La théorie de la souveraineté populaire / souveraineté nationale

La souveraineté et le pouvoir de suffrage

On peut définir la notion de souveraineté de plusieurs manières. La plus simple, qu’on adopte de façon intuitive, est l’idée d’un pouvoir suprême, soumis à nul autre, et pouvant déterminer les autres. La souveraineté est le pouvoir sur le pouvoir (pour les juristes) ou pour KELSEN : « la compétence de la compétence ».

Ce pouvoir appartient à l’ensemble des citoyens dans nos sociétés modernes, mais comme ceux-ci ne peuvent l’exercer, ils le délèguent. Deux conceptions s’opposent : la souveraineté nationale et la souveraineté populaire.

Cette opposition a des conséquences sur la conception même de la représentation et du suffrage

  • I. La théorie de la souveraineté nationale

Même si ce n’est pas son nom qui est attaché à cette théorie, on peut repartir de Rousseau et de son contrat social. Ce contrat social est la remise de la souveraineté, de la liberté absolue (Etat de nature) d’une partie à la collectivité, c’est-à-dire la nation (cette idée de nation apparaît dès le 18ème siècle).

Elle est un être mythique prenant en charge le bien commun du groupe.

Définition de rousseau dans l’encyclopédie : Le corps politique est un être moral qui a une volonté qui tend toujours à la conservation et au bien être de chaque partie de ce corps.

Cette conception sera proclamée dès 1789 dans la DDHC. Article 3 : « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ».

Cette souveraineté est indivisible : elle appartient à un seul être collectif qui est fait pour cela. Il ne peut l’aliéner sans se dissoudre. Cette souveraineté est inaliénable.

Cette souveraineté est aussi indépendante des individus physiques puisqu’elle est par contrat réservée à cet être collectif. Par conséquent, cela exclu toute démocratie directe (Sieyès). Si ce n’est pas le peuple, c’est les représentants de la nation qui vont s’exprimer. Comment trouver ces représentants de la nation ?

Sieyès est le père de la souveraineté nationale.

La souveraineté nationale est remise à un parlement qui représente la nation.

  • II. La théorie de la souveraineté populaire

La souveraineté appartient au peuple.

Le peuple est l’ensemble des individus. Donc la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens existants. La théorie de la souveraineté populaire revient au seul Rousseau dans le livre III du contrat social. « Si l’Etat comprend 10 000 citoyens, chaque membre de l’Etat n’a pour sa part que la 10 millième partie de l’autorité souveraine (…) Chacun n’a qu’une parcelle mais participant au tout bénéficie de la puissance de l’ensemble ».

On a cela dans la constitution de 1793 : « La souveraineté réside dans le peuple (…). Chaque section du souverain assemblée doit jouir de son droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté ».

Dans cette conception, la souveraineté dépend des individus physiques : elle pousse donc à la démocratie directe, du moins à ce qui est possible. Reste la démocratie semi directe, comme le referendum.

De plus, si pour des raisons pratique il faut bien accepter qu’il y ait des représentants, ceux-ci doivent pouvoir être contrôle voir révoqués si leur attitude ne correspond pas à la volonté de leurs mandants.

Ceci conduit à un système politique conçu comme une sorte de pyramide de délégation. Pour chaque représentant il y a un mandait strict contrôle par les mandants. Séduisant sur le papier, mais difficile à traduire dans les institutions et difficile à mettre en œuvre. Jamais appliqué, sauf quelques traces en suisse et en URSS.

Cette souveraineté populaire oblige à la République. La souveraineté nationale peut accepter une monarchie, car le roi est dans la nation. Dans la souveraineté populaire, le roi n’a rien de plus que les autres, ainsi il est un citoyen comme les autres.

  • III. Conséquence sur la représentation et le suffrage

De ces deux conceptions, deux logiques différents pour l’exercice de la représentation, tant pour ce qui est du suffrage que pour la nature du mandat.

1) Pour le suffrage

Dans la théorie de la souveraineté nationale, le pouvoir appartient à la nation. Cet être mythique doit s’incarner. Quels sont les vrais représentants de nation ? Quel est le meilleur moyen de les choisir ? Ce n’est pas un droit que de choisir les représentants mais une fonction. On se méfiera donc de cette expression directe.

La théorie de «l’électorat fonction». L’élection par les citoyens étant le meilleur moyen de désigner les représentants. Montesquieu, Livre 11, chapitre 6, Esprit des Lois. « Le peuple ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants, ce qui est très à sa portée ». D’où la possibilité dans cette théorie de l’électorat fonction de restreindre le corps électoral. Le critère longtemps choisi fut le cens, mais on pouvait aussi choisir le suffrage familial (1 voix / par enfant).

A l’inverse, dans la théorie de la souveraineté populaire, chaque citoyen a une part de la souveraineté, chacun à le droit de s’exprimer. Ici, l’électorat est un droit, exercé au plus sous des réserves de condition d’âge (et de sexe). Par nature le suffrage est universel. En 1848 le suffrage universel masculin est proclamé. En 1945 le suffrage est véritablement universel. C’est la théorie de « l’électorat droit».

2) La nature du mandat

Dans la théorie de la souveraineté nationale:

Le représentant a un mandat dit « délibératif » (= représentatif). Il a été choisi pour représenter la nation, pour chercher quelle est la volonté de la nation. Il cherche cette volonté en délibérant par sa seule conscience sans se soucier de l’avis de ses électeurs. Il n’est pas nécessaire d’avoir une concordance. Ce représentant ne peut être révoqué. Il est de même interdit d’avoir un intermédiaire entre lui et la nation.

Sieyès, discours du 16 septembre 1789, à l’assemblée constituante : « Les citoyens peuvent donner leur confiance à quelques uns d’entre eux. Sans aliéner leurs droits, ils en commettent l’exercice. C’est pour l’utilité commune qu’ils se nomment des représentants, bien plus capable qu’eux même de connaître l’intérêt général et d’interpréter à cet égard leur propre volonté. (…) Il ne peut y avoir pour un député un mandait impératif ou même de vou positif que le vou national ; il ne se doit au conseil de ces commettants directs qu’autant que ces conseils seront conformes au vou national ».

Les citoyens nomment des représentants pour l’utilité commune et pour chercher l’intérêt général. Ces représentants sont plus à même de le faire. Un député agit en conscience et cherche le « feu national » (l’intérêt général).

C’est la conception du mandat délibératif (ou représentatif).

Dans la théorie de la souveraineté populaire:

Les représentants sont élus pour transmettre la volonté du peuple. Ils ont une délégation, un mandat impératif. Ils doivent se tenir au contact de leurs délégants qui peuvent les révoquer. La volonté générale sera l’addition de toutes ces délégations, la résultante de l’addition de ces volontés particulières.

Ces deux conceptions sont très opposées, et pourtant elles tendent aujourd’hui à être largement confondues dans la pratique dans une sorte de synthèse.

  • IV. La synthèse actuelle des deux contrats

En France aujourd’hui, on a une idée de souveraineté nationale. Mais il y a l’influence de l’autre théorie et dans la pratique, il y a une confusion entre les deux. Comment fonctionne le circuit suffrage -> représentation ?

  1. le suffrage est universel, il est considéré comme un droit ouvert à tous avec une seule condition : l’âge (qui passe de 21 à 18 ans en 1874).
  2. la France est une République (Article 1 de la constitution) : l’égalité de tous les citoyens proclamée et garantie
  3. encadrement des élus par des partis. Ces groupes ont une discipline de vote, et ces députés essayent de maintenir un lien avec leurs électeurs.

1 + 2 + 3 = appartiennent théorie de la souveraineté populaire.

Mais parallèlement :

  1. les représentants ont un mandat délibératif, non révocable. Cf. Article 27 de la Constitution.
  2. la représentation est le circuit politique habituel. Ex. : le referendum en matière législative est exceptionnel et limité.
  3. la démarche individuelle pour les candidats est prévue (n’importe qui peut se présenter).

1 + 2 + 3 = éléments de la théorie de la souveraineté nationale.

Cette synthèse est traduite dans l’article 3 de la Constitution de façon ambiguë : « la souveraineté nationale appartient au peuple ». En réalité, la synthèse s’est faite historiquement autour de l’idée de la souveraineté parlementaire. L’assemblée nationale est le lieu où s’exprime la volonté nationale. Cette assemblée nationale est l’objet réel le plus proche de l’objet mythique « Nation ».

La force de l’assemblée nationale est inévitable. On filtre les referendums. Le contrôle des représentants est interdit. Le plus commode est de passer par le parlement.

Dans le débat de 1962, Paul Reynaud montre que « le peuple est ici et pas ailleurs » dans la question du referendum direct sans vote du parlement.

Le débat théorique est moins important dans ses effets que le débat sur la méthode de représentation. La question de savoir comment ceux qui vont décider est essentielle.

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :