Histoire et évolution du droit des sûretés

L’évolution du droit des sûretés :

Avant de décrire l’histoire et l’évolution du droit des sûretés, il convient de définir la notion de sureté. Une sûreté est une garantie accordée au créancier pour le recouvrement de sa créance.

  • La sûreté est réelle lorsque certains biens du débiteur garantissent le paiement.
    Ainsi, en cas de défaillance du débiteur, le produit de la vente de ses biens est remis au créancier.
    exemples : hypothèque, nantissement, …
  • La sûreté personnelle est l’engagement d’une autre personne au côté du débiteur.Exemple la caution : une personne caution s’est engagée
    à payer le créancier si le débiteur principal n’exécute pas son obligation.

A)- Les sociétés archaïques :

On ne connaît que les sûretés personnelles.

  • raison sociologique :

La sûreté personnelle est naturelle dans un groupe social restreint et uni, car cela exprime alors la solidarité.

  • raisons technique :

La sûreté personnelle ne suppose aucun effort d’imagination, d’invention juridique.

B)- Le droit romain :

C’est l’apparition, à côté des sûretés personnelles, des sûretés réelles rudimentaires avec l’aliénation fiduciaire.

Le débiteur transfère à son créancier la propriété d’un de ces biens, mais par un pacte adjoint (pacte fiduciaire), le créancier s’engage à retransférer la propriété du bien au débiteur.

L’avantage consiste en la pleine sécurité du créancier. Mais ses désavantages sont plus nombreux :

– lourdeur du mécanisme avec ce double transfert de propriété,

– la perte par le débiteur de la jouissance de la chose, il ne peut plus s’en servir,

– le risque d’aliénation de la chose par le créancier indélicat

– et enfin le gaspillage du crédit, lorsque la valeur du bien est très supérieure au montant de la créance garantie.

C)- L’apparition de sûretés réelles plus affinées :

C’est l’apparition des sûretés réelles avec simple dépossession, il n’y a plus de transfert de propriété, mais seulement transfert de la détention.

–> le nantissement ou le gage, si la sûreté porte sur un meuble, ou antichrèse si porte sur un immeuble.

Le progrès est sensible par rapport à l’aliénation fiduciaire, puisqu’il qu’il y a suppression de la lourdeur du mécanisme et du risque d’aliénation de la chose.

Mais les deux autres demeurent : perte de la jouissance et gaspillage du crédit.

D)- L’apparition de la sûreté réelle la plus raffinée :

C’est une sûreté réelle sans dépossession du débiteur, qui confère pourtant au créancier un droit réel.

–> l’hypothèque.

L’absence de dépossession élimine les deux défauts que le nantissement avait conservés, car le débiteur conserve la jouissance de la chose et il n’y a plus de gaspillage du crédit.

Mais cette absence de dépossession fait naître de nouveaux inconvénients redoutables pour les tiers : cette sûreté ne se voit pas, elle est « clandestine », c’est donc dangereux pour les autres créanciers exposés au droit de préférence du créancier hypothécaire, mais aussi pour les tiers acquéreurs exposés au droit de suite.

Le remède trouvé consiste en la publicité de la sûreté sur un registre, mais alors l’hypothèque devient une sûreté purement immobilière, puisque la publication d’un bien mobilier a toujours été complexe.

Au terme de cette quatrième étape, il existe à côté des sûretés personnelles, deux sûretés réelles principales :

  • le gage avec dépossession sur les meubles
  • l’hypothèque sans dépossession sur les immeubles.

C’est ce droit des sûretés que reflète le Code civil de 1804.

E)- Jusqu’en mars 2006 :

  • Le renouveau des sûretés personnelles :

Le cautionnement connaît un essor considérable et de nouvelles sûretés personnelles apparaissent (garantie autonome, lettre d’intention).

  • Le gage de développe beaucoup et se diversifie avec l’apparition du gage sans dépossession (hypothèque mobilière).

Le retour à des sûretés réelles de type archaïques avec résurgence de la fiducie sûreté, réserve de propriété.

Ces évolutions s’expliquent par deux raisons principales :

transfert de la composition des patrimoines :

  • les meubles y ont une place de plus en plus importante et spécialement les meubles incorporels (VM, parts de société civile immobilière)
  • Cette raison explique le développement et la diversification du gage, car le gage et la sûreté personnelle par excellence et parce que de meubles nouveaux sont apparus, exigeant un aménagement du gage de droit commun, et notamment le gage, sans dépossession.

La soumission progressive des sûretés réelles traditionnelles à la discipline de la faillite

NB : faillite : procédure collective du droit des affaires

En effet, jusqu’en 1967, ces sûretés traditionnelles ne souffraient pas des procédures collectives, qui ne concernaient que les créanciers chirographaires.

En 1967 et 1985, les sûretés réelles traditionnelles se sont trouvées soumises au moins en partie, aux procédures collectives, pour la sauvegarde des entreprises en difficulté.

Il y a eu une fuite des créanciers de sûretés réelles vers les sûretés personnelles sur lesquelles le droit de la faillite est sans prise, et fuite vers les nouvelles sûretés réelles (sûreté propriété), sur lesquelles la loi de la faillite est sans emprise.

Cette fuite a été amplifiée par le phénomène de la législation du surendettement des particuliers : Loi 31/12/1989, codifiée aux art. Code de la consommationL330-10s.

Cette législation soumet à la même discipline, les créanciers chirographaires et les créanciers de sûretés personnelles.

Ce besoin de fuite s’est atténué, car les sûretés réelles traditionnelles ont retrouvé leur effectivité (Loi 1994), et les sûretés personnelles ont perdu leur attractivité à cause des règlementations très protectrices et donc défavorables au créancier.

Ces lois récentes ne limitaient que les prérogatives des titulaires de sûretés modèles : gage, hypothèques ou privilèges.

C’est pourquoi les créanciers ont recherché d’autres garanties ;

Pour remplacer le cautionnement : la délégation imparfaite, l’engagement solidaire, las garanties indépendantes.

Le garant est alors privé du droit d’opposer au créancier les exceptions dont peut se prévaloir le débiteur principal.

Pour remplacer les sûretés réelles classiques : droit de rétention, réserve de propriété, et aliénation fiduciaire.

Toutes ces garanties ont un point commun : le créancier se réserve la possession ou la propriété d’un bien, ce qui lui permet d’éviter les conséquences de l’ouverture d’une procédure collective.

Il a ainsi l’assurance d’être payé, n’ayant pas à craindre la concurrence avec d »autres créanciers.

Un tel développement des garanties de substitution ne pouvait cependant se poursuivre sans limites. Toute la politique légale et jurisprudentielle de protection des cautions et des entreprises se trouvait mise en échec.

Une réaction légale et jurisprudentielle était inévitable pour réhabiliter les sûretés classiques.

F)- L’ordonnance du 23/03/2006 :

La genèse de cette réforme est due à la Commission créée par le Ministère de la Justice, en juillet 2003, pour proposer une réforme des sûretés.

L’avant-projet, fut déposé au garde des Sceaux en 2005 sur tout le droit des sûretés, sauf la fiducie-sûreté.

Le gouvernement décida de délaisser la voie législative ordinaire et de procéder par ordonnance. Mais il n’obtint du Parlement qu’une habilitation partielle, ni sur le cautionnement, ni sur les privilèges.

C’est ce qui explique que la réforme de mars 2006 n’ait pas toute l’ampleur qu’on pouvait espérer. Cette réforme est profonde en la forme, mais aussi sur le fond.

1°)- Une réforme profonde en la forme :

L’ordonnance réunit et ordonne l’ensemble des sûretés au sein d’un livre IV du Code civil « des sûretés.

Auparavant, les sûretés étaient dispersées dans le Code civil , mais beaucoup en étaient absentes.

  • Titre I : des sûretés personnelles
  • Chapitre 1 : du cautionnement
  • Chapitre 2 : de la garantie autonome
  • Chapitre 3 : de la lettre d’intention
  • Titre II : des sûretés réelles :
  • Sous titre I : dispositions générales
  • Sous titre II : les sûretés mobilières (privilège, gage des meubles corporels, nantissement des meubles incorporels, propriété retenue à titre de garantie : réserve de propriété)
  • Sous titre III : les sûretés immobilières (privilège, antichrèse, hypothèque)

Le droit des sûretés est recodifié et présenté de manière plus claire.

–> Les sûretés réelles ont été ordonnées par le législateur selon leur objet

Mais de nouvelles sûretés s’ajoutent, insérées dans divers codes (Code de la consommation, Code de commerce , CMF).

2°)- Une réforme profonde au fond :

La réforme contient des innovations majeures, comme l’introduction d’un gage sur stocks, d’une hypothèque rechargeable.

Dans son esprit, la réforme est équilibrée, car elle assouplit le régime des sûretés, le plus souvent au bénéfice des créanciers, mais sans jamais heurter la protection du débiteur.

La réforme est donc conforme au droit civil.

  • Ex : la garantie autonome, sûreté rigoureuse, est dans leCode civil , mais elle est interdite dans le domaine du crédit à la consommation.
  • Ex : l’hypothèque en garantie de créance future au profit des banques, mais elle est assortie d’un droit de la résilier unilatéralement pour le débiteur, si elle est à durée indéterminée.
  • Ex : le pacte commissoire est validé en matière d’hypothèque mais neutralisé si l’immeuble hypothéqué constitue le logement familial.

Cette réforme n’a pas et ne pouvait pas modifier les conséquences des procédures d’insolvabilité sur les sûretés.

C’est au droit des procédures collectives et au droit du surendettement des particuliers qu’il appartient de décider du sort des sûretés (Code civil 2287).

Mais ce qui est dans le Code civil n’empêche pas l’application des règles du Code de la consommation et du Code de commerce .

  • 5)- La politique juridique des sûretés aujourd’hui :

Cette politique juridique des sûretés a un double objet : rétablir un équilibre entre les intérêts

1°)- La nécessité de l’équilibre :

Le créancier souhaite une protection contre l’insolvabilité du débiteur.

Le débiteur veut une protection contre la rapacité du créancier, qui exploite son état de besoin et une protection contre sa légèreté et enfin une protection contre sa faiblesse et son ignorance.

Protection à qui il faut associer le tiers qui garantit sa dette, car exposé aux mêmes risques.

Ces deux procédures sont parallèlement légitimes.

Si on sacrifie l’aide aux créanciers :

  • on encourage l’imprévoyance, voire la mauvaise foi du débiteur,
  • on risque de tarir le crédit

on suscite la création de sûretés réelles sans cesse plus rigoureuses.

Si on sacrifie l’aide au débiteur :

  • on prive le droit civil de la dimension sociale qu’il a acquise depuis le XIXe

on décourage l’initiative individuelle, car un individu hésitera à créer ou développer son entreprise s’il risque de tout perdre.

2°)- Les moyens de l’équilibre :

L’action préventive :

  • Elle consiste à entourer de diverses conditions la constitution de la sûreté, conditions de forme (formalisme protecteur du consommateur) ou de fond (ordre public de protection du débiteur).

L’action curative :

Elle consiste à éroder, voire supprimer les effets de la sûreté.

Ex : on étend à la caution le bénéfice de la suspension des poursuites accordées au débiteur principal.

On libère la caution qui a souscrit un engagement auquel elle été incapable de faire face.

Le point d’équilibre est finalement instable, car le législateur tantôt, veut soutenir le crédit (disposition en faveur des créanciers), tantôt veut lutter contre le surendettement (en faveur des débiteurs).

B)- la hiérarchie entre les différents créanciers :

La politique des sûretés est une politique d’octroi et de classement des sûretés.

L’octroi des sûretés :

La loi, de son chef, confère à certains créanciers, à raison de la qualité de ses créances, des privilèges. Article du Code civil 2324

Ex : la loi accorde un privilège au Trésor Public

Classement des sûretés :

Il appartient à la loi d’établir un ordre entre les créanciers de sûretés concurrents.

Ex : les salariés d’une entreprise passent avant le Trésor Public

Dans les deux cas, la loi établit une hiérarchie entre les intérêts particuliers, hiérarchie parfois contestée, voire combattue.

Ex : la loi apporte sa sollicitude pour les revenus du travail : privilège des salariés.

La loi accorde au Trésor Public un privilège qui lui permet notamment en cas de faillite de passer avant les fournisseurs, pour certains cette hiérarchie est bonne traduisant la suprématie de l’intérêt général sur celui particuliers.

Mais pour d’autres, elle sacrifie les fournisseurs, leur main d’œuvre au bénéfice des intérêts anonymes de l’État.

Ex : La loi accorde aux créanciers qui soutiennent des entreprises en difficulté, un privilège de passer avant les créanciers antérieurs même munis de sûreté. Pour certains cette politique est bonne assurant le sauvetage d’une entreprise en difficulté et donc le maintien de l’emploi, mais pour d’autres elle sacrifie inutilement les anciens créanciers à un sauvetage illusoire de l’entreprise.

La politique des sûretés traduit des politiques législatives, et cette politique est souvent obscure :

  • – En raison des appétits catégoriel (chacun veut passe avant les autres)
  • – En raison de l’absence de consensus social sur la hiérarchie des valeurs (l’État ne doit plus être supérieur).
  • NB : autres garanties :

les actions directes :

Elles permettent à leurs titulaires d’obtenir un paiement direct de ce qui leur est dû par le débiteur de leur débiteur. (Entrepreneur de construction bénéficie d’une garantie contre l’insolvabilité du maître de l’ouvrage).

la compensation :

Elle permet l’extinction de deux dettes réciproques liquides et exigibles.

NB : exigence de bonne fois :

Le créancier lorsqu’il fait souscrire la garantie ou quand il la met en œuvre, doit tenir compte des intérêts du garant.

Un créancier manque à son devoir de bonne fois, s’il se fait consentir des garanties excessives par rapport au patrimoine de son débiteur et au montant de sa créance.

Le créancier bénéficiaire d’un cautionnement doit s’efforcer de minimiser le préjudice subi par la caution. Il doit ainsi mettre en œuvre les facultés que lui confère sa sûreté réelle sous peine de se voir opposer le bénéfice de subrogation.

NB : abus de droit :

En principe, un créancier a toute liberté pour se faire consentir les garanties qu’il souhaite obtenir du débiteur et pour les mettre en œuvre en cas de défaillance de ce dernier. Mais l’abus de droit peut être sanctionné aussi bien dans la phase de constitution des garanties que celle de leur mise en œuvre.

Le juge intervient dès qu’il apparaît que le créancier a profité de manière excessive de sa qualité.

NB : le principe de transparence :

Les tiers ont tout intérêt à connaître l’ensemble des garanties consenties par une personne.

Cela leur permet de mieux apprécier sa solvabilité. La transparence des garanties se traduit par leur publicité et permet également de prévenir des conflits entre titulaires de sûretés réelles.