Définition et preuve du lien de causalité

Le lien de causalité

La difficulté est de définir le lien de causalité au sens du droit de la responsabilité civile. Il y a en fait trois conditions pour engager la responsabilité civile délictuelle du fait personnel de quelqu’un : Il faut un dommage, une faute et enfin il doit y avoir un lien entre la faute et le dommage.

Il faut que le lien soit direct. Mais que signifie « direct » ? Exemple : Accident de voiture à cause d’un chauffard, on me transporte à l’hôpital, erreur médicale, on m’ampute (oui j’ai pas de chance…). Il y a faute du chauffard, il y a dommage (ne pas oublier que j’ai une jambe en moins …) mais pour autant y-a-t-il lien direct de causalité entre la faute du chauffard et mon dommage.

  1. La définition du lien de causalité

Pendant très longtemps et même encore maintenant la cour de cassation ne donne pas à proprement parlé de définition du lien de causalité. La faute il y en a une définition et c’est contrôlé. Le dommage n’est pas contrôlé mais les dommages réparables sont quand même définis. Ici les juges ont une marge d’appréciation et ils s’en servent souvent comme instrument de politique jurisprudentielle.

Exemple : un homme qui avait eu un accident de la circulation dont il était sorti assez lourdement handicapé puisqu’il a eu 3 enfants après l’accident. Les enfants ont fait une action en responsabilité contre l’auteur de l’accident en disant qu’ils n’ont pas pu avoir de vie normale avec leur père. Il y a un peu un lien de causalité quand même. On aurait du dire que ce n’est pas un préjudice réparable ou le préjudice est trop indirect, la cour de cassation a dit qu’il n’y a pas de lien de causalité alors qu’en vérité il y en a un. Mais la cour de cassation ne veut pas se lier.

Dans des arrêts récents elle commence à donner des éléments de définition. C’est la doctrine qui a proposé plusieurs définitions théoriques du lien de causalité. On peut en retenir principalement deux.

Premièrement, la théorie de l’équivalence des conditions : on dit qu’un fait est la cause d’un dommage au sens de l’équivalence des conditions lorsque sans ce fait le dommage ne serait pas survenu. On dit donc que le fait a été une condition sine qua non du dommage. On fait une appréciation rétrospective et on essaye de se demander ce qui se serait produit si la faute n’avait pas été commise. Si le dommage se serait quand même produit, il n’y a pas de causalité. Si lorsqu’on enlève la faute le dommage ne se serait pas produit, la faute est la cause du dommage. On parle de la théorie de l’équivalence des conditions car avec cette théorie un dommage peut avoir plusieurs causes qui sont toutes considérées comme équivalentes si elles ont toutes des conditions sine qua non. Le fautif pourra être condamné à réparer l’intégralité du dommage.

Deuxièmement la théorie de la causalité adéquate : on dit qu’un fait est la cause d’un dommage au sens de la causalité adéquate lorsque ce type de fait provoque en général ce type de dommage. C’est plus le sens commun de la causalité. Par exemple la causalité au sens physique.

Revirement de jurisprudence en 2010 : la responsabilité médicale n’est plus une responsabilité contractuelle mais délictuelle.

Le vaccin contre l’hépatite B, des personnes ont développés une sclérose en plaque. Ils ont fait un procès en disant que c’est ce vaccin qui leur avait transmis la sclérose en plaque. Tous les médecins n’étaient pas d’accord. La question porte sur la causalité. Attention aux cas pratiques. Il faut dire quel est le texte applicable sur quelle responsabilité, si on a 1383 il faut les trois conditions, et sur le lien de causalité il faut donner les deux définitions.

Une personne a un accident de la circulation grave, elle doit aller à l’hôpital et elle est contaminée par l’hépatite C. La question consiste à savoir s’il y a un lien de causalité entre le fait initial et la contamination. Si l’accident n’avait pas eu lieu, elle n’aurait pas été contaminée, l’accident a été une condition sine qua non, et donc on peut dire qu’il y a un lien de causalité au sens de l’équivalence des conditions. Mais on ne peut pas dire que quand on a un accident on est contaminé au cours d’une transfusion et donc au sens de la causalité adéquate on ne peut pas retenir un lien de causalité. Quand on en est là, on a un résultat différent mais on sait que dans ce type d’affaire la jurisprudence a tendance à retenir un lien de causalité et donc on peut penser qu’en l’espèce le lien de causalité sera retenu.

La cour de cassation n’utilise pas la formulation de ces deux théories. Mais parfois elle explique pourquoi elle retient la causalité.

Arrêt du 27 janvier 2000 : quelqu’un qui avait eu un accident de la circulation, il a été à l’hôpital, il est devenu aveugle. L’intervention qui a entrainé le trouble oculaire a été rendu nécessaire par l’accident de la circulation et donc ce trouble ne serait pas produit en l’absence de l’accident.

En droit positif la cour de cassation, quand dans un premier temps l’équivalence des conditions a fait qu’il y a eu un lien de causalité, quand il y en a beaucoup elle va faire un trie pour la responsabilité définitive en fonction des événements à l’origine. On retient que les fautes à l’origine du dommage. Mais parfois il y a des fautes de gravité différente. Une personne téléphone dans une cabine téléphonique, il oublie son chéquier, quelqu’un s’en empare et donc il y a des dommages.

Théorie de la causa proxima : la cour de cassation ne va retenir que la cause la plus proche du dommage.

La causalité est une façon d’appliquer une politique jurisprudentielle selon qu’on retient ou non la causalité.

Exemple : une personne va à l’hôpital, on lui dit qu’il a un cancer pour 6 mois, et puis il ne meurt pas. Il demande au médecin réparation de son dommage.

  1. La preuve de la causalité

ça a conduit à des arrêts assez novateurs. Si on applique les règles de droit classique, c’est au demandeur qu’incombe la charge de la preuve. C’est à la victime de montrer que les conditions de mise en œuvre de l’article 1382 sont réunies. Il doit démontrer qu’il y a un lien de causalité et ce de façon certaine. Le risque de la preuve est lié à la charge de la preuve. Si quelque chose n’est pas prouvé, le risque pèse sur le demandeur. Ça devrait profiter au défendeur, à celui qui est poursuivi en responsabilité. Tout doute devrait peser sur la victime.

La difficulté a été dans les affaires médicales car il y a eu dans certaines affaires assez graves des hésitations scientifiques. Est-ce que le vaccin contre l’hépatite B provoque ou non la sclérose en plaque ? Il y a eu toute une série d’affaire médiatique. Le distilbène était un médicament qu’on donnait aux femmes qui faisaient des fausses couches. On s’est rendu compte 15-20 ans après, que leurs filles avaient des males formations de l’utérus et elles étaient stériles. La causalité difficile à trouver était qu’il y a eu plein de fabriquant de distilbène et donc il faut savoir qui on poursuit, la mère ne se souvient plus de la marque de médicament.

Affaires de transfusion sanguine : quand on a quelqu’un qui découvre qu’il est séropositif, qu’est ce qui lui a causé ca ? La preuve de la causalité est très compliquée. Le risque de la preuve pèse sur la victime.

La cour de cassation a voulu chercher des façons d’aider la victime. On a trois exemples de domaines où la cour de cassation a en faveur de la victime posé des règles pour faciliter la preuve de la causalité : les affaires de transfusion dans les années 80, puis dans les années 2006-7-8 les affaires d’hépatite B et de sclérose en place, et récemment l’affaire du distilbène.

Transfusion : la difficulté était de savoir quand une personne avait eu plusieurs transfusions, laquelle était à l’origine de la contamination. A l’époque il n’y avait pas de traçabilité des produits. La traçabilité est pour répondre à la question du lien de causalité. La victime pouvait démontrer qu’il n’y avait aucune autre cause possible de contamination, c’est le cas de la victime qui n’a eu qu’une seule transfusion, la cour de cassation admettait ce raisonnement. Pour les hémophiles c’était un peu compliqué, pareil pour ceux qui avaient eu plusieurs transfusions. La cour de cassation a même fini par poser dans ses affaires de transfusion une présomption de causalité : ca veut dire qu’elle a renversé la charge de la preuve, c’est une présomption simple réfragable. C’est au défendeur de prouver qu’il n’y a pas de lien de causalité.

Arrêt du 17 juillet 2001 et 9 mai 2001 : voir attendu de principe. La cour de cassation admet une présomption qui favorise la victime mais qui suppose de la part de la victime la preuve de deux choses mais qui sont plus faciles à prouver que la causalité. Premièrement, prouver que la contamination est survenue à la suite de transfusion. Deuxièmement, prouver qu’elle n’a aucun mode de contamination qui lui soit propre (il n’y a pas d’autre cause possible de contamination). Si elle prouve les deux on a une présomption de causalité. On doit donc prouver qu’il n’y a pas de lien de causalité. Cette présomption a été assez largement étendu par la cour de cassation dans les affaires de contamination. Mais il faut démontrer quand même un minimum.

Exemple : on a un éboueur qui ramassait les poubelles, il s’était piqué avec des seringues. Il a été séropositif et il a dit que c’était à cause d’un sac. C’était des sacs poubelles d’un médecin. La cour de cassation soutient la cour d’appel qui a retenu la responsabilité du médecin qui les avait jeté alors même que le médecin avait fait valoir qu’aucun de ses clients n’étaient séropositifs. L’expert disait que rien ne permettait d’exclure que la contamination était due à la piqure. C’est au médecin qui doit démontrer qu’il n’est pas responsable.

Affaire de l’hépatite B et la sclérose en plaque : au début la cour de cassation a dit que les experts disaient que rien ne permet de démontrer un lien. Dans les années 2000 il y a eu plein d’arrêts qui ont refusés la causalité. Il y a eu un arrêt en 2006 où la sclérose en plaque est apparue très peu de temps après. On dit souvent que concomitance n’est pas causalité.

La cour de cassation a fini par trancher, les deux arrêts du 22 mai 2008 : le CE avait déjà statué dans le même sens quelques temps avant, elle a allégé la charge de la preuve. Depuis cet arrêt la cour de cassation se contente de « présomption grave, précise et concordante ». L’arrêt de la cour d’appel avait débouté la demande. Attendu selon la cour de cassation que si l’action en responsabilité du fait d’un produit défectueux (il faut un défaut, un dommage et un lien de causalité) exige la preuve du dommage, du défaut, et du lien de causalité, une telle preuve peut résulter de présomption pourvu qu’elle soit grave, précise et concordante. Cet arrêt admet pour la première fois une preuve non pas directe de la causalité, mais on se contente de présomption dès lors qu’elles sont graves, précises et concordantes.

Affaire du distilbène : la difficulté est qu’il fallait savoir quel est le médicament qui a été pris et donc quel est le laboratoire responsable dans telle affaire précise. C’est une question d’imputabilité. Il y a un accord du corps médical pour dire que le distilbène provoque des malformations. Il y a un doute sur la causalité dans le sens de l‘imputabilité.

Arrêt du 24 septembre 2009 : revirement de jurisprudence. La difficulté est de démontrer quel est le laboratoire. La cour de cassation raisonne en disant que la victime doit prouver que sa mère a pris du distilbène et que donc la fille a été exposée à la molécule litigieuse. Dès lors qu’on prouve cela on peut poursuivre n’importe quel laboratoire qui devra démontrer qu’il n’est pas à l’origine du dommage. Renversement de la charge de la preuve.

Aux EU ils ont résolus différemment. Ils ont élaborés la théorie des parts de marché. Ils ont dit qu’il y avait 20 fabriquant à l’époque. Dans chaque affaire celui qui avait 20% de part de marché prendra 20% de responsabilité.