La protection de la vie privée

La protection de la vie privée

La notion de vie privée s’est dégagée et étendue progressivement dans l’ordre juridique : plusieurs éléments sont très anciens (inviolabilité du domicile et des correspondances), mais elle est restée figée dans d’autres plans dans le domaine extra juridique, tant que les moyens d’intrusion ne se sont pas développés.

Longtemps, la protection de la vie privée était privée de valeur constitutionnelle : dégagée en premier aux USA, avant l’Europe, puis par l’art.8 de la DUDH de 1950 qui prévoit la protection de la vie privée et familiale.

A l’origine de cette protection, on trouve, ce qui est rare, une jurisprudence judiciaire : les juges civils, sans textes spéciaux, ont commencé à la protéger quand cela est devenu nécessaire, à partir de 1960, par l’utilisation de l’art 1382 du Code civil. En portant atteinte à la vie privée, on causait un préjudice à réparer. A partir de 1970, intervention du législateur, pour donner une base plus solide et prévoir des dispositions pénales que le juge ne pouvait créer. Après on l’a rattachée à la notion de liberté individuelle, puis après Code civil, 23 juillet 1979: elle est rattachée à la liberté proclamée à l’art 2 de DDHC.

A) Les éléments constitutifs de la vie privée

C’est la jurisprudence qui a du les définir, fixés depuis longtemps : identité de la pers, son droit à maintenir un certain secret sur ses habitudes (affaire Jean Ferrat, le chanteur avait fait des révélations avant d’être connu, donc importuné une fois connu, jurisprudence rappelle que l’on peut garder secret des éléments de vie privés, les médias ne pouvaient rappeler ce qu’il avait dit plus tôt quant à son domicile etc.).

Intimité du foyer, l’affaire Brigitte Bardot a inauguré cette jurisprudence.

Les questions de la santé : CA Paris, 1965 et Cass.civ, 12 juillet 1975: affaire Gérard Philippe, se proclame explicitement en la matière, affaire qui avait choqué : l’acteur avait été hospitalisé, des journalistes s’étaient introduits, avait pris des photos. Cette intrusion avait choqué l’opinion.

Enfin, incluse la vie conjugale et sentimentale : CA Paris, 1970 , au sujet d’Antoine.

Inclut-elle le secret du patrimoine des personnes ? Beaucoup de décisions judiciaires sur ce point. Il faut nuancer : le montant du patrimoine d’une personne n’est pas un élément de sa vie privée, à l’inverse de la révélation de certains détails relatifs au patrimoine qui peuvent être une atteinte à la vie privée. Exemple : dire que X possède des voitures immatriculées tant, de couleurs tant et de marque tant, autant d’éléments en rapport avec le mode de vie et donc la vie privée.

B) Qui protège-t-on ?

Quelles sont les limites de la protection de la vie privée qui doit être égale pour tous ? Il existe des limites concernant les vedettes de l’art et du spectacle : ces personnes se prêtent parfois volontiers à des révélations qu’elles suscitent pour ensuite s’en plaindre. La jurisprudence n’a pas voulu aller très loin dans ce sens : dans la réalité, elles risquent réellement des atteintes à leur vie privée. Si la jurisprudence fait parfois preuve d’indulgence vis à vis des médias, elle souligne qu’il appartient à chacun de savoir à qui, à quel moment, et sous quelle forme on fait des révélations : on ne peut se livrer à des révélations à un moment ne convenant pas à l’intéressé.

Cas également des personnes mêlées de quelque façon que ce soit à une affaire judiciaire : la vie privée de l’entourage de certains mis en examen est étalé au grand jour sans réserve aucune par les médias. Il est difficile à s’opposer à cela dans la mesure où la justice est rendue au nom du peuple, la matière représente une source d’intérêt majeure pour les médias. La jurisprudence a préféré mettre l’accent sur la protection de la présomption d’innocence que sur le respect de la vie privée : on ne peut pas revenir sur de vieilles affaires judiciaires, sauf si l’intéressé le fait de lui-même –> Cass, civ, 13 février 1985, Affaire Mesrine: la compagne de Mesrine avait vu des médias revenir sur sa vie privée, la Cour de cassation lui a octroyé un droit à l’oubli, droit qui n’est pas absolu : Cass, civ, 20 novembre 1990 dans le cadre d’un livre d’histoire, on peut revenir sur une affaire judiciaire, à condition de ne pas avoir l’intention de nuire aux personnes citées.

Une autre catégorie est susceptible d’un traitement particulier : les personnalités politiques. Il y a une opposition marquée entre les USA et l’Europe, certains pays dont la France. Dans les démocraties libérales, il y avait une sorte d’accord tacite pour distinguer le public du privé pour ne pas évoquer la vie privée des personnalités politiques. Changement récent aux USA : 1987, affaire Gary Hart –> candidat crédible à la présidence des USA qui avait mis en avant sa famille, sa femme, ses enfants : certains journalistes avaient lancé sur lui une enquête qui avait révélé qu’il avait une relation extraconjugale : à partir de cette affaire, les médias américains se livrent à des intrusions sans limites dans la vie privée.

Il y a très peu de contentieux : TGI Paris, Ord, 14 mai 1985 à propos d’un ouvrage sur VGE qui parlait de sa vie privée. Le juge des référés a jugé que ces intrusions étaient inacceptables et que l’intéressé avait le droit au respect de sa vie privée. Il s’agit d’une opposition d’attitude : du côté français, il y a une attitude de respect égale, depuis 1965, la Cour suprême accepte l’ingérence dans la vie privée des personnalités politiques dès lors qu’il existe un intérêt en cause. Depuis l’affaire du Watergate, les médias américains considèrent qu’ils ont un devoir d’investigation : de cette enquête concernant une affaire publique, on est passé à des enquêtes relevant du domaine privé. Il y aurait une sorte de conjonction entre deux mouvements aux USA : les fondamentalistes estimant que la vérité est nécessaire et le mouvement féministe qui aurait voulu mettre en valeur l’hypocrisie de certaines personnalités. Un élément plus culturel : il y aurait aux USA des liens entre cette attitude et une vision religieuse de la vie découlant plus ou moins du protestantisme, on chercherait à savoir si cette personne est prédestinée ou non à une dimension nationale. Il faut se demander s’il n’y a pas une évolution en Europe, la CEDH s’aligne en quelque sorte sur la jurisprudence des USA.

Affaire Gubler « Le grand secret » : faux bulletins de santé de Mitterrand. Le médecin personnel du président était au courant de tout, il a publié son livre dans lequel il faisait état de toute l’évolution de la maladie de Mitterrand, aux conversations entre médecins, etc. La famille Mitterrand a saisi le juge des référés qui a ordonné la suspension de la diffusion de l’ouvrage, confirmé par Cass.Civ, 16 juillet 1997. La chambre civile a confirmé le fait que l’on pouvait interdire l’ouvrage et condamner l’ouvrage à des dommages-intérêts (Cass, civ, 1999), le Dr.Gubler a été radié par le conseil de l’ordre, confirmé par le Conseil d’Etat. Condamnation pénale pour violation du secret médical. Cependant, la question reste posée de savoir si le président de la République a un statut particulier dans la protection de sa vie privée : le TGI a expliqué qu’il suffisait d’expliquer qu’en l’état actuel du droit politique, rien n’autorise un médecin à se placer en garant des institutions ou témoin de l’histoire. On peut écarter l’atteinte à la vie privée : la Cour de cassation estimant que la protection de la vie privée prenait fin au décès de l’intéressé, en revanche atteinte au secret médical qui a une portée générale et absolue : il protège tout ce que la médecin a pu être amené à connaître. Si ce secret est général et absolu, c’est parce qu’il en va de sa crédibilité, les patients ne faisant confiance à leur médecin que parce qu’ils savent que leur médecin est tenu au secret. CEDH, 18 mai 2004, Plon c/ France: la CEDH a condamné la France, la cour ne critique pas la protection que le droit français assure en matière de secret médical. La cour se situe sur un autre terrain : la cour rappelle l’importance qu’elle accorde à l’art.10 de la Conv.EDH, caractère essentiel quand un intérêt public est en cause : dans un premier temps, il était légitime que le juge des référés ordonne la suspension de l’ouvrage pour respecter la douleur de la famille, au moment où le juge s’est prononcé au fond, il n’y avait plus de raisons de maintenir l’interdiction. Ainsi, il fallait faire prévaloir la liberté d’expression d’autant plus que le contenu du public était connu du public en fait : 40.000 exemplaires avait été vendus, des extraits avaient été publiés, il n’y avait plus lieu de s’opposer à sa diffusion. L’arrêt de la CEDH fait prévaloir la liberté d’expression sans pour autant la fonder sur la transparence relative aux questions de santé ou sur l’intérêt publique des révélations faites. L’arrêt peut apparaître dangereux dans la mesure où il incite les auteurs de violation du secret médical à organiser la violation dudit secret : diffusion d’extraits, sites Internet. On peut regretter que la Cour n’accorde que si peu d’importance à la protection du secret médical en tant que tel : elle reprend les arguments des juges français et ne les critiques pas. Le secret médical est moins bien protégé. La CEDH se prononçant hors champ du secret médical, d’autres secrets professionnels pourraient être l’objet de violations.

C) Les moyens d’assurer la protection de la vie privée

On peut penser aux moyens relevant du droit pénal, permettant d’assurer la protection du droit à l’image, le secret de certaines conversations. L’art 224-1 du Code pénal punit le fait de vouloir porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée, en enregistrant, transmettant, captant, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans l’accord de leurs auteurs. La protection pénale de la vie privée est très restreinte. Elle est pour l’essentiel une protection civile : article 9 du Code civil et indirectement par l’art.809 du CODE DE PROCEURE CIVILE qui donne au juge des référés des pouvoirs étendus pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Les juges civils ont les pouvoirs les plus étendus pour prévenir, mettre fin ou réparer les atteintes à l’intimité de la vie privée. Les juges peuvent agir en référé, interdire la parution d’un ouvrage, interdire d’une émission, suspendre la diffusion, noircir une image et condamner à des dommages-intérêts.

Les dommages-intérêts sont et devraient être symboliques : cependant, s’ils n’étaient que symboliques, ils n’auraient aucun effet dissuasif. Les juges ont donc condamné parfois à des dommages-intérêts élevés afin de dissuader les auteurs d’intrusions. Les victimes s’enrichissent sans cause, reçoivent des sommes d’argent disproportionnées avec le préjudice subi : certains reçoivent annuellement des sommes supérieures au salaire annuel d’un cadre supérieur. Solution : soit pénaliser la matière et soumettre à l’amende ou prévoir le versement des sommes condamnées au profit d’un fonds ou de groupements ayant un but d’intérêt général. Les atteintes à la vie privée sont susceptibles de se multiplier avec les contrôles existants dans la société : le Conseil constitutionnel avait admis les vidéos surveillances dès 1995 car prenant d’images dans les lieux publics. La loi 2006 relative au terrorisme permet aussi la collecte d’information portant sur les immatriculations de véhicules circulant sur toutes les voies en France, captées par des appareils photographiant la plaque d’immatriculation et le conducteur du véhicule : permettrait d’identifier divers malfaisants. Finalités de police judiciaire et de police administrative, placées sous le contrôle des autorités judiciaires, l’enregistrement sera détruit si le recoupement automatiquement opéré n’aboutit pas. CC, 19 janvier 2006: le Conseil constitutionnel admet que ces opérations portent atteinte à la vie privée pour des nécessités d’ordre public (deux principes à valeur constitutionnelle), le Conseil constitutionnel réaffirme le pouvoir discrétionnaire du législateur à condition que celui-ci respecte un certain nombre de principes et de procédures : le législateur a donné des garanties précises et des recours sont possibles.