Le dol : définition, condition, sanction

Le dol en droit des contrats.

Le mot de dol évoque l’idée générale de malhonnêteté, c’est un terme qui se rencontre dans le droit des contrats au moment de la formation du contrat (Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé: article 1116 du Code civil) et en cours de vie du contrat quant à son exécution (Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée: article 1150 du Code civil).

Il s’agit de toute ruse, tromperie, manœuvre, employée à l’effet d’induire une personne en erreur, et par là même à la déterminer à contracter.

La définition même laisse apparaître une parenté entre le dol et l’erreur, en ce sens que le dol n’atteindra ses fins que parce qu’il a créé une erreur, c’est par là même que le dol vicie le consentement : le dol ne serait pas par lui-même un vice du consentement mais la cause d’un vice du consentement. Le dol ne sera donc déterminant que s’il a provoqué une erreur sans laquelle la victime n’aurait pas contracté.

N’y a-t-il pas double emploi entre le dol (erreur provoquée) et l’erreur (erreur spontanée) ? La réponse est non car l’autonomie de la théorie du dol présente un triple intérêt. Sur le terrain de la preuve, il est plus aisé d’établir le dol que l’erreur, car le dol se traduit par un fait nécessairement extérieur, des agissements de son auteur, alors que l’erreur est un phénomène purement interne, psychologique.

Sur le fond, la nullité peut être obtenue sur le fondement du dol dans les cas où elle ne serait pas obtenue en invoquant l’erreur (erreurs indifférentes à la validité du contrat : erreur sur la valeur économique). Sur le terrain de la sanction, le dol constitue toujours une faute de la part de son auteur, il y aura possibilité d’obtenir pour la victime, en plus de la nullité, des dommages et intérêts dans la mesure où il existe un préjudice que ne répare pas intégralement la nullité.

Elle est donc plus protectrice de la victime du dol que de la victime de l’erreur, parce que la victime de l’erreur s’est trompée spontanément alors que la victime du dol a été trompée, ce qui suppose un trompeur, il y aurait une sorte de délit civil.

A) Les éléments constitutifs du dol.

L’article 1116 du Code civil parle de manœuvres, d’agissements accomplis tout spécialement en vue d’une tromperie.

1°/ L’élément psychologique : l’intention de tromper.

Il n’est de dol qu’intentionnel, ce qui implique une volonté d’induire le cocontractant en erreur pour l’amener à contracter. Si l’intention n’existe pas ou si elle n’a pas été établie, la nullité ne pourra pas être obtenue sur le fondement du dol ; c’est ainsi qu’il ne pourra y avoir dol si on s’est soi-même trompé.

2°/ L’élément matériel : les manœuvres et allégations mensongères.

Un parallèle surgit entre l’article 1116 du Code civil et l’article 405 CP sur l’escroquerie, qui parle de manœuvres frauduleuses. Il est certain qu’il y aura dol au sens civil (article 1116 du Code civil) là où sont constatées les manœuvres frauduleuses de l’article 405 CP, c’est-à-dire une machination, une mise en scène, qui veut matérialiser une tromperie.

Cicéron parlait d’un banquier de Syracuse qui, voulant vendre une maison au bord de la mer à un amateur de pêche, a fait croiser des bateaux de pêche au large pour faire croire que l’endroit était poissonneux. Ce peut être aussi un camion dont le numéro de moteur a été trafiqué (Com., 19 décembre 1961, D. 1962 p240) ou le fait d’enivrer son futur contractant (Rennes, 6 juin 1881).

Le dol peut aussi exister sans que soient nécessairement réunies les éléments constitutifs de l’escroquerie : «un simple mensonge, non appuyé d’actes extérieurs, peut constituer un dol» (Civ. 3, 6 novembre 1970, B. n° 587 ; JCP 1971 II 16942 note Ghestin ; Defresnois 1971 p1264 obs. Aubert), tel qu’une déclaration mensongère sur le bon état et le confort d’une villa donnée à bail (Civ. 3, 23 avril 1971 ; JCP II 1684).

La jurisprudence ne peut sanctionner tous les mensonges, elle reprend une solution traditionnelle en droit romain et elle ne sanctionne pas le menu mensonge, ce qui n’est qu’une exagération tolérée par l’usage (distinction du dolus bonus non sanctionné et du dolus malus sanctionné). Ainsi, des procédés publicitaires qui vantent les qualités d’un produit sont en principe sans incidence sur la validité du contrat, mais la loi réprime la publicité mensongère (article 44 de la loi Royer du 27 décembre 1973).

Sur le dolus malus, «l’auteur du dol avait nettement dépassé l’habileté permise à tout vendeur» (Civ. 1, 1er février 1960, B. n° 67). A l’inverse (dolus bonus), sur la vente de matériel photographique «de manipulation aisée et fiable à l’emploi», «l’exagération commise dans la description publicitaire ne dépasse pas ce qui est habituel dans la pratique commerciale» (Com., 13 déc. 1994 ; Contrat Concurrence Consommation mars 1995, obs. Leveneur).

La réticence est le silence volontaire d’une partie sur un fait que l’autre partie aurait eu intérêt à connaître et peut constituer un dol.

Il n’y a aucune difficulté en cas d’obligation légale de renseignement : l’article L. 113-8 du Code des Assurances impose à l’assuré d’informer son assureur des circonstances susceptibles de changer l’opinion qu’a l’assureur du risque à assurer.

Les articles 1626 (quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente) et 1638 (si l’héritage vendu se trouve grevé, sans qu’il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu’elles soient de telle importance qu’il y ait lieu de présumer que l’acquéreur n’aurait pas acheté s’il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n’aime se contenter d’une indemnité) imposent aux vendeurs de déclarer les charges pouvant venir grever l’immeuble vendu. La sanction ne serait pas la nullité mais la sanction d’une obligation de garantie.

En l’absence de texte, dans un premier temps, la jurisprudence considérait que la simple réticence était en elle-même insuffisante pour constituer un dol (Civ., 30 mai 1927 ; Sirey 1928 I p105 note Breton), la nullité était possible mais sur le fondement de l’erreur, le dol supposait une erreur provoquée par un comportement positif, «celui qui se tait ne trompe pas».

La jurisprudence s’est assouplie et considère que le silence de l’une des parties peut constituer un dol lorsqu’il est impossible au cocontractant de connaître par lui-même le fait qui n’a pas été révélé : la vente d’un fonds de commerce (station service) dont l’exploitation nécessite une autorisation administrative qui avait expiré (Com., 27 oct. 1965, B. n° 534 ; RTDCiv. 1966 p529 obs. Chevalier) ; l’acquisition d’une maison d’habitation dont l’eau du puits n’est pas potable (Civ. 3, 10 fév. 1999, Contrat Concurrence Consommation juin 1999 n° 90) ; la vente d’un appartement en rez-de-jardin avec un jardin ensoleillé, le vendeur cachant l’édification d’un futur immeuble qui cacherait le soleil (Civ. 3, 20 déc. 1995 ; Contrat Concurrence Consommation avril 1996 n° 55).

Il existe une certaine obligation d’informer celui qui n’est pas en mesure de s’informer lui-même. Une impossibilité absolue d’information pour le cocontractant n’est pas nécessaire pour que joue cette obligation. Cette solution résultera souvent d’une différence de compétence professionnelle entre les deux contractants, mais l’intention caractéristique du dol doit être certaine : cassation de l’arrêt pour ne pas avoir recherché «si le défaut de communication des faits de réparation et le défaut de communication des réparations restantes avait été fait intentionnellement» (Civ. 1, 12 novembre 1987, B. n° 293 : vente d’un camion d’occasion). Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour dire si les éléments du dol sont ou non réunis.

B) Les conditions de nullité pour dol.

Le dol doit être déterminant et émaner de l’une des parties.

1°/ Un dol déterminant.

L’erreur provoquée par le dol devra avoir été déterminante pour la victime, sans elle la partie n’aurait pas contracté (article 1116 du Code civil), c’est ce que l’on appelle le dol principal par opposition au dol incident, celui sans lequel la partie aurait tout de même contracté mais à de meilleures conditions.

La jurisprudence paraît considérer que le dol incident ne permet pas d’annuler le contrat mais simplement l’allocation de dommages et intérêts (Com., 11 juillet 1977 ; D. 1978 p155 ; Defresnois 1978 p762 obs. Aubert) : lors de la vente d’un fonds de commerce, le cédant avait menti au cessionnaire sur certains éléments sans pour autant que le consentement du cessionnaire puisse être regardé comme vicié. Il y a une appréciation in concreto du caractère du dol.

2°/ Un dol émanant de l’une des parties.

L’article 1116 du Code civil (lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles…) montre la différence classique d’avec la violence qui peut vicier le consentement alors qu’elle peut être extérieure aux deux contractants. Le dol d’un tiers exclusivement n’est donc pas une cause de nullité du contrat, quoique la volonté puisse être viciée, parce que l’annulation du contrat causerait à l’autre partie, étrangère au dol, un préjudice immérité.

Le dol du mandataire, plus généralement du représentant, dans l’exercice de son mandat, est considéré comme le propre dol du mandant et non point comme le dol d’un tiers.

La nullité est encourue lorsque le contractant est complice du dol d’un tiers. En matière de donation, le dol est sanctionné même s’il émane d’un tiers, par exception au principe, en raison du caractère particulier du contrat de donation : le donateur se dépouille, une totale liberté de la part du donateur est de l’essence même de ce contrat.

C) La sanction du dol.

En premier lieu, dès lors que le dol vicie le consentement de la victime, la sanction normale sera la nullité relative du contrat. En second lieu, le dol constitue une faute antérieure à la conclusion du contrat et par conséquent elle est délictuelle ; la faute sera ici par hypothèse établie au regard de l’article 1382 du Code civil et pourra être sanctionnée par des dommages et intérêts au profit de la victime si celle-ci a éprouvé un préjudice non intégralement réparé par la nullité.

«Le droit de demander la nullité d’un contrat par application des articles 1116 et 1117 du Code civil n’exclut pas l’exercice par la victime de manœuvres dolosives d’une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du préjudice qu’elle a subi» (Civ. 1, 4 février 1975, B. n° 43 ; D. 1975 p405 note Gory ; JCP 1975 II 18100 note Laroumer ; RTDCiv. 1975 p537 observation Dury), par exemple des dommages et intérêts pour compenser les frais d’avocat engagés pour conclure le contrat annulé. Cette qualification délictuelle présente un intérêt, celui de soustraire l’action en responsabilité à la prescription quinquennale, pour la soumettre à une prescription décennale.

En troisième lieu, la victime n’est pas tenue de demander la nullité, elle peut en effet, en acceptant de rester liée par le contrat, s’en tenir à demander des dommages et intérêts. «La renonciation à l’action en nullité ne prive pas la victime du dol du droit de poursuivre une action en responsabilité délictuelle» (Civ. 1, 4 octobre 1988, B. n°265). S’agissant de deux actions distinctes, une telle renonciation est sans incidence sur l’action délictuelle qui n’en constitue pas l’accessoire.