La détermination de l’état de la technique et de la nouveauté absolue

La condition de nouveauté: la détermination de l’état de la technique

L’article L. 611-11, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’«Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique». L’alinéa 2 ajoute que «L’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage, ou tout autre moyen».

La nouveauté d’une invention est déterminée sur la base d’une comparaison entre l’objet pour lequel une protection est demandée, et ce qui constitue l’état de la technique.

Que signifie « état de la technique » et comment le déterminer?

La définition de l’état de la technique induit le caractère absolu de la nouveauté, et sa détermination sera guidée par ce principe (1). Néanmoins, ce principe est atténué par un certain nombre de tempéraments (2)

1) le principe de la nouveauté absolue?

Le principe de la nouveauté absolue se traduit par la conception très extensive de l’état de la technique, conception qui se manifeste au regard de plusieurs éléments, comme l’accessibilité (a), le public (b), et la date de la divulgation (c).

  1. La notion d’accessibilité

C’est le terme visé par le texte qui nous dit que l’état de la technique comprend tout ce qui a été rendu accessible au public. Cette accessibilité est entendue assez largement, d’abord parce que le texte inclut dans l’état de la technique tout ce qui préexiste à la date de dépôt de la demande de brevet. On est ici sur un texte qui vise tout ce qui a été divulgué par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.

La notion d’accessibilité est également large, dans la mesure où elle se distingue de la simple connaissance. Autrement dit, on considère qu’il n’est pas nécessaire que le public ait une connaissance effective des antériorités, dès lors qu’il a la possibilité de les connaître.

Cette conception extensive des modes de divulgation aurait pu engendrer une conséquence assez radicale s’agissant des inventions impliquant des organismes vivants. En effet, dès lors qu’une antériorité peut naître de tout moyen, on devrait considérer qu’une invention est divulguée si elle existe dans la nature. Toute matière vivante partant nécessairement d’une matière existant dans la nature, elle est potentiellement accessible.

Ce n’est cependant pas l’approche qui a été consacrée par la jurisprudence, puisqu’elle estime que la nouveauté n’est pas détruite du seul fait de l’existence d’une substance – d’un organisme – dans la nature. Elle estime en fait que, dans la mesure où le texte précise que l’invention doit avoir été rendue accessible, cela implique une action humaine. Or, cela va de soi, la prise en compte de l’existence d’une substance dans la nature ne tient pas compte de cette nécessaire intervention.

D’une manière générale, les substances naturelles se trouvent dans un milieu naturel complexe, et cette situation s’oppose à une utilisation directe, une utilisation technique, immédiate. Pour élever un organisme vivant au rang d’invention, il faudra donc nécessairement passer par une série de manipulations techniques qui mettront en avant ces caractéristiques. On voit bien ici que finalement, cette question de savoir que certains éléments, certains organismes préexistent dans la nature, ne va pas forcément faire tomber la condition de nouveauté, au motif que le public en aurait connaissance.

On est ici sur une appréciation qui a été menée par l’Office européen des brevets et qui cadre un peu les choses, car l’OEB indique qu’une invention est nouvelle si son existence n’a pas été reconnue auparavant. Par conséquent, il ne suffit pas que l’objet d’une invention existe pour que tombe la nouveauté, il faut que cette existence soit connue du public. Finalement, contrairement à la première impression que l’on pourrait avoir, on est contraints de réduire l’approche de cette notion d’accessibilité.

Ce questionnement est apparu dans le cadre d’une demande de brevet portant sur des séquences d’ADN. On s’est demandé si la préexistence d’une séquence d’ADN dans son environnement naturel n’est pas de nature à détruire sa nouveauté une fois que la séquence est analysée, décryptée. Si l’on applique le raisonnement de la jurisprudence de l’OEB, dans ce cas de figure – et d’une manière générale, d’ailleurs – on doit considérer qu’il s’agit de gènes isolés d’un génome naturel, ou de gènes synthétisés artificiellement, mais identiques à des gènes existant dans la nature, que ces substances constituent des objets mis à la disposition du public à la suite d’une manipulation technique. Donc, on est quand même relativement à l’abri, malgré une conception assez large de la notion d’accessibilité ; on sait que sur ce type de manipulations, il y aura une plus-value.

Enfin, la doctrine considère que l’invention n’est accessible que si elle est susceptible d’être comprise. Autrement dit, l’accessibilité matérielle à l’objet de l’invention n’a de sens que si elle se double d’une accessibilité intellectuelle. On en déduit qu’une invention portant sur un produit – comme un médicament, par exemple – reste nouvelle si l’usage qu’il en est fait est insusceptible de révéler au public les moyens, les éléments qui la constituent.

Exemple : on a une gélule de médicament, on ne pourra pas savoir comment elle a été conçue.

Il faut voir tout ce qui existe et tout ce qui a été rendu accessible au public avant de poser sa demande de brevet, car plus vite on dépose, plus vite on arrête l’état de la technique. Il faut voir ce qui existe déjà et ce qui serait susceptible d’être opposé par un tiers lors d’une demande de brevet. C’est donc une démarche devant être fait a priori, et qui consiste en une recherche portant sur ce qui existe au moment de la demande de brevet.

  1. La notion de public

Pour que tombe la nouveauté, il faut, selon le texte, que l’invention ait été rendue accessible au public. Le texte ne précise à aucun moment la qualité des personnes qui composent ce public. Il n’y a aucun critère de fourni par le texte, et pas non plus de précision quant au nombre de personnes qui peuvent avoir eu accès à l’invention. On peut donc considérer que ce nombre est indifférent.

La nouveauté tombera dès lors que l’invention est accessible à des personnes aptes à la comprendre et à transmettre la connaissance qu’elles en ont. Cette précision de la compréhension de l’invention fait écho à cette idée d’accessibilité, et cela implique que le public doit être capable de comprendre l’invention.

  1. Le moment où l’invention est accessible

La nouveauté d’une invention tombe lorsque son contenu a été divulgué avant le dépôt de la demande de brevet. Cela veut dire qu’il n’y a pas de limitation dans le temps, en arrière. On a donc une date butoir, qui est la date de dépôt de la demande de brevet, mais on peut aller rechercher aussi loin qu’on veut dans le temps des antériorités pour les opposer au demandeur. Donc, cela signifie qu’il y a une capacité d’opposition qui est assez forte.

Ce principe est simple, car tout ce qui est fait après la demande de dépôt n’est pas pris en compte. Mais ce principe souffre toutefois d’une exception, destinée à éviter la double brevetabilité. L’article L. 611-11, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle inclut en effet dans l’état de la technique «le contenu de demandes de brevets français et de demandes de brevets européens ou internationales désignant la France, qui ont une date de dépôt antérieure à la date de dépôt de la demande, et qui n’ont été publiées qu’à cette date ou à une date postérieure».

Le dispositif signifie que la demande de brevet dont le contenu n’est pas encore accessible au public – car on fait tout pour garder le secret avant – peut néanmoins faire échec à la nouveauté d’une invention déposée postérieurement à la date de dépôt de cette demande. Cette exception joue uniquement si la première demande est finalement publiée. Ainsi, lorsque le déposant initial se voit opposer un refus de brevet, ou s’il décide de retirer sa demande, son invention ne sera pas comprise dans l’état de la technique, et ne s’opposera donc pas à la brevetabilité de l’invention postérieure.

On a donc :

L’état de la technique à Le dépôt de la demande du brevet A par X, le 1er janvier 2015 à à + 18 mois, il y aura la publication de la demande.

Quid si quelqu’un d’autre dépose une demande plus tard ?

L’état de la technique à Le dépôt de la demande de brevet A pour Y, le 1er juillet 2015 : Y va donc faire des recherches, mais A n’a pas été publiée, alors qu’elle existe, car le délai des 18 mois n’est pas encore passé.

Que faire ?

On va inclure dans l’état de la technique cette demande de brevet, qui n’est pas encore rendue accessible, et donc cette antériorité va pouvoir être opposable. Mais si 18 mois plus tard, la demande faite par X est retirée, ou si la demande est mal formulée, ou s’il y a une irrecevabilité, etc., on fera sortir de l’état de la technique le dépôt de la demande par X, et Y pourra obtenir son brevet.

  1. Les tempéraments au principe de nouveauté absolue

Ces tempéraments sont de deux sortes :

  • Il y a tout d’abord un principe de priorité(a) ;
  • Il y a ensuite le délai de grâce (b).

  1. Le droit de priorité

La nouveauté absolue pose un certain nombre de difficultés, notamment en lien avec les contraintes de certains chercheurs, tenus de publier le plus rapidement possible les résultats des recherches qu’ils mènent. La contrainte peut être d’ordre académique ou économique.

Cette nécessité de communiquer rapidement, et donc de déposer au plus vite sa demande de brevet pour éviter d’antérioriser sa propre invention – c’est-à-dire de créer soi-même l’antériorité qu’on va nous opposer – est partiellement éludée par le principe du droit de priorité.

Ce principe se décline de la manière suivante :

  • D’abord, on l’appelle le droit de priorité interne: ce principe va offrir à l’inventeur la possibilité dans un délai de 12 mois – qui court à compter de la date du dépôt de sa demande de brevet – de déposer une nouvelle demande de brevet portant sur un objet amélioré ;
  • Cette seconde demande, qui doit émaner du même déposant, fusionnera avec la première demande, et la nouveauté sera appréciée au jour du dépôt initial pour les éléments communs aux deux demandes ;
  • Ce droit de priorité est dit interne, dans la mesure où il joue sur le territoire national uniquement.

Donc, la première demande doit être faite sur le territoire national, et cela vaut également pour la seconde demande, indépendamment de ce qui se passe ailleurs.

Quand on publie rapidement, le problème est que l’on n’est pas forcément complètement au point sur l’ensemble des applications qu’on est susceptible d’envisager. Donc, cette procédure de priorité interne est destinée à déposer au plus tôt une demande pour un brevet de base, demande qui peut être complétée par une demande plus étoffée comportant de nouvelles applications, par exemple.

On peut se dire finalement qu’on peut très bien imaginer de déposer un premier brevet de base, et que rien ne nous empêche de déposer plus tard de nouvelles applications.

A quoi sert donc ce délai interne ?

On va déposer des éléments, mais uniquement ceux qui sont communs à la demande, ce qui est un élément important.

Pourquoi ?

On a un délai de 12 mois pour déposer un dépôt supplémentaire. Mais sans le droit de priorité, le premier brevet antériorise la deuxième demande de brevet, et il existe déjà un brevet A qui reprend l’invention, donc l’invention n’est pas nouvelle, et ce n’est qu’un supplément qui n’est pas dissociable de A. On cherche donc à faire un dépôt d’ensemble, qui inclut le complément (invention A + ses améliorations ou applications particulières). Dans l’esprit du législateur, comme ce délai est fait pour permettre à l’inventeur d’aller jusqu’au bout de son invention, et de perfectionner au maximum son invention, on peut imaginer que le premier brevet ne soit pas parfait, et même qu’il va lui manquer des conditions.

Exemple : il manque la condition de l’application industrielle, par manque de notions de l’application industrielle.

C’est donc un délai qui va permettre de geler l’état de la technique sur A, et donc d’effectuer un dépôt complet au bout de 12 mois. Donc, la date considérée comme intangible ne l’est plus autant dans ce cas de figure, car on la prolonge d’un an s’agissant de la priorité interne.

Le législateur prévoit également un droit de priorité unioniste, qui permet au titulaire d’une première demande de brevet déposée dans l’un des Etats-membres de la Convention d’Union de Paris de 1883, d’effectuer dans un délai de 12 mois d’autres dépôts de la même invention à l’étranger, sans que l’on puisse lui opposer l’antériorité apparue pendant la durée du délai couru depuis le dépôt de la première demande.

La date d’appréciation de la nouveauté est donc portée au jour de la première demande pour toutes les demandes faites dans ce délai d’un an.

Cela permet d’effectuer un dépôt en France au 1er janvier 2015, et de réfléchir pendant 12 mois quant à l’opportunité de déposer une demande dans d’autres pays membres de la Convention d’Union de Paris, soit environ 180 pays.

L’avantage, c’est donc que pendant cette période, il a pu se passer beaucoup de choses, et peut être que des concurrents ont dévoilé des technologies qu’ils n’ont pas l’intention de faire breveter, mais peu importe, cela n’aura aucune incidence. On vient donc geler la technique sur tout ce qui concerne la demande de brevet A. On va donc apprécier la date de demande du dépôt initial : il y a un effet rétroactif, car ici c’est la date d’appréciation de la nouveauté qui compte.

C’est un délai qui est long, mais l’idée est de donner le temps de réfléchir à l’opportunité de déposer dans d’autres pays. Cette priorité permet de se positionner sur un marché.

Il est possible qu’entre temps – car la notion d’antériorité est très large – l’industriel ait voulu proposer un produit nouveau sans passer par un brevet, car le choix des brevets ne s’impose pas automatiquement selon les domaines.

Exemple : en ce qui concerne les appareils photos, les innovations sont des innovations à 6 mois, et souvent la stratégie commerciale est de se dire qu’il faut surfer sur une technologie nouvelle dont la durée de vie est de 6 mois.

Exemple : pour les iPhones, la stratégie est de sortir un nouveau modèle tous les ans.

Il faut donc être le premier à proposer le produit pour être avant-gardiste, il faut être dans l’innovation technologique permanente. Ce sont donc des entreprises qui ne vont pas forcément aller sur le brevet.

  1. Les délais de grâce

L’article L. 611-13 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que «La divulgation est inopposable au demandeur lorsqu’elle intervient par le biais de l’exposition par lui-même de son invention, dans les expositions officielles, et à condition que le demandeur puisse fournir un justificatif au jour de la demande. Dans ce cas, il dispose d’un délai de 6 mois pour déposer sa demande». A contrario, si l’on n’est pas dans une exposition officielle et qu’il n’y a pas de réaction officielle dans un délai de 6 mois, il va lui-même créer sa propre antériorité. En divulguant son invention, il peut lui-même créer son antériorité, et c’est un grand classique.

Pourquoi ?

Car lorsqu’on met au point une invention et qu’on dépose un brevet, cela signifie qu’on a un projet de développement industriel, et donc il va falloir prendre contact avec les industriels susceptibles de délivrer le produit. Il faut donc déposer la demande de brevet avant.

Il faut aussi ajouter qu’une question se pose – au-delà de cette volonté de développer à tout prix une valorisation par le brevet – qui est celle de savoir si c’est légitime que des chercheurs soient financés (…). Le fait d’avoir le monopole permet de fixer un prix très élevé, et donc finalement le fait d’accorder un monopole permet d’agir sur les prix de manière totalement libérale, et le brevet n’est pas étranger à cela. Mais il y a des mécanismes pour contrecarrer ce type d’initiatives.

Il y a un deuxième type de délai de grâce, qui est prévu par le Code de la propriété industrielle, et qui est destiné à tempérer les conséquences préjudiciables d’une divulgation frauduleuse. Dans le domaine de la technologie, les chercheurs travaillent en équipe, et parfois même, les équipes peuvent collaborer en s’associant dans le cadre d’un programme déterminé. Or, il arrive que parmi les membres de l’équipe, certains soient tentés de divulguer le contenu de l’invention.

L’article L. 611-13 du Code de la propriété industrielle prévoit cette situation, puisqu’il indique que «La divulgation est inopposable au demandeur si elle résulte d’un abus évident à son égard. Cet abus peut consister en des agissements illicites [tels que la violation d’un secret, le détournement de documents, ou la révélation d’un élément confidentiel], et dans ce cas le demandeur dispose d’un délai de 6 mois pour effectuer sa demande». La jurisprudence européenne est assez stricte sur l’application de la convention, puisqu’elle estime que l’obligation de confidentialité doit résulter d’un accord express.

En France, en revanche, la notion d’abus est interprétée plus souplement, et découle parfois du simple statut de l’auteur de la divulgation.

Exemple : le statut de salarié.

Quand c’est un partenaire contractuel, si l’on n’a pas signé de clause de confidentialité, il n’y a rien à faire. De surcroît, dès lors que l’on entre en discussion avec des partenaires extérieurs, il faut absolument faire signer des clauses de non-divulgation, des engagements de confidentialité, dont il faut définir le contenu. Il y a des clauses types, mais tout dépend de ce que l’on est en train de discuter.