Le droit des peuples à disposer d’eux mêmes

Le droit des peuples à disposer d’eux mêmes

Le droit des peuples à disposer d’eux mêmes leur permet d’exprimer leur volonté de s’établir en tant qu’Etat, en tout cas sa volonté de choisir son statut international. Invocation politique mais d’une importance fondamentale, certains y ont même vu une norme impérative du Droit International.

l’origine et l’évolution du principe

Dans un premier temps, il y a une origine politique du droit des peuples, c’est tout d’abord une revendication d’ensembles humains, qui est née au milieu du XIXe siècle lors des révolutions de 1848, mouvements révolutionnaires en France mais aussi Etat Europe centrale et orientale, empire austro hongrois, mouvement des nationalités –> Première revendication de groupes sociaux, solidaires, de même origine et qui revendiquaient un statut vis-à-vis de l’Empire austro-hongrois.

Pendant un siècle à peu près, plus aucune mention, réapparait seulement en 1945 dans la Charte des Nations Unies, vraisemblablement dans un autre contexte, position dans le préambule : l’article 1§2 qui fixe les objectifs des Nations Unies précise qu’u, des buts des Nations Unies est de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes.

Ce droit des peuples est avancé comme un fondement de l’organisation des Nations Unies. Après 1945, le principe est resté en sommeil jusqu’à la décolonisation, des nouvelles revendications internationales des peuples, leur donnant une certaine vigueur au principe du droit des peuples et une positivité juridique, une reconnaissance dans les textes qui vont aller au-delà de la simple revendication politique.

Plusieurs résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies vont affirmer le droit des peuples : il est vrai qu’elles ne sont pas obligatoires, mais l’Assemblée Générale des Nations Unies, en tant qu’un des organes principaux des Nations Unies, a pour mission d’interpréter la charte des Nations Unies. Or, comme toute interprétation officielle, celle-ci s’incorpore à la charte et éclaire l’article 1§2. Ces résolutions vont donc avoir cette valeur juridique d’explicitation du principe proclamé à l’article 1§2.

  • Résolution 1514 (XV) du 15 décembre 1960: déclaration sur l’octroi de l’indépendance des peuples coloniaux, complétée par la résolution 1541 du 15 décembre 1960. Cette déclaration 1514 vient préciser les deux facettes du droit des peuples (1ère facette : strictement internationale – le fait de pouvoir choisir un statut international. 2e facette : concerne la liberté de choisir son système politique, économique et culturel).
  • Ce principe a été repris par d’autres résolutions : résolution 2621 (XXV) du 12 octobre 1970, résolution de mise en œuvre.
  • Résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, résolution sur les relations amicales

Ces résolutions sont venues préciser la portée de l’article 1§2. Cette positivité a été accordée de manière encore plus nette par les deux pactes de 1966. Lorsqu’un Etat ratifie un des deux pactes de 1966, il admet la juridicité du droit des peuples.

Enfin, dans deux avis consultatifs, l’avis sur la Namibie du 21 juin 1971: situation où l’on a un territoire géré par un Etat et qui devrait accéder à l’indépendance ; avis sur le Sahara occidental de 1975: la cour vise comme PGD international le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le principe existe en droit, mais l’affirmation d’un tel principe ne va pas sans poser de difficultés quant à sa mise en œuvre effective.

Le contenu du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

Il y a deux aspects :

  • Choisir son statut (strictement international)
  • Choisir son mode d’organisation (aspect plus interne)

Une fois que le peuple a choisi son statut, même s’il n’a pas choisi un statut étatique, le droit va s’intéresser à la protection de ce statut.

Il faut donc choisir un statut : le droit de s’autodéterminer. Il y a tout un éventail de choix offerts en vertu de la résolution 1541, obligation des Etats membres relativement aux territoires non autonomes qu’ils administrent. Le droit de peuples est intiment lié à une détermination territoriale. Plusieurs objectifs sont fixés :

  • L’indépendance
  • Sont également évoqués l’intégration à un Etat indépendant
  • Un statut interne d’autonomie : on reste dans un Etat préconstitué, mais avec un statut particulier protégé par le Droit International, car fruit d’une procédure de Droit International. Ex : ce qui a été le choix des Inuits du nord canadien comme peuple : statut d’autonomie très avancé.

Comment s’exprime le droit des peuples ? Il faut là encore contextualiser la renaissance du droit des peuples dans les colonies. En particulier, parce que les modes de revendication ne sont pas spécifiés dans les premières résolutions. On perçoit tout de même immédiatement le danger de cette absence d’encadrement de l’expression, pouvant passer par la violence. Peut-on utiliser la violence pour faire valoir son droit d’indépendance ?

Résolution 3103 (XXVIII) de 1973,principes de bases concernant le statut juridique des combattants qui luttent contre la domination coloniale et étrangère et les régimes racistes : intervient à la fin du processus de décolonisation. Dans les années 1970, il existe encore des colonies espagnoles, portugaises, et des cas particuliers de peuples qui utilisent la violence (Palestiniens) mais également des mouvements anti-apartheid en Afrique du Sud. La résolution 3103 énonce que la lutte de ces peuples soumis, pour la réalisation de leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance, est légitime et entièrement conforme aux principes du Droit International.

  • 2 : Toute tentative visant à réprimer la lutte est incompatible avec la charte des Nations Unies –> ceux qui sont à l’initiative de l’usage de la violence est le mouvement d’autodétermination. C’est la réaction à cette lutte, par la force, qui est incompatible. Le droit des peuples vient se poser en exception à l’usage de la force armée.

–> Premier élément ambigu du principe, difficulté d’application. Question de savoir ce qu’est un peuple, quelle entité peut dire qu’elle a un droit à l’autodétermination ? Peut-on mettre sur le même pied les luttes basque, corse, palestinienne ? Il y a là une exception à la charte qui a été réglée pragmatiquement : la légitimation des organisations se fait par l’octroi, par les Nations-Unies, d’un statut dans le cadre de ces dernières.

Autre modalité : le référendum, la consultation des peuples.

La résolution 3103 n’est pas la voie unique (mais est la voie pratiquée). C’est une modalité qui n’est pas sans soulever des difficultés : souvent, le référendum intervient avant la consécration du droit des peuples. Il y a quelques situations déterminées dans lesquelles on sait qu’il faut organiser un référendum (Timorée orientale, Sud Soudan). Mais, souvent, le référendum intervient avant et permet la reconnaissance ultérieure du droit des peuples. Du résultat découle les conséquences en Droit International. Des Etats fédéraux organisent des consultations (a priori, ne sont pas des peuples), dont le résultat est massivement pour l’indépendance (soit elle se concrétise sans heurt – Malte, soit plus compliquée – Bosnie). C’est le référendum qui révèle à la communauté internationale l’existence du peuple. La reconnaissance notamment des Etats d’ex-Yougoslavie a été facilitée par le référendum, pour reconnaître rétroactivement l’existence d’un peuple.

La résolution 1541 apporte quelques éléments qui vont aider mais qui ne vont pas tout résoudre :

  • Elément géographique, spatial qui pose plusieurs principes : principe 4: « un territoire non autonome est un territoire géographiquement séparé et ethniquement ou culturellement distinct du pays qui l’administre ». Il n’y a aucun caractère d’automaticité : on peut être reconnu comme peuple (les Comores) mais cet élément n’a jamais été pris en considération par la France (comme pour la Martinique, la Guadeloupe, qui correspondent aux critères classiques). Cela a permis d’identifier certains peuples qui avaient le droit à l’autodétermination.
  • Principe 5 : éléments supplémentaires qui peuvent être de nature administrative, juridique, économique ou historique, s’ils affectent les relations entre le territoire métropolitain et le territoire considéré, de telle façon que ces territoires sont placés en tant qu’Etat de subordination. Ces éléments sont pris pour créer une situation discriminante, et ce de manière arbitraire.

Ces éléments permettent d’élargir le champ d’application du droit des peuples, et finalement, revenir à ses origines historiques. Là encore, connaît des difficultés, notamment vis-à-vis des minorités internationales. L’élément territorial demeure présent dans le principe 5, montre que ce n’est pas l’élément humain qui est déterminant, mais bien l’élément territorial. Cet élément est toujours mis en balance avec l’élément humain (Comores, le droit d’autodétermination, dans la droite ligne d’uti possedetis juris, doit se réaliser dans un ensemble territorial auquel on ne va pas porter atteinte). On doit respecter l’intégrité territoriale du territoire non autonome. Problème, par ex, lorsque la France a consulté les comoriens, et parmi eux, majorité pour l’indépendance. Sauf que Mayotte connaissait une majorité voulant rester rattachée.

On a décidé que deux peuples étaient consultés: la population de Mayotte et les autres comoriens. Cette détermination qui va pouvoir exprimer ce choix est un élément toujours perturbateur, et aujourd’hui encore, à l’exercice du droit des peuples.

Le processus d’autodétermination lancé en 1988 en Nouvelle-Calédonie a fait l’objet de négociations et d’un contentieux pour savoir qui pouvait ou pas être inscrit sur les listes électorales pour participer au référendum –> a donné lieu à l’arrêt Nicolo. On a des difficultés à déterminer le corps électoral. L’exemple le plus frappant est celui du Sahara occidental (ancienne colonie espagnole) : n’a jamais été une terra nullius, cela pour contrer les revendications du Maroc et de la Mauritanie. Il y avait une organisation. Le référendum n’a toujours pas eu lieu (depuis 1975), car impossibilité de déterminer qui doit participer au référendum.

Problème de la détermination d’un peuple qui est sur un territoire non séparé (problèmes des minorités nationales) qui heurte de front le principe de l’intégrité territoriale. Les éléments du principe 5 vont donner lieu à un régime arbitrairement discriminatoire. Le Droit International protège les minorités : il pose un principe d’intégrité territoriale et un respect des minorités, et ce dès les traités de paix d’après guerre mondiale.

Un Etat ne peut se constituer qu’à la condition qu’il protège les minorités en son sein. Il y a une protection des minorités qui se traduit par des droits individuels, en raison d’une appartenance à un groupe. Un individu peut porter plainte pour non respect des minorités, s’il arrive à le prouver.

La minorité n’existe pas juridiquement, mais est protégée dès lors qu’une personne prouve qu’elle subit une discrimination due à son importance à un groupe.

Lorsqu’une minorité fait l’objet d’un état de subordination tel que prévu au principe 5, la communauté internationale peut intervenir. C’est ce qui s’est produit au Kosovo : territoire peuplé d’une minorité albanaise, persécution de cette minorité de la part des autorités serbes –> Intervention internationale, en 1999 bombardement de la Serbie, qui a abouti à l’administration du territoire par les Nations Unies. Lorsque le droit des minorités est à ce point violé par l’Etat, alors on peut identifier cette minorité comme un peuple ayant un droit à l’autodétermination (ce ne sont que des hypothèses).