La détermination de la réserve héréditaire

La détermination de la réserve héréditaire

En France, contrairement par exemple aux États-Unis, on ne peut pas déshériter ses enfants. La réserve héréditaire est une portion de succession réservée à certains héritiers. Elle dépend du nombre d’enfants du défunt.

La présence d’héritiers réservataires ayant pour effet de limiter la liberté du défunt de disposer de ses biens par des libéralités pour la fraction des biens incompressibles qui doit être transmise aux réservataires, la question qui se pose est celle de savoir quelle est cette fraction de biens qui échappe à la liberté du défunt?

Le montant de la réserve n’est pas fixé de manière directe par les textes. En effet, les textes précisent l’assiette des libéralités qui pourront être consentit par le défunt librement en déterminant la quotité disponible et par conséquent le montant de la réserve va se déduire et va dépendre du montant de la quotité disponible.

Dans la mesure où il y a 2 catégories de réservataires différents, la question du montant de la réserve va être conditionnée par les bénéficiaires de cette réserve qui sont donc soit les descendants soit le conjoint étant rappelé qu’il ne peut y avoir qu’une catégorie de réservataires à la fois.

A. La réserve du conjoint

Elle est déterminée à l’article 914-1 qui en pose le principe et le montant : « les libéralités par acte entre vifs ou par testament ne pourront excéder les ¾ des biens si à défaut de descendants le défunt laisse un conjoint non divorcé ». La quotité disponible étant du ¾, la réserve du conjoint est du ¼ et dans tous les cas quelque soit la qualité de la personne gratifiée par le défunt, ce qui simplifie le problème.

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B. La réserve des descendants

Elle n’est pas uniforme. Pourquoi? Le montant de la réserve se calcule par rapport au montant de la quotité disponible et le montant de cette quotité disponible varie selon le destinataire des libéralités faites par le défunt et de façon plus précise selon que le destinataire des libéralités est le conjoint ou un tiers qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un autre gratifié.

Lorsque la libéralité est faite à une personne autre que le conjoint, la quotité disponible sera la quotité disponible qualifiée d’ordinaire.

En revanche, lorsque la libéralité sera faite au conjoint, la quotité disponible sera différente et il s’agira de la quotité disponible spéciale entre époux dont on verra qu’elle est plus large que la quotité disponible ordinaire.

Dans l’hypothèse où il y aurait à la fois des libéralités en faveur du conjoint mais aussi à d’autres gratifiés, les 2 quotités disponibles étant en concours, il faudra alors les combiner.

1. La quotité disponible ordinaire en l’absence de libéralité faites au conjoint

Le montant de la quotité disponible ordinaire en présence de descendants est prévu à l’article 913 du Code civil et elle dépend du nombre d’enfant du défunt.

Cette quotité est de moitié lorsqu’il y a un enfant, elle est d’un 1/3 lorsqu’il y a 2 enfants et d’1/4 lorsqu’il y a 3 enfants ou plus.

Le montant de la quotité disponible ordinaire permet de déduire celui de la réserve qui sera donc respectivement de moitié lorsqu’il y a un enfant, de 2/3 lorsqu’il y a 2 enfants et de ¾ lorsqu’il y a 3 enfants ou plus.

Cette quotité disponible ordinaire et donc la réserve dépendant du nombre d’enfant, cette notion doit être précisée au regard de ce qui est prévu par l’article 913-1 du Code civil. Sont compris dans l’article 913-1 sous le nom « d’enfant », les descendants en quelque degré que ce soit encore qu’ils ne doivent être comptés que pour l’enfant dont ils tiennent la place dans la succession du défunt.

Cela (= enfant dont on teint la place) renvoi au cas particulier où effectivement des descendants autres que les enfants (= 1er degré) du défunt peuvent être appelés à la succession en lieu et place de leur auteur ce qui correspond aux hypothèses de l’enfant pré décédé, de l’enfant indigne et de l’enfant renonçant.

a. L’enfant pré décédé

Dans l’hypothèse du pré décès de l’enfant du défunt, dès lors que celui-ci avait des descendants, ces derniers seront appelés à la succession à sa place soit par représentation soit de leur propre chef.

Dans ce cas, conformément à la règle prévue par l’article 913-1, ils ne compteront que pour l’enfant dont ils tiennent la place. Concrètement, dans l’hypothèse de la représentation, si le défunt avait plusieurs enfants dont l’un est pré décédé en laissant lui-même des descendants peu importe le nombre de petits enfants, ils ne comptent que pour un enfant c’est-à-dire leur père ou leur mère pré décédé. De la même manière, lorsque les descendants autres que les enfants viennent à la succession de leur propre chef. C’est le cas lorsqu’il y a un enfant unique pré décédé, peu importe le nombre de petits enfants, ils compteront également pour un.

b. L’enfant renonçant

Dans le cas de l’enfant renonçant, la solution est prévue par l’article 913 alinéa 2 : le renonçant ne sera compris dans le nombre d’enfants laissés par le défunt que s’il est représenté ou s’il est tenu au rapport d’une libéralité.

c. L’enfant indigne

La solution antérieurement adoptée consistait à prendre en compte le nombre d’enfants au décès sans tenir compte de l’indignité. La jurisprudence décidant que l’indignité était sans incidence sur la réserve et on comptait l’indigne pour le calcul de la réserve.

Depuis la réforme de 2006, il y a un doute quant à la solution à retenir concernant l’indigne, doute provenant du fait qu’à l’inverse de ce qui est prévu expressément pour le renonçant le législateur n’a rien exprimé concernant l’indigne.

Néanmoins, compte tenu du fait que l’article 913-1 ne fait aucune réserve concernant la notion d’enfant dont le descendant tient la place, on peut envisager de maintenir la prise en compte de l’indigne pour le calcul de la réserve dès lors qu’il est représenté.

Concernant le nombre d’enfants permettant d’arrêter le montant de la réserve, ce calcul va dégager une réserve globale qui sera soit de moitié soit des 2/3 soit des ¾.

Cette réserve globale va ensuite se répartir entre les réservataires étant précisé que la part individuelle de chacun des successibles sera déterminée par l’application des règles de dévolution légales c’est-à-dire partage par souche dans les cas de représentation ou partage par tête.

Exemple : soit un défunt qui avait 2 enfants dont l’un est pré décédé en laissant lui-même 2 petits enfants. L’enfant survivant va recevoir la moitié de la réserve globale qui est de 2/3 (= donc 1/3) tandis que les 2 petits enfants se partageront l’autre 1/3 et recevront donc chacun 1/6e.

La quotité disponible ordinaire n’a vocation à jouer qu’en présence de libéralités faites à une personne autre que le conjoint.

En revanche, dès lors que le défunt aura consentit des libéralités à son conjoint, la quotité disponible sera différente et il faudra prendre en compte, dans ce cas là, la quotité disponible spéciale entre époux.

2. La quotité disponible spéciale entre époux (= hypothèse de libéralité faites au conjoint)

En instituant la quotité disponible spéciale entre époux, le législateur a voulu permettre aux époux d’avantager le survivant plus que toute autre personne. Cette quotité disponible spéciale est donc beaucoup plus large que la quotité disponible ordinaire, ce qui peut être très lourd de conséquences pour les descendants.

Cela explique que le législateur a pris soin d’assortir l’extension du disponible d’un certain nombre de mesures destinées à assurer la protection des descendants. Le but recherché est donc de permettre effectivement d’avantager le conjoint au delà de ce qui est permit pour les autres gratifiés mais sans pour autant léser les descendants.

a. Le contenu de la quotité disponible spéciale entre époux

C’est ce que prévoit l’article 1094-1 du Code civil : « pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement ». Le conjoint survivant peut donc au terme de cet article bénéficier soit du disponible ordinaire soit de tout l’usufruit soit du ¼ en propriété et du ¾ en usufruit.

L’existence de ces 3 QDS entre époux, lorsque le défunt laisse des enfants pose la question de l’option entre ces 3 quotités.

Deux hypothèses sont envisageables :

  • l soit c’est le disposant lui-même qui aura opté : l’intérêt pour le disposant d’opter se présentera notamment en présence d’enfants issus d’un premier lit. Lorsque le disposant souhaitera laisser au conjoint des droits en usufruit et non pas des droits en propriété comme c’est normalement la règle dans un tel cas au regard des règles légales de dévolution. Dans un tel cas, les droits successoraux légaux du conjoint quand il y avait des enfants non communs étaient uniquement des droits en propriété à l’exclusion des droits en usufruit.
  • l soit il aura laissé son conjoint choisir : à l’inverse le disposant peut déléguer à son conjoint la faculté de choisir entre les 3 quotités soit par une délégation expresse dans l’acte soit par une délégation tacite et cette liberté de choix permettra au survivant d’opter au mieux de ses intérêts en fonction des circonstances à l’époque du décès.

Cette QDS offre au conjoint survivant des droits extrêmement étendus dès lors qu’il n’opte pas pour la QDO. D’une part, le montant des droits résultant des 2 autres branches de l’option (= usufruit du tout ou ¼ en propriété et ¾ en usufruit) est invariable quelque soit le nombre d’enfants et d’autre part, les droits qui en résulte sont beaucoup plus importants quantitativement.

  • l lorsque le conjoint optera pour la totalité en usufruit, la réserve des descendants ne sera plus que de la nue propriété de la succession donc des droits très étendus.
  • l si le conjoint opte pour le ¼ en propriété et les ¾ en usufruit, la quotité va excéder du ¼ en nue propriété la quotité de l’usufruit.
  • l en présence de plus de 3 enfants, le disponible entre époux va ajouter au disponible ordinaire qui n’est théoriquement que de ¼ et ¾ en usufruit.

b. Les mesures de protection en faveur des descendants

L’importance des conséquences de cette QDS explique que d’une part le législateur ait permit au conjoint de cantonner son émolument (= le montant de ses droits) et qu’il ait prévu d’autre part des mesures de protection en faveur des descendants. Le cantonnement de l’émolument du conjoint est en quelque sorte une mesure de protection indirecte qui sera laissée à l’initiative du conjoint. Les autres mesures de projection étant quant à elles laissées à l’initiative des descendants eux-mêmes.

— 1ère hypothèse : le cantonnement de l’émolument

La loi de 2006 prévoit à l’alinéa 2 de l’article 1094-1 que « sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Ce cantonnement, cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles ». C’est-à-dire cette faculté de cantonnement qui consiste pour le conjoint à limiter ses droits permet au conjoint survivant d’augmenter les droits des enfants sur les biens du défunt et sans que cet accroissement des droits des enfants ait un coût pour eux car le texte précise que cette limitation ne peut pas s’analyser comme une libéralité.

— 2ème hypothèse : les mesures de protection à l’initiative des descendants

Le législateur a prévu diverses mesures pour protéger les intérêts de descendants lors de l’exécution des libéralités faites au conjoint.

Il y a des mesures concernant les libéralités faites en usufruit et des autres, des libéralités faites en propriété en présence d’enfant d’un premier lit :

concernant les libéralités en usufruit, si le défunt a gratifié son conjoint en usufruit, les descendants auront la faculté de demander la conversion de cet usufruit en rente viagère et d’autre part ils pourront demander l’établissement d’un inventaire des meubles et des immeubles ainsi que la mise en place de mesures conservatoires sur les sommes d’argent et les valeurs mobilières.

concernant les libéralités faites en propriété, l’article 1098 du Code civil accorde une protection particulière au profit des enfants qui ne sont pas issus des 2 époux en leur offrant la possibilité de demander la substitution à l’exécution de cette libéralité de l’abandon de l’usufruit de leur part de la succession qu’il aurait recueillit en l’absence de conjoint survivant. Cette faculté de substitution se justifie par le fait que face à des droits en propriété l’enfant qui n’est pas issu des 2 époux n’aura aucune vocation successorale dans la succession de son beau père ou de sa belle mère, il ne recueillera rien dans cette succession.

Les enfants du seul conjoint pré décédé peuvent ainsi préférer une exécution de la libéralité en usufruit plutôt qu’en propriété pour ne pas être privé définitivement d’une part de la succession de leur auteur.

— 3ème hypothèse : la combinaison des quotités

Face à ces 2 quotités disponibles ordinaire ou spéciale entre époux, le dernier problème qui peut se poser concerne l’hypothèse où il y aura à la fois eu des libéralités faites au conjoint mais aussi des libéralités faites à d’autres gratifiés que le conjoint : c’est le problème de la combinaison des quotités. Ce problème doit répondre à la question de savoir quelle quotité disponible est applicable lorsqu’il y a à la fois des libéralités faites au conjoint et à des tiers? Faut-il appliquer le disponible ordinaire ou spécial?

La réponse a été précisée par la jurisprudence dans un arrêt du 26 avril 1984 « DREUIL ».

La première règle applicable en cas de concurrence des 2 quotités disponibles est que l’on ne peut en aucun cas cumuler les 2 quotités. Elles ne s’additionnent pas ce qui signifie concrètement que l’ensemble des libéralités (= toutes confondues) qui auront été faites par le disposant à la fois à son conjoint et à des tiers ne peut pas dépasser la quotité la plus étendue. La quotité la plus étendue correspond au disponible ordinaire auquel va s’ajouter la partie du disponible spécial qui dépasse la QDO. Concrètement, le disponible spécial ajoute toujours au disponible ordinaire l’usufruit de la réserve.

En conclusion, le plafond qui ne devra jamais être dépassé, c’est la QDO majorée de l’usufruit de la réserve.

Deuxième règle, chaque personne gratifiée ne peut pas recevoir plus que ce que la loi ne lui permet de recevoir. Personne ne peut recevoir plus que ce qui était disponible pour lui et par conséquent chaque gratifié ne pourra pas recevoir plus que sa propre quotité disponible.

Troisième règle qui permet de combiner les quotités disponibles et faire la répartition entre les gratifiés, respecter un système d’imputation précis et un ordre d’imputation précis.

Concernant le système d’imputation, on distingue d’abord les libéralités faites au conjoint qui s’imputent de manière différentes selon qu’elles sont faites en usufruit ou en propriété.

Les libéralités faites en usufruit vont s’imputer en priorité sur l’usufruit de la réserve alors que celles qui sont faites en propriété vont s’imputer principalement sur le disponible ordinaire.

Pour ce qui est des libéralités faites au tiers, elles s’imputent toujours sur le disponible ordinaire et les libéralités qui sont faites aux tiers qui sont en même temps héritiers réservataires (= c’est-à-dire les enfants), elles s’imputeront en priorité sur la réserve lorsqu’elles sont faites en avancement de parts successorales. L’excédant de ces libéralité s’imputant alors sur le disponible alors que celles qui sont faites hors part successorale, elles s’imputeront uniquement sur le disponible.

Concernant, l’ordre d’imputation, il est définit à l’article 923 du Code civil qui prévoit que l’on impute en premier les donations par ordre d’ancienneté (= les plus anciennes imputées les premières) et on impute ensuite seulement les legs de manière concurrente.