. Seule précision à faire : généralement, on considère qu’il faut limiter l’éviction de la loi étrangère au strict nécessaire. L’exception d’ordre public est un élément perturbateur dans le jeu des règles de conflit. Il faut le faire intervenir au minimum. On en tire la conclusion que la loi française ne doit se substituer à la loi étrangère que dans les dispositions de celles-ci qui sont contraires à l’ordre public.

            Ex : un parent est exclu d’une succession en raison d’une différence de religion avec le défunt. Cette règle est contraire à notre ordre public donc elle sera évincée. Pour autant, il ne faut pas appliquer la loi française à l’ensemble de la succession. On peut continuer à appliquer la loi étrangère sur le quantum des droits de parents de même ordre et de même degré que la personne en question.

            C’est le principe mais il n’est pas toujours possible de le mettre en œuvre. L’éviction partielle n’est pas toujours possible. Chaque ordre juridique forme un ensemble, un tout dont les différents éléments ne peuvent pas toujours être dissociés les uns des autres. Parfois, on va être obligé d’étendre l’éviction au-delà de ce qui était nécessaire. Civ. 1ère, 15/05/1953 : la Cour de cassation écarte la loi bolivienne qui ne permettait de prononcer ni le divorce ni la séparation de corps. L’ordre public français exige au moins un mode de relâchement du lien matrimonial. On applique la loi française pour prononcer une séparation de corps. Mais on ne peut pas s’y limiter. Après, il faut régler les intérêts patrimoniaux des époux. Or on ne peut pas appliquer la loi bolivienne sur ce point. Ces conséquences patrimoniales de la séparation de corps ne pouvaient pas être envisagées par la loi bolivienne donc il fallait aller chercher dans la loi française les règles pour régler cette question de droit.

Section 2. La fraude à la loi

            En droit international privé, on peut frauder en tenant compte de la multiplicité des systèmes juridiques impliqués. On sait que de par le monde, les solutions étatiques apportent des solutions différentes à certaines questions. Les individus pourraient être tentés de se servir des ressources du droit international privé pour trouver une loi ou un juge qui soit plus conforme à leurs intérêts. Il faut distinguer deux principales techniques : le forum shopping et la fraude à la loi.

            Le forum shopping consiste à manipuler les critères de compétence juridictionnelle. Ex : deux personnes de nationalité X veulent divorcer. Ils ne pourraient pas divorcer selon leur loi nationale X qui interdit le divorcer. Ils vont aller demander à un juge mexicain pour échapper à l’application de leur loi nationale. Le droit international privé mexicain désigne la loi du for pour prononcer le divorce. Cette technique suppose que plusieurs Etats sont prêts à se déclarer compétents sur le plan juridictionnel. Les parties vont faire leur choix du juge en fonction de ce qui convient le mieux à leurs intérêts. Effectivement, sur un même litige, plusieurs juges peuvent être compétents pour trancher le litige. Ce comportement des parties devient frauduleux si le jugement qui a été recherché à l’étranger est uniquement destiné à être invoqué dans un autre pays dont les juges n’auraient pas fait droit à la demande s’ils avaient été directement saisis.

            La fraude à la loi peut être opérée dans le cadre d’un seul ordre juridictionnel, face à un seul juge. Elle s’opère par une manipulation des règles de compétence législatives de l’ordre juridique saisi, autrement dit, des règles de conflit de lois. Ex : affaire Princesse de Bauffremont, 2ème moitié du XIXème siècle. La princesse vivait en France où elle était judiciairement séparée de son mari. Les deux époux étaient français et à l’époque, la loi française prohibait le divorce. La princesse rencontre le prince Bibesco et elle veut l’épouser. Problème : elle est encore mariée. Elle se dit qu’elle va fixer son domicile dans le grand duché allemand de Saxe Haltenbourg en 1874 et elle demande et obtient la naturalisation dans ce duché en 1875. Selon la loi de sa nouvelle nationalité, qui est désignée par notre règle de conflit, la séparation de corps équivalait à un divorce. Du coup, elle se dit qu’elle peut se remarier : si un juge français est saisi, il appliquera sa loi nationale allemande. Elle se remarie, le 1er époux s’oppose et demande au juge français la nullité de la naturalisation allemande de son épouse et du second mariage. La Cour de cassation, cruelle, a déclaré le remariage sans effet en France dans la mesure où la princesse ne pouvait être autorisée à invoquer sa nationalité nouvelle obtenue dans une intention frauduleuse pour se soustraire à la loi française qui seule règle les effets du mariage de ses nationaux et en déclare le lien indestructible (req. 18/03/1878).

            Une personne connaît la règle de conflit de lois applicable. Elle va la manipuler pour lui faire désigner un ordre juridique dont les règles substantielles lui sont favorables. Le juge va opposer l’exception de fraude (fraus omnia corrumpit) et appliquera non pas la loi apparemment compétente mais la loi qui aurait été compétente s’il n’y avait pas eu de modification frauduleuse.

§1. Les éléments constitutifs de la fraude

A. L’élément intentionnel ou subjectif

            L’acte est intrinsèquement licite mais il est vicié par sa finalité illicite. C’est l’intention frauduleuse qui compte. Acte : changer de nationalité. C’est licite. L’intention frauduleuse n’est pas le simple souhait d’obtenir un résultat autorisé par la loi favorable et défendue par la loi défavorable. La fraude réside dans le fait de changer l’élément dont dépend la loi applicable pour obtenir le résultat recherché sans accepter les autres conséquences, plus fondamentales, qui sont normalement attachées à ce changement. Problème : la preuve. Parfois, on va pouvoir se reposer sur un certain nombre d’éléments objectifs. Ex : fait de divorcer juste après l’acquisition de la nouvelle nationalité, surtout si on le fait sans jamais résider dans le pays de la nouvelle nationalité.

B. L’élément matériel ou objectif de la fraude

            L’élément matériel est une manœuvre. Elle consiste généralement à modifier l’élément de rattachement. Pour que ça marche, il faut choisir un critère de rattachement qui dépende assez largement de la volonté des parties ou, plus précisément, la personne doit pouvoir fixer l’élément de rattachement en question en fonction de sa convenance personnelle sans que la situation ait un lien réel avec le pays qu’elle choisit. C’est assez rare. C’est possible pour la nationalité, pour la situation d’un meuble. C’est beaucoup plus difficile pour les immeubles ; c’est même relativement difficile en droit français pour le domicile, car la jurisprudence ne tient compte que d’un établissement stable dans un pays (il faut un lien sérieux). Pendant très longtemps, on a considéré qu’on ne pouvait guère jouer que sur le critère de rattachement.

            Mais on s’est rendu compte que les fraudeurs arrivaient même à manipuler la catégorie de rattachement. C’est donc l’ensemble des éléments de la règle de conflit qui peuvent être manipulés, même l’ordre public. Pour la catégorie de rattachement : affaire Caron (civ. 1ère, 20/03/1985). Caron était domicilié aux Etats-Unis et il voulait totalement déshériter ses enfants. Problème : il possédait un immeuble en France (droit français : réserve héréditaire, d’ordre public). La règle de conflit de lois désigne la loi du lieu de situation de l’immeuble. Donc difficile de déshériter sur l’immeuble. En revanche, le droit américain ne connaît pas de la réserve. Il fallait donc rendre le droit américain applicable. Il a vendu son immeuble à une société américaine dont il détenait les actions. Les actions, en droit, sont des meubles. Donc elles entraient dans la succession mobilière de Caron (loi du dernier domicile du défunt, à savoir : les Etats-Unis). Sauf que les juges français ont déjoué la fraude et rétabli la compétence de la loi française.

C. Les sanctions de la fraude

1.  La fraude à la loi française.

            Il est certain qu’une fraude à la loi française sera sanctionnée. Comme dans l’affaire Caron. La sanction principale à la fraude est la mise à néant de la situation créée grâce à la fraude. Un auteur, Vidal, disait « la fraude a pour effet sa propre inefficacité ». On tient pour réalisée la situation à laquelle le fraudeur a voulu échapper. Sanction logique de l’affaire de la princesse Bauffremont : maintenir le premier mariage et annuler le second. Mais dans cette affaire, la Cour de cassation n’a pas annulé le 2nd mariage ; elle l’a seulement déclaré inopposable au 1er mari. Donc en toute logique, la princesse avait deux époux, mais un seul en France. Dans l’affaire Caron, Caron voulait échapper à la réserve. Les juges ont attribué à chaque enfant sa part réservataire sur l’immeuble. Toutefois, question sur cette sanction : la manœuvre consiste parfois en un acte juridique (naturalisation, vente d’un immeuble…). Faut-il remettre en cause cet acte juridique ? Réponse de principe : lorsque c’est possible, il est préférable de simplement le déclarer inopposable (de ne pas en tenir compte). C’est la solution qui a été retenue tant dans Bauffremont que dans Caron.

            Dans un arrêt Mancini du 5/02/1929, la Cour de cassation a bien démontré cette distinction entre nullité et inopposabilité mais c’était une loi étrangère qui avait été fraudée et en donnant compétence à la loi française. Un italien s’était fait naturalisé français pour obtenir le divorce en France ; Les autorités françaises lui avaient accordé la naturalisation. Il a obtenu son divorce. On a invoqué la fraude à la loi italienne. La Cour de cassation a refusé de retenir une fraude à la loi étrangère au motif qu’elle ne pouvait pas remettre en cause l’acte de naturalisation réalisé par les autorités administratives françaises (séparation des pouvoirs). Ça a conduit la doctrine à se demander si la jurisprudence était prête à sanctionner la fraude à la loi étrangère.

2.  La fraude à la loi étrangère

            On a longtemps discuté ; on disait que le juge était là pour protéger la loi française, mais pas pour protéger les lois étrangères. D’un autre côté, d’autres auteurs ont répondu : quand il y a fraude à la loi étrangère, il y a en même temps fraude à la règle de conflit de lois française. Ce 2ème point de vue a aujourd’hui gagné et la jurisprudence admet de sanctionner une fraude à la loi étrangère. Elle l’a déjà fait en matière contractuelle (com. 7/03/1961) et en matière de divorce (civ. 1ère, 11/07/1977, Giroux). Le doute qui reste : dans ces décisions, la fraude à la loi étrangère s’était réalisée au profit d’une autre loi étrangère et non au profit d’une loi française (comme dans Mancini). Qu’en serait-il si c’était la loi française qui était désignée comme compétente ? Certains expriment encore des doutes à cause de l’arrêt Mancini.

            On peut considérer que la séparation des pouvoirs faisait écran. Mais certains disent que l’argument n’est pas convaincant. Dans l’arrêt Mancini, la Cour de cassation aurait très bien pu refuser de remettre en cause la naturalisation tout en la privant d’effet sur la question particulière de la loi applicable au divorce (puisque la fraude corrompt tout). Or elle ne l’a pas fait. Dans certains se disent qu’il n’est pas évident que le juge soit enclin à sanctionner la fraude qui se commet au profit de la loi française.