L’intérêt à agir : intérêt légitime, personnel, né, actuel

L’intérêt à agir, une condition de l’action en justice.

L’intérêt à agir est la condition primordiale de la recevabilité de la demande. C’est une condition générale et systématique. Il faut toujours avoir intérêt à agir en justice. C’est une condition de salubrité juridique.

Il serait extrêmement dangereux d’admettre n’importe qui à agir en justice, dans cette période de manie processive et d’engorgement des tribunaux. C’est une condition de tous les temps, il a toujours été admis qu’il faut un intérêt à agir. « Pas d’intérêt, pas d’action », « l’intérêt est la mesure de l’action. » C’est l’article 31 du Code de Procédure Civile, l’article 122 du Code de Procédure Civile qui pose cette exigence.

L’action doit être susceptible de lui procurer un avantage. La décision qu’il recherche doit lui permettre d’atteindre cet avantage. On a pu déclarer irrecevable faute d’intérêt l’action en partage d’un indivisaire débiteur d’une indivision d’une somme supérieure à ce qu’il pouvait prétendre dans le partage.

Lors d’un héritage, deux enfants de sang ont des droits mais l’un d’entre eux a souscrit un emprunt qu’il ne peut plus rembourser. Si l’enfant qui demande le partage est débiteur de la somme égale à la valeur du bien hérité, il n’a pas d’intérêt à demander le partage, il sera donc irrecevable.

La sanction est toujours la même, c’est la fin de non-recevoir. Ils sont, les plaideurs, déclarés irrecevables en leur demande. Le juge peut soulever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt. L’avantage peut être économique, matériel, juridique ou simplement moral. L’avantage moral est autorisé à agir en justice.

L’intérêt doit être personnel, né, actuel et certain, légitime et juridique.

  1. A) L’intérêt personnel.

Cette condition coule de source, dans un contentieux subjectif. Lorsque l’action a pour objet de faire reconnaître un droit subjectif, a autrement dit une prérogative individuelle, on ne conçoit pas qu’un autre puisse agir en justice. C’est une nécessité logique que l’intérêt soit purement personnel. Chacun doit se mêler de ses affaires, on se méfie des « bons samaritains », les bonnes volontés ne font pas les bonnes décisions. La gestion d’affaite n’a pas sa place sur le terrain purement procédural.

  1. B) L’intérêt né et actuel.

L’intérêt doit être né et actuel au jour de l’exercice de l’action en justice. Si l’intérêt a disparu, l’action ne subsiste plus. C’est, par exemple, un héritier qui a cédé à un tiers ses droits dans la succession. Puis un légataire se manifeste. L’héritier n’a plus intérêt à agir en nullité car son intérêt a disparu et son action aussi par voie de conséquence.

Inversement, un intérêt qui serait simplement futur, et plus gravement encore, un intérêt qui serait purement hypothétique n’ouvrirait pas une action en justice.

Par exemple, quelqu’un est bénéficiaire d’un pacte de préférence sur un immeuble. Un voisin de celui qui a concédé le droit de préférence construit sur le terrain que l’on espérait recueillir plus tard. Le titulaire du droit de préemption ne peut pas agir en justice, car le droit est hypothétique.

Il faut composer avec des situations plus douteuses. Il faut prévenir un trouble, une perte juridique qui risque de se réaliser à très court terme. Pourquoi ne pas agir tout de suite, « mieux vaut prévenir que guérir ». L’action en justice va pouvoir le cas échéant, sanctionner un tel intérêt de prévention. Dans le droit contemporain, on peut trouver de telles actions en justice. Cet intérêt ne se conçoit qu’en contemplation d’un intérêt purement futur. Par exemple, en droit du cautionnement, la caution qui a payé à la place du débiteur principal, si le créancier poursuit la caution, le caractère subsidiaire de la caution lui offre un recours après paiement, mais le Code civil autorise la caution à agir dans certains cas particuliers à agir directement avant-même que le créancier l’ait menacé de payer, contre le débiteur. Dans le cas d’un risque imminent, la caution peut se garantir contre le débiteur principal. On est manifestement en présence d’un intérêt de prévention.

Il y a le cas de l’article 145 du Code de Procédure Civile. Ce texte autorise à obtenir par procédure de référé ou sur requête, procédure accélérée, avant tout procès, des mesures d’instruction, par exemple, une expertise, pour établir ou conserver des preuves qui sont menacées de disparition, dans la mesure où ces preuves pourraient servir dans un procès futur.

On va ouvrir une procédure devant le juge des référés avant d’intenter une action en justice. Ainsi le législateur autorise des actions sur un intérêt qui n’est pas purement actuel. Mais le principe demeure quant à l’interdiction des actions préventives. On peut ranger trois types d’actions.

Première catégorie : les actions déclaratoires. L’action déclaratoire a pour objet de faire reconnaître en justice une situation qui n’est pas encore contestée mais qui risque de l’être prochainement.

Les tribunaux sont institués pour résoudre un conflit actuel, ils ne sont pas institués pour résoudre dans l’abstrait des problèmes de droit. Il y a des exceptions comme l’action déclaratoire de nationalité, la reconnaissance préventive de paternité.

Deuxième catégorie : les actions provocatoires. L’Ancien-Droit parlait d’actions de jactence.

L’action provocatoire a pour objet de contraindre celui qui se prétend publiquement titulaire d’un droit à agir en justice, pour faire valoir son droit ou bien y renoncer définitivement. Cette action est contraire au principe de la liberté d’agir en justice et est fermée en principe de manière très rigoureuse.

Troisième catégorie : les actions interrogatoires. Ces actions permettent au titulaire d’une option de l’exercer immédiatement, de l’obliger à l’exercer immédiatement.

En matière de société, par exemple, l’article 1844-12 du Code civil permet de contraindre celui qui se prétend titulaire d’une action en nullité soit d’exercer cette action, soit de régulariser. Il doit exercer ce choix sous la contrainte de l’action en justice.

Exemple de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions qui autorise l’héritier de second rang de contraindre celui-ci d’exercer l’action ou bien d’y renoncer. Les héritiers de second rang pourront exercer leur action contre les héritiers de premier rang.

  1. C) L’intérêt légitime pour agir.

C’est la dernière condition que doit réunir l’intérêt. Que faut-il entendre exactement par légitimité ?

Dans un sens premier, on peut dire que l’intérêt légitime est conforme au droit. La légitimité de l’intérêt implique sa juridicité. L’intérêt doit être juridique. Il doit être tel que le juge soit apte à trancher le litige par application de la règle de droit. Le litige doit trouver une solution juridique, c’est la notion de l’intérêt au sens premier. Ce premier sens soulève une difficulté. La recevabilité de la demande ne doit pas être confondue avec le bien fondé de celle-ci. Il faut se demander si le plaideur A ou le plaideur B sont titulaires d’une action qui permet au juge de se départir. C’est cette question sur laquelle nous statuons. L’intérêt est une question de la recevabilité de la demande. N’y a t il pas un glissement de la recevabilité vers l’appréciation de la demande ?

Ce glissement n’existe pas. Le juge qui a à se demander si l’intérêt est légitime ne doit pas préjuger à la solution à donner au fond du litige. Il doit simplement se demander, à ce stade, si le litige est tel qu’il peut trouver sa solution au droit. Il s’interroge sur la juridicité du litige, sans entamer la discussion du bien-fondé juridique. Il n’y a donc pas de glissement vers l’appréciation du bien-fondé de la demande.

Si aujourd’hui, on s’avisait de déférer Galilée à la justice au prétexte qu’il aurait prétendu que la terre tourne autour du soleil et pas l’inverse, cela ne serait pas possible. Le juge n’est pas scientifique. Celui qui agit en justice serait déclaré irrecevable pour faute d’intérêt juridique. Sa demande sera irrecevable.

La légitimité de l’intérêt a un autre sens. On ne se satisfait pas toujours en effet d’une appréciation toujours juridique de la légitimité. Parfois, le juge, au nom de cette condition va accepter de porter un jugement de valeur sur les prétentions qui lui sont soumises, sous les prétentions des plaideurs. Autrement dit, le juge va se demander si les considérations de morale voire d’opportunité ne font pas obstacle à l’action. Cette seconde utilisation n’est pas orthodoxe, mais existe parfois. Il y a des exemples en droit des obligations dans la réparation du préjudice moral, irréfléchi et indirect. La question est de savoir si la concubine peut obtenir réparation du préjudice moral que lui cause le décès de son concubin.

Dans un premier temps, la Cour de Cassation lui avait opposé une irrecevabilité pour faute d’intérêt légitime. Cette jurisprudence a été abandonnée en 1970 par la Cour de Cassation. Mais cette hypothèse utilise très bien la condition de la légitimité de l’intérêt à agir.

De même, la règle «nemo auditur» qui interdit de restituer en cas de contrat annulé pour immoralité de la cause, les prestations versées, en est un exemple. La question est de savoir si le juge ne pourrait pas utiliser directement les termes généraux du Code de Procédure Civile, l’exigence formelle d’un intérêt légitime, sur la recevabilité des demandes qui lui sont fournies.

Aujourd’hui, le pouvoir judiciaire qui tend à obtenir une indépendance de la norme légale montre que cette notion de la légitimité va être utilisée de plus en plus fréquemment.

Exiger que l’intérêt soit légitime, c’est exiger un intérêt suffisant pour agir, exiger que l’intérêt ne soit pas insignifiant, mais sérieux, non dérisoire. Le juge a tout intérêt à défendre cette conception de la légitimité de l’intérêt à agir sinon elle risque d’être submergée par des litiges qui devraient rester le non droit. Le juge ne devrait pas connaître des litiges sans importance. Par exemple, une demande de réparation à hauteur de quelques euros pour un préjudice corporel serait irrecevable.

En raisonnant autrement, en appréhendant la justice en tant que source officielle, en tant qu’autorité créatrice de droit, le débat prend un tout autre sens, pour le droit dans son ensemble, une querelle sans intérêt économique, peut avoir un intérêt juridique. Se battre pour le droit peut intéresser la jurisprudence. On s’aperçoit que cette condition de légitimité devient rapidement palpable. La jurisprudence en fait un usage très modeste. Il a, par exemple, été jugé que celui qui doit restituer la chose dont il était possesseur ne peut exiger l’indemnisation de dépenses minimes qu’il a engagé sur le bien. C’est une application de la règle «de minimis. » Il ne peut déférer la restitution en demandant le remboursement de dépenses minimes qu’il a engagé sur le bien.

À l’opposé, une jurisprudence connue voit l’hypothèse classique de l’empiétement de propriété. La Cour de Cassation rappelle qu’un empiétement de quelques centimètres autorise la destruction de l’édifice qui dépasse sur son terrain et n’a à justifier d’aucun préjudice particulier.

Il reste que l’intérêt n’est pas la seule condition de la recevabilité de la demande. Il existe une condition supplémentaire, c’est la qualité à agir.