L’obligation de motiver les décisions de justice

L’obligation de motiver les jugements

Exigence considérée comme une garantie des droits de la défense, protégeant les plaideurs contre l’arbitrairejudiciaire, leur permettant de comprendre le sens de la décision, d’apprécier son fondement et à partir de cette connaissance, les parties peuvent pleinement exercer les voies de recours éventuellement ouvertes.

→ droit, participant à la qualité de la justice.

CEDH a dégagé ce principe, qui n’est pas contenu explicitement dans l’article 6, en en faisant une application autonome du principe d’équité.

Arrêt du 9/12/1994 Hiro Balani c/ Esp.; Ruiz Torija c/ Esp.

Le justiciable doit pouvoir prendre connaissance des raisons qui ont amené le juge à prendre telle décision, et pouvoir les contester si le système juridique prévoit une voie de recours contre le jugement.

Principe de motivation, n’est pas inconnu des droits nationaux, notamment du droit français.

En droit interne, l’obligation de motiver les décisions de justice apparaît comme ayant un caractère fondamental, concernant toutes les juridictions, quels que soient les contentieux, et tous les jugements quelque soit leur objet, sous réserve de dérogations à caractère exceptionnel.

Mais en dépit de sa généralité, l’obligation de motiver les décisions de justice est affirmée avec une valeur inégale selon les procédures, et surtout cette obligation connaît un certain relâchement qui a fait douter de sa valeur, en tant que principe fondamental.

Toutefois, il semble que la jurisprudence européenne et celle constitutionnelle, conduisent à modifier notablement la situation.

A)- La valeur du principe de motivation :

En droit interne : obligation, pour le juge, mais pas de droit pour le justiciable.

Elle a été introduite par la loi des 16 et 24 août 1890, puis repris dans tous les codes de procédure.

En matière pénale, Code de Procédure Pénale 85 impose une obligation générale de motiver tous les jugements correctionnels ou de police, sa violation est sanctionnée par Code de Procédure Pénale593 qui frappe de nullité les décisions qui ne contiennent pas de motifs suffisants.

La mati pénale relève du pouvoir législateur, l’obligation de motiver est dotée d’une valeur légale, permettant au législateur de l’écarte, l’imposer.

La tendance législative s’oriente vers un renforcement de l’obligation de motiver, vers un droit pour le justiciable.

Mais les arrêts de la Cour d’assises ne sont pas assujettis à l’obligation de motiver, considérée comme incompatibles avec le principe de l’intime conviction, mais la CEDH ne sanctionne pas cette pratique françaises, validée dans l’affaire Papon, 15/11/2001 : considérant que l’exigence de motivation doit s’accommoder des exigences de la procédure, notamment devant la cour d’assises, où les jurés ne doivent pas motiver leurs intimes conviction.

Le ministère public et les jurés peuvent contester les questions libellées et posées aux jurés par le Président de la Cour d’assises, peuvent demander d’en poser d’autres.

Si le jury ne peut répondre que par un « oui » ou un « non, à ces questions, celles-ci forment une trame sur laquelle est fondée la décision, moyen de comprendre la solution.

En procédure administrative, la référence à une obligation de motiver est apparue tardivement, mais le Conseil d’Etat à défaut de texte spécifique a pris appui sur l’article 7 de la loi du 20/04/1810 relative à l’organisation judiciaire, pour imposer au juge administratif de motiver ses arrêts. Multiplication des textes particuliers imposant la motivation, le Conseil d’Etat en a fait une règle générale de procédure à portée impérative : l’obligation de motiver s’imposait même en l’absence de texte.

Puis édiction du CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE, le principe de la motivation a été inscrit à l’article 9 dans un chapitre préliminaire constituant l’énoncé des principes directeurs de la justice administrative, valeur législative et rôle important en matière processuelle.

En procédure civile, depuis le débiteur du XIXe, reprise dans tous les textes, aujourd’hui Code de Procédure civile 455et 458.

L’obligation de motiver est prescrite à peine de nullité du jugement.

Cette obligation s’impose également à la juridiction arbitrale (NCPC).

Mais procédure civile : nature réglementaire, et assortie d’un grand nombre de dispenses, le pouvoir réglementaire propose régulièrement d’alléger la motivation pour des raisons de rapidité.

Mais ces revendications n’aboutissent pas : motivation, appartient à la catégorie de principes fondamentaux.

Idée semble être défendue par le Conseil Constitutionnel : le principe de la motivation obligatoire s’est vu indirectement conférer une valeur constitutionnelle de par son rattachement aux droits de la défense.

Conseil Constitutionnel ; 18/01/1985 : exercice du pouvoir disciplinaire à l’encontre des administrateurs judiciaires.

Le Conseil Constitutionnel avait considéré que la commission de discipline avait l’obligation de statuer par décision motivée au nom de la garantie des droits de la défense.

Décision 22/01/1999 examen du traité ayant créé la Cour Pénale Internationale, la Conseil Constitutionnel a souligné que la motivation des arrêts de la Cour était un gage du respect du principe de la légalité des délits et des peines.

La motivation est de plus en plus considérée comme un droit à la compréhension du contenu de la décision, d’où son rattachement au droit de la défense, mais aussi au principe constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Sous cet angle, la motivation devient non seulement une obligation, mais s’impose comme un droit. Le droit interne l’a conçu comme une obligation pour le juge, le Conseil Constitutionnel le transforme en un droit pour le justiciable.

Cette vision s’inspire de la jurisprudence de la CEDH qui envisage ce droit à la motivation, comme un droit du justiciable.

Ce principe de motivation, ce droit à la motivation ne figure pas pour autant dans la CESDH, mais la Cour l’a bien consacré sur le fondement de l’art6§1er, mais à partir de notions clefs différentes.

En effet, le droit à la motivation a d’abord était rattaché au droit au recours ; CEDH ; 23/11/1992 Hadjianastassian : la Cour a rattaché cette obligation de motiver au droit au recours, lorsque les États ont instauré un double degré de juridiction, il faut respecter les garanties de l’article 6 et notamment permettre un accès effectif.

Or l’effectivité de l’accès au juge par l’exercice d’un recours n’est assurée, que si le justiciable connaît avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels les 1ers juges se sont fondés.

C’est la motivation qui révèlera au justiciable l’utilité d’un recours et qui permettra à la juridiction supérieure d’exercer un contrôle sur la décision rendue par les 1ers juges.

Puis la CEDH a consacré l’existence d’un droit à la motivation, indépendamment de l’existence d’un recours. CEDH ; 19/04/1994 Van de Hurk.

La CEDH a élargi les fondements du droit à la motivation, et à l’appréhender de manière différente, la motivation étant la manifestation visible de l’exigence d’impartialité.

Le jugement doit porter la trace d’un raisonnement juridique cohérent, et c’est justement ce raisonnement juridique cohérent qui chassera toute suspicion d’arbitraire ou de préjugé personnel.

Plus généralement et de manière constante, la Cour rattache l’obligation de motiver au droit à un procès équitable, et en fait une application autonome, considérant que c’est la motivation qui permettra de caractériser l’équité de la procédure.

C’est sur ce fondement, que la Cour a dégagé les principes applicables à la motivation.

B)- La portée du principe du droit à la motivation :

La Cour européenne a commencé par admettre que la motivation peut varier selon la nature de la décision et à affirmer qu’il fallait tenir compte pour l’apprécier des différences existant entre les États, et en tenant compte des pratiques judiciaires variées en ce qui concerne la présentation des décisions.

Pour autant, la CEDH a nettement exprimé que la motivation était un droit, en tant qu’élément inhérent au procès équitable et qu’elle devait permettre de vérifier que le justiciable a été effectivement entendu par le juge dans ses moyens de droit et de fait.

CEDH ; 9/12/1994 Hira Banaoui c/ Espagne et Ruiz Toria.

La cour adopte une appréciation in concreto de la motivation, elle ne cherche pas à uniformiser la rédaction d’une motivation, mais veille au respect d’un degré minimum de motivation, en dessous duquel un arrêt ne peut être considéré comme véritablement motivé et de nature à garantir un procès équitable.

C’est ainsi que la Cour n va pas imposer au juge de répondre de façon exhaustive à tous les arguments présentés par le justiciable, par contre elle va lui imposer de répondre aux moyens formulés clairement, précisément, étayé par des preuves et de nature à influer sur la solution du litige.

Arrêt Van de Hurk ; 1994 ; le Noble et Jahnke ; 2000.

La cour admet une motivation par incorporation des motifs d’une décision précédente, mais à la condition que la juridiction intervenant en second ne se soit pas contenter d’entériner purement et simplement la position de la 1ère juridiction, et que les questions aient été réellement examinées.

De même la CEDH ne sanctionne pas la pratique de la motivation implicite, dès lors qu’il existe un raisonnement qui permette de comprendre la motivation.

Si la cour analyse la motivation à travers les circonstances, elle cherche à vérifier que les finalités de la motivation soient respectées.

Or celles-ci sont multiples : permettre l’exercice effectif d’un recours, assurer la transparence d’un raisonnement juridique etc.

Absence totale de motif sanctionnée:

Ce qui rend la décision incompréhensible, et sentiment d’inéquité.

CEDH ; 19/12/1998 Higgins c/ France : la Cour de cassation avait statué sur plusieurs moyens concernant plusieurs procédures, mais elle avait motivé sa décision sur 2 procédures, sans évoquer la 3e, expressément évoqué dans les conclusions.

Oubli volontaire ? Accidentel ?

La CEDH a considéré que le silence était constitutif d’une atteinte au droit à un procès équitable, ne disposant d’aucune explication sur le sort différent appliqué à cette procédure.

La motivation peut démontrer par elle-même que les juges n’ont pas lu les pièces essentielles du dossier.

Ex : affaire Fouquet c/ France ; 31/12/1996 : la Cour de cassation n’avait pas assuré un procès équitable au justiciable, s’étant fondée sur une constatation manifestement inexacte relativement à la position du requérant. La Cour de cassation n’avait retenu qu’une partie des conclusions du requérant devant la CA, qui avait été avancés à titre subsidiaire sans tenir compte qu’une partie des conclusions était précédée à titre principal d’une argumentation différente.

Problème de responsabilité, le requérant avait commencé à titre principal à invoquer qu’il n’était pas responsable, et subsidiairement partage de responsabilité ? La Cour de cassation avait rendu sa décision que sur le partage de responsabilité, et non sur l’exonération.

Motivation insuffisante ou lapidaire :

Elle sanctionne la pratique de certaines juridictions nationales, qui appliquent les solutions légales, sans les caractériser.

Ex : CEDH ; 30/11/1987 H c/ Belgique : le jugement avait été rendu au motif qu’il existait des circonstances exceptionnelles et qu’une faute grave avait été caractérisé, sans développer.

Actuellement, Les cours d’assises doivent désormais motiver leurs verdicts. Pourtant, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel avaient jugé cette réforme inutile. De plus, elle contredit la volonté gouvernementale de rapprocher la justice du peuple.

C’est un grand chambardement pour la justice française. Lundi, deux grandes réformes sont entrées en vigueur : d’une part, l’entrée des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, d’autre part, l’obligation pour les cours d’assises de motiver leurs verdicts. Désormais, le président de la Cour devra rendre également une « feuille de motivation », rédigée par ses soins, qui sera « l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la Cour d’assises ».

Jusqu’ici, aux assises, la Cour se contentait de dire si l’accusé était coupable ou innocent, sans indiquer les motifs qui justifiaient le verdict. C’est la fameuse « intime conviction » des jurés, principe selon lequel ces derniers se prononcent selon leur propre conscience sans exposer d’autres arguments de fond ou de forme.

Mais ce principe a été attaqué une première fois en novembre 2010 par un verdict de la Cour d’assises du Pas-de-Calais dans une affaire de meurtre. Pour la première fois en France, un jury d’assises a rendu une décision motivée. Cette fois, la Cour ne s’est pas contentée de se prononcer sur la seule culpabilité mais a répondu en tout à 16 questions sur les circonstances et les éléments de preuve du crime. « Les parties sont en mesure de comprendre le verdict, on peut ainsi retracer le cheminement intellectuel du délibéré sans préciser qui a voté quoi ni pourquoi », avait souligné à l’époque le président de la cour d’assises de Saint-Omer, Dominique Schaffhauser.

Ce revirement s’est basé sur une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme rendue peu avant le verdict des assises du Pas-de-Calais. Dans cette affaire concernant la Belgique, le plaignant avait estimé que les verdicts non-motivés des assises locales violaient le droit à un procès équitable. Au final, la CEDH a condamné la Belgique. Certains ont alors vu dans cette décision de la Cour une possible remise en cause du système français et de ses verdicts non-motivés.