Le pouvoir constituant

LE POUVOIR CONSTITUANT

Le pouvoir constituant, c’est tout naturellement celui qui est compétent pour faire la constitution, pour faire la règle constitutionnelle : pour établir la charte du pouvoir politique (la manière dont il est attribué et exercé dans l’Etat).

Par nature, le pouvoir constituant appartient au souverain, car il va limiter l’existence du souverain dans l’Etat. Seul le souverain peut se limiter. La souveraineté et la limitation du souverain ne peut se faire que par lui même (théorie de l’autolimitation du souverain).

Lorsque la conception de la souveraineté change (que l’on passe du roi au peuple), il y a un changement dans l’exercice du pouvoir constituant.

  • I. Évolution historique

Le pouvoir constituant est une attribution du souverain, donc les deux grandes formes de souveraineté amènent à des procédés différents.

Les procédés monarchiques : c’est l’idée que le roi décide, le roi est le souverain « l’Etat c’est moi » donc « la constitution c’est moi ». C’est le procédé qu’on appelle l’octroi: le roi donne à ses sujets une constitution dans laquelle il se limite lui-même. C’est le procédé que l’on trouve dans l’histoire constitutionnelle française dans la charte de 1814 (rétablissement de la monarchie) ou bien dans la Russie de 1905 quand le Tsar décide de donner à ses sujets une constitution.

Il y a une formule qui est une sorte de négociation entre le roi et ses sujets : le pacte (par opposition à l’octroi) : idée d’un accord/négociation entre le roi et le peuple. Ce qui veut dire que déjà on considère qu’à coté de la légitimité du roi il y a une autre légitimité. Négocier avec quelqu’un suppose qu’il a une certaine importance. Formellement le roi décide, en réalité il y a un équilibre. C’est la situation qu’on connaîtra avec l’orléanisme (Monarchie de Juillet, charte de 1830) : la charte résulte d’un accord entre celui qui va devenir roi et le peuple.

On passe maintenant à la légitimité démocratique. Le procédé démocratique veut dire que le peuple décide : décide-t-il directement ou par la voix de ses représentants ? Directement, c’est satisfaisant mais c’est difficile. On a plutôt l’habitude d’élire des représentants particulièrement mandatés pour faire une nouvelle constitution : formule de l’assemblée constituante. Et parfois, pour s’assurer (vu l’importance du sujet) que ceux qui ont établi la constitution ont bien rempli leur mandat, on peut ratifier le texte par référendum.

Pour modifier la constitution (pouvoir dérivé ou institué), là aussi il y a des possibilités : le peuple ou ses représentants. Mais comme une modification est moins essentielle qu’un établissement, on admet que l’intervention du peuple puisse être évitée.

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :

  • II. L’établissement des constitutions et le pouvoir constituant originaire

La question se pose de faire une nouvelle constitution lorsqu’il y a une situation de « table rase » comme on dit, c’est-à-dire qu’il y a eu une rupture avec l’ordre ancien. Tout à disparu, tout est par terre : il faut faire quelque chose d’autre. C’est la situation dans laquelle se trouve un Etat nouveau, ou un régime politique nouveau lorsque le régime ancien est par terre (ex URSS). Là, naturellement, la légitimité démocratique dont on se réclame veut que ce soit le peuple qui se prononce. 2 procédés :

  • A) L’assemblée constituante

C’est tout simplement une assemblée élue par le peuple, avec un mandat précis qui est le mandat ouvertement donné de faire une constitution. D’ailleurs l’assemblée peut être en même temps législative (double rôle : rôle d’ordinaire législatif et rôle constitutionnel).

La plus ancienne est la convention de Philadelphie qui fera la constitution de 1787, puis la constituante de 1789 (de juin 1789 à octobre 1791), et puis ce sera le cas aussi des assemblées de 1848, 1871, et en 1945 et 1946 pour établir la R4. Ce procédé n’est pas ancien et aujourd’hui n’est pas abandonné. Ex : c’est une assemblée constituante qui fait le texte de la constitution portugaise, grec, ou espagnole. Il faudrait signaler de multiples assemblées constituantes en Europe de l’est après 1990.

Ces assemblées sont nouvellement élues, explicitement constituantes. Ces assemblées discutent, élaborent des projets, adoptent un projet.

  • Soit l’assemblée est dite souveraine, et le projet est promulgué et devient la constitution sans revenir devant le peuple (France 1791, 1848, 1875 et Grèce 1975, Portugal 1976).
  • Soit l’assemblée est dès le départ limitée, c’est-à-dire qu’il est prévu que le texte qu’elle va élaborer devra revenir devant le peuple et faire l’objet d’un référendum qui accepte ou qui rejette le texte qui lui est proposé. C’est le cas de R4 ou la première assemblée constituante propose un projet en avril 1946 qui sera repoussé en mai. Une deuxième assemblée fait un nouveau projet qui sera accepté en octobre 1946. Exemple aussi en Espagne, référendum du 6 décembre 1978
  • B) Le référendum direct

Sans passage préalable par une assemblée constituante. Dans ce cas là le peuple n’est pas associé à la préparation, ni directement ni par l’intermédiaire de ses représentants, mais il est invité à ratifier le texte qu’on lui propose. Le texte sera préparé par le pouvoir en place (exécutif provisoire ou l’exécutif résultant formellement des institutions possédantes). Il en va ainsi des constitutions napoléonienne (an 8, an 10, an 12) et de 1815 (l’acte additionnel). Ou bien, le général de Gaulle en 1958, ou le gouvernement du Général De Gaulle reçoit mandat de l’assemblée de préparer une nouvelle constitution. En 1958, c’est une révision du texte précédent : le parlement vote en disant qu’il délègue son pouvoir au gouvernement de DG qu’elle vient d’investir. En réalité cet exécutif de DG va préparer seul ou en s’entourant de représentants (experts, dont des membres de l’assemblée), établir un texte, et ratifier le 28 septembre 1958 par référendum par les français (80% de oui).

Cette formule par référendum est fréquente pour les Etats nouveaux. C’est une sorte de manière de légaliser un coup de force que de faire voter ainsi un texte préparé par le pouvoir de faite. La rupture démocratique étant en quelque sorte ouverte.

Chacun des deux procédés a son avantage. Vaut-il mieux l’un ou l’autre ? C’est toujours le problème de la représentation. D’un point de vue théorique on pourrait dire que le plus satisfaisant c’est de cumuler les deux, comme on l’a fait en 1946, d’autant plus que le premier projet a été rejeté ce qui montre que la ratification n’est pas une simple formalité. Si le texte n’est pas bon :

  • III. La révision des constitutions et le pouvoir constituant institué

On l’appelle institué parce qu’il est prévu dans les institutions existantes. On organise un pouvoir existe constituant. Pourquoi le souverain ne délèguerait il par son pouvoir constituant comme il délègue son pouvoir législatif ? Il faut que la procédure de révision soit plus exigeante que celle de la loi ordinaire, de manière à ce que la constitution ne puisse pas être modifiée par l’intervention d’une seule loi ordinaire. Et, effectivement, la procédure de révision et sa supériorité sur la procédure ordinaire se manifestes sur deux plans :

  • A) L’initiative de la révision

Elle peut être confiée aux différents titulaires d’un pouvoir politique (exécutif, législatif, voire au peuple). Ca dépend de celui que l’on veut mettre en avant. Evidemment, c’est affirmer un pouvoir particulier que de donner un tel pouvoir à un plus qu’à un autre. Dans chaque régime politique on donne la possibilité de réviser à celui qu’on veut privilégier.

Sous R4, on privilégie l’assemblée. Sous la cinquième République, on privilégie le président (article 89, le président sur proposition du premier ministre ou du membre du parlement) et l’assemblée. Et, si pour la constitution de 1958 on accepte que l’article 11 soit utilisé, c’est la même chose : sur proposition du gouvernement et de l’assemblée.

Aux USA, c’est une fraction importante du congrès ou des Etats qui a le pouvoir de réviser la constitution. 2/3 du congrès ou 2/3 des Etats peuvent prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle. En suisse, il y a une possibilité d’initiative populaire comme ça peut être le cas, d’une manière plus limitée, en Italie.

(Projet : texte d’origine gouvernemental ; proposition : texte d’origine parlementaire).

Finalement, on a la possibilité de donner à un organe un pouvoir : le pouvoir d’ouvrir la procédure de modification, c’est lui reconnaître une certaine importance. L’initiative peut parfois s’appuyer sur des travaux d’experts. Un des travaux le plus important fait en France à propos de la constitution de 1958 est le travail effectué par le comité pour la révision de la constitution (présidé par Georges Vedel, automne 92/début 93 – Georges Vedel, né le 5 juillet 1910 à Auch et mort le 21 février 2002 à Paris, est un professeur de droit public.). L’initiative de la constitution appartient à l’un des pouvoirs (ou à plusieurs, comme En France : Président de la République +parlement). Ensuite, on vote le texte.

  • B) projet de révision

Un projet qui émane de l’exécutif passe par les 2 chambres du législatif

Un projet qui émane du législatif passe par les 2 chambres.

Tout ceci montre un peu l’existence de ce pouvoir institué qu’on a voulu exigeant avec une procédure difficile, mais avec le risque que si la procédure est jugée trop contraignante, elle soit détournée (1962, 1969). Le Président de la République de l’époque a essayé une procédure parallèle de révision par rapport à l’Article 89 en estimant que l’Article 11 était applicable en matière de révision constitutionnelle, et la meilleure argumentation étant celle qu’a exposée le ministre chargé des réformes de l’époque. C’est un problème délicat avec une réponse très incertaine. La question est de savoir si lorsque le pouvoir institué existe, le pouvoir originaire disparaît.

Autrement dit, le peuple est il limité par ce qu’il a fait plus tôt ? Est-il tenu par cette forme qu’il a instituée ?

Si on dit que oui, le peuple est il encore souverain ?

Si l’on dit que non, le peuple n’est pas tenu, à ce moment la construction constitutionnelle a-t-elle un sens ? Puisque toute procédure pourrait tourner dès que le peuple est d’accord ;

Finalement on retourne sur la question fondamentale : la contradiction qu’il y a entre le souverain et la constitution. Et les conceptions actuelles vont plutôt vers le respect de la norme constitutionnelle. Dans le cas d’espèce on pourrait dire que le tendance est limité mais par lui même (théorie de l’auto limitation). Et finalement ce qu’on appelle l’état de droit est que tout pouvoir est soumis à un droit antérieurement posé, y compris le pouvoir du souverain. Cette question appelle à réfléchir à la manière dont la supériorité de la constitution est assurée.

La question de l’utilisation du référendum direct pour réviser la constitution pourrait éventuellement se reposer l’année prochaine, puisqu’un certain nombre de candidats à la présidentielle ont proposé de réformer la constitution.