La notion de garde de la chose

La garde de la chose

Dans la plupart des cas, il n’y a pas de problème pour déterminer qui est le gardien de la chose: le propriétaire l’est généralement. Cependant, des situations sont plus complexes: on m’a volé mon marteau, j’ai prêté ma clef à molette.

Le principe en droit français est celui de la garde alternative i.e. chacun son tour, plutôt que la garde cumulative (deux gardiens pour une même chose), même si dans de très rares cas, notre droit admet cette hypothèse.

A) Le droit commun de la garde de la chose

(i) Le propriétaire est présumé gardien

L’article 544 du Code Civil définit la propriété. Nous savons que le droit de propriété est:

  • Ø Perpétuel
  • Ø Exclusif
  • Ø Absolu
  • Ø Transmissible / cessible
  • Ø Evaluable en argent.

Or, si le droit de propriété est exclusif, cela veut dire que seul le propriétaire peut avoir la jouissance de la chose, donc seul le propriétaire peut être le gardien de la chose. Dans un premier temps donc, la jurisprudence assimila gardien et propriétaire et ce non sans une certaine logique. Il reste qu’aujourd’hui, dans la plupart des cas le gardien est le propriétaire, mais bien plus, le propriétaire est présumé gardien. Conséquence: supposons une bouteille abandonnée sur le sol. Quelle belle res derelictae! Je tape dedans et blesse quelqu’un: je suis devenu par le coup que j’ai donné dedans le propriétaire de la bouteille, ma responsabilité en tant que gardien sera engagée. (nous faisons remarquer qu’en plus d’être devenu le propriétaire et donc de faire jouer la présomption de gardien, comme j’ai frappé dans la bouteille, j’avais le pouvoir de contrôle, d’usage et de direction, j’étais donc le gardien au sens de la définition matérielle).

Dans le doute, cette présomption joue: des enfants jouent avec des pétards et l’un deux est blessé. On ne peut pas déterminer qui avait la garde matérielle des pétards puisque tous les enfants se servaient de pétards. Notre droit refusant la théorie de la garde cumulative retourne à la présomption: celui qui a acheté les pétards est présumé gardien, il est donc responsable.

(ii) La garde matérielle de la chose: le transfert de la garde.

Avant le fameux arrêt Franck du 02/12/1941, la situation était compliquée. Si on me volait ma voiture, ma responsabilité du fait des choses était engagée. En effet, comme nous l’avons dit au paragraphe précédent, les notions de gardien et de propriétaire étaient assimilés. Or, lorsqu’on me volait ma voiture, j’en restais propriétaire. Finalement, le voleur pouvait avoir autant d’accidents qu’il voulait puisque c’était ma responsabilité qui était engagée.

Les choses vont changer avec l’arrêt Franck. Les faits sont simples: on vole la voiture du Dr Franck et le voleur tue quelqu’un. La Cour d’Appel refuse d’engager la responsabilité du Dr Franck au motif que celui-ci n’avait plus la garde de la chose. La Cour de Cassation procède à une cassation de l’arrêt en se référant à son principe: le propriétaire est le gardien. La Cour d’Appel de renvoi refuse de s’incliner. La Cour de Cassation finit par suivre, dans un arrêt d’assemblée plénière les juges du fonds. Mais bien plus que de simplement renoncer à sa théorie de la garde juridique (gardien = propriétaire), la cour de cassation définit désormais ce qu’il faut comprendre par la garde de la chose. La garde, c’est « le pouvoir d’usage, de contrôle et de direction » sur la chose. Le pouvoir de direction est entendu comme étant le pouvoir de choisir à quoi va servir la chose.

Attention: si cette théorie est appelée théorie de la garde matérielle, il ne faut pas croire que c’est forcément celui qui contrôle matériellement la chose qui est le gardien. Par exemple, supposons que j’essaie une voiture chez un garagiste. Je conduis et le garagiste est assis à côté de moi et me donne des instructions. Alors que physiquement c’est moi qui contrôle et dirige la voiture, je ne suis pas le gardien, c’est le garagiste. De la même façon, si je prête un marteau à mon voisin et que je lui donne des conseils, je peux demeurer gardien.

Une des questions qui s’est bien évidemment posée est: peut-on être privé de discernement et être gardien? En effet, comment diriger la chose, comment la contrôler lorsqu’on n’a plus de discernement et que donc notre volonté s’égare? (La faute des personnes privées de discernement , Trichard). Pour autant, dans ce fameux arrêt le juge admet que bien que sans discernement on puisse être gardien. Il est vrai qu’un argument purement pratique penchait en ce sens: supposons que je tue quelqu’un avec un revolver en état d’ébriété, je n’ai pas le contrôle de mes actes mais c’est bien moi qui contrôlait le pistolet.

Autre question à soulever: le transfert de la garde: quand y-a-t-il réellement transfert? Le plus souvent, il y a transfert lorsqu’il y a transfert de la chose dans sa matérialité. Par exemple je confie une arme. Mais si la chose n’a pas été matériellement transmise, la preuve du transfert de la garde peut s’avérer plus difficile. Supposons qu’on ait affaire à un lustre. Je ne peux pas décrocher ce lustre et fait appel à une société pour le rénover. Le lustre tombe et blesse quelqu’un: qui est civilement responsable? La réponse n’est pas aisée: il faut savoir qui avait le plus de pouvoir sur le lustre.

(ii) La fragmentation de la garde

Cette théorie de la fragmentation de la garde est une théorie que l’on doit à M Goldman. Elle est dans son principe simple. C’est son domaine qu’il est difficile de cerner.

Le principe: il consiste à distinguer la garde de la structure de la garde du comportement. Prenons un objet comme une bouteille: sa structure, c’est sa forme. Son comportement c’est sa façon de réagir par exemple au soleil, à de fortes températures. Question: cette distinction garde de la structure – garde du comportement remet-elle en cause le principe de la personnalité de la garde? Non, je ne crois pas. On a un gardien pour chaque chose. C’est en fait que cette théorie s’applique à des choses qui ont deux éléments distincts: une structure et un comportement. Si je prends un stylo, sa structure et son comportement, comment les dissocier?

Toujours est-il que cette théorie fut admise en jurisprudence dès le 05/06/1956, dans l’arrêt Oxygène liquide. Les faits sont encore une fois simples: une société confie à un transporteur des bouteilles d’oxygène liquide. Elles explosent. Si nous appliquons ce que nous venons de dire au sujet du transfert de la garde, le principe est que c’est le transporteur qui était le gardien de la chose, il est donc responsable. Mais cette solution est-elle satisfaisante? Non, l’explosion ne provient pas de la structure, mais du comportement de la chose, or, la société oxygène liquide si elle a bien confié au transporteur la chose dans sa matérialité n’a pas corrélativement confié le pouvoir de contrôle sur la chose. Evidemment, de par cet arrêt, cette théorie était amenée à s’appliquer à toutes les choses dangereuses puis ensuite aux choses douées d’un dynamise propre.

La cour de cassation a ainsi considéré que cette théorie pouvait s’appliquer aux bouteilles de Soda, choses au combien dangereuses (je souris en tapant cela car il y a en ce moment une affaire sur les boîtes de Coca-Cola). Un enfant blessé par l’explosion d’une boîte de Coca peut donc agir non contre le détaillant mais directement contre le fabricant qui avait gardé la garde du comportement. Un point important est à souligner: comment transmettre le pouvoir sur le comportement de la chose? Il suffit d’informer. La cour de cassation a, e.g., considéré qu’une femme au courant des problèmes dans le système de freinage de sa voiture ne pouvait pas prétendre que la société qui avait fabriqué sa voiture était restée gardienne de son comportement.

B\ Hypothèses particulières de responsabilité du fait des choses:

) La responsabilité du fait des animaux

Code Civil, article 1385:

le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fut sous sa garde, soit qu’il fut égaré.

En 1804, le système est celui de la présomption de faute. Petit à petit, et même avant l’arrêt Teffain, la cour de cassation va consacrer dans ce domaine la responsabilité objective. Il faut dire que c’est normal. Pourquoi? Les choses dangereuses à cette époque ne sont pas les machines, ce sont les animaux. Cette responsabilité ob

  1. a) La responsabilité du fait des bâtiments en ruine