La citation directe et la constitution de partie civile

La mise en œuvre des poursuites par la partie civile : la citation directe et la comparution de partie civile

La partie lésée par l’infraction a le pouvoir de déclencher les poursuites. Sur le modèle du procureur, elle peut le faire devant une juridiction d’instruction ou de jugement. Nous avons cependant vu que le procureur de la république avait à sa disposition une liste étendue de moyens procéduraux pour déclencher l’action devant les juridictions de jugement. De ce point de vue, les possibilités sont plus réduites pour la victime. Si elle veut déclencher les poursuites devant la juridiction de jugement, elle a un seul procédé, tout comme devant la juridiction d’instruction. La victime ne peut qu’user de la citation directe devant la juridiction de jugement, et la constitution initiale de partie civile pour l’instruction. Cette mise en mouvement de l’action publique devant la juridiction de jugement ou instruction est définitive

Section 1 : La citation directe

L’Article 551 du Code de Procédure Pénale permet à la partie civile de déclencher les poursuites directementdevant la juridiction de jugement. Ceci n’est possible que si l’instruction n’est pas obligatoire. Si la partie civile prend l’initiative de déclencher les poursuites devant une juridiction de jugement, elle devra éventuellement verser une consignation dans un certain délai qui lui sera imparti. La somme correspondante sera destinée à garantir le paiement de l’amende civile qui pourra être prononcée contre elle dans l’hypothèse d’une décision de relaxe si on admet que son initiative a été fautive.

La consignation de cette somme est une condition de recevabilité de la citation directe. Si la citation directe est irrecevable, elle ne met pas en œuvre l’action publique, par absence de saisine de la juridiction de jugement.

Section 2 : La constitution initiale de partie civile

C’est la technique procédurale qui va permettre à la partie civile de demander la saisine du juge d’instruction, possibilité de l’article 85 du Code de Procédure Pénale (ratifiant la solution Laurent- Atthalin). Le domaine de la constitution de partie civile n’est pas exactement identique à celui du réquisitoire introductif d’instance. La partie civile ne peut en effet pas saisir une juridiction d’instruction à propos d’une simple contravention. Il ne faut pas confondre avec le cas de constitution de partie civile par voie d’intervention, dans lequel la partie civile se contente d’intervenir dans une instruction déjà ouverte où l’action publique est déjà déclenchée et où cette partie civile s’y joint.

Pour que cette constitution initiale de partie civile déclenche l’action publique, elle doit être régulière en la forme et recevable. Si elle est nulle ou irrecevable, elle ne saisit pas la juridiction d’instruction et ne déclenche pas l’action publique.

S’agissant du formalisme de constitution de partie civile, il est simple. Ce formalisme se réduit souvent au dépôt d’une plainte qui peut prendre la forme d’une simple lettre datée et signée et qui précise les faits dénoncés. Il peut aussi s’agir d’une simple déclaration verbale faite au juge. Le dépôt de cette plainte donnera lieu à une ordonnance du juge par laquelle il constatera son dépôt. La régularité formelle de la plainte avec constitution de partie civile est donc facile à obtenir tant les formalités sont élémentaires.

Les conditions de recevabilité sont plus complexes. Il faut préciser cela. Cela soulèvera la question délicate qui concerne les effets d’une constitution de partie civile irrecevable.

  • 1. Les conditions de recevabilité de la constitution de partie civile

La recevabilité d’une constitution de partie civile est soumise à deux types de conditions : celles qui concernent la forme de la constitution et celles qui concernent la recevabilité au fond.

  1. La recevabilité en la forme

Traditionnellement, cette recevabilité en la forme dépendait de la nécessité de consigner une somme dans un certain délai, sauf aide juridictionnelle, destinée à garantir le paiement d’une amende civile qui viendrait à être prononcée contre la partie civile dans l’hypothèse où l’on estimerait que son acte a été fautif. Le versement effectif de cette somme à consigner est une condition de recevabilité en la forme, de la constitution de partie civile . Cela signifie que, si à l’expiration du délai fixé par le juge, la somme n’a pas été versée, la constitution de partie civile est irrecevable.

De la même manière, une constitution de partie civile serait irrecevable si elle violait la règle Electa una via [Celui qui s’estime victime d’un délit a la possibilité de porter son action, soit devant la juridiction répressive, soit devant la juridiction civile. Son choix est a priori libre ; mais une fois qu’il l’a effectué, il doit s’y tenir (sinon le prévenu pourrait voir son système de défense contourné)]. C’est-à-dire si la personne a déjà agi pour les mêmes faits devant les juridictions civiles.

Plus récemment, par l’effet d’une réforme de 2007, on a ajouté une nouvelle condition de recevabilité en la forme en matière de délit, à l’exclusion de certains d’entre eux comme les délits de presse. Pour le commun des délits, le législateur impose depuis cette loi,

à la personne qui veut se constituer partie civile, d’attendre de connaître l’opinion du procureur de la république à la suite du dépôt de sa plainte . Plus précisément, il est prévu par l’article 85 réécrit en 2007, que la personne qui veut se constituer partie civile, doit attendre que le procureur de la république lui fasse connaître qu’il a décidé de ne pas poursuivre, ou doit attendre que le procureur soit resté sans réaction pendant 3 mois à la suite du dépôt de plainte.

C’est une solution qui est un repli manifeste par rapport à la solution de l’arrêt Laurent Atthalin. Cette réforme ne remet pas en cause ce pouvoir mais en interdit l’exercice immédiat, imposant à la partie civile de respecter un certain délai. C’est une régression, une atteinte au pouvoir des parties civiles. Le législateur a simplement eu la sagesse, dans son inconséquence, de dire que la prescription est suspendue pendant toute la durée de l’attente de la réponse du procureur.

  1. La recevabilité au fond

S’agissant du fond, la recevabilité d’une plainte suppose que son auteur ait la qualité pour agir. La victime devra ainsi établir qu’elle a personnellement souffert du dommage causé par l’infraction. Les conditions de l’article 2 du Code de Procédure Pénale ne sont pas intégralement à respecter au stade de l’instruction. Il est en effet de jurisprudence constante que, pour qu’une plainte avec constitution de partie civile soit recevable, il n’est pas nécessaire que l’auteur de la plainte établisse qu’il a personnellement souffert du dommage . On estime que cela serait trop exiger de la partie civile. La jurisprudence se contente donc de ce que les circonstances sur lesquelles la plainte s’appuie « permettent d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué par la partie civile et sa relation directe avec les faits dont le juge est saisi ». On se contente d’une possibilité que la personne ait souffert comme elle le prétend et qu’il y ait un lien avec l’infraction.

Cette plainte, obéissant à ces conditions souples, sera communiquée au ministère public afin qu’il prenne ses réquisitions étant entendu que cette règle doit être bien comprise : dire que le juge d’instruction va solliciter les requêtes du ministère public ne signifie pas que ce sont des ordres. Pour le reste, réquisition ou pas du parquet, la plainte avec la constitution initiale de partie civile, si elle est bonne, saisit le juge d’instruction, lequel doit alors instruire.

À cette obligation d’instruire, il y a un tempérament. Le juge d’instruction, en dépit de l’article 85 et de Laurent Atthalin, peut refuser d’instruire en rendant une ordonnance de refus d’informer. Ceci vaut également pour une chambre d’instruction,qui peut rendre un arrêt de refus d’informer. Cette décision est dangereuse puisqu’elle restaure le monopole du parquet dans le déclenchement des poursuites, préoccupant dans un État de droit. Il faut donc se féliciter de ce que le Code de Procédure Pénale pose en son article 86, des conditions drastiques auxquelles la Cour de cassation veille strictement. Une décision de refus d’informer est exceptionnelle et rarissime . Il faut qu’il soit manifeste, évident que les faits visés dans la plainte ne sont pas punissables ou ne le sont plus.

En application de la jurisprudence, dès l’instant qu’il y a la plus petite possibilité que les faits soient punissables, il est obligatoire d’instruire si la demande en est faite par plainte avec constitution de partie civile.

  • 2. Les effets de la constitution de partie civile irrecevable

Cette décision d’irrecevabilité peut être déclarée rendue d’office par le juge d’instruction, et peut également intervenir à la demande du procureur qui dira au juge d’instruction qu’il estime que cette constitution de partie civile est irrecevable.

Cette recevabilité peut être contestée par la personne mise en examen. Une partie civile déjà déclarée recevable peut voir d’un mauvais œil une nouvelle constitution de partie civile. Le juge d’instruction pourra donner une ordonnance d’irrecevabilité de constitution de partie civile dont l’intéressé peut faire appel.

Mais supposons que cette plainte soit avec constitution initiale de partie civile. Si la constitution de partie civile est déclarée irrecevable, le juge d’instruction n’est pas saisi, et l’action publique n’est pas mise en mouvement. Il faudrait que le procureur, sachant cela, prenne l’initiative de saisir de son propre chef le juge d’instruction par un réquisitoire introductif d’instance, mais la saisine découlerait donc de ce réquisitoire et non de la plainte.

L’auteur de la plainte ne sera pas content si sa demande est déclarée irrecevable. Il lui faudra alors un recours. Le juge d’instruction n’est pas saisi, mais il y a un possible appel. Pourtant, si on dit que cette partie déclarée irrecevable peut faire appel, elle est partie car elle a une voie de recours, mais partie à quoi puisqu’il n’y a pas d’instruction… on tourne en rond.

On est en présence d’une situation juridique inexplicable. Le problème réside dans le fait que si c’est une constitution de partie civile par voie d’intervention, qui intervient alors que l’instruction a lieu depuis plusieurs années, on a tous les droits d’une partie, y compris la possibilité de faire appel et d’accéder au dossier de la procédure. Cela permettait, en matière économique, à un concurrent de se constituer partie civile de manière fantaisiste pour faire appel et avoir accès au dossier de son concurrent.

Il a donc fallu que le législateur trouve une parade à cette situation. Si une partie est déclarée irrecevable par un juge d’instruction, son avocat a accès au dossier mais il ne peut communiquer des pièces qui se trouvent dans ce dossier qu’avec l’accord du juge d’instruction. C’est donc ici le juge d’instruction qui peut maîtriser le risque de l’accès au dossier. On a un recours de ce refus devant le président de la chambre de l’instruction. Si le problème se pose alors devant la chambre de l’instruction, l’avocat de la partie civile n’a pas accès au dossier devant la chambre de l’instruction.

On peut envisager qu’un juge d’instruction, après avoir conclu à la recevabilité d’une constitution de partie civile, change d’opinion. Ainsi, tous les actes que le juge d’instruction aura effectués sur le fondement de sa décision initiale, ne sont pas remis en cause par la décision d’irrecevabilité, ils demeurent parfaitement réguliers.

Ensuite, la décision sur la recevabilité au stade de l’instruction n’a pas autorité de la chose jugée devant la juridiction de jugement. Il est donc parfaitement possible qu’une personne soit déclarée recevable devant la juridiction d’instruction et irrecevable devant la juridiction de jugement, et inversement.