Le domaine public : inaliénabilité, imprescriptibilité, entretien

La protection de la consistance du domaine public

Selon l’Article L3111-1 du Code Générale de la Propriété des Personnes Publiques, « Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles »

I – L’inaliénabilité du domaine public

A) Définition et valeur juridique du principe

Ce principe d’inaliénabilité est un principe hérité de l’Ancien régime et qui est inscrit aujourd’hui à l’article L.1311-1 du Code général de la propriété des personnes publiques. L’inaliénabilité signifie qu’un bien est indisponible et qu’il ne peut donc faire l’objet d’aucun transfert de propriété.

C’est un principe propre au domaine public et qui, par définition, ne s’applique pas au domaine privé.

Quel est le but du principe d’inaliénabilité ? Ce n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, d’éviter la dilapidation des biens publics parce que si c’était le cas, il s’appliquerait aussi au domaine privé, mais l’affectation du domaine.

Quelle est la valeur juridique du principe d’inaliénabilité ? On a vu que la propriété publique était constitutionnellement protégée, mais elle ne préjuge en rien la valeur juridique de l’inaliénabilité. De fait, la valeur juridique de ce principe est très incertaine. Elle fait l’objet d’un débat doctrinal depuis une quinzaine d’années :

  • certains auteurs pensent que ce principe n’a pas valeur constitutionnelle, et s’appuient sur deux éléments concomitants :

■ sur le fait qu’aucune disposition de la Constitution ni aucune décision du Conseil constitutionnel ne l’indique,

■ sur le fait qu’il y a des décisions du Conseil constitutionnel où celui-ci va répondre à un argument d’un requérant soulevant ce principe en retenant la formule «principe qui, selon eux, a valeur constitutionnelle» (le “selon eux” souligne cette absence de valeur constitutionnelle) ;

  • d’autres auteurs considèrent que ce principe a bien indirectement valeur constitutionnelle ; le domaine public est toujours et nécessairement le siège de l’exercice de libertés publiques ou de services publics, or, l’affectation au service public ou à une liberté publique est constitutionnellement protégée ; par conséquent, l’inaliénabilité du domaine public est elle aussi indirectement constitutionnellement protégée.
  • La jurisprudence en fait état à travers la formule de principe retenue par le Conseil constitutionnel dans plusieurs décisions, notamment celles des 21 juillet 1994 et 26 juin 2003, qui a plusieurs fois affirmé que «le législateur ne doit pas priver de garantie légale les exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics auxquels le domaine public est affecté, ainsi que des droits et libertés à l’usage desquelles il est affecté».

La valeur du principe n’est donc pas tranchée en droit positif.

B) La portée du principe d’inaliénabilité

  1. L’interdiction des aliénations affectant les biens du domaine public

Cette interdiction va se traduire de façon pérenne en jurisprudence. Elle a deux conséquences :

  • un bien du domaine public ne peut pas faire l’objet d’une vente ; par exemple, la délibération d’un Conseil municipal qui autoriserait la vente d’un bien du domaine public serait annulée pour illégalité par le juge administratif de l’excès de pouvoir. Tout contrat de vente d’un bien du domaine public est réputé nul et de nul effet.
  • L’arrêt de principe est un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 mai 1988 Consorts Renault c./ EDF confirmé par une décision du Conseil d’Etat du 1er mars 1989 Bero qui énoncent la consécration de la nullité du contrat de vente d’un bien du domaine public.
  • Ceci dit, si un tel contrat de vente avait été conclu entre une personne publique ignorant que le bien était affecté à son domaine public et des personnes privées, cela n’empêcherait pas d’engager la responsabilité de la personne publique ;
  • ce principe s’oppose à la conclusion de baux à construction ou de baux commerciaux sur le domaine public, alors que ces mêmes baux sont parfaitement légaux sur le domaine privé ; un bail de ce type porterait atteinte à l’inaliénabilité du domaine public.

  1. La précarité de l’occupant du domaine public

Elle est aujourd’hui inscrite au Code général de la propriété des personnes publiques, notamment aux articles L.2122-2 et L.2122-3, qui précisent respectivement que l’occupation du domaine public est temporaire, et que l’autorisation d’occupation est précaire et révocable.

Le juge considère qu’une autorisation d’occuper le domaine public n’est pas créatrice de droits à l’égard de son bénéficiaire : c’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 novembre 1993 SA Atlantique ; il faut en tirer deux conséquences :

  • d’une part, l’administration a le droit de décider du retrait de l’autorisation à tout moment selon l’arrêt d’assemblée du 26 février 1965 Société du Vélodrome du Parc des Princes ;
  • d’autre part, le titulaire de l’autorisation n’a aucun droit au renouvellement de son titre lorsque celui-ci arrive à expiration ; c’est l’arrêt Cellier.

  1. L’interdiction de constituer des droits réels sur le domaine public

Un droit réel est un droit qu’une personne détient sur un bien ; le principal droit réel est évidemment le droit de propriété.

L’inaliénabilité constitue en principe un obstacle au droit réel, c’est-à-dire que l’occupant privatif du domaine public ne peut pas se voir reconnaître de droits réels sur la dépendance du domaine public.

L’arrêt qui a consacré de façon la plus explicite cette interdiction est l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 mai 1985 Association Eurolat c./ Crédit Foncier de France : le juge administratif va considérer qu’une convention octroyant des droits réels à une personne privée occupant le domaine public est incompatible avec les principes de la domanialité publique.

Pour cette raison, il a toujours été admis que le bail emphytéotique était strictement interdit sur le domaine public pour une raison bien simple : par nature, il est attributif de droits réels. En réalité, il faut être plus nuancé :

  • le titulaire d’une autorisation d’occuper le domaine public n’a pas de droits réels sur la dépendance du domaine public, mais évidemment, cela n’exclut pas les droits réels qu’il peut avoir sur les édifications qu’il aura construit pour ses propres besoins ;
  • par ailleurs, il y a une erreur à postuler incompatibilité du droit réel et du domaine public parce qu’encore une fois, ce que protège l’inaliénabilité, c’est l’affectation et non le droit de propriété. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir d’obstacle à admettre des droits réels sur le domaine public si ces derniers ne portent pas atteinte à l’affectation du domaine.

Pour cette raison, le législateur, depuis une vingtaine d’années, autorise la constitution de droits réels sous certaines conditions.

II – L’imprescriptibilité du domaine public

L’imprescriptibilité du domaine public signifie que celui-ci ne peut pas être acquis par prescription, c’est-à-dire par possession prolongée. Là encore, ce principe ne concerne que le seul domaine public, et non pas le domaine privé.

C’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 juillet 1994 Carreau et la récente décision de la CEDH du 29 mars 2010 Brosset Triboulet : dans cette dernière, il s’agissait de personnes ayant occupé le domaine public pendant une très longue durée (près de cinquante ans), d’abord sans titre, mais il était établi que cette occupation était tolérée par l’administration, puis elle avait régularisé cette situation par une autorisation d’occupation.

De nombreuses années plus tard, l’administration a voulu expulser ces personnes du domaine public ; elles ont invoqué devant la CEDH une atteinte à leur droit de propriété. La Cour a retenu qu’il n’y avait pas atteinte au droit de propriété puisque ces personnes ne faisaient qu’occuper le domaine public sans avoir jamais disposé de titre de propriété : elle admet donc que le domaine public est imprescriptible.

Le particulier ne peut pas exercer d’action possessoire sur le domaine public, celle-ci étant une action tendant à faire respecter le droit de propriété sur un bien de quelqu’un : c’est l’arrêt du Tribunal des conflits du 24 février 1992 Couach.

III. L’obligation d’entretien du domaine public

Théoriquement, le propriétaire lambda d’un bien privé n’a pas d’obligation d’entretenir l’un de ses biens tant qu’il ne cause pas de préjudice aux tiers : ce n’est pas le cas pour les personnes publiques, qui ont elles l’obligation d’entretien et de conservation du domaine public.

S’il y a négligence dans l’entretien du domaine public, et que cette négligence cause un dommage à autrui, la responsabilité de l’administration pourra être recherchée, c’est ce qu’on appelle la responsabilité pour dommages de travaux publics. L’Etat peut obliger l’administration décentralisée à l’entretien nécessaire, et notamment grâce à l’inscription d’office de la dépense sur le budget de la collectivité. Dans ce cas, comme il s’agira d’une dépense obligatoire, la collectivité ne pourra pas se retrancher derrière l’insolvabilité pour éviter cette dépense.