La notion de chose et le fait de la chose (responsabilité)

Conditions de la responsabilité du fait des choses : un fait de la chose

Quelles sont les conditions de l’article 1384 alinéa 1 ? Il faut toujours vérifier que les trois conditions sont réunies. Nous étudierons les deux premières conditions (la chose, un fait de la chose). La troisième condition, c’est à dire la garde de la chose par le défendeur, sera étudiée dans un autre chapitre.

  • Première condition : une chose

La première condition est qu’il faut une chose. Le terme est extrêmement général, on ne distingue pas selon la chose. Donc cela concerne toutes les choses pour lesquelles il n’y a pas de régime spécial.

Liste des principaux régimes spéciaux exclus de l’alinéa 1er :

— animaux

— bâtiments en ruine (mais il y a eu une évolution de la jurisprudence que l’on va voir)

— accidents de la circulation (loi de 1985)

— produits défectueux (1386-1 à 1386-18)

— accidents du travail (loi de 1898)

Pour ces régimes spéciaux, on n’applique pas l’article 1384 alinéa 1er.

D’autre part, il y a des lois spéciales, par exemple sur les aéronefs, ou encore des conventions internationales. Certains régimes sont plus favorables que l’alinéa 1er de 1384, qui lui même est plus favorable que 1382 puisqu’il n’y a pas à prouver la faute. Donc si on a un cas pratique avec une chose, il faudra partir sur l’alinéa 1er de l’article 1384 (on peut toujours regarder si 1382 est applicable mais le régime de 1384 est plus favorable). Donc les «choses» visées ici sont toutes les choses pour lesquelles il n’y a pas de régime spécial.

N’importe quelle chose : les meubles, les immeubles (sauf bâtiments en ruine), le sol, les parois, les murs, les baies vitrées, les trous (un fossé)… Donc c’est très large. Cela va très loin. Par exemple, on glisse sur le sol: responsabilité du fait des choses, pas besoin de prouver la faute.

Une question s’est posée pour les choses corporelles et incorporelles. L’article 1384 est applicable aux choses corporelles c’est-à-dire non seulement la matière solide mais encore les gaz ou l’électricité par exemple. La question s’est posée, et là il y a une divergence doctrinale, sur la responsabilité du fait des choses incorporelles, c’est-à-dire qui n’ont pas de corps. Que peut-on imaginer comme responsabilité du fait d’une chose incorporelle, c’est-à-dire qui n’a aucune consistance ? Les paroles par exemple. Mais si quelqu’un fait une injure ou une diffamation, ce n’est pas la responsabilité du fait des choses. Prenons l’exemple d’un logiciel: beaucoup d’auteurs notamment les spécialistes de propriété artistique nous disent qu’il n’y a pas de responsabilité du fait des choses incorporelles. Or ce sont ces auteurs qui veulent qu’il y ait une appropriation mais pas de responsabilité, ce n’est pas cohérent. Mais selon la prof, à partir du moment où il y a une appropriation, la responsabilité va avec la propriété. Si on nous vend un logiciel qui endommage notre ordinateur, cela peut causer un dommage et si le logiciel est défectueux on ne voit pas pourquoi il n’y aurait pas une responsabilité du propriétaire qui a vendu le logiciel.

En tout cas, la chose doit être susceptible d’appropriation. En d’autres termes, pas de responsabilité pour les res nullius. Sauf si quelqu’un s’empare de la res nullius et cause un dommage avec, on a fait un acte d’appropriation et on est donc responsable. Mais si on tombe dans la rue sur une canette de bière qui n’appartient à personne, personne n’est responsable en tant que gardien de la chose car c’était une res nullius (peut-être l’Etat sera responsable).

Droit comparé : dans pratiquement tous les pays européens et aux USA la responsabilité spéciale du fait des choses est limitée aux choses dangereuses, choses dotées d’un dynamisme.

Exemple de cas pratique: pendant la canicule, une dame était morte dans son appartement et avait été seule pendant les vacances. Personne ne s’est occupée d’elle, et seulement la voisine s’en est rendu compte quand des coulures de la personne morte sont apparues dans son appartement qui est devenu inhabitable pendant plusieurs mois. La voisine a poursuivi la fille de la mère, sur le fondement de 1382 (la fille aurait dû venir, c’est une faute de pas être venu, elle doit réparer les conséquences) et sur le fondement de 1384 alinéa 1er (car la fille était responsable du corps de sa mère).

Il faut alors examiner les deux régimes.

Introduction: annoncer tout ce dont on va parler. Les deux régimes ont ici un intérêt. En l’espèce, la voisine poursuit la fille. Deux fondements juridiques sont invoqués et il nous faudra examiner successivement ces deux fondements.

1) Responsabilité pour faute : 1382

Sur ce fondement, l’article exige la réunion cumulative de trois conditions: faute, dommage, lien de causalité.

  • La faute: la faute est objective et requiert élément matériel et élément d’illicéité (plus besoin de la condition subjective depuis 1984).

Élément matériel en l’espèce = faute d’abstention (qui peut être retenue depuis l’arrêt Branly) donc l’élément matériel peut être caractérisé, la fille s’est abstenue de venir voir sa mère. Ce qui pose difficulté sera l’élément d’illicéité qui se juge par rapport à un standard général du père de famille, on recherche si une personne présentant les caractéristiques d’une personne de même type aurait du se comporter ou non de la sorte. En l’espèce on peut se demander ce qu’on peut reprocher à la fille, qu’aurait-elle du faire ? Est-ce une faute de ne pas aller voir ses parents ? En général aujourd’hui non. Mais on aurait pu considérer que dans une période dangereuse de canicule, que c’était une faute. Donc on peut envisager les deux.

  • Le dommage: les dommages réparables sont les frais de désinfection, de relogement…
  • Le lien de causalité

2) Responsabilité du fait des choses : 1384 alinéa 1er

Le cadavre est-il une chose ? A priori, un cadavre reste une personne, sacrée, donc on ne peut pas considérer que c’est une chose dont on a la garde. Cependant, ceci se discute. Mais en tant que voisin, on n’a pas à supporter que les fautes du voisin dépassent le seuil normal. Donc les troubles du voisinage, cela marchait assez bien pour ce cas pratique.

  • Deuxième condition : un fait de la chose

Le lien de causalité se retrouve dans le fait de la chose. Le lien de causalité est dans le fait de la chose. Cela s’entend comme le lien de causalité entre la chose et le dommage. La chose doit avoir eu un rôle causal dans la survenance du dommage.

La Cour de cassation utilise une autre formule, même si parfois elle utilise la formule de rôle causal. Mais elle utilise souvent comme formule que la chose doit avoir été l’instrument du dommage.

Arrêt du 19 novembre 1998: «La responsabilité du gardien d’une chose est subordonnée à la condition que la victime rapporte la preuve que cette chose a été en quelque manière, et fût-ce pour partie, l’instrument du dommage.»

Il ne suffit pas de montrer que sans la chose, il n’y aurait pas eu de dommage. Il faut que la chose ne soit pas seulement l’occasion du dommage, mais aussi l’instrument du dommage. Donc c’est autre chose que simplement le fait que la chose était là.

Exemple: une branche d’un arbre crève un œil de quelqu’un, il y a fait de la chose. Mais quelqu’un tombe d’un arbre en montant trop haut, il n’y a pas fait de la chose.

Ceci étant dit, il y a eu une évolution sur ce que l’on appelle les choses inertes. Une chose inerte n’est pas une chose immobile, mais c’est une chose qui ne peut structurellement pas bouger. C’est ce que l’on appellerait éventuellement un immeuble par nature. Exemple: le sol, une baie vitrée, les tables fixées au sol.

Il y a eu une évolution de la jurisprudence. La jurisprudence a été un peu chaotique en la matière car dans un premier temps elle est allée vraiment très loin, mais elle est ensuite revenue en arrière.

Première période où elle est allée très loin : même si la chose était inerte et même si la chose avait eu un rôle «purement passif» (rôle passif de la chose que l’on oppose à un rôle actif de la chose), le gardien de cette chose en était responsable. Les arrêts qui étaient allés très loin étaient par exemple l’arrêt de la boite au lettre (chercher ceci). Ou l’arrêt sur les baies vitrées: on rentre dans une baie vitrée qui n’a aucun défaut ni rien mais responsabilité quand même du gardien de la baie vitrée. Là, la Cour de cassation est allée très loin car non seulement pas d’idée de faute, mais surtout presque plus d’idée de causalité. Quand on dit rôle passif c’est-à-dire que la chose était là mais il n’y a rien d’anormal, elle n’a pas vraiment été l’instrument du dommage et pourtant on retenait la responsabilité. Mais la Cour de cassation a mis un terme à ceci.

Deux arrêts de revirement :

1er arrêt : arrêt du 24 février 2005: une femme se heurte sur la baie vitrée : est-elle responsable ? Avec la jurisprudence classique, sûrement. Mais la Cour d’appel déboute la demanderesse de ces demandes en disant que la victime s’est levée, a pivoté à 90 degrés, s’est dirigée vers la terrasse sans s’apercevoir que la porte vitrée était pratiquement fermée et a percuté la baie vitrée qui s’est brisée. La victime indique qu’elle avait pu croire que la baie vitrée était ouverte compte tenu de sa transparence et que la baie vitrée était ouverte car on était en été. La chose n’a eu aucun rôle actif dans la production du dommage qui trouve son origine dans le mouvement de la victime. La Cour d’appel ne retient pas de responsabilité du fait de la chose.

La Cour de cassation casse et annule. Elle pose une règle de droit : «en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que la porte vitrée qui s’était brisée était fragile, ce dont il résultait que la chose, en raison de son anormalité, avait été l’instrument du dommage, la Cour d’appel a violé le texte susvisé».

La chose doit avoir eu un rôle actif, un rôle causal. Ici elle a été instrument du dommage car elle était anormale. C’est sous entendu depuis cet arrêt que la chose inerte n’est instrument du dommage que si elle est anormale. Donc ceci met une condition supplémentaire à la responsabilité du fait des choses inertes et donc restreint la responsabilité du fait des choses inertes: si la chose n’avait pas été anormale on n’aurait pas pu retenir la responsabilité du fait de la chose inerte.

2e arrêt : arrêt du 24 février 2005 : un plongeoir inerte fixé sur le sol. La Cour d’appel avait retenu que le tremplin avait été installé sur une plage en limite de plan d’eau afin de permettre aux utilisateurs de prendre leur élan (…) la présence d’un tel tremplin n’avait rien d’insolite (voir attendu sur le raisonnement de la Cour de cassation). On raisonne par rapport à la normalité. Et la Cour d’appel constate qu’il n’y a pas d’anormalité.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et dit «en l’état de ces constatations et énonciations établissant l’absence d’anormalité de la chose, la Cour d’appel a exactement déduit que le tremplin n’avait pas été l’instrument du dommage».

-> Pas d’anormalité, donc pas de responsabilité.

Ces deux arrêts restreignent un peu : pour les choses inertes, il faut démontrer une anormalité sinon il n’y a pas de responsabilité. L’anormalité peut être une chose anormale en elle-même (vitre trop fragile), une chose anormalement placée (un tremplin mis trop haut ou pas assez haut)…

Il y a quelques années une dame avait glissé dans un magasin car il y avait une fritte par terre. Donc elle a du prouver que le sol était anormal, pour prouver qu’il était anormal elle devait prouver qu’il y avait une fritte. Il y a eu aussi de la jurisprudence avec les feuilles de salade dans les supermarchés: est-ce normal ou anormal qu’il y ait une feuille de salade par terre dans un supermarché ?