La responsabilité fondée sur la faute

LA RESPONSABILITÉ FONDÉE SUR LA FAUTE

Pendant longtemps la quête du fondement de la responsabilité consistait à rechercher le fondement commun à tous les régimes de responsabilité civil: la responsabilité du fait personnel, la responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait d’autrui. Chaque nouveau fondement avait l’ambition de chasser ses prédécesseurs. Avec le recul, il est beaucoup plus conforme à la réalité juridique de constater que ces différents fondements se sont superposés au fil du temps. On peut dire que le XIX siècle été dominé par le fondement de la faute, le XX par le fondement du risque et de la garantie, le XXI ?

  • 1 – Le fondement traditionnel et subjectif: la faute

Traditionnellement on enseignait que la responsabilité civile délictuelle supposait une faute de la part de celui sur qui on voulait la faire peser, la responsabilité de la faute était tout simplement le droit commun. Les quelques cas de responsabilité sans faute étaient présentés comme des exceptions.

A – L’apparition récente de la faute

Bien longtemps, le droit s’est passé de la notion de faute. Ainsi, le droit romain ne connaissait pas la faute comme fondement général. La personne qui apparaissait comme matériellement à l’origine du dommage était tenu de le compenser, abstraction faite de tout jugement de valeur sur le comportement. C’est sous l’influence de la morale chrétienne, au XVII siècle, que peu à peu on va établir un lien entre la faute et l’obligation de répondre. On va recourir à la notion de faute morale et ainsi procurer à la responsabilité une dimension morale.

B – L’adoption du fondement de la faute par le code civil

Cette adoption du fondement subjectif de faute n’est pas net et visible dans tous les régimes de responsabilité.

  • a) la faute, fondement de la responsabilité du fait personnel

Dans les articles 1382 et 1383, le code civil consacre une responsabilité fondée sur la faute. En raison de la tradition historique canoniste et de ces 2 textes il a longtemps parut indiscutable que la responsabilité civile ne pouvait être fondée que sur la faute. Aujourd’hui encore, cette idée est très prégnante car la faute semble être le fondement essentiel de la responsabilité pour quelques auteurs: Terré, Simier, Lequette, Radé, Aubert et Savaux. D’une manière très générale, la faute peut être définie comme une erreur de conduit au sens où l’on n’a pas agi comme on aurait dû le faire. Cette conception conduit à une responsabilité subjective parce qu’elle suppose de juger la conduite de l’auteur pour en déduire s’il est ou non responsable. Il ne sera condamné à réparer le dommage que si on peut le lui reprocher. L’exigence d’une faute comporte 3 justifications: une morale au sens où les règles du droit de la responsabilité sanctionnent le devoir moral de ne pas nuire à autrui injustement. Une justification sociale, en ce sens, la responsabilité fondée sur la faute est un instrument de prévention des comportements dommageables car si une personne sait qu’elle doit répondre de ses fautes, elle est amenée à se conduire avec prudence. Une justification philosophique, dans la théorie classique de la responsabilité d’inspiration individualiste et libérale, chacun doit supporter son destin, sauf si le dommage provient de la faute d’autrui. La faute est au cœur de la responsabilité du fait personnel tel que le code civil l’a conçu.

  • b) la présomption de faute, fondement de la responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses

Dans ces régimes, le code civil admet que l’on puisse être obligé à réparation sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute à la charge du responsable. Ces règles s’appliquaient par un mécanisme de présomption de faute. La présomption de la faute renversait la charge de la preuve au bénéfice de la victime. Sur le fond du droit, la responsabilité demeurait fondée sur la faute mais il s’agissait d’une faute présumée et non prouvée comme dans 1382 et 1383. L’évolution postérieure a démontré l’étroitesse du fondement de la faute

  • 2 – La fonction normative et moralisatrice d’une responsabilité fondée sur la faute

Cette responsabilité subjective personnelle a pour rôle de fixer des limites, des interdits et donc des normes. Elle permet au juge d’édicter des normes de conduite sociale toutes axées autour de l’idée de ne pas causer injustement un dommage à autrui. On a dit de la responsabilité qu’elle fixe une frontière entre une zone d’impunité où la liberté humaine va s’exercer et une zone de responsabilité, où la liberté reflue. Elle apparaît comme un contrepoids à la liberté d’action et aux excès individuels. Cette responsabilité fondée sur la faute a donc un rôle à la fois normatif, sanctionnateur et dissuasif, elle est centrée sur l’auteur du dommage et comme il s’agit de le sanctionner, il est logique d’exiger une faute.

On peut observer un double mouvement; actuellement il a un reflux de ce rôle moralisateur c’est du à la transformation de la faute et à l’admission de la simple faute objective c’est à dire une faute sans culpabilité et sans impunité. D’un autre coté on assiste à une résurgence de la fonction moralisatrice avec la place grandissante de la faute lucrative qui repose sur un calcul, c’est à dire que ça rapporte plus de la commettre en acceptant de payer les dommages et intérêts. La réponse des juristes à cela est le développement des dommages et intérêts punitifs, c’est à dire majorés par rapport au montant du dommage. Cela relève de la fonction de peine privée de la responsabilité civile et ça outrepasse ce qu’exige le principe de réparation intégrale.

  • 3 – les insuffisances d’une responsabilité fondée uniquement sur la faute

Peu à peu la notion traditionnelle de faute est devenue insuffisante pour fonder les solutions nouvelles rendues nécessaires par les transformations économiques et sociales de l’époque. Cette mutation est le fruit principalement de la révolution industrielle avec notamment d’important progrès techniques qui amènent un avènement puis un développement du machinisme. Ce développement s’accompagne d’un accroissement d la dangerosité, et en matière civile les dommages se multiplient et s’aggravent, on parle de plus en plus d’accidents: accident du travail, de la route, médicaux. Or le problème c’est que bien souvent il n’y a pas de faute à la source de l’accident, si c’est bien le cas, la victime qui se trouve dans l’impossibilité de prouver une faute risque de ne pas recevoir d’indemnisation. On réalise à ce moment que la notion de faute toute imprégnée de morale et de subjectivité va apparaître comme trop étroite pour demeurer le seul fondement de la responsabilité civile. Pour pouvoir s’élargie, la responsabilité avait donc besoin de nouveaux fondements qui permettent de pallier les insuffisances de la faute.