La responsabilité des commettants : conditions et effets

Quelles sont les conditions et les effets de la responsabilité des commettants

I) CONDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ DES COMMETTANTS

(i) Le fait du préposé

Le préposé doit commettre un fait susceptible d’engager sa responsabilité, i.e. il peut commettre soit une faute, soit utiliser un objet et blesser quelqu’un avec. Oui mais, il existe un adage: le gardien ne peut être un préposé. Qu’est-ce à dire? Nous savons que le gardien de la chose a sur celle-ci le pouvoir d’usage, de contrôle et de direction. Or, un préposé agit pour quelqu’un, son commettant; ce qui veut dire qu’il n’a pas la direction de l’objet. Il ne peut donc être gardien. CQFD. Démonstration parfaite?? Pas si sûr! Supposons que le préposé utilise un objet pour lui même et qui lui appartienne mais sur son lieu de travail: qui est le gardien? La solution n’est pas si simple et la doctrine est divisée.

(ii) Le lien de préposition

Le « lien de préposition »? naturellement se fait dans notre esprit la relation entre lien de préposition et contrat de travail et il est vrai que dans l’immense majorité des cas, on prouvera l’existence d’un lien de préposition en montrant qu’il y a un contrat de travail. Pour autant, nous verrons que dans certains cas le juge reconnaît l’existence d’un lien de préposition en l’absence de tout contrat ou au contraire l’inexistence d’un lien de préposition en l’absence d’un contrat.

Essayons avant tout de définir ce qu’est le lien de préposition: il est composé de deux éléments:

1) L’accomplissement d’une prestation au profit du commettant

2) Un pouvoir de surveillance et de contrôle du commettant sur le préposé.

Sans le dire et même si cela est philosophiquement difficile à admettre, on n’est tout de même pas très loin de la garde matérielle…

Si l’on veut la définition jurisprudentielle, elle est longue mais éloquente: Cour de Cassation, Chambre criminelle, 05/11/1968:

Le lien de subordination suppose essentiellement que les commettants aient le droit de faire acte d’autorité en donnant des ordres sur la manière de remplir la tâche, et ce à titre temporaire ou permanent, en l’absence même de salariat, fut-ce en l’absence de tout louage de service

(i) Le lien de préposition sans contrat de travail

Il s’agit de deux domaines:

Le domaine professionnel où on a par exemple estimé qu’une infirmière était la préposé du chirurgien au moment de l’opération

L’entraide familiale: à ce titre on considère qu’un ami qui donne « un coup de main » à un restaurateur (et qui frappe un client) est le préposé de ce restaurateur!! C’est ce que l’on appelle les conventions d’assistance bénévoles. Nous verrons que parfois, pour ces conventions on recourt au domaine contractuel. Partie :Chapitre III:2\B\a)(i) Extension

(ii) Le contrat de travail sans lien de préposition

L’hypothèse est avant tout très rare. Elle concerne quasi uniquement les médecins et encore, il semble que la jurisprudence évolue.

Le point de départ de cette jurisprudence est simple: une constatation: dans un bloc opératoire, le chirurgien n’est soumis à personne, personne ne lui dit ce qu’il doit faire. Bien sûr, il a un contrat de travail, mais la jurisprudence dit la chose suivante: ce contrat ne fait que lui imposer un lieu de travail et des horaires. Pour le reste, il est libre de faire comme il l’entend.

Aujourd’hui, depuis un arrêt du 05/03/1993, la cour de cassation a une position différente:

L’indépendance professionnelle dont jouit le médecin dans l’exercice même de sont art n’est pas incompatible avec l’état de subordination qui découle de son contrat de louage de service…

Cela veut dire que le contrat de travail suppose le lien de préposition.

Quelle que soit l’hypothèse où nous nous trouvons(contrat ou pas contrat) il peut y avoir un transfert de l’autorité. C’est logique d’ailleurs: prenons le cas des agences d’intérim: elles louent une personne pour effectuer un travail. La personne a un contrat de travail avec l’agence d’intérim, mais il serait anormal que ce soit la responsabilité de l’agence d’intérim qui soit engagée en cas de dommage alors que l’intérimaire travaillait pour et sous le contrôle d’une autre société. On peut citer à ce sujet un arrêt (Cour de Cassation, 11/10/1989)que j’aime beaucoup car il rappelle deux points:

  • que la garde matérielle est mal nommée
  • qu’il peut y avoir transfert de l’autorité.

(iii) Le fait dans l’exercice des fonctions

Relisons l’article 1384al5 du Code Civil:

Code Civil, article 1384al5:

al 5 les mâitres et commettants,[sont responsables] du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.

Quelles sont les fonctions auxquelles une personne a été employé? On pourrait dire bêtement qu’une personne qui fait une bêtise n’est nécessairement pas dans ses fonctions!! Si je suis payé pour nettoyer la piscine et que je casse le filtre, j’ai fait une bêtise que je n’aurai pas dû faire puisque mon boulot n’est pas de faire des bêtises!!!! (J). Si dans des cas extrêmes, il est simple de faire la différence dans les fonctions/ hors des fonctions (e.g. je dois nettoyer la piscine et je coupe les arbres), dans l’immense majorité des cas, la frontière est difficile à établir. On parle encore d’abus de fonctions.

(i) Les divergences de jurisprudence

La chambre civile et la Chambre criminelle ont des positions divergentes:

La chambre criminelle a une conception extensive des fonctions et ce dans le but de protéger les victimes (car généralement les commettants sont solvables alors que les préposés ne le sont pas ou moins). Elle envisage les choses de la façon suivante: tout acte accompli hors du travail a été accompli dans les fonctions, tout acte facilité par le travail est accompli dans les fonctions. Ainsi, si je me sers d’un clef à molette pour trucider mon voisin, que je suis chauffagiste, la responsabilité (civile!!) de mon patron pourra être engagée.

La chambre civile a quant à elle une position plus ferme, une conception plus restrictive et donc plus favorable aux commettants. Tout acte étranger par son but à l’exercice des fonctions est accompli hors des fonctions, e.g. un détournement de fonds.

(ii) Les réunions de l’assemblée plénière

Comme à chaque fois qu’on a affaire à une divergence importante de jurisprudence, la cour de cassation tente d’adopter une position unique par le biais d’une décision d’assemblée plénière. Ce va être le cas, et ce à 5 reprises: en 1960, 1967, 1983, 1985, 1988. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux trois derniers arrêts.

Cour de Cassation, Assemblée plénière, le 17/06/1983

Cour de Cassation, Assemblée plénière, le 15/11/1985

Cour de Cassation, Assemblée plénière, le 19/05/1988

(iii) La situation en droit positif

La définition de l’abus de fonctions reste la même: il faut être hors de ses fonctions et agir sans autorisation et agir à des fins étrangères à ses attributions. Seulement si ces 3 conditions sont réunies, le commettant pourra s’exonérer et n’interviendra pas en garantie de son préposé.

Une des évolutions importante prise en compte aujourd’hui, c’est l’apparence d’être dans ses fonctions ou non. Ainsi, dans l’arrêt de 1988, la Cour de Cassation relève que le préposé donnait l’impression d’être dans ses fonctions à ses victimes, qu’il est ainsi d’autant plus normal d’appeler en garantie le commettant. On peut bien sûr d’une certaine façon se féliciter de cette théorie de l’apparence en disant qu’elle se place du côté de la victime et qu’elle lui ouvre ainsi largement la voie à l’indemnisation (généralement on se fait berner sans le savoir et donc on pense que la personne fait son boulot et rien d’autre ). D’un point de vue purement juridique, il est bizarre de voir cette théorie appliquée par rapport à la victime. Sur cette théorie de l’apparence, on peut aussi renvoyer à un arrêt intéressant: Cour de Cassation, 11/06/1992. Dans cette espèce, un employé d’un concessionnaire détourne des fonds sur les commandes. Les personnes à qui il vole de l’argent font valoir qu’il procédait à ses forfaits sur des commandes habituelles, qu’ainsi il donnait l’apparence d’être dans ses fonctions, c’est pourquoi la responsabilité du commettant doit être engagée (car il y a abus de fonctions). «Le client était fondé à croire que le préposé œuvrait pour le compte du concessionnaire dans le cadre de son travail habituel ». Il est donc dans ses fonctions.

Est pris également en compte pour apprécier s’il y abus ou non de fonctions la bonne foi de la victime. En fait, si on peut dire que la théorie de l’apparence est une sorte de prime à la bonne foi, nous allons voir que la Cour de Cassation sanctionne la mauvaise foi. On a ainsi considéré dans un arrêt de la Cour de Cassation, 2° chambre civile , du 13/11/1992 qu’un pharmacien qui donnait 300 000 F en liquide à son banquier qui lui avait promis un taux d’intérêt faramineux ne pouvait demander à ce que la responsabilité de l’établissement bancaire soit engagé si le banquier avait volé l’argent!! pourquoi? Le pharmacien est un habitué des banques, il connaît le formalisme qui marque tout le droit bancaire et aurait du se méfier!! Logique!
Dans le même esprit, une personne qui fait travailler un ouvrier du bâtiment au noir ne peut engager la responsabilité de l’employeur! (Cour de Cassation, 14/01/1998)

II ) EFFETS DE LA RESPONSABILITÉ DES COMMETTANTS

(i) Les effets par rapport à la victime

La victime a une triple option:

  • soit poursuivre uniquement le préposé
  • soit poursuive uniquement le commettant celui-ci pouvant appeler l’employé au moment du procès ou se retourner par la suite contre lui
  • soit poursuivre les deux pour obtenir une condamnation in solidum (i.e. les deux devront payer et seront solidairement responsables de la dette)

Une observation a été cependant faite et ce au regard du droit public: en droit public, la responsabilité des agents ne peut être engagée que pour faute personnelle (rare), i.e. les fautes d’une extrême gravité ou qui dénotent une malveillance de l’agent, dans les autres cas, c’est la personne publique qui est responsable. On s’est donc dit: pourquoi ne pas faire de même en droit civil?

La solution semble avoir été admise au moins une fois mais la question de la portée de cette jurisprudence est incertaine. C’est ainsi que dans un arrêt de la Cour de Cassation, Chambre commerciale, 12/10/1993, arrêt Rochas, la cour de cassation si elle a relevé la faute des agents, n’a pas engage leur responsabilité, relevant qu’ils ont agi dans le cadre de leur mission sans en dépasser leurs limites. Il n’y a donc pas de faute personnelle, leur responsabilité ne saurait donc être engagée.

(ii) Les effets par rapport au commettant

Bien sûr, il serait anormal de voir le commettant paye pour tous les impairs que son préposé peut commettre et ce d’autant plus que comme nous l’avons vu, il est très difficile de montrer que le préposé a agi hors de ses fonctions. Et pourtant, si la jurisprudence Rochas vient à se confirmer, il y aura bientôt des cas où seule la responsabilité du commettant sera engagée. Quelle moralité à cela?

(iii) Les effets par rapport au préposé

Avant la jurisprudence Rochas, le préposé qui avait commis une faute devait ou indemniser la victime, ou rembourser le commettant. Si cette jurisprudence se confirme, il n’aura pas toujours à rembourser le commettant sauf dans le cas des fautes personnelles.