L’autorité de la chose jugée et sa relativité

L’autorité de la chose jugée et relativité de la chose jugée

Le principe de l’autorité de la chose jugée interdit de remettre en cause un jugement, en dehors des voies de recours prévues à cet effet. Ce principe est édicté dans Code de procédure civile (article 122, 480 et 482), et dans le Code civil (art. 1350 et 1351). On dit que « l’autorité de la le chose jugée est relative » car cette « autorité » ne concerne que les parties au procès : il n’y a pas d’effet à l’égard des tiers. Le tiers, selon l‘article 1351 du Code civil, est celui qui n’a pas figuré à l’instance précédente ou qui agit en une qualité différente de celle qui était la sienne lors de l’instance précédente.

1) autorité de la chose jugée.

2) relativité de la chose juge

3) principe de l’autorité négative de la chose jugée.

  1. A) Le principe de l’autorité de la chose jugée.

Deux précisions : L’autorité de la chose jugée impose de tenir pour acquis ce qui a été jugé et ce principe ne doit pas être confondu avec la force de chose jugée.

  1. Première précision.

L’autorité de la chose jugée impose de tenir pour acquis ce qui a été jugé. On ne peut le remettre en cause que par l’exercice des voies de recours, dans la mesure où elles sont ouvertes. Longtemps, on a rapproché de l’autorité de la chose jugée, la force probante. L’autorité de la chose jugée repose sur une présomption légale de chose jugée.

L’article 1351 du Code civil qui détermine les conditions de la chose jugée figure au Titre des Présomptions. Cette présentation ne trompe personne.

L’autorité de la chose jugée repose sur d’autres considérations. Il faut bien mettre un jour un terme au litige, que le contentieux cesse. Le moyen pour y parvenir est l’autorité de la chose jugée. Il ne faut pas se méprendre sur son sens.

L’article 480 du Code de Procédure Civile est le siège de l’autorité de la chose jugée dans le Code de Procédure Civile.

Au terme de ce texte, les jugements sur le fond, c’est-à-dire les jugements définitifs ont, dès leur prononcé, autorité de chose jugée relativement à la question qu’ils tranchent. Ils ont autorité de la chose jugée dès leur prononcé.

L’autorité de la chose jugée est acquise indépendamment de la possibilité d’exercer des voies de recours. Il s’applique à tous les jugements définitifs, qu’ils soient ou non susceptibles d’un recours.

Par conséquent, il faut absolument se garder de confusions fréquentes et inadmissibles en procédure civile. Le jugement qui a autorité de chose jugée n’est pas nécessairement un jugement irrévocable. Toutes les voies de recours sont épuisées pour les parties dans le cas d’un jugement irrévocable.

Or, cela signifie que le juge a épuisé relativement à sa question litigieuse son pouvoir juridictionnel. Il a rendu une décision qui va épuiser le droit d’action des parties à son égard. Les parties ne pourront plus saisir le juge de la même question.

Souvent, la décision rendue sera susceptible d’une voie de recours. Il sera possible de porter l’affaire devant la Cour d’appel. Il n’empêche que la décision rendue par le premier juge a autorité de la chose jugée.

C’est précisément parce qu’elle a autorité de la chose jugée que les voies de recours sont ouvertes. Les voies de recours remettent en cause l’autorité de la chose jugée.

En vérité, c’est bien pourquoi, l’ouverture des voies de recours est la reconnaissance de la chose jugée. Cela explique encore que les modes de contestation des jugements doivent emprunter nécessairement le canal d’une voie de recours.

Il n’est pas possible en droit français d’agir contre un jugement autrement que par une voie de recours. C’est l’application d’un vieil adage selon lequel « voies de nullité n’ont pas lieu contre jugement. »

  1. Deuxième précision.

L’autorité de la chose jugée ne doit pas être confondue avec la force de chose jugée.

L’autorité de la chose jugée est un attribut qui est attaché à tout jugement qui a tranché un point litigieux. La force de chose jugée est un caractère spécifique à certains jugements.

C’est le caractère en somme qui s’attache à une décision qui n’est plus susceptible d’un recours suspensif d’exécution. C’est le caractère du jugement qui acquis la force exécutoire. Les voies de recours ordinaires sont normalement suspensives d’exécution, en principe.

Dans ces conditions, le jugement n’a pas force de chose jugée. Le seul recours qui restera sera le pourvoi en Cour de Cassation qui n’est pas suspensif d’exécution.

La distinction est primordiale. C’est un caractère supplémentaire par rapport à l’autorité de la chose jugée.

L’autorité de la chose jugée se caractérise par deux traits en matière civile.

Premier point. L’autorité de la chose jugée est seulement relative.

Second point. L’autorité de la chose jugée n’a qu’une efficacité négative.

  1. B) Le principe de la relativité de la chose jugée.

La chose jugée au civil s’oppose à la chose jugée en pénal. La chose jugée en pénal est absolue et vaut à l’égard de tout le monde.

Cette relativité s’explique par la finalité même de cette institution. L’autorité de la chose jugée a pour vertu essentielle d’interdire que des procès ne soient recommencés indéfiniment sur les mêmes bases.

Pour qu’il y ait donc au civil, autorité de la chose jugée, il faut donc supposer que l’on prétende recommencer le même procès entre les mêmes parties. Mais comment apprécier cette identité ?

L’article 480 du Code de Procédure Civile qui consacre d’ailleurs la pensée d’Henry Motulsky, laisse supposer que pour juger l’identité, il faut comparer d’une part ce qui a été décidé par le précédent juge, et ce qui est à présent demandé par les parties.

D’un autre côté, l’article 1351 du Code civil, raisonne différemment. D’après ce texte, il y a autorité de la chose jugée lorsque le procès, le jugement que l’on demande au juge de rendre présente une triple identité avec celui qui a trouvé déjà sa solution en justice.

Première condition. Précisément, le texte pose que l’autorité de la chose jugée n’a lieu à l’égard de que ce qui a fait l’objet du jugement. Le texte de poursuivre, « il faut que la chose demandée soit la même. »

Autrement dit, il faut une identité d’objet des demandes.

Il faut encore que la demande soit fondée sur la même cause. La cause des demandes est-elle est seulement les faits litigieux, le droit ou les deux ?

Seconde condition. L’article 1351 du Code civil pose l’identité de cause des demandes.

Il faut, pour finir que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité. Il faut une identité de partie prise dans la même instance procédurale. L’article 1351 parle de qualité, il faut prendre en compte la qualité civile et pas processuelle.

Si ces trois conditions sont réunies, la nouvelle demande devra être rejetée au motif que cette dernière sera irrecevable. L’irrecevabilité sanctionnera l’autorité de la chose jugée car le juge et les parties ont épuisé leur droit d’action.

L’autorité civile ne peut être que relative et ne vaudra pas erga omnes, à l’égard de tout le monde, comme en matière pénale. Le juge n’est pas lié à l’égard des tiers, le tout sous réserve de quelques hypothèses dont on dit qu’elles ont autorité absolue de chose jugée au civil, comme en matière de filiation. Une filiation établie en justice veut à l’égard de tout le monde.

Comment va-t-on pouvoir apprécier l’autorité de la chose jugée, quelle partie du jugement faudra-t-il considérer ?

La réponse de principe est que l’autorité de chose jugée a nécessairement son siège dans le dispositif. Seul le dispositif exprime ce qui a été exprimé juridiquement.

Simplement, les motifs peuvent être des éléments d’interprétation du dispositif. Il reste que parfois les juges ne respectent pas scrupuleusement la distinction entre le dispositif et les motifs.

Ne pourrait-on pas rechercher dans les motifs la réponse à la question soulevée par les parties, si l’on ne pouvait pas rechercher dans les motifs l’autorité de chose jugée ?

Non, les motifs ne peuvent en eux-mêmes se voir reconnaître l’autorité de la chose jugée. Les motifs décisoires ne sont pas admis en principe.

C’est l’exemple d’un procès en responsabilité civile. On demande une expertise pour chiffrer un préjudice. À cette occasion, le juge relève une faute. Il est essentiel de savoir si l’affirmation qu’il y a eu faute a autorité de chose jugée. On dira alors qu’on est en présence d’un jugement mixte.

Si on décide que le motif relatif à la faute n’a aucune espèce d’autorité, il faudra dire que c’est un jugement avant-dire droit.

Aujourd’hui, le motif décisoire n’est plus admis en tant que tel. La jurisprudence a reconnu au motif décisoire autorité de la chose jugée. Il ne faut pas trop s’attacher à cette distinction formelle.

La contrepartie est le risque d’insécurité. Cela ouvre la porte à toute contestation. Le plaideur bénéficiaire de la prestation a beau jeu d’y prétendre telle décision. Par conséquent, un nouveau contentieux va se greffer. Pour l’éviter, le plus simple est de dire, pour la jurisprudence, que les motifs ne sont pas décisoires.

On trouve dans la jurisprudence une formule selon laquelle l’autorité de chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranchée dans son dispositif.

On trouve cette formule dans la décision de la Deuxième Chambre civile du 3 juin 1998, par exemple.

Aujourd’hui, la jurisprudence n’admet plus de reconnaître autorité de chose jugée à ses motifs et pas davantage elle n’admet cette autorité à des motifs décisifs et non plus décisoires. Il s’agit alors de motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif.

Par exemple, une décision prononce une condamnation sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. L’admission de la faute génératrice de responsabilité n’est pas reprise dans le dispositif, mais il n’empêche que l’existence de la faute se verra reconnaître autorité de la chose jugée. Il y a donc un passage obligé des motifs au dispositif. Il lui emprunte son autorité. Cette utilisation des motifs décisifs a longtemps existé en jurisprudence.

Aujourd’hui, la jurisprudence est très réticente à reconnaître autorité de la chose jugée aux motifs décisifs. On trouve encore beaucoup de décisions qui affirment que l’autorité de la chose jugée ne vaut que pour les énonciations formelles.

Mais c’est là toute la difficulté de la matière. On trouve dans le même temps des décisions qui affirment que l’autorité de la chose jugée peut être reconnue aux solutions qui sont implicitement comprises dans le dispositif.

Les juges ne veulent pas s’attacher trop rigoureusement à la distinction des motifs et du dispositif. Ils ont bien conscience qu’il y a des maladresses de rédaction, qu’il y a des omissions qui ne valent pas dénégation. Il faut donc admettre que l’autorité de la chose jugée recouvre parfois des solutions implicites.

Parfois, la jurisprudence va assez loin dans cette ouverture et la Cour de Cassation admet parfois des solutions implicites alors que leur lien logique avec ce qui est explicitement affirmé est pour le moins discutable.

Parfois, la Cour de Cassation va admettre qu’il y a autorité de la chose jugée alors qu’on pourrait en discuter. Pourquoi ?

Parce que la Cour de Cassation poursuit un objectif qui n’est pas le sien, et poursuit ainsi un but de sanction.

En effet, on va faire alors comme si un point qui n’a pas été discuté dans l’instance avait été tranché par la décision pour clore le contentieux, pour éviter qu’il ne rebondisse sur des arguments qui auraient pu et du être invoqués auparavant.

On veut éviter que les parties n’utilisent la relativité de la chose jugée pour émietter le litige à des fins dilatoires.

C’est l’exemple d’un contentieux contractuel qui oppose deux parties. La première soutient que le contrat n’a pas été exécuté correctement par l’autre. La partie agit alors en résolution judiciaire du contrat. Mais cette partie est déboutée et estime que l’exécution par l’autre partie était loyale, conforme au contenu du contrat. Le juge va condamner le demandeur en dommages-intérêts pour résolution, car il aura cessé d’exécuter le contrat.

Le client mécontent va revenir devant son avocat et va lui demander quoi faire. L’avocat va avoir tendance à faire rebondir l’affaire sur un autre fondement tel que la nullité du contrat, avec des effets rétroactifs. Si le contrat tombe, la condamnation tombe aussi.

On peut être tenté d’agir en nullité du contrat, dans un second temps. En logique, la nullité n’avait pas été invoquée en première instance. Sans doute, dans les deux cas, l’anéantissement est rétroactif. Mais la cause des tentations est différente. Les conditions de l’autorité de la chose jugée ne sont pas réunies.

Pour faire obstacle à ce genre de dévoiement de l’autorité de la chose jugée, la Cour de Cassation, n’a pas hésité à dire que la question de la nullité avait été implicitement tranchée à l’occasion du contentieux en résolution.

De fait, si l’on se prononce sur une action en résolution, c’est que l’on admet a priori la validité du contrat. C’est le raisonnement parfois suivi par la Cour de Cassation.

Ici, il s’agit clairement d’utiliser l’autorité de la chose jugée pour éviter un rebondissement du procès et obliger le juge à se prononcer à nouveau sur un litige qui aurait pu être vidé immédiatement.

Cette utilisation a reçu une consécration intéressante par un arrêt du 7 juillet 2006. L’hypothèse était celle d’un père de famille, propriétaire d’une exploitation agricole. L’un de ses enfants l’assiste, et est peu payé. Ainsi, l’exploitation agricole prospère, mais le père décède. La succession est ouverte. Les autres frères et sœurs vont tenter d’obtenir une part égale que le frère qui a participé à l’exploitation.

Pour éviter à l’injustice de l’égalité successorale, la loi a prévu l’hypothèse du « salaire différé. » Au jour de l’ouverture de la succession, celui qui a participé bénévolement ou presque va pouvoir demander une indemnisation à la succession.

Dans cet arrêt, les premiers juges avaient refusé de faire droit à cette prétention car les conditions du salaire différé n’étaient pas réunies. Le demandeur invoqua alors le fondement de l’enrichissement sans cause. Mais sa demande fut rejetée comme irrecevable sur le fondement de l’autorité de la chose jugée de la première décision rendue. Le demandeur contesta ce rejet et estima que le fondement était différent, qu’il n’y avait pas la même identité de cause, objet.

Mais la Cour de Cassation rejeta le pourvoi par une motivation inédite. « Mais attendu qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci. »

C’est une invention de la Cour de Cassation, une création de la Cour. La Cour de Cassation développe son raisonnement en remarquant que la nouvelle demande était formée entre les mêmes parties que la précédente et qu’elle tendait à avoir une rémunération, donc il y a aussi la même identité d’objet.

Au vu de ceci, la Cour de Cassation souligne que la Cour d’appel en a exactement déduit que l’enfant ne pouvait être admis à contester l’identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu’il s’était abstenu de soulever en temps utile de sorte que la demande se heurtait à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation.

Autrement dit, ce que la Cour de Cassation dit, c’est que dans l’autorité de la chose jugée nouvellement comprise, il y a deux éléments fondamentaux, les parties et l’objet. On pourra alors demander l’autorité de la chose jugée dès l’instant où le fondement de la demande n’a pas été soulevée comme il aurait fallu en première instance.

Le Code du travail impose que tous les moyens relatifs à une même prétention dans un contentieux du travail soient soulevés en même temps. Avec cet arrêt, la Cour de Cassation généralise ce système au contentieux civil, en inventant une concentration des demandes.

L’autorité de la chose jugée est ici instrumentalisée et sert à la Cour de Cassation à imposer une politique de rendement, limitation du droit d’action, limitation du contentieux.

Cette décision est d’une importance considérable, dont il faudra suivre de près les développements pour voir ce qu’en fait la Cour de Cassation. L’autorité de la chose jugée sert ici de moyen sanctionnateur, ce qui n’est pas sa finalité première.

C) Le principe de l’autorité négative de la chose jugée.

Lorsqu’une décision se voit reconnaître autorité de la chose jugée, la sanction est l’irrecevabilité de toute nouvelle demande élevée en contradiction avec cette autorité.

Par définition, si une décision a autorité de chose jugée, cela signifie que le juge a épuisé son pouvoir juridictionnel et de leur côté, les parties ont consommé leur droit d’action. C’est donc une fin de non-recevoir qui sanctionne l’autorité de la chose jugée.

On interdit une nouvelle prétention identique. Le jugement précédemment rendu va faire obstacle à une nouvelle demande avec des parties ayant le même objet et la même cause.

Mais on se demande en Doctrine si l’autorité de la chose jugée n’aurait pas un autorité positive à côté d’une autorité négative.

Pour qu’il puisse y avoir autorité positive de chose jugée, il faudrait que l’une des trois conditions défaille. Il n’y aurait pas identité de partie, ni d’objet ni de cause.

On se demande si un plaideur pourrait d’autoriser du caractère irrévocable d’un précédent jugement pour faire triompher ses propres prétentions, autrement dit, pour servir de fondement à sa propre cause.

C’est l’exemple d’un divorce prononcé entre deux époux pour faute. Une personne d’excellente réputation apprend qu’elle s’est mariée avec un voleur professionnel. Dans cette hypothèse, pourrait-on imaginer que la victime d’un des vols imputés au mari de mauvaise moralité, puisse se prévaloir du prononcé du divorce pour fonder une action en responsabilité ?

L’autorité de la chose jugée ne pourrait pas le permettre. Il manque une condition pour qu’il y ait autorité de la chose jugée. Si l’on admettait que la victime du vol puisse se prévaloir de ce jugement, on ferait jouer à l’autorité de la chose jugée un rôle positif car elle servirait de cause à une nouvelle prétention. Cette autorité de la chose jugée est très généralement écartée par les auteurs. Cela signifierait que l’on dénierait au voleur son droit d’action.

Mais certains auteurs ne verraient pas d’un œil mauvais la possibilité d’utiliser l’autorité positive de la chose jugée si les parties étaient les mêmes et invoquent certaines décisions au soutien de cette décision. Pour le professeur Brenner, cette opinion est dangereuse, même pour des parties identiques.

Si à l’occasion d’un premier procès on ne discute pas de tel ou tel point, c’est parce qu’il peut avoir une importance mineure pour la cause. Si ensuite, l’adversaire vient se prévaloir du jugement de conséquences dont il ne se serait pas méfié, on fait produire à la décision une portée trop grande. Sur le terrain de la pratique judiciaire, les décisions que l’on invoque au soutien de cette thèse ne sont pas décisives, elles viennent s’expliquer par l’idée qu’il y aurait une solution implicitement tranchée dans le dispositif.

Il faut s’en tenir à une autorité simplement négative.