Jurisprudence, source du droit ? argument pour et contre

La jurisprudence, source de droit

D’un pays à un autre, le mot jurisprudence ne couvre pas le même sens. En anglais : c’est la philosophie du droit, théorie générale du droit, en italien, renvoie à tout le droit dans son intégralité ( synonyme de droit), en français à l’origine vient du latin jus = droit et juridictio = le juge qui dit le droit.

A Rome la jurisprudence désignait les activités des jurisconsultes, aujourd’hui la jurisprudence est liées à la fonction des juges. Recouvre deux sens :

  • désigne l’ensemble des décisions de justice rendu sur une certaine période soit dans une matière soit dans une branche, soit dans l’ensemble du droit.
  • Renvoie aux effets que produisent les décisions de justice répercussion d’une décision de justice sur l’état du droit, certaines décisions font jurisprudence = la solution appliquée est reprise pour tous les litiges similaires. C’est une habitude de juger. Avec ce 2nd sens la question de la place de la jurisprudence a été posé et si ça peut être une source du droit. La règle jurisprudentielle peut être considérée comme une règle de droit à part entière ?

I- la position du problème

est-ce qu’à l’occasion d’une décision de justice, le juge peut de lui-même poser une règle de droit ?

certains disent oui, parfois le juge peut comme le législateur poser une nouvelle règle dans sa décision ( Bruno Oppétit ) d’autres disent non, ( Carbonnier) tout le droit reste attaché à l’idéologie de la Révolution. Or celle-ci a posé le principe fondamental de la séparation des pouvoirs. En application de ce principe, le droit serait le pouvoir exécutif et le juge serait le serviteur de la loi et l’applique. la jurisprudence peut consister une autorité de droit.

II – les arguments en faveur de la jurisprudence, source du droit

  • A) les arguments textuels

Il y aurait un article fondamental du code civil à partir duquel on pourrait raisonner : article 4 : principe de l’interprétation, mais laisse planer l’incertitude quand à son application par les juges. Prévoit que le juge a le pouvoir et le devoir d’interpréter la loi. Interprétation indispensable quand les dispositions légales sont obscures ou contradictoires, l’interprétation sert à faire apparaître le véritable sens de la loi. article 4 laisse entendre que la mission du juge n’est pas seulement d’appliquer la loi mais aussi de l’interpréter, peut il en l’interprétant créer une règle de droit ? selon les auteurs favorables, article 4 n’impose pas de limites donc le juge aurait une grande latitude donc si nécessaire créer une règle de droit il le peut.

  • B) les arguments tirés de l’attitude des juges

très difficile car tribunaux rendent des millions de décisions par an, donc on ne peut pas dégager une règle de droit. Il ne suffit pas qu’une décision soit rendue il faut qu’elle soit motivée en droit, il faut que la décision contienne une règle nouvelle. Ça suppose que l’interprétation soit créatrice : 3 formes :

  • le juge précise et complète la loi

le juge est conduit à choisir entre les différentes définitions proposées si la règle de droit est obscure

ex : au fur et à mesure des décision les juges dévoilent le sens du mot « bonnes mœurs »

  • le juge assure la cohérence de l’ordonnancement juridique

tente d’éliminer les antinomies, contradictions

  • le juge adapte le droit à l’évolution des faits

le droit objectif organise la vie sociale, il doit évoluer avec. Si la règle de droit n’est pas adaptée le juge peut le faire, soit le juge doit faire face à la carence du législateur, donc le juge va provoquer le législateur dans sa décision par une interprétation novatrice. Soit le juge va entreprendre une interprétation créatrice, il prend appuis sur un texte existant et donne l’interprétation telle qu’elle donne naissance à une nouvelle règle de droit. Ex : loi de 1985 sur les accidents de la circulation, textes du code civil ( article 1382 et + ) n’étaient plus adaptés aux besoins de la réparation des dommages des victimes. La Cour de cassation dans l’arrêt Desmares 1985, la cass.civ.1ère a fait une nouvelle interprétation de l’article 1384-1, la victime n’a pas à prouver la faute de l’auteur du dommage. Suite à cet arrêt le législateur est intervenu, loi Badinter 05/07/1985, on a adapté la règle de la responsabilité aux accidents de la circulation en 1987 par 3arrêts la Cour de cassation est revenue sur l’arrêt Desmares.

  • C) la conclusion

l’article 4 du Code Civil, et l’attitude des juges dans certaines affaires permettent de dire qu’en France, le juge a un véritable pouvoir d’interprétation. Parfois les juges ont fait des interprétation créatrice mais celles-ci présentent des inconvénients, car il peut aboutir à substituer le pouvoir judiciaire à l’administratif.

  • 1er argument : absence de limites aux pouvoirs d’interprétation de juges
  • 2ème argument : le juge a parfois accepté de créer des règles nouvelles en application de son pouvoir interprétatif.

III) les arguments contre la jurisprudence source du droit

Limites aux pouvoirs du juge posés par deux textes article 5 et 1351 du Code Civil prétendent également que la règle jurisprudentielle ne présente pas tous les caractères de la règle de droit.

A) arguments textuels

  • 1) article 5 du Code Civil
  • le sens du texte

raison d’être historique, les rédacteurs du Code Civil ont voulu la prohibition de la pratique de l’ancien droit, car sous l’ancien droit le Parlement pouvait rendre des arrêts qui étaient applicables à un cas déterminé et tous les cas analogues qui pouvaient se présenter par la suite. Avec la Révolution et la séparation des pouvoirs, le pouvoir de rendre des arrêts a été retiré aux législateurs et a été confié au pouvoir judiciaire qui est un organe exclusif d’application des lois. Article 5 signifie que le juge ne peut pas à l’occasion d’une décision de justice fixer une solution pour l’avenir. les juges en France parfois font preuve d’une véritable autorité ex : Cour de Cassation parfois décide qu’une disposition communautaire peut l’emporter sur une loi interne.

  • l’articulation avec article 4 du Code Civil

parfois le juge peut s’émanciper de la loi pour remplir sa mission, mais le juge ne peut en aucun cas rendre une décision dont la solution aurait une portée générale et abstraite.

  • 2) article 1351 du Code Civil
  • le sens du texte

autorité de la chose jugée lorsqu’une affaire a été jugé on ne peut pas demander aux mêmes juges de rejuger une même affaire. L’autorité de la chose jugée est relative, elle ne s’applique et n’a valeur qu’entre les parties au procès, la solution vaut donc seulement pour l’affaire jugée. Une décision de justice est opposable qu’à ceux qui sont concernés par elle.

  • l’articulation avec article 4 et 5 du Code Civil

les faits relatifs du jugement s’opposent à l’idée de jurisprudence source du droit, si la décision de justice est un élément de la jurisprudence elle ne peut pas devenir une règle de droit, confrontation avec article 4 : le juge est obligé d’interpréter un règle de droit applicable, cette interprétation ne vaut que pour la décision concernée.

B) argument comparaison avec la règle de droit

Auteurs obligés de faire des concessions en faveur de la théorie pour.

  • 1) les concessions : les caractères général et abstrait de la jurisprudence

Reprocher de réduire le droit à la loi or indiscutablement certains arrêts ont pour vocation de créer des règles, elles sont alors reprises par d’autres décisions. De tels arrêts émanent de la Cour de Cassation et sont des arrêts de principe, si la jurisprudence n’est pas source de droit elle peut devenir une autorité privilégiée pour édicter une source de droit. Au fur et à mesure se dégage une règle à caractère général .

  • 2) le défaut de caractère permanent de la règle jurisprudentielle : le revirement de jurisprudence

règle de droit prévoit, fixe pour l’avenir et entendu durer dans le temps à l’occasion de chacun des litiges, les juges peuvent revenir en arrière et remettre en cause une décision antérieure = revirement de jurisprudence..

la sécurité juridique empêche les revirements systématiques, il arrive que dans certains cas une solution formulée sous forme d’un principe ne soit plus adaptée à un moment donné, alors pour la bonne application de la règle de droit, le juge doit revenir en arrière et défaire ce qu’il a fait. Ce laps de temps peut être très court, ex : jurisprudence Desmares ( 1 an )

Par conséquent, les opposants de la jurisprudence source du droit prétendent que la règle jurisprudentielle ne peut pas présenter le caractère permanent de la règle de droit. Auteurs confortés par la Cour de Cassation depuis arrêt du 21/03/2000 civ.1ère « la sécurité juridique ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée : l’évolution de la jurisprudence relève de l’office du juge dans l’application du droit » c’est-à-dire intérêt des justiciables que la règle jurisprudentielle ne soit pas figée, la fonction du juge impose de faire évoluer la jurisprudence.

Pendant le laps de temps ( même court ) où la jurisprudence pose un principe, celui-ci va avoir une vocation générale à s’appliquer à tous comme la règle de droit. La jurisprudence est elle une source égale ou inférieure à la loi ? aujourd’hui cette question n’est pas tranchée ?

La jurisprudence est dans certains cas créatrice de règles nouvelles ( grâce à l’interprétation) lorsque le juge créée une nouvelle règle jurisprudentielle, il prend appuis sur un texte existant ex : Desmares ex :l’enrichissement sans cause, une personne s’enrichit aux dépens d’une autre personne, celle-ci demande remise en état. Problème dans le Code Civil aucun texte prévoyait cette théorie mais certaines dispositions du code faisaient apparaître qu’il fallait dédommager la personne appauvrie. Néanmoins dans cette œuvre créatrice les juges doivent être vigilant, car il y a un grand risque de voir les juges se comporter en législateur. Ils doivent éviter que la règle jurisprudentielle contredise la loi.

Le cours Introduction au droit français est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, patrimoine, organisation judiciaire, sources du droit, preuves…)