L’application de la règle de conflit et de la loi étrangère

L’application de la règle de conflit et de la loi étrangère

Les incidents dans la mise en oeuvre de la règle de conflit de loi sont liés au caractère bilatéral de la règle de conflit car cette règle conduit soit à la France soit à la règle étrangère.

Aucun problème n’est soulevé si la loi française est désignée.

Si la loi étrangère est désignée, deux sortes de problèmes : son application, mais au delà cette loi étrangère peut poser

Section 1 : l’autorité de la règle de conflit

A: l’autorité de la règle à l’égard du juge- l’office du juge

Cela pose la question de savoir si le juge est obligé ou pas d’appliquer la règle de conflit de loi. Donc si le juge doit ou non appliquer d’office la règle de conflit lorsqu’elle désigne la loi étrangère. Normalement, on distingue selon que les parties au litige ont invoqué ou pas la loi étrangère. Si oui, et que cette loi étrangère est applicable, le juge doit appliquer cette loi. Sinon (si les parties n’ont pas invoqué la loi étrangère), c’est ici que se pose la question de l’office du juge.

La jurisprudence a apporté des réponses à ces questions, mais elle a adopté une évolution en dents de scie. Et on peut distinguer 4 phases :

– 1ère phase issue de la jurisprudence Bisbal suite à un arrêt de la ch civ du 12 mai 1959. Dans cet arrêt époux espagnols qui voulaient convertir leur séparation de corps conformément à la loi française, alors que la règle de conflit conduisait à la désignation de la loi espagnole qui interdisait le divorce. Dans cette affaire, les pièces du juge ne comportaient aucune mention quant à la nationalité des parties, et en même temps, les parties n’avaient pas invoqué le droit espagnol. Et en fait, les juges ont appliqué la loi française. Et la Cour de cassation approuve la solution en disant que les règles de conflit de loi en tant du moins qu’elles prescrivent l’application d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre public, en ce sens qu’il appartient aux parties d’en réclamer l’application. Autrement dit ;, cela veut dire que la règle de conflit est facultative pour le juge quand elle désigne une loi étrangère, et dans le silence des parties. Cette jurisprudence a fait couler beaucoup d’encre et a été critiquée, même si elle a pu être justifiée. On peut justifier la jurisprudence Bisbal par les principes qui prévalent en procédure civile, et notamment par le principe que le juge ne peut se fonder que sur des faits qui sont dans le débat. Cette jurisprudence a surtout été critiquée : d’abord il est dit que la règle de conflit est facultative, et donc le juge peut s’il le souhaite appliquer la loi étrangère désignée, mais il ne doit pas. Donc cela veut dire que la justice ne sera pas la même pour tous et dépendra de la philosophie des juges. Ensuite, les principes du procès aujourd’hui permettent au juge de connaître des éléments d’extranéité dans le litige. Troisième critique : l’arrêt dit que la règle de conflit n’est pas d’ordre public lorsqu’elle désigne la loi étrangère. Seulement, on se demande si cette justification est pertinente. La règle de conflit est une règle de conflit française, qu’elle désigne la loi française ou la loi étrangère. Alors pourquoi la traiter différemment ? Pourquoi serait-elle d’ordre public lorsqu’elle désigne la loi française uniquement ? Ces critiques ont porté leurs fruits.

– 2ème phase: revirement de JP Bisbal qui a été effectué par 2 arrêts de 11 & 18 octobre 1988 Rebouh et arrêt Schule. Ces deux décisions ont estimé que le juge du fond aurait dû relever d’office l’élément d’extranéité même si les parties ne l’avaient pas allégué.

Plus précisément, la cour de cassation en visant l’article 12 du nouveau code de procédure civile ainsi que l’article 311-14, montre que la règle de conflit est une règle de droit. Ça a été un arrêt marquant dans la mesure où le raisonnement opéré ne change rien au raisonnement de l’affaire. Le juge de cassation a profité de l’affaire pour imposer sa sanction. Les parties en l’espèce ne s’étaient pas fondées sur le DIPr, c’est le juge qui a relevé d’office ce moyen de droit pour casser la décision.

– 3ème phase :évolution jurisprudentielle : marquée par un arrêt du 4 décembre 1990, Coveco . Cet arrêt a fait quelque pas en arrière et est revenu sur le revirement de 1988.

Dans cet arrêt, il s’agissait d’une matière qui n’est soumise à aucune convention internationale et où les parties ont la libre disposition de leur droit. Par conséquent on ne peut reprocher au juge du fond de n’avoir pas procédé d’office à la recherche de la loi applicable. Cela revient à affirmer que la loi de conflit a un caractère facultatif sauf dans deux cas :

*le cas où la règle de conflit est d’origine conventionnelle

*ou quand la matière du litige porte sur un droit indisponible

Dans ces deux cas la règle de conflit reste obligatoire.

Critique :

*l’article 12 du nouveau code de procédure civile est différent selon l’origine de la règle (conventionnelle ou pas)

*le deuxième critère que l’arrêt utilise n’est pas facile à délimiter. Donc il faut faire la différence entre les matières d’ordre public et celles qui ne le sont pas. Mais le problème c’est qu’il y a des matières en droit interne qui sont d’ordre public mais dont les droits sont indisponibles. Donc critères flous

Qu’est-ce que l’ordre public : c’est la capacité des personnes, ainsi que les contrats. Mais il existe des limites. Par exemple concernant la capacité des personnes et les matières contractuelles il existe de plus en plus de dispositions d’ordre public.

*les objectifs de la jurisprudence vont-ils être atteints ? On se demande s’il est possible puisque globalement les matières où on a des droits disponibles concernent le domaine des contrats et de la responsabilité délictuelle, une fois que les dommages sont survenus.

En matière de contrats et de responsabilité la règle de conflit est presque toujours d’origine conventionnelle. Et de l’autre côté, quasiment tous les autres droits sont indisponibles. Dans ces autres domaines, on a peu de règles conventionnelles, beaucoup de règles de conflit interne.

-4ème phase: 2 arrêts de la première chambre civile du 26 mai 1999. Le premier cas était relatif à la filiation donc un droit indisponible et l’autre à l’exécution d’un contrat donc un droit disponible. La cour de cassation abandonne le critère lié à l’existence d’une convention internationale (pourtant en espèces il y a une convention applicable) pour ne faire qu’une distinction entre disponibilité ou indisponibilité de droit litigieux comme critère de solution. Et donc quand les droits sont indisponibles, le juge doit appliquer d’office la règle de conflit.

S’il s’agit d’un droit disponible : la règle de conflit devient facultatif pour le juge.

La solution reste en partie critiquée car onon n’a pas de critère fixe pour distinguer droit disponible et indisponible. Mais la solution est plus simple que Coveco.

Donc ce qui peut nous aider c’est la différences entre le droit patrimonial et le droit extra patrimonial. Il faut aussi noter que les droits disponibles sont en général de droits extra patrimoniaux et que les droits disponibles sont des droits patrimoniaux.

L’avantage c’est qu’on se retrouve devant solution relativement simple.

  1. l’autorité de la règle de confier à l’égard des parties

Est-ce que les parties peuvent mettre en application une règle différente de celle désignée par la règle de conflit ? C’est une idée ancienne.

L’obligation faite au juge d’appliquer la règle de conflit ne s’impose pas aux parties. En fait la règle de conflit procède normalement à une localisation objective et il faut admettre que les parties puissent déroger à cette localisation. La question ne se pose que dans les litiges où les parties ont la libre disposition de leur droit. Cette possibilité était posée pour la première fois par un arrêt de la première chambre civile du 19 avril 1988 Roho.

Il s’agissait d’un accord à Djibouti. On a admis que les parties pouvaient choisir la règle française plutôt que la lex loci delicti. Ces solutions données en 1988. On s’est d »mandé si elles allaient être retenues après le revenirement Coveco.

La 1ère chambre civile du 6 mai 1997 Hannover International a posé le principe de la licité de « l’accord procédural », c’est à dire l’accord des parties pour modifier la loi applicable au litige. Mais il faut quand même des conditions comme l’accord de toutes les parties au litige. L’accord procédural peut être conclu en faveur d’une loi étrangère si elles estiment qu’elle est plus adaptée.

La doctrine admet que cet accord devrait être admis aussi en faveur de la loi étrangère. Si les droits sont indisponibles, la règle de conflit est obligatoire à l’ égard du juge et des parties.

Si le droit est disponible, la règle de conflit est facultative pour le juge et permet aux parties de conclure « un accord procédural » et à ce moment là, le juge sera lié par le choix des parties.

Section 2 : la connaissance de la loi étrangère

C’est une question de preuve de la loi étrangère c’est-à-dire du contenu de cette loi. Et cette question qui est d’une grande importance pratique se lie avec un autre problème : parler de preuve de loi étrangère, c’est accréditer que la loi étrangère est un simple fait au litige car il n’y a que les faits qui doivent être prouvées. Donc au départ, c’étaient les parties qui devaient prouver la règle étrangère

  1. la preuve de la loi étrangère

1) la charge de la preuve de la loi étrangère

Cette question a évolué dans le temps. On peut l’a diviser en deux temps :

*sous l’empire de la jurisprudence Lautour. Le défendeur voulait appliquer la responsabilité sans faute. La cour de cassation a censuré la cour d’appel car cette dernière avait estimé que c’était à la partie qui émettait une prétention d’établir le contenu de la loi applicable à celle-ci. Le critère c’est la prétention et non l’invocation et donc c’était à la victime qui demandait réparation de prouver que le droit étranger applicable lui permettait d’obtenir gain de cause.

Ce système a été complété par l’arrêt du 24 janvier 1984 Thinet, qui tire des conséquences de l’absence de preuve de la loi étrangère et admet que soit le défaut de preuve est dû à la mauvaise volonté de l’auteur de la prétention dans ce cas le rejet de la demande, soit le défaut est dû à une impossibilité. Dans ce cas on applique la loi française.

Ce système a duré un certain nombre d’années mais beaucoup de critiques ont été faites. L’auteur de la prétention n’a pas toujours intérêt à ^prouver la loi étrangère (Lautour), donc certains auteur ont proposé de retenir le critère de l’invocation.

Ce système « Lautour-Thinet » a évolué. Il y a eu une évolution de la jurisprudence avec un déplacement de la preuve vers le juge, or ce déplacement est dû à la jurisprudence « Bisbal-Coveco » qui oblige le juge à appliquer d’office la règle de conflit de plus en plus souvent . Et donc il est logique que dans ce cas ce soit au juge de rechercher la preuve de la loi étrangère et cette obligation a été posée dans un arrêt : Civ 1, 1er juillet 1997, Driss , qui oblige le juge à rechercher le contenu de la loi étrangère lorsque le juge doit appliquer d’office la règle de conflit. Cette décision de 1997 a été confirmée : 24 novembre 1998 , Lavatza.

Mais on a vu que parfois le juge n’était pas obligé d’appliquer d’office la règle de conflit, il en a simplement la faculté, et lorsqu’il utilise cette faculté , c’est au juge de rechercher le contenu de la loi étrangère. Précision apportée dans : 27 janvier 1998 , Abadou. C’est donc une première évolution apportée à la jurisprudence Lautour.

Reste les hypothèses où le juge a la faculté d ‘appliquer la règle de conflit et qu’il ne le fait pas de lui-même. Alors il se peut que l’une des parties invoque la compétence de la loi étrangère (comme dans Lautour) : C’était à la personne de prouver la loi étrangère.

Il y a eu une évolution : on a modifié le critère de répartition de la charge de la preuve entre les parties et de ce fait , cela fait coïncider la personne qui a la charge de la preuve de la loi étrangère avec la personne qui a intérêt à invoquer cette loi étrangère.

Et l’arrêt : Com, 16 novembre 1993 , Amerford , va abandonner clairement le critère de la prétention au profit du critère de l’invocation de la loi étrangère. Cet arrêt a apporté une précision : celui qui invoque la loi étrangère doit prouver que l’application de la loi étrangère conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l’application de la loi française. Ceci met en avant la question de l’intérêt à voir appliquer la loi étrangère .Le seul intérêt est de retarder la procédure.

2) Les modes de preuve de la loi étrangère.

Pas de difficulté ici.

Les parties doivent produire un certificat de coutume qui est un document rédigé en français et qui généralement émane du consulat ou de l’ambassade. Ce peut être un document rédigé par un juriste spécialiste du droit étranger en question.( il mentionnera le contenu de la loi étrangère et contient des indications sur la règle de conflit de lois)

Lorsque c’est le juge qui doit prouver la loi étrangère , il fait appel à un expert et souvent le juge bénéficie de conventions internationales de coopération judiciaire , pour faciliter la circulation de l’information entre les différents pays.

B/ L’interprétation de la loi étrangère

Ici on suppose que la loi étrangère a été déclarée applicable , son contenu a été établi ( par le juge ou les parties) et le juge l’a donc appliquée.

Concernant la loi étrangère la question va se poser comme en droit français interne.

Pour ce qui est de son interprétation , le principe est que les juges du fond sont souverains mais la cour de cassation exerce tout de même un contrôle sur celle-ci.

1)L’interprétation souveraine de la loi étrangère par le juge du fond.

Le juge, lorsqu’il interprète la loi étrangère peut prendre en compte les textes de droit étranger mais aussi les règles coutumières et d’origine jurisprudentielle.

En principe la cour de cassation ne contrôle pas l ‘interprétation qui a été retenue et donc les pourvois fondés sur une interprétation inexacte de la loi seront déclarés irrecevables. Cela implique qu’à l’origine le droit étranger était considéré comme un fait et pas un droit.

Mais les juges du fond sont quand même tenus d’énoncer dans la décision , l’interprétation qu’ils donnent de la loi étrangère et si jamais leur interprétation contredit un texte étranger , ils doivent motiver leur interprétation.

2)Le contrôle de la cour de cassation.

En effet , la cour de cassation va accepter quand même les pourvois formés sur la dénaturation de la loi étrangère, dénaturation qu’elle pourra contrôler par le fait que les juges du fond doivent motiver leur interprétation . Et cette solution est inspirée par le pouvoir qu’a la cour de cassation en droit interne de contrôler la dénaturation du contrat et ce motif a été posée pour la 1ere fois dans un arrêt : 21 novembre 1961 , Montefiore , où la cour de cassation estime que le juge avait dénaturé le sens clair et précis d’un document législatif.

Cela suppose que la dénaturation soit flagrante .

Ce contrôle par la cour de cassation va s’attacher non seulement aux documents législatifs , mais aussi à la jurisprudence de droit étranger et depuis un arrêt récent : 1er juillet 1997 , Africa tour, où la cour de cassation a élargi son contrôle aux motifs de l’arrêt d’appel. Donc indirectement elle oblige les juges du fond à justifier systématiquement l’interprétation qu’ils ont faite du droit étranger

Le 2eme point intéressant de l’arrêt : depuis cet arrêt la cour de cassation se fonde sur l’article 3 code civ. alors qu’auparavant , c’était 1134 code civ.( qui visait les contrats).

C’est en plus, marquer que la loi étrangère est bien une règle de droit et pas un simple fait et c’est affirmer également que la dénaturation de la loi étrangère est une violation de la règle de conflit elle-même.