Le contentieux et la preuve de la nationalité française

Être français ou ne pas l’être : preuve et contentieux

La question porte sur les hypothèses dans lesquelles la nationalité française d’une personne fait l’objet d’une contestation ou d’un doute.

Ce doute peut alimenter un contentieux et il y a une contentieux de la nationalité française mais ce doute alimente d’abord les problèmes de preuves de la nationalité française.

Section 1 : La Preuve de la Nationalité Française

Il y a trois questions dans le champ de la preuve :

—> Qui : c’est-à-dire qui doit faire la preuve, c’est la question de la charge de la preuve. Cette charge est cruciale dans un procès car en absence de preuve, le procès est perdu.

—> Quoi : c’est-à-dire que faut-il prouver, c‘est la question de l’objet de la preuve

—> Comment : c’est-à-dire comment prouver, c’est la question des modes de preuves.

&1) La charge de la preuve

Il y a un doute sur la nationalité française d’une personne.

—> Sur qui repose cette charge de la preuve : c’est-à-dire repose-t-elle sur la personne elle-même ou sur l’administration française ?

La charge de la preuve de la nationalité française obéit à une règle propre qui est nettement différente de la règle de droit commun en matière de charge de la preuve. Mais cette règle de principe est atténuée par une règle corrective qui rappelle souvent la situation en matière de preuve de la nationalité à la situation de droit commun.

A)La règle de principe

Cette règle de principe figure à l’article 30 du Code civil selon lequel à l’alinéa 1 « la charge de la preuve en matière de nationalité française incombe à celui dont la nationalité est en cause ».

La question qui se pose est celle de savoir si cette règle est identique à la règle de droit commun en matière de charge de la preuve selon laquelle, la charge de la preuve incombe au demandeur. Il faut reconnaitre que l’article 30 du Code civil ne dit pas exactement la même chose car il dit que la charge de la preuve incombe à celui dont la nationalité est en cause c’est-à-dire à la personne dont la nationalité fait débat.

—> Si cette personne est demanderesse c’est-à-dire une personne qui veut faire établir qu’elle a la nationalité française, la règle en matière de la charge de la preuve conduit au même résultat que la règle de droit commun : cette personne devra faire la preuve de ce qu’elle avance car c’est elle dont la nationalité est en cause. La règle de droit commun parviendrait au même résultat.

—> Dans le cas inverse, lorsque la personne dont la nationalité est en cause est défenderesse, la règle de l’article suscité parvient à un résultat opposé à celui du droit commun : si le ministère public veut faire déclarer par un tribunal que telle personne n’est pas ou n’est plus française et que cette personne prétend qu’elle est restait française, selon l’article c’est cette personne qui a la charge de la preuve car c’est elle dont la nationalité est en cause.

Lorsque l’intéressé est demandeur, la règle de l’article fait peser la charge de la preuve sur le défendeur alors que la règle de droit commun conduirait à faire peser la charge de la preuve sur le demandeur, c’està-dire le ministère public.

Cette règle s’explique par le fait que le législateur considère qu’en matière de nationalité française, la personne concernée connait le mieux la question et qui peut réunir le plus facilement les éléments de preuve.

Cette opposition qui sur le papier est nette lorsque l’intéressé est défendeur. En pratique est beaucoup moins importante que ce que l’on pourrait croire parce que la règle de principe est assortie d’une règle corrective qui est sans doute plus importante dans la réalité que la règle principale.

B)La règle corrective

Cette règle figure à l’alinéa 2 de l’article 30 du Code civil : « toutefois cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de français à un individu titulaire d’un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants du Code civil ».

Le certificat de nationalité française est un document officiel qui permet de faire reconnaitre la nationalité française de son titulaire qui, jusqu’en 1995 était délivré par le juge d’instance et qui l’est aujourd’hui par le greffier en chef du TI. Ce certificat fait foi de la qualité de français de son titulaire jusqu’à preuve du contraire. Il indique à quel titre l’intéressé est français et quels éléments il a fait valoir à cet effet :

—> soit la personne concernée n’a pas ce certificat ou se l’est vu refuser alors si elle veut être traitée comme française, il faut qu’elle établisse qu’elle l’est effectivement c’est-à-dire qu’elle est en position de demandeur, elle doit assumer la charge de la preuve selon l’article 30 du Code civil et elle devrait l’assumer de la même façon selon les règles de droit commun,

—> soit la personne a ce certificat alors elle doit être traitée comme française en tout lieu en France et à l’étranger et elle n’a plus de preuve à faire a priori. Si le ministère public veut prouver que cette personne n’est pas française en dépit de son certificat, le ministère public sera demandeur et selon l’article 30 alinéa 2 du Code civil, il aura la charge de la preuve car il conteste la nationalité de français à une personne titulaire du certificat de nationalité française. Même dans cette hypothèse, la charge de la preuve revient au demandeur.

La règle corrective corrige et aligne les solutions sur celles de droit commun. L’exception au droit commun n’est qu’apparente.

&2) L’objet de la preuve et des modes de preuve

A)La preuve de la nationalité française

Il faut distinguer pour des raisons techniques selon que la nationalité française est :

  • une nationalité de naissance, une nationalité d’origine
  • ou selon qu’elle a été acquise en cours d’existence parce que le preuve de la nationalité française acquise en cours d’existence est plus facile que celle de la nationalité française d’origine.

Exemple : si une personne a fait l’objet d’une naturalisation, pour le prouver il suffit de montrer la copie du décret de naturalisation dit l’ampliation du décret.

  • – La nationalité française d’origine

Qu’elle soit pas filiation ou qu’elle soit par double naissance, l’objet de la preuve le plus simple à établir est que l’intéressé est en France d’au moins un parent lui-même né en France. Pour l’intéressé, il est plus opportun d’établir qu’il est en France de deux parents eux-mêmes nés en France car dans cette hypothèse, il évite toute discussion sur le point de savoir s’il aurait ou non renoncer à sa nationalité française lors de sa majorité. Cette règle s’applique à ceux qui sont français par double naissance mais elle s’applique aussi à beaucoup de ceux qui sont français par filiation car dans ces français par filiation, on estime qu’environ 90% des français par filiation le sont aussi par la règle de la double naissance : coïncidence de la nationalité par la filiation et par la règle de la double naissance. Mais il est plus simple de prouver que l’on est français par la double naissance que par filiation car par la double naissance, on s’arrête à la génération des parents.

Or, pour ceux français par filiation sans l’être par la double naissance car ils ne sont pas nés en France ou parce qu’aucun de leur parent n’est en France, c’est une situation délicate sur le terrain de la preuve de la nationalité française. L’article 30-2 al 1er du Code civil prévoit cette hypothèse car il énonce que la personne devra prouver qu’elle-même et le parent dont elle tient la nationalité française ont joui de façon constante de la possession d’état de français. L’objet de la preuve devient la jouissance constante de la possession d’état. Cela peut alors devenir difficile car il ne s’agit plus seulement de produire des extraits d’actes de naissance mais il s’agit de montrer que l’on réunit tous les éléments de la possession d’état de français. L’objet de la preuve retenue à savoir la possession constante d’état de français est dans certains cas difficile à établir.

  • – La nationalité française acquise en cours d’existence

L’acquisition en cours d’existence est plus simple notamment dans les hypothèses où cette acquisition s’est faite par déclaration ou par décret.

Mais il y a un problème dans le cas d’acquisition automatique de la nationalité française à la majorité par la combinaison de la naissance et de la résidence en France : l’acquisition est automatique alors il n’y a aucun acte qui la constate donc aucune copie ne peut être produit. L’intéressé peut produire l’extrait de son acte de naissance mais pour la résidence ne France pendant au moins 5ans, c’est plus compliqué car l’objet de la preuve est cette résidence mais qu’est ce que l’on appelle la résidence en France ? Que faut-il produire ?

Ainsi les cas de nationalité française les plus enracinés sont les plus difficile à prouver tandis que les cas de nationalité française les plus superficiels en apparence sont plus facile à prouver car il faut un acte officiel.

B)La preuve de l’extranéité

C’est la preuve que la personne concernée n’est pas française, qu’elle n’a pas la nationalité française. La preuve de l’extranéité ne doit pas être confondue avec la preuve d’une nationalité étrangère déterminée. Cette distinction tient à la compétence même des Etats : le législateur français est compétent exclusivement non seulement pour dire qui est français mais pour dire aussi qui ne l’est pas. En revanche, le législateur français n’a aucune compétence pour déterminer la nationalité étrangère d’une personne qui n’est pas française.

Si une question touchant la preuve d’’une nationalité étrangère venait à être débattue devant un tribunal français alors cette question serait réglée par l’application exclusive du droit étranger concerné et selon les modes de preuves de ce droit.

La preuve de l’extranéité est une preuve plus facile à faire lorsque l’intéressé a perdu la qualité de français que lorsqu’il n’a jamais été français.

  • – Les personnes qui ont perdu la qualité de français

La preuve de leur extranéité est facile car depuis la loi du 9 janvier 1973, il n’y a plus aucun cas de perte automatique de la nationalité française. La perte résulte désormais toujours soit d’une déclaration, soit d’un décret, soit d’un jugement. Pour la preuve, il suffira de produire l’enregistrement de la déclaration ou une ampliation du décret ou une expédition du jugement.

  • – La preuve de l’extranéité d’une personne qui n’a jamais été française

La question est plus difficile et elle est encore compliquée au moins en apparence par l’article 30-4 du Code civil car « la preuve de l’extranéité d’un individu peut seulement être établie en démontrant que l’intéressé ne remplit aucune des conditions exigée par la loi pour avoir la qualité de français ».

Ce texte pris à la lettre parait faire peser sur la preuve de l’extranéité des exigences fortes car il faudrait reprendre tous les cas d’attribution et d’acquisition de la nationalité française pour vérifier que l’intéressé ne remplit aucune des conditions d’aucun de ces cas.

En fait, le certificat de nationalité française simplifie beaucoup la situation : très généralement la preuve de l’extranéité va être dirigée contre une personne qui est titulaire de ce certificat. Celui qui veut prouver l’extranéité de la personne doit établir qu’en fait la personne ne peut pas être française en fonction du texte cité dans le certificat.

Dès qu’il est établi que le fondement du certificat est erroné alors la personne concernée devra prouver qu’elle est française à un autre titre et celui qui doit faire la preuve de l’extranéité n’a plus rien à faire mais il peut se contenter de faire la preuve que la disposition invoquée par le certificat est erronée.


Section 2 : Le Contentieux de la Nationalité Française

Ce contentieux présente comme les règles de preuve des particularités remarquables aussi en ce qui concerne la juridiction compétente que la procédure à suivre ou les effets de la décision de la juridiction.

&1) La juridiction compétente

En première instance, le contentieux de la nationalité française relève de la compétence exclusive du TGI. Selon l’article 29 al 1er du Code civil, le TGI est lui seul compétent : c’est le TGI du domicile de l’intéressé ou s’il ne réside pas en France, le TGI de Paris.

L’alinéa 2 de l’article 29 du Code civil pose les conséquences logique de cette compétence car il énonce que « les questions de nationalité sont préjudicielles devant tout autre juridiction de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire » c’est-à-dire que si une question de nationalité française vient à se poser devant une autre juridiction qu’un TGI, cette juridiction doit sursoir à statuer jusqu’à ce que le TGI compétent ait rendu son jugement sur la nationalité française de la personne. La seule exception est que la question n’est pas préjudicielle pour les Cours d’Assise car l’existence d’un jury fait considérer que c’est le peuple français qui rend la justice et aussi pour éviter un ralentissement de la procédure des assisses.

&2) La procédure

Devant le TGI, l’action principale relative à la nationalité française peut être déclaratoire ou négatoire c’est-à-dire faire déclarer que l’individu n’est pas français. Cette action n’est soumise à aucune prescription. Selon l’article 29-3 du Code Civil, « les parties à l’instance sont d’un coté l’intéressé et de l’autre le ministère public ».

La procédure présente une particularité remarquable car une copie de l’assignation doit être déposée au ministère de la justice afin qu’il puisse faire connaitre s’il le veut, ses observations. Ainsi, le tribunal compétent doit sursoir à statuer dans un délai de 30 jours, à compter de la délivrance du récépissé de la copie de l’assignation par le ministère de la justice.

Ce dispositif a deux avantages :

—> il permet au ministère de la justice d’avoir une vue d’ensemble complète et précise sur le contentieux intéressant la nationalité française, notamment il lui permet de prendre conscience des dispositions de notre de la nationalité qui aliment principalement le contentieux en vu de réformes éventuelles.

—> cette communication au ministère de la justice des assignations, cette disposition prépare une large autorité de la chose jugée pour la décision à venir. Le tribunal compétent n’est pas lié par les observations du ministère de la justice et il peut prendre une décision contraire aux observations.

&3) Les effets du jugement

En droit commun, les jugements ont en principe autorité relative de la chose jugée (article 1351 au Code Civil) sur les points vus au litige et entre les parties au litige.

En matière de nationalité française, les jugements ont autorité absolue de la chose jugée car selon l’article 29-5 al 1er du Code Civil, « les jugements et arrêts rends en matière de nationalité française par le juge de droit commun ont effet même à l’égard de eux qui n’y ont été ni parties, ni représentés ». Ils ont alors effet à l’égard des tiers.

Cela se justifie par la communication de l’assignation à la chancellerie par l’intervention obligatoire de ministère public dans toute affaire de nationalité et par la considération qu’au fond en matière de nationalité, l’Etat est directement en cause dans tout contentieux. Mais, l’alinéa 2 de l’article 29-5 précise que « tout intéressé est recevable cependant à les attaquer par la tierce opposition à condition de mettre en cause le Procureur de la République ».

L’autorité absolue de la décision est provisoire tant qu’il n’y a pas de tierce opposition et de ce point de vu, l’autorité des jugements en matière de nationalité ressemble à l’autorité des jugements rendus en matière de filiation : on rapproche les dispositions de l’article 29-5 du Code civil et article 324 du Code civil en matière de filiation. Ce rapprochement n’est pas surprenant car la nationalité est assez liée à l’état des personnes.