La délimitation du domaine public naturel et artificiel

Délimitation entre domaine publique et propriété riveraine.

Les rapports de voisinage envisagés sont les rapports entretenus entre le domaine public et la propriété privée. On ne peut pas comparer le voisinage particulier aux rapports de voisinage existant entre les seules propriétés privées telles que les troubles du voisinage, la mitoyenneté, les servitudes civiles. Même si ces notions se retrouvent, lorsqu’il s’agit d’envisager les rapports de voisinage entre domaine public et la propriété privée, il est possible d’en transposer les règles en raison de la spécificité de la domanialité publique.

  1. Problématique.

En droit privé des biens, la délimitation entre les propriétés s’opère par le bornage, mais les deux fonds contigus doivent faire l’objet d’une propriété privée. C’est dire que le bornage ne peut servir à délimiter le domaine public, il lui est inapplicable. La délimitation du domaine public est une opération effectuée unilatéralement par l’administration et elle ne relève pas de la compétence judiciaire. La Cour de Cassation a d’ailleurs précisé assez tôt dans son arrêt du 7 mars 1934, qu’on ne saurait procéder au bornage entre un fonds privé et le domaine publique.

En revanche, l’action de bornage est applicable au domaine privé de l’État. Exemple: une action en bornage peut être exercée contre une collectivité publique dès lors qu’elle vise son domaine privé. (Entre deux propriétés privées, c’est le civil qui s’applique).

Les documents cadastraux ne sauraient eux non plus faire la preuve d’une délimitation de propriété avec le domaine public. En effet, la fonction du cadastre est de permettre une évaluation des biens afin de fixer l’assiette de calcul des impôts locaux. En aucun cas, les relevés cadastraux ne fournissent une preuve ou un titre de propriété. Tout au plus, la jurisprudence a considéré qu’ils peuvent être admis comme des présomptions ou des indices. En réalité, la délimitation du domaine public obéit est régime juridique autonome du droit public. Ce régime se subdivise en plusieurs sous régime selon la domanialité publique envisagée. Ainsi par exemple, la délimitation des terrains militaires, celle des voies ferrées, celle des bâtiments administratifs ou celle des immeubles affectés au service public, obéissent chacune à des règles spéciales.

La grande distinction à retenir lorsqu’on s’interroge sur la délimitation du domaine public est celle reposant sur le domaine public naturel et sur le domaine public artificiel. Il faut préciser que l’administration a l’obligation de procéder à la délimitation du domaine public. L’arrêt du conseil d’État du 5 janvier 1975 « DECLOITRE » pose le principe selon lequel la délimitation est un droit pour les riverains. L’arrêt du conseil d’État du 6 février 1976 précise qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne confère à l’administration le pouvoir de refuser de faire droit pour des motifs d’opportunité à une demande de délimitation qui lui était faite.

En revanche, l’administration n’est tenue de faire droit à une telle demande que dans la mesure où elle émane de riverains et non de toute personne intéressée. Le conseil d’État a ainsi précisé dans un arrêt du 13 février 2002 « Ministre de l’équipement et des transports c/ Association pour la défense de l’environnement du Golf Tuan Vallauns », que cette demande ne pouvait pas provenir d’une association de la protection de la nature.

  1. La délimitation du domaine public naturel.

Il s’agit du domaine maritime et fluvial. La délimitation opérée par l’administration repose sur un constat : celui du jeu de phénomènes naturels marins et fluviaux. La délimitation a donc un caractère déclaratif ou recognitif, et non constitutif de la domanialité publique. L’administration constate l’existence et les conséquences de phénomènes naturels mais elle ne saurait étendre l’assiette du domaine au-delà des limites résultant de ces phénomènes. Cette délimitation a lieu après enquête publique.

  1. La délimitation régulière.

Si la délimitation est régulière, elle n’ouvre droit à aucun recours. Le riverain qui voit éventuellement diminuer l’assiette de sa propriété ne peut que subir le phénomène naturel à l’origine de la délimitation.

La jurisprudence a toutefois admis la possibilité d’un recours en indemnisation lorsque les riverains tenaient leur droit de propriété de l’administration elle-même, notamment à la suite d’une vente domaniale ou d’une concession de legs et relais.

La délimitation a un caractère contingent, c’est-à-dire que la configuration de l’état des lieux est toujours susceptible d’être modifiée par la survenance d’un nouveau phénomène naturel, et le riverain pourra alors demander une nouvelle délimitation qui lui sera favorable. Il se peut que la délimitation du rivage maritime et fluvial résulte de travaux entrepris par l’administration. Si ces travaux ont été régulièrement entrepris, la délimitation est elle-même régulière, mais les riverains dépossédés disposent d’un droit à indemnités. Si ces travaux ont été irrégulièrement entrepris (autorité incompétente,…), la délimitation consécutive est elle-même entachée d’irrégularités. On se référera à la délimitation antérieure régulière.

  1. La délimitation irrégulière.

Lorsque la délimitation est irrégulière ou si l’administration a étendue la délimitation du strict phénomène, les riverains peuvent intenter un recours en légalité ou en responsabilité.

Le recours en légalité : il s’agit essentiellement du recours pour excès de pouvoir. Il aboutit à faire annuler une délimitation irrégulière ou à faire annuler une décision de refus de délimitation.

Le recours en responsabilité (ou en indemnités) : l’arrêt de principe du tribunal des conflits du 11 janvier 1873 « PARIS-LABROSSE » : c’est arrêt a été rendu dans un sens contraire à celui des conclusions du commissaire du gouvernement David, et continue de susciter quelques controverses. Le tribunal des conflits a admis la possibilité d’un recours en responsabilité devant le juge judiciaire, gardien de la propriété privée, afin d’obtenir une indemnisation pour dépossession. Pour le commissaire du gouvernement, à partir du moment où il existe un recours en légalité, il n’y a pas lieu d’intenter un recours en responsabilité.

  1. La délimitation du domaine public artificiel.

Par la délimitation du domaine public artificiel, il s’agit d’étudier le procédé par lequel s’établissent les limites de la voirie terrestre, à l’usage de tous. Ce procédé c’est l’alignement.

  1. Le plan d’alignement.

Il consiste dans la délimitation générale d’une voie ou d’un ensemble de voies, et confère à l’administration un pouvoir important quant aux limites des propriétés qu’elle détermine.

Le plan est pris après enquête publique. Il est opposable aux administrés après publication, et il peut être contesté sur le terrain de la légalité des actes réglementaires. À l’occasion du plan, l’administration peut décider :

_ soit de censurer telles qu’elles les limites établies.

_ soit de les rétrécir, amoindrissant ainsi la surface du domaine public.

_ soit de les élargir.

Ce pouvoir unilatéral est discrétionnaire.

Le rétrécissement de la voie publique : on se trouve en présence d’une portion du domaine public qui devient déclassé, et qui tombe de ce fait dans le domaine privé de l’État.

L’article 112-8 du code de la voirie routière prévoit que si cette parcelle déclassée vient à être vendue, les propriétaires riverains disposent à son égard d’un droit de préemption.

L’élargissement de la voie publique : le droit de propriété des riverains va subir les assauts des prérogatives du droit public, prérogatives qui se rapprochent de celles de l’expropriation sans pour autant offrir aux propriétaires privés évincés les mêmes garanties. C’est la raison pour laquelle, en dépit de ces pouvoirs, la jurisprudence a tenté de limiter le champ d’application de la procédure d’alignement.

L’alignement qui opère élargissement, emporte transfert de propriété au profit du domaine public, et au détriment de la propriété privée riveraine. L’alignement réalise une attribution de propriété par empiètement.

_ Si les propriétés sont des terrains nus et non clos, la publication même du plan emporte un transfert de propriété immédiat. À défaut d’accord amiable sur le montant de l’indemnité destinée à compenser cette perte de propriété, ce montant est fixé comme en matière d’expropriation.

_ Si les terrains concernés par l’alignement sont bâtis ou clos, il n’y a pas de transfert immédiat de propriété mais le plan frappe le fond d’une servitude de reculement dans les limites de la voie nouvelle qu’il détermine. Par cette servitude, le propriétaire ne pourra procéder sur son immeuble qu’à de simples travaux d’entretien, à l’exclusion de tous travaux confortatifs, de constructions nouvelles ou de surélévation (sauf s’il s’agit d’un immeuble classé monument historique). Le transfert de propriété au profit de l’administration se réalisera lorsque l’immeuble, généralement frappé de vétusté à force de ne plus être conforté, menacera ruine ou sera dans un état tel que sa démolition s’imposera. À ce moment-là, le transfert dans le domaine public se fait.

Cette incorporation au domaine public ouvre droit au propriétaire à une indemnité calculée comme en matière d’expropriation, sachant qu’elle est fixées en considération de la valeur de la parcelle qu’elle est devenue (c’est-à-dire terrain nu) et non de la valeur de la parcelle qu’elle était auparavant (terrain bâti).

Ce pouvoir de l’administration ressemble à celui dont elle dispose en matière d’expropriation. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence a tenté d’encadrer cette procédure de manière à préserver les droits des propriétaires riverains, dans la mesure où cette protection est compatible avec le concept d’alignement :

La procédure d’alignement ne peut être utilisée pour créer des voies nouvelles. Elle s’applique seulement sur des voies existantes. Si l’administration désire créer de nouvelles voies, elle doit passer par la procédure d’expropriation.

L’alignement doit certainement permettre un aménagement du tracé préexistant par simple élargissement ou redressement de la voie, mais il ne doit pas entraîner un déplacement de l’axe lui-même.

L’élargissement ne saurait non plus être trop important. Il s’agit de proportions qui ne bouleversent pas le tracé précédent. Est illégal le plan qui porte à 12 m la largeur d’une voie initiale de 6 m.

L’élargissement ne peut s’étendre trop profondément, notamment s’il ne se réalise que d’un côté de la voie.

Enfin, lorsque l’alignement intéresse un terrain sur lequel il y a une construction, et même si l’élargissement s’étend peu en profondeur, il doit demeurer dans des proportions telles qu’il laisse le bâtiment utilisable ou telle que les frais de réaménagements occasionnés restent modérés.

LES PLANS PARTICULIERS:

Ils s’exercent dans le cadre de plan d’urbanisme. Ils ont vocation à se substituer aux plans d’alignements initiaux. Le tracé peut consister à opérer des aménagements de voirie conséquents, et on considère que l’administration dispose de pouvoirs beaucoup plus étendus que pour un simple plan d’alignement. En particulier, l’alignement peut être fixé quel que soit l’importance de l’élargissement de la voie et de l’emprise sur la propriété privée.

Dans cette hypothèse de plan d’urbanisme, le propriétaire peut faire jouer son droit à expropriation totale s’il s’avère que la superficie qui lui reste, une fois retranchée celle qui englobe le plan d’alignement, ne lui permet pas de construire un bâtiment salubre.

  1. L’alignement individuel.

Il fait connaître au propriétaire riverain du domaine public la « limite de la voie au droit de sa propriété ». Il est délivré sous forme d’arrêté. Son effet n’est pas attributif de propriété mais simplement déclaratif. En effet, l’arrêté d’alignement individuel est nécessairement conforme au plan d’alignement dont il ne fait que constituer le prolongement sans marge de manoeuvre possible pour l’administration. Même dans le cas où il n’y avait pas de plan d’alignement (tracé ancien,…), l’administration est tenue de s’en référer strictement aux limites de la voirie telle qu’elles existaient en fait.

L’alignement individuel permet au propriétaire d’effectuer sur sa parcelle des travaux en bordure de voie. Il doit obtenir l’arrêté avant de commencer ses travaux, et peu importe qu’il dispose déjà d’un permis de construire car l’obtention de ce permis ne le dispense pas de l’obligation qu’il a de se faire délivrer l’arrêté d’alignement individuel. L’article 112-4 du code de la voirie routière dispose que l’administration est tenu de lui délivrer l’alignement demandé. Le cas échéant, le refus de délivrance est de nature à engager la responsabilité de l’administration.

On voit que la procédure d’alignement offre à la législation de réaliser une expropriation indirecte sans en subir les inconvénients. Mais depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 6 janvier 1994 « BAUDON DE MONY», tout porte à croire que le juge (y compris le juge administratif) attachera une attention toute particulière au respect du droit de propriété dans le cadre de la procédure d’alignement. Par cet arrêt en effet, la Cour de Cassation a posé pour principe que « un transfert de propriété non demandé par le propriétaire ne peut intervenir qu’à la suite d’une procédure régulière d’expropriation ». Cet arrêt n’intervient pas dans un contexte d’alignement, et il est issu d’une juridiction d’ordre judiciaire. Mais cet arrêt a fait grand bruit en droit administratif car il vise à mettre un frein aux procédures d’expropriation détournées. De plus, les efforts du juge administratif permettent d’espérer que le contentieux d’alignement s’exercera dans ce sens (conservation des garanties du droit de propriété).