La garantie assurée de la primauté du droit de l’Union sur la loi

La garantie assurée de la primauté du droit de l’Union sur la loi

Le principe de primauté signifie que le droit de l’Union prévaut sur les droits nationaux des États membres. Il bénéficie à toutes les normes de droit européen disposant d’une force obligatoire et s’exerce à l’égard de toutes les normes nationales.

Deux difficultés : peut-on admettre que le principe de primauté aille jusqu’à s’imposer sur le droit constitutionnel ? Réponse ici : Le principe discuté de primauté du droit de l’Union sur la Constitution

Dans l’affirmative, quel est le meilleur juge pour assurer la garantie juridictionnelle de la primauté du droit de l’Union sur la loi ?

Ici, il est question de l’application particulière du traité quel qu’il soit sur la loi. Ce principe de primauté s’impose, il est assuré par le juge national, et plus précisément en France par les juridictions ordinaires en raison de l’incompétence traditionnelle du Conseil constitutionnel pour contrôler la conformité des lois aux traités en général.

La situation est compliquée car le Conseil constitutionnel a admis des cas limités de contrôle par ces soins de la loi, de principes relevant du droit de l’Union européenne. On aurait pu considérer que l’on ouvrait la voie à une remise en cause plus générale de son incompétence. Depuis peu, cette perspective est révolue.

Résultat de recherche d'images pour "primauté du droit sur la loi"

1. Une garantie globalement assurée par les juridictions ordinaires

C’est le résultat de l’affirmation par le Conseil constitutionnel de son incompétence pour contrôler la conformité des lois au droit international en général, et au droit européen en particulier.

a) L’incompétence générale du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel l’a affirmé pour la première fois dans la décision du 15 janvier 1975 relative à la loi dépénalisant l’IVG. Sur le fondement de cette incompétence, le Conseil constitutionnel a refusé de contrôler la conformité des lois qui lui étaient soumises, en l’espèce à la CESDH, et plus largement à l’ensemble des normes internationales, mais aussi en particulier au regard du droit de l’Union européenne, primaire ou dérivé.

Cette incompétence, qui valait jusqu’à présent dans le cadre du contrôle préventif, est désormais étendue au cadre du contrôle à posteriori par la voie d’une QPC. Le Conseil constitutionnel l’a confirmé dans une décision du 12 mai 2010.

Quels sont les fondements de cette incompétence ? Le Conseil constitutionnel s’en est expliqué en 1975 :

• les dispositions de la Constitution ne prescrivent ni n’impliquent que le respect du principe de primauté du traité sur la loi posé à l’article 55 doive être assuré dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, et ce pour la raison qu’une loi contraire à un traité ne serait pas pour autant contraire à la Constitution.

• À s’en tenir à l’article 55, cet argument est vrai : il pose le principe de la primauté du traité sur la loi dans le cadre précisément d’une violation de la loi ; ce principe n’a de sens et de raison d’être que dans l’hypothèse d’un conflit entre la loi et le traité ;

• la différence de nature entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité, qui tient au fait de la reconnaissance de la primauté du traité sur la loi, garantit par le contrôle de conventionnalité, est relative et contingente, en particulier parce qu’elle est subordonnée à une condition de réciprocité (article 55 de la Constitution), alors qu’à l’inverse, la sanction du contrôle de constitutionnalité est absolue et définitive, puisque dans le cadre de l’article 61 de la Constitution, la loi inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni entrer en vigueur.

•Le Conseil constitutionnel voulait dire qu’il n’était pas adapté d’exercer le contrôle de conventionnalité dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. En revanche, laisser le contrôle de conventionnalité aux juridictions ordinaires, au moment de l’application de la loi, est adapté. Il s’en justifie par deux raisons :

– au moment où il statue, le traité est appliqué car la condition de réciprocité est respectée, le juge écartera l’application de la loi au cas d’espèce ;

– au moment où il statue, la traité n’est pas appliqué car la condition de réciprocité n’est pas respectée, il applique alors la loi.

Il y a quand même une faiblesse dans le raisonnement du Conseil constitutionnel : il fondait l’essentiel de son raisonnement sur le caractère contingent, au motif que le traité ne prime sur la loi que dans la mesure où il est appliqué correctement par les autres parties, et donc sous réserve de réciprocité. La doctrine a fait valoir que cette décision avait été rendu à propos de la CESDH, laquelle est soustraite au principe de réciprocité en tant que traité humanitaire.

Cette réserve de réciprocité n’est pas appliquée à l’Union européenne, la Cour de justice a insisté sur le fait qu’elle n’a pas sa place dans l’ordre juridique communautaire : si un Etat membre ne remplit pas ses obligations communautaires, les autres Etats membres peuvent s’en plaindre à la Commission et, en l’absence de réponse de celle-ci, à la Cour de justice par le biais d’un recours en constatation de manquement, mais ils ne sauraient se faire justice eux-même en refusant à leur tour d’appliquer leurs propres obligations communautaires (une telle loi du Talion entre Etats membres reviendrait à ruiner la construction européenne).

b) La compétence corrélative des juridictions ordinaires

Par cette décision, le Conseil constitutionnel lance un appel implicite aux juridictions ordinaires pour qu’elles exercent ce contrôle de conventionnalité qu’il laisse choir.

Cela dit, ce n’était pas chose facile de répondre à cet appel car les juridictions ordinaires se considèrent généralement non pas comme les censeurs de la loi, mais comme les serviteurs de celle-ci. Elles considéraient que le principe de primauté ne s’adressait pas à elles, qu’il ne leur appartenaient pas d’en garantir l’exercice.

Avant 1975, lorsque le traité était postérieur à la loi, les juges ordinaires appliquaient la règle selon laquelle le traité primait sur la loi ; si la loi était postérieure, elle ne pouvait pas subir ce contrôle de conventionnalité. Cette position était connue sous le nom de doctrine Matter, avocat général ayant systématisé cette jurisprudence dans l’ordre judiciaire ; du côté du Conseil d’Etat, on parlait de jurisprudence des semoules (en raison d’un arrêt rendu le 1er mars 1968 Syndicat général des fabricants de semoule de France).

À partir de l’instant où le Conseil constitutionnel affirme en 1975 que le contrôle de conventionnalité n’est pas son affaire, il faut bien que quelqu’un l’exerce, sauf à admettre que l’article 55 de la Constitution pose un principe sans aucune garantie. C’est la raison pour laquelle il a fallu, d’abord de la part de la Cour de cassation très rapidement, puis du Conseil d’Etat plus tardivement, abandonner la jurisprudence Matter et la jurisprudence des semoules.

1) La rapide réaction de la Cour de cassation

Dans l’arrêt du 24 mai 1975 Société des cafés Jacques Vabre, la Cour de cassation renverse la jurisprudence Matter et accepte d’exercer désormais le contrôle de conventionnalité de la loi, qu’elle soit antérieure ou postérieure au traité.

Elle accepte en conséquence ensuite de le faire pour les actes administratifs règlementaires qui ont une valeur inférieure à la loi. Selon la Cour de cassation, cela vaut de façon générale, y compris lorsque le juge judiciaire ne statue pas en matière pénale. De jurisprudence constante et classique (arrêt du Tribunal des conflits du 16 juin 1923 Septfonds), le juge judiciaire n’a plénitude de juridiction pour exercer le contrôle de légalité des actes administratifs qu’en matière pénale.

Il faut donc déduire de la position de la Cour de cassation que le contrôle de conventionnalité des actes administratifs se distingue du contrôle de légalité des actes administratifs. La Cour de cassation a une jurisprudence contraire à celle du Tribunal des conflits, qui adopte la même position pour le contrôle de conventionnalité que celle retenue dans l’arrêt Septfonds s’agissant du contrôle de légalité des actes administratifs.

Il est probable que la jurisprudence évolue sur ce point dans un sens ou dans l’autre.

2) La réaction tardive du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a tardé à réagir : faisant la sourde oreille, le Conseil constitutionnel a du se faire entendre une seconde fois par une décision du 3 septembre 1986 par laquelle il a réitéré son incompétence pour contrôler la conventionnalité de la loi, et en précisant explicitement cette fois ci qu’il appartenait au juge ordinaire de le faire.

Il a fallu encore trois ans pour qu’il renverse la jurisprudence des semoules par l’arrêt d’assemblée du 20 octobre 1989 Nicolo. Le Conseil d’Etat constate que les dispositions de la loi de 1977 sur l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct ne sont pas incompatibles avec le traité de Rome de 1957.

Ce renversement de jurisprudence a une portée très large : le Conseil d’Etat accepte de contrôler la conventionnalité de la loi au regard de la CEsDH, des traités communautaires, des principes généraux du droit communautaire et de l’ensemble du droit communautaire dérivé, qu’il s’agisse des règlements (arrêt du 24 septembre 1990 Boisdet), des directives à l’issue du délai de transposition (arrêt du 28 février 1992 SA Rothmans international France), allant même jusqu’à admettre que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée du fait de la loi inconventionnelle, mais il s’agissait alors seulement d’une responsabilité sans faute (selon le régime très restrictif de la jurisprudence SA La Fleurette du 14 janvier 1938).

Il résulte encore que, lorsqu’une loi se révèle contraire au droit communautaire (par exemple, aux objectifs d’une directive), l’autorité réglementaire doit s’abstenir de prendre les mesures d’exécution de cette loi. Il en résulte aussi que le législateur, qui a souvent l’habitude de valider des actes administratifs illégaux, afin de les mettre à l’abris d’une action contentieuse, ne saurait en aucun cas valider des actes administratifs contraires aux traités en général, et au droit communautaire en particulier, et ce pour quelque motif que ce soit.

La jurisprudence Nicolo a développé tous les effets possibles et inimaginables de ce contrôle de conventionnalité, mais restait un point non clarifié à propos du référé. Traditionnellement, le Conseil d’Etat considérait que le juge administratif des référés n’avait pas la compétence pour contrôler en urgence la conventionnalité de la loi, et ce en vertu de deux raisons :

• il doit statuer de façon superficielle,

• il doit se prononcer sur le caractère à première vue sérieux des moyens invoqués.

Il résultait de la jurisprudence traditionnelle Carminati (systématisée par une ordonnance de référé du Conseil d’Etat du 30 décembre 2002) qu’il ne relevait pas de ce juge de se prononcer comme tel.

Le Conseil d’Etat, par une ordonnance du 16 juin 2010 Diakité, fait que le juge administratif des référés accepte d’assumer ce contrôle de conformité de la loi au droit de l’Union européenne, en dépit de l’urgence dans laquelle il doit statuer.

2. Les perspectives révolues d’évolution

Au fil du temps, à partir de la fin des années 90, le Conseil constitutionnel a été amené à prendre en compte une évolution du droit constitutionnel liée à l’introduction dans la Constitution en 1992, en vue de la ratification du traité de Maastricht, d’un titre 14 consacré à l’Union européenne.

À l’intérieur figuraient et figurent toujours plusieurs articles de la Constitution destinés à permettre des transferts de compétences contraires à la souveraineté (article 88-2) afin de reconnaître le droit de vote et l’éligibilité aux citoyens de l’Union européenne n’ayant pas la nationalité française pour les élections municipales (article 88-3).

Le législateur a voulu précéder ces dispositions d’un préambule solennel et éloquent : l’article 88-1. La question s’est posée de savoir si ces articles n’avaient pas pour effet de constitutionnaliser le droit de l’Union européenne.

Répondre par l’affirmative revenait à déduire que le contrôle de la constitutionnalité des lois l’obligeait à contrôler la conformité de ces lois aux articles 88-1 et suivants de la Constitution, et par conséquent, à contrôler aussi la conformité de ces lois aux stipulations des traités auxquelles faisaient référence les articles 88-1 et suivants en les constitutionnalisant de ce fait.

Le Conseil constitutionnel a commencé par faire droit à cette analyse doctrinale, avant de la refuser catégoriquement.

a) La reconnaissance de la portée circonscrite des articles 88-1à 88-3 de la Constitution

Le Conseil constitutionnel a reconnu une portée constitutionnalisatrice aux articles 88-3 puis 88-1 de la Constitution. Lorsque le législateur organique a adopté la loi organique relative au droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union européenne résidant régulièrement en France sans en avoir la nationalité aux élections municipales, lorsqu’il a mis en oeuvre l’article 88-3, le Conseil constitutionnel en a été saisi.

Dans sa décision du 20 mai 1998, il a considéré qu’il lui revenait de contrôler la constitutionnalité de la loi organique à la Constitution toute entière, notamment à l’article 88-3, lequel avait subordonné la constitutionnalité de la loi organique à sa conventionnalité aux traités auxquels il faisait référence. Le Conseil constitutionnel a donc contrôlé la loi organique selon les articles du traité en cause (8B du TCE devenu 19&20 du TUE) et de la directive communautaire du 19 décembre 1994 adoptée sur le fondement des principes de ces traités.

Le Conseil constitutionnel semblait avoir mis ici le doigt dans un engrenage accréditant la thèse de la constitutionnalisation des traités.

Dans sa décision du 10 juin 2004, il a déduit de l’article 88-1 de la Constitution l’exigence constitutionnelle de transposition des directives pour en déduire ensuite, dans sa décision du 27 juillet 2006 que de ce fait, il lui appartenait désormais de contrôler la compatibilité des lois ayant pour objet de transposer des directives au regard de celles-ci.

Pour la deuxième fois, le Conseil constitutionnel admet sa compétence pour exercer le contrôle «d’unionité» de la loi (de conformité de la loi au droit de l’Union européenne) via l’exigence constitutionnelle de transposition fondée sur l’article 88-1 de la Constitution.

b) Le refus de reconnaître une portée générale à l’article 88-1 de la Constitution

On aurait pu reconnaître à la suite de ces premiers indices jurisprudentiels que l’article 88-1 de la Constitution avait pour effet de constitutionnaliser toutes les dispositions du droit de l’Union européenne.

L’article ne fait pas mention des directives et de l’obligation de transposition, il fait simplement référence aux traités de base ayant fondé l’Union européenne, et le Conseil constitutionnel en déduit l’obligation constitutionnelle de transposition. Comment est ce possible ?

Juridiquement, il y a une seule explication : les traités posent le principe de l’obligation de transposition qui nait du principe de coopération loyale des Etats membres et qui est une obligation de résultat. Cela ne s’explique que par la constitutionnalisation via l’article 88-1 de la Constitution de ces deux principes.

En conséquence, s’il y a constitutionnalisation de deux principes, pourquoi n’y a-t-il pas constitutionnalisation de l’ensemble des traités ? Ça n’a pas de sens, mais le Conseil constitutionnel a choisi de refuser de tenir l’article 88-1 de la Constitution comme une norme de constitutionnalisation de l’ensemble du droit primaire de l’Union européenne.

On sentait bien sa réticence à s’engager dans une voie aussi audacieuse, laquelle s’est traduite par un refus dans la décision du 12 mai 2010 : «nonobstant la mention dans la Constitution du traité de Lisbonne, il ne revient pas au Conseil constitutionnel de contrôler la compatibilité d’une loi avec les stipulations de ce traité».

Si le Conseil constitutionnel était allé plus loin, cela signifierait qu’il aurait attiré à lui le contrôle de conformité de tout le droit de l’Union européenne, cela aurait été le conduire à retirer au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation une compétence qu’il leur a abandonné en 1975, c’était ouvrir la voie à une guerre des juges, chose à laquelle il s’oppose en raison d’une volonté pacifiste, mais surtout du fait que la QPC ne devra son succès qu’à la coopération entre le Conseil constitutionnel et les Cours suprêmes chargées de filtrer les QPC.