Le régime politique de la IVème république et son héritage

La quatrième République

L’affrontement entre Vichy et la résistance, c’est aussi (c’était aussi) l’affrontement entre 2 conceptions du pouvoirs. Et finalement ces 2 courants qui, en croire Hauriou, se dispute le régime depuis 2 siècles. Un régime autoritaire d’un coté, et de l’autre le rêve d’une république idéale débarrassée des défauts de la quatrième République et dont les contours ont commencé a être tracé dans les débats du CNR (conseil national de la résistance) qui réfléchi à ce qu’on fera après et qui commence à dresser le schéma des institutions futures.

Dès la libération, une des taches prioritaires en dehors de l’administration et du redressement économique est de construire cette république nouvelle. Ce sera l’objet des riches débats constitutionnels de 1945 et 1946 et ça aboutira à la mise en place de cette république nouvelle à l’automne 1946. En réalité, si les institutions se veulent nouvelles par rapport à celles de la troisième République, très vite surviendra une instabilité aussi forte que sous la troisième République qui emportera le régime lors de la première crise sérieuse, celle de l’Algérie en 1958.

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :

  • I. Le débat constitutionnel de 1945-1946 et la mise en place

A la libération, c’est l’effondrement de Vichy donc, et l’installation du gouvernement provisoire qui très vite pour que sa légitimité soit indiscutable veut donner la parole au peuple et prépare un référendum. On évite le mot plébiscite. 21 octobre 1945, référendum, en même temps que des élections à une assemblée. Election importante compte tenu de la période ms aussi parce que ce sont les premières élections auxquelles les femmes sont admises à voter après une ordonnance qui donne le droit de vote aux femmes. Le referendum pose une question principale : « Voulez-vous que l’Assemblée Nationale élue ce jour soit constituante ? ». Autrement c’est l’élection de l’Assemblée Nationale mais on demande au peuple s’il lui confie le mandat de la constitution, ce qui implicitement veut dire que l’ancienne constitution est considérée comme abrogée par le peuple. Le « oui » l’emporte à une très large majorité : c’est la première Assemblée Nationale constituante.

Cette assemblée est dominée du point de vue politique par ce qu’on appelle à l’époque le tripartisme, c’est-à-dire l’alliance des 3 partis issus de la résistance : les socialistes, le parti communistes (entré tardivement dans la résistance peut être), et le MRP, mouvement républicain populaire, parti nouveau d’inspiration démocrate chrétienne et qui rassemble tout ceux dans la résistance sans être marxiste, socialiste, ou communiste. Il se veut le parti de la fidélité à De Gaulle.

Ce tripartisme gouverne avec De Gaulle, puis sans lui, lorsqu’en janvier 1946 De Gaulle quitte le pouvoir à la suite d’un désaccord au sein du gouvernement en pensant qu’il va être rappelé dans les jours suivants. Il ne le sera que 12 ans plus tard.

Concernant le projet constitutionnel, c’est la majorité de la majorité. Le projet est établi entre les partis de gauche (PC et SFIO). Le système institutionnel est d’inspiration jacobine avec une assemblée unique toute puissante qui élit le Président de la République, désigne le président du conseil sous sa dépendance (c’est un peu le schéma de la convention, l’assemblée décide et désigne des gens qui exécutent). C’est un régime d’assemblée à peine modérée par une tentative de reconnaissance officielle du rôle des partis. On veut donner un statut aux partis et une place dans l’Etat mais ça n’abouti pas.

Ce projet de constitution est combattu par le MRP (pourtant de l’alliance tripartite) et la droite ; ce projet est très combattu par De Gaulle. Le referendum précédent (qui avait dit que l’assemblée était constituante avait dit aussi que l’assemblée ne serait pas souveraine, c’est-à-dire que son projet devrait être ratifiée par le peuple). Le 5 mai 1946, nouveau referendum, et le nom l’emporte par 53% des voix 10,3 et 9,1% « Pour ». Le projet est refusé, le mandat de cette assemblée constituante prend fin. Il faut faire un nouveau projet, donc une nouvelle assemblée, élue le 2 juin 1946.

Le travail constituant reprend.

Le 21 octobre 1945 : referendum : l’assemblée élue ce même jour doit elle être constituante ? La réponse est oui est à une large majorité

On doit faire un second projet, et il ne serait pas normal d’avoir la même chambre. Une seconde assemblée constituante est élue en juin 1946, et cette seconde est très proche de la précédente. Par ailleurs, le mode de scrutin est la proportionnelle départementale. Cette seconde assemblée est toujours dominée par le tripartisme (c’est-à-dire PC + MRP + SFIO) mais l’équation politique est simple : le projet précédent a été établi par PC + SFIO et a été rejeté, il faut donc associer le MRP au nouveau projet. L’idée va être de chercher à partir du texte rejeté des compromis qui permettront d’avoir l’accord du MRP.

Mais en même temps s’affirme la très nette opposition à ce processus et à ce qui est en train de se faire, du général De Gaulle qui prononce à Bayeux un discours bien connu du 16 juin 1946 qui propose un tout autre système, c’est-à-dire un pouvoir organisé autour du chef de l’Etat (autour du Président de la République dont le rôle serait considérablement étendu alors qu’il est le grand absent de la constitution Grévy et de celle en train de se faire). Il devrait être élu par un collège plus large que les simples assemblées législatives (on parle de « prophétie politique »). Ce système annonce celui qui sera mis en place en 1958.

Évidemment ce système est très différent de ceux qui sont dans les moeurs/conceptions de l’époque. Vive réponse de Léon Blum indiquant que cela conduit nécessairement à l’élection du Président de la République au suffrage universel. De ce fait il y aurait une double expression de la souveraineté nationale : l’une désignant le Président de la République et l’une désignant l’assemblée, et donc qu’il y avait en germe un conflit institutionnel insoluble. Dans ces conditions la position du général De Gaulle n’était pas souhaitable. On a aussi le risque du césarisme. Ce système annonce les difficultés à venir de la cohabitation (affrontement de deux légitimités).

Malgré cela, le compromis est trouvé avec le MRP, notamment par le rétablissement d’une seconde chambre au pouvoir diminué. Le compromis de 1875 s’était fait avec l’établissement du Sénat, le compromis de 1946 se fait avec un conseil de la république, qui reprendra le nom de Sénat. Le compromis est approuvé le 29 septembre 1946 par les trios partis qui forment la majorité parlementaire. Mais le même jour, discours extrêmement violent de De Gaulle à Epinal, il est très hostile à ce texte et préconise le « non ». Il joue le blocage du système manifestement. En janvier 1946 on se souvient qu’il est parti en s’attendant à être rappelé dans les jours mais personne ne l’a fait. Il y a malgré ce discours le référendum du 13 octobre 1946 qui donne un résultat faiblement positif : 53% de oui sur les suffrages exprimés, avec il est vrai une très forte abstention. 31% s’abstiennent, 33% votent « oui » et 36% (???) votent « non ». On dira volontiers qu’à l’époque la France est partagée en trois tiers. Un gros tiers vote la constitution de 1946. Celle-ci est donc adoptée, mais pas dans l’enthousiasme. Le régime ne prend pas un très bon départ.

La constitution est promulguée le 27 octobre 1946 (début formel de la quatrième République). La 1ère assemblée est élue le 10 novembre 1946 (toujours au scrutin de liste départemental et évidemment proportionnel et sa composition est proche des assemblée constituante). Le Président de la République élu par les 2 assemblées le 16 janvier 1947 dès le premier tour car c’est le candidat de l’alliance du tripartisme (PC SFIO MRP). Dans une alliance à trois, celui qui est au milieu est celui qui bénéficie du plus de chance d’être élu. C’est le socialiste qui est élu : Vincent Auriol.

Le 17 janvier, c’est-à-dire le lendemain de son élection, le Président de la République Auriol désigne un nouveau 1er ministre (quelqu’un au centre, Ramadier : socialiste lui aussi, et ancien ministre du Front Populaire lui aussi). Ramadier est donc désigné par le Président de la République suivant la constitution et se présente devant l’assemblée. Le 21 janvier 1947 il obtient un vote de confiance.

  • II. Les institutions

Le régime apparaît comme un régime parlementaire à bicamérisme inégalitaire avec une tentative pour corriger les défauts de la troisième République, ce en insérant des éléments de rationalisation du parlementarisme (l’idée qu’il faut protéger le gouvernement devenu fragile par rapport au risque de renversement). Ces éléments sont insérés de manière insuffisante ou maladroite et cela échouera rapidement.

Le parlement est composé de deux chambres, qui est un compromis passé avec le MRP même si le Sénat a un rôle diminué par rapport à celui qui était le sien sous la troisième République. On change son nom symboliquement : son nom est le conseil de la République (rôle de conseil plus que de décision). Ce Sénat devenu conseil ne devrait être qu’un simple donneur d’envie. On lui enlève la capacité de renverser le gouvernement (ce qui avait été un des problèmes sous la troisième République). Du fait de l’affaiblissement du Sénat, l’assemblée est d’autant plus puissante. Elle est élue au suffrage universel direct, à la proportionnelle départementale (dans un scrutin très clair et très politique). L’assemblée est nombreuse : 627 sièges, et le mode de scrutin qui est très clair en 1946 change en 1951. 1951 : loi sur les apparentements. Si une liste se déclare apparentée, elles auront tous les sièges, et la proportionnelle ne jouera qu’entre elles. Tentative de marginaliser le PC et le futur parti de De Gaulle.

Mais pour l’heure l’essentiel est le retour à la souveraineté parlementaire, et une souveraineté très forte puisque cette assemblée vote la loi, vote le budget, qu’elle investi le président du conseil, et qu’elle assure le contrôle du gouvernement en pouvant mettre en œuvre la responsabilité, c’est-à-dire renverser le gouvernement. L’assemblée est très puissante.

A coté du parlement (c’est-à-dire essentiellement de l’Assemblée Nationale qui n’est plus la chambre des députés), le Président de la République. Il a très peu de pouvoir, est très proche de celui de la troisième République modèle Grévy, c’est-à-dire un président ayant abandonné sauf que lui on ne les lui a pas donné. Il reste élu pour 7 ans par la réunion de l’Assemblée Nationale et du Conseil de la République (= le parlement). Ce Président de la République élu par le parlement est irresponsable, tous ses actes doivent être contresignés et finalement il n’a qu’un seul rôle important, c’est qu’il peut désigner le président du conseil, mais désigner veut dire le proposer à l’assemblée qui va ou non l’investir. La marge de manouvre du Président de la République est donc faible.

Finalement, selon la formule consacrée, ce Président de la République jouit d’une sorte de « magistrature morale » qui d’ailleurs sera assez forte avec Auriol élu au premier tour de scrutin en 1947. Le second Président de la République, René Coty, sera élu le 23 décembre 1953 au 13ème tour de scrutin.

Le 3eme élément dans cet ensemble est le gouvernement. Il est dirigé par le président du conseil, dont la fonction est enfin constitutionalisée : Ce n’était pas le cas dans les lois de 1875. Ce président du conseil aurait dû être le personnage central des institutions. Il est au départ désigné par le Président de la République, et dès qu’il est désigné il doit présenter son programme à l’Assemblée Nationale mais il le présente tout seul. L’investiture qu’il demande à l’Assemblée Nationale est personnelle, sur son nom et sur le programme qu’il propose, et cette investiture doit être donnée à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée Nationale. Si celle-ci fait 630 membres, le Président de la République doit recueillir au moins 316 voies.

Ensuite il doit constituer son gouvernement et gouverner. Il y a une idée intéressante de cette investiture du président du conseil tout seul dans une sorte de contrat avec l’assemblée. Malheureusement le système dévie tout de suite, puisque Ramadier fait après la constitution de son équipe demande une nouvelle fois la confiance de l’assemblée. Il y a donc une 2eme investiture (règle de la « double investiture » non prévue par la constitution mais qui sera appliquée très vite) : vote de l’équipe. Ramadier explique que la démocratie est le vote de l’assemblée, d’où la seconde investiture. Finalement on met en place ce système très contraignant de la double investiture. Au lieu d’avoir un lien contractuel personnel et fort entre le président du conseil et l’assemblée, on en revient à la bonne vieille pratique de la troisième : la combinaison des partis pour trouver une majorité. Du coup cette investiture personnelle du président du conseil apparaît comme une complication inutile et sera supprimée en 1954 dans une petite révision constitutionnelle (« la réformette »). On en revient à l’investiture de tout le gouvernement comme sous la troisième République.

Toujours est-il qu’investit doublement ou simplement, le président du conseil dispose de l’ensemble du conseil exécutif, notamment du pouvoir réglementaire, mais ce pouvoir réglementaire reste subordonné à la loi. On est encore dans l’époque de la souveraineté parlementaire, c’est-à-dire l’idée que le parlement vote la loi, celle-ci étant l’expression de la volonté générale. L’Assemblée Nationale l’exprime et la loi peut intervenir partout. Ce président du conseil dispose théoriquement du droit de dissolution, en fait exercé formellement par le Président de la République. Simplement cette dissolution (qu’on a rétabli) est encadrée par des conditions rigoureuses : pour pouvoir dissoudre, il faut qu’il y ait eu 2 gouvernement renversés à la majorité absolue de l’assemblée dans les 18 ans. Par cette condition, on voit bien que si on rétabli la dissolution c’est uniquement pour prévenir un risque d’instabilité ministériel auquel on ne croit pas beaucoup à l’époque. Du fait de cette condition il ne pourra être utilisé qu’une fois le 2 décembre 1955 par Edgar Faure. Cette dissolution échouera, c’est-à-dire que les opposants à Edgar Faure seront confortés par le résultat des élections du 2 janvier.

La question centrale et celle sur laquelle les institutions buteront est la question de la responsabilité du gouvernement, c’est-à-dire le mécanisme qui fait le lien, établi ou défait la confiance entre le gouvernement et l’assemblée. Cette responsabilité est en principe réglementée de façon stricte, c’est une des idées maîtresses de ce qu’on appelle la rationalisation du parlementarisme. Ceci est fait pour lutter contre l’instabilité. Il y a des procédures précises : la question de confiance et la motion de censure. La mise en cause de la responsabilité est formalisée désormais.

La question de confiance (question spontanée du président du conseil à l’assemblée) ne peut être posée que par le président du conseil après délibération du gouvernement. Il n’est renversé que s’il a contre lui la majorité absolue.

Celle à l’initiative du parlement (plutôt de l’Assemblée Nationale) est la motion de censure. Elle peut être déposée par tout député, son utilisation n’est pas limitée comme elle le sera plus tard sous la cinquième République. Il y a une même exigence de majorité absolue pour renverser le gouvernement.

A priori la construction est intéressante mais il n’y a plus cette majorité automatique que donnait le tripartisme. Les gouvernements font souvent des questions de confiance pour faire passer les projets de loi auxquels ils tiennent. C’est là qu’apparaît le défaut de construction du système.

On imagine une assemblée de 600 députés. La majorité absolue (constitutionnelle) est 301. Pour renverser le gouvernement ou investir le président du conseil, il faut 301 voix. Mais si le président du conseil engage sa responsabilité devant l’assemblée sur le vote d’un texte et que ce texte obtient 280 contre, 270 pour, et 50 abstentions. Résultat ? Le gouvernement dit qu’il a besoin de ce texte et engage sa responsabilité. Ca veut dire que si le texte ne passe pas, le gouvernement s’en va. Or le résultat d’un tel vote est que le texte n’est pas adopté puisqu’il y a 280 contre et 270 pour. Mais théoriquement le gouvernement n’est pas renversé, puisque pour cela il faudrait la majorité absolue de 301 vote. On est dans la situation où le gouvernement n’a pas le texte, mais n’a pas à s’en aller. Juridiquement il n’est pas forcé de s’en aller, politiquement il est obligé de le faire.

La précaution de la majorité absolue ne tiens pas en fait. Le gouvernement est obligé de partir sans avoir été renversé à la majorité absolue, mais ce renversement ne compte pas pour renverser l’assemblée. Du coup c’est absurde : le renversement est beaucoup plus facile et ne compte pas pour déclencher le mécanisme de dissolution. Point important d’autant que l’absence de majorité va caractériser la quatrième République.

  • III. L’instabilité politique

Celle-ci n’était pas prévue, puisqu’au départ il y avait l’enthousiasme de la libération, les liens de la résistance. Dès l’année suivante, c’est la guerre froide, la période de forte tension avec l’URSS. On s’attend (fantasme ou pas) à voir des armée soviétiques en Europe. Mai 1947 : révocation des ministres communistes par Ramadier (ce qu’on lui a beaucoup reproché). La conséquence politique est que le premier parti de France est hors système, c’est-à-dire qu’on ne peut plus s’allier avec lui et ne peut être dans la majorité : le PC vote toujours contre, rend la gouvernabilité du système difficile.

Apparaît en octobre 1947 un second parti hors système. De Gaulle lance un nouveau parti destiné manifestement à être contre le régime, le RPF, qui va obtenir jusqu’à 40% des voix aux municipales de 1947. La grande inquiétude est évidemment que ce résultat se répète aux législatives suivantes de 1951. Si les 2 partis hors systèmes ont la majorité, le régime est perdu, car les 2 partis extrêmes et opposés ne peuvent s’allier entre eux. D’où la loi électorale pour marginaliser les extrêmes et diminuer leur représentation.

Cette question de la majorité sera tout au long de la quatrième République présente :

  • De 1946 à 1951, après le départ du PC, pour retrouver une majorité, se construit ce qu’on appellera la « troisième force », c’est-à-dire l’union des partis attachés au régime contre la double attaque du PC et du RPF. Dans cette troisième force, le balancier oscille du centre droit au centre gauche avec des président du conseil MRP (centre droit) ou radicaux (centre gauche). Il y aura dans cette première législature de 5 ans, 9 gouvernements. L’instabilité a repris le rythme de la troisième République et même au-delà. Cette législature se termine avec le vote de la loi sur les apparentements pour avantager les partis gouvernementaux contre le risque de blocage des institutions qui pourraient être provoqué
  • 1951 1956 : s’ouvre avec un échec relative du RPF qui n’obtient que 21% des voix. Ce recul est accentué par les apparentements, mais ça dessert surtout le PC. Sur 630 sièges, il n’y en a finalement que 230 hors système (110 pour le PC et 120 pour le RPF). Il en reste donc 400 pour la troisième force : on trouve une majorité. C’est la réintégration dans le jeu de la droite modérée qui avait été écartée à cause de Vichy, et c’est la reprise du balancier centre droit et centre gauche. 2 ministères marquants dans cette 2eme législature. Un gouvernement d’Antoine Pinay du 8 mars 51 au 8 janvier 1953 qui rétabli la confiance dans les finances. Le gouvernement de centre gauche de Pierre Mendès France, 1 juin 1954 au 4 février 1955 (on retient surtout qu’il fait la paix en Indochine). Mais si c’est un incontestable succès pour Mendès France, les difficultés surgissent bien vite ailleurs : ce sont les débuts des problèmes en Algérie. Cette législature connaîtra finalement 7 gouvernements en 5 ans. Elle se termine avec la dissolution d’Edgar Faure puisque les conditions pour une fois étaient remplies. Pierre Mendès France avait été renversé à la majorité constitutionnelle et à la suite d’une erreur de calcul (de « calibrage »), Faure avait aussi été renversé à la majorité constitutionnelle.
  • 1956 à 1958 : il y a toujours 200 députés hors système, le RPF a disparu mais les apparentements ont moins bien fonctionné et le PC remonte nettement. Le poujadisme, parti politique très à droite, remonte. Il anime un mouvement anti impôt etc. Même problème : dans un climat empoisonné par la guerre d’Algérie, 4 gouvernement en 2 ans et la crise du 13 mai 1958 emportera le gouvernement. L’appel à De Gaulle. L’Assemblée Nationale termine avec la loi du 3 juin 1958, confiant les pleins pouvoirs au gouvernement du général De Gaulle et notamment le pouvoir constituant. Ceci n’est pas sans rappeler la fin de la troisième République confiant le pouvoir constituant directement au maréchal Pétain en personne (mais pas à son gouvernement cependant, il faut noter la nuance).

Malgré les bonnes intentions de départ, c’est finalement un indiscutable échec que la quatrième République. Et si on a tenu à y insister un peu, c’est que finalement il en sera tenu compte de cet échec pour l’établissement de la nouvelle constitution en 1958 : on essayera d’éviter la répétition des erreurs.

Section 4 – Inventaire de l’Héritage

Etablir un nouveau régime, c’est vouloir corriger les défauts du ou des précédents tout en amplifiant ce qui parait positif. Faire une nouvelle constitution suppose tout d’abord de faire un inventaire de ce qu’ont apporté les expériences précédentes. Finalement qu’en reste t il dans la culture politique et institutionnelle française, de ces 160 ou 170 ans qui viennent de s’écouler ?

Au sens de Colliard, trois idées :

  1. La primauté de la liberté politique de l’individu, assurée sur le plan institutionnel par le suffrage universel et la séparation des pouvoirs.
  2. dans les éléments issu de cette séparation du pouvoir, finalement l’élément essentiel est l’assemblée, parce que l’assemblée est issue du suffrage, parce qu’elle est dépositaire de la souveraineté de la nation, et que cette souveraineté se marque dans l’ouvre principale de l’assemblée : la loi (expression de la volonté générale) et le principal danger est la mise au pas de l’assemblée au profit d’un régime autoritaire
  3. finalement le danger est le césarisme, il est beaucoup plus dangereux que l’instabilité
  • I. La liberté assurée par le suffrage universel et la séparation des pouvoirs.

Dès 1789 on s’en souvient, on trouve au centre de toute construction politique la grande figure du citoyen. La déclaration des droits et du citoyen. Ce qui caractérise ce citoyen est qu’il détient collectivement la souveraineté et qu’il participe à son exercice. Après les hésitations des débuts de la période (citoyen actif et citoyen passif, suffrage censitaire, etc.) le suffrage devient universel en 1848 et cela marque en quelque sorte la sacralisation du suffrage. Il n’est plus un moyen de désigner des représentants mais un droit. L’idée est possible : il n’y a plus besoin de révolution puisque avec le suffrage tout homme est libre et peut par son vote peser sur son destin, et il est au moins sur le plan politique égal de tout autre, puisque tout autre citoyen n’a comme lui qu’une seule voix. Cette vision idéaliste de cette égalité républicaine, égalité politique, dispensera d’ailleurs de toute réflexion sur ce qu’on appelle la question sociale, que l’on estimera ou fera semblant d’estimer résolue par cette égalité (contrairement à l’Allemagne impériale de Bismarck). L’all privilégie la protection sociale en laissant de coté la question de la participation politique. Le citoyen est donc libre parce qu’armée de son suffrage est il le principal décideur dans un système ou sa place est protégée grâce à la séparation des pouvoirs (le pouvoir arrête le pouvoir et tout cela modère le pouvoir et protège les citoyen).

Cette séparation des pouvoirs est considérée comme tellement importante qu’elle est sacralisée par la DDHC (Article 16 : « toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas déterminée n’a point de constitution »). Certes à partir de cette affirmation théorique sur la nécessité de la séparation des pouvoirs, si on y a fait attention, on l’a fait avec beaucoup de variation. La constitution de 1791 est sans doute celle qui met en œuvre le principe de séparation avec le plus de dureté ; il y a 2 pouvoirs, le roi et l’assemblée, il n’y a ni responsabilité ni dissolution. Il y a le veto pour arrêter, mais le veto est le conflit et ceci prend fin le 10 août 1792. Cette constitution de 1791 ressemble beaucoup à la constitution américaine.

La convention de 1792 à 1795. Comme la constitution montagnarde de 1793. La conception de la séparation est purement formelle : le corps législatif dispose aussi du pouvoir exécutif, les conseils lui étant étroitement subordonné sauf le Comité de Salut Public qui subordonne l’assemblée.

Avec le directoire, on connaît un certain retour à la séparation des pouvoirs. Sous le consulat et l’empire ce n’est pas la préoccupation. Cette séparation revient avec les monarchies parlementaires. Sous la monarchie de juillet, rare moment de bonheur pour les théoriciens constitutionnels : la charte de 1830 est le schéma de montesquieu. Les chambres et notamment la chambre des pairs votent la loi que le roi promulgue. Les ministres sont les conseillers du roi ms doivent avoir la confiance de la chambre. C’est un peu une naissance du régime parlementaire en France, mais un régime parlementaire sous une forme dualiste qui sera volontiers encensé par la doctrine. On trouve l’idée qu’il y a un vrai régime parlementaire par rapport aux variations parlementaristes de la troisième République et la quatrième République. Ce régime « dualiste » (c’est plus chic) ou « orléanistes » (c’est péjoratif), on le retrouve en 1958 comme réponse à une situation dans laquelle le parlement est devenu trop puissant.

Après l’échec de la seconde république qui a marqué le retour à une conception très forte de la séparation des pouvoirs, après les excès autoritaires du second empire, après le dépassement du compromis de 1875 par la crise de 1877 et la constitution Grévy, on est arrivé à la souveraineté parlementaire. Dans la loi d’habilitation du 3 juin 1958, sont prévus 5 bases, c’est-à-dire 5 principes qui doivent être respecté par cette nouvelle constitution, et parmi ceux là la séparation de l’exécutif et du législatif et l’indépendance du judiciaire.

  • II. La souveraineté de la Nation, de l’assemblée, de la loi

On a déjà dit La différence entre les 2 conceptions de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire. S’il y a eu rarement dans notre histoire une tentation de souveraineté populaire (1793), la dominante est la souveraineté nationale avec ses caractéristiques, c’est-à-dire que c’est la souveraineté de la nation (corps abstrait), les représentants sont les représentants de la nation avec un mandat représentatif. Leur mission est de rechercher la volonté générale (base de la loi depuis Rousseau).

Même si la synthèse qui se fera accordera une place à des éléments issus de la souveraineté populaire (notamment que le suffrage est un droit), l’idée de la souveraineté nationale reste dominante. Et l’idée très forte que l’assemblée représente la Nation et finalement qu’elle la représente mieux que le peuple (ce qui est assez paradoxal). Paul Reynaud (dans le débat de 1962 sur la décision prise par De Gaulle de réviser la constitution par référendum direct) : « pour nous républicains, la France est ici et pas ailleurs ». Le peuple est finalement moins légitime à parler au non du peuple que les représentants du peuple. Ceci entraîne la prohibition du référendum, d’autant plus que celui-ci est associé à un pouvoir autoritaire du fiat des plébiscites impériaux.

Finalement, ce qui reste, l’équation dominante si l’on peut dire, est démocratie = pouvoir de l’assemblée. Cette souveraineté de l’assemblée est établie de manière partielle en 1830, plus forte en 1875, et plus forte encore et quasiment totale lorsque la tentative de Mac Mahon échoue avec la constitution Grévy, l’abandon de la constitution et l’abandon du dualisme (dès 1877) : il n’y a plus de contre poids à la toute puissance des assemblée qui élisent le Président de la République, soutiennent ou renversent le gouvernement, et qui ne sont pas concurrencées par l’intervention du peuple dont le rôle exclusif est d’élire les assemblée.

La souveraineté parlementaire s’établi ainsi : puisque la nation est l’assemblée, la souveraineté de la nation se traduit par la souveraineté de l’assemblée. Les conséquences sont non seulement le référendum, mais aussi la dissolution (de l’assemblée et du souverain), dissolution timidement rétablie sous la quatrième République. Finalement : une seule dissolution sous la troisième République (1877), et une seule sous la quatrième République (2 décembre 1955), et déjà 5 dissolutions sous la cinquième République. Elles réussissent toutes sauf al dernière. L’usage de la dissolution est rétabli même s’il est souvent accompagné de polémiques, aussi bien pour les 4 premières (1962, 1968, 1980, 1988) qui sont faites pour chercher une majorité qui n’existe pas/plus. Ces dissolutions sont finalement mieux acceptées que celle de 1997.

Cette souveraineté de l’assemblée s’étend à l’acte qu’elle fait, la loi, puisque l’assemblée est la nation. Ce qu’elle décide, la loi, est l’expression même de la souveraineté, c’est l’expression de la volonté nationale, autrement dit de la volonté générale choisie par la nation, la nation incarnée dans l’assemblée. Et donc la loi, acte du souverain, peut intervenir dans tous les domaines. Elle ne saurait être soumise à aucun contrôle puisqu’elle est cet acte qui émane directement du souverain. Ceci a un certain nombre de conséquences importantes, et c’est là-dessus que se portera l’effort de rupture de 1958. parce que cette souveraineté de la loi et du parlement avait abouti à ce qu’en dehors des faux semblants des régimes impériaux, il n’y avait une absence totale de contrôle de la conformité de la loi à la constitution : on avait contenu des constitutions souples au final.

On crée le comité constitutionnel de la constitution de 1946 qui était chargé d’examiner si les lois votées supposait une révision de la constitution, ce qui était presque mettre le système à l’envers. Et donc l’idée est quand même très présente qu’on ne peut rien opposer à la loi. Lorsque la cinquième République inventera (reprendra en fait) le contrôle de constitutionnalité en 1971, cette idée heurte une tradition française qui fait que chaque fois qu’il y a une décision importante du conseil constitutionnel, il y a facilement une polémique avec le gouvernement. La dernière polémique date de 1993 après un discours le 19 novembre 1993 au congrès de Balladur. Réponse de Badinter le 23 novembre.

Conseil constitutionnel de 1985 : « la loi exprime la volonté générale dans le respect de la constitution ». Il y a cette supériorité de la loi, trois prohibitions :

  1. prohibition du référendum législatif. On ne connaît pas avant 1958
  2. prohibition de la dissolution : un seul exemple sous la troisième République et la quatrième République
  3. prohibition du contrôle de la constitutionnalité de la loi.

Finalement, quand on veut en 1958 revenir sur cette souveraineté du parlement parce qu’on pense que c’est elle qui est la cause de l’instabilité du régime (21 gouvernements en 12 ans), 104 sous la troisième République en 65 ans. On revient sur ces trois prohibitions : installer le referendum (article 11 de la constitution de 1958), on rétablira le droit de dissolution, et on établira timidement le contrôle de constitutionnalité.

Tout cela abouti à la même idée, l’idée maîtresse de 1958 : restreindre (sans supprimer) le rôle du parlement qui était devenu sans limite, finalement tout ceci n’étant modéré que par le danger du césarisme.

  • III. Le danger du césarisme

Petit résumé introductif par Colliard :

La question qui se pose est de savoir ce qu’il y a dans l’héritage : quelles sont les leçons que l’on veut retenir ou au contraire que l’on veut oublier. Finalement 1958 sera assez largement une volonté de rupture avec ce qui se passe au moins depuis 1875, c’est-à-dire avec l’idée de la souveraineté du parlement. Cet héritage au sens de Colliard a 3 éléments :

  • la liberté individuelle au centre du dispositif politique assuré par le suffrage universel et la séparation des pouvoirs.
  • la souveraineté de la nation, de l’assemblée, de la loi, et ceci est mis en cause car on pense en 1958 que c’est là que viennent les vices du système et notamment l’instabilité. Les trois prohibitions classiques : referendum dissolution et contrôle de constitutionnalité tombent.
  • une sorte d’inversion des valeurs : le danger du césarisme plus grand que celui de l’instabilité

L’idée dominante sous la troisième République et la quatrième République de souveraineté de la nation incarnée dans l’assemblée s’oppose à ce que le chef de l’Etat ait un pouvoir fort. Et l’idée est très présente qu’un pouvoir fort conduit à la dictature et pire encore que la dictature conduit à la révolution. Après tout, Louis XVI et l’assemblée ça a été le veto, l’empire ça a été la défaite (Waterloo en 1814 et Sedan en 1870), les restaurations ont mené à pouvoir forts, mais les révolutions de 1830 et 1848 au nom de la démocratie.

C’est vrai qu’en 1848 dans notre expérience unique et singulière du régime présidentiel, on voudra un chef de l’Etat fort. Colliard crois que c’est un peu une compensation plus ou moins implicite, c’est-à-dire qu’en même temps on essaye pour la première fois le suffrage universel, et ceux qui le mettent en place tout en en étant naturellement partisan ont tout de même un frisson d’inquiétude, des fois que ça aille trop loin, que ce suffrage universel se révèle révolutionnaire. Finalement on a cette crainte d’une assemblée qui pourrait être dominée par les extrêmes (c’est-à-dire les radicaux et les socialistes : masses populaires), donc ce ne serait peut être pas absurde d’avoir un Président de la République qui permet de résister. Et puis finalement, on se rassure en comprenant que le suffrage universel peut être conservateur : il le sera en 1848 comme en 1871, et qu’en tout cas il est intégrateur, c’est-à-dire qu’il permet à toutes les couches de se sentir représentées dans la vie politique, et que donc le suffrage universel dispense de la révolution.

C’est qu’en votant, le césarisme impérial a échoué, et il échoue en 1870 avec un stigmate qui va rester pendant très longtemps : la perte des provinces de l’est. L’idée qu’un pouvoir fort amène au de la de la négation de la démocratie à la catastrophe, à l’effondrement, est extrêmement présente, et que finalement dans un pouvoir plus collectif d’une assemblée recherchant la volonté générale il y a plus de sagesse, de mesure, de garantie.

1877 et la constitution Grévy, c’est la rupture avec cette idée d’un pouvoir fort, et d’ailleurs puisque le Président de la République est réduit à sa plus simple expression et que le président du conseil est sous l’entière dépendance du parlement, et même dans les années 1930 lorsque se pose la question de la réforme de l’Etat parce qu’on s’aperçoit que ça ne fonction pas, on passe à des tas de choses sauf à l’idée de renforcer le rôle du Président de la République, qui est esquissé ça et là mais qui n’est pas au premier plan.

Finalement à coté de cette méfiance du pouvoir fort, l’autre danger (celui de l’instabilité) est plutôt accepté mais parait moins grave, parce que finalement c’est vrai que ça pose des problèmes pour gouverner mais après tout c’est plutôt démocratique que le gouvernement soit contrôlé étroitement et même renversé en cas de faute. Pourtant cette instabilité devient massive. La troisième République, de l’élection de Mac-Mahon en juin 1940, c’est 104 gouvernements en 65 ans : un gouvernement dure en moyenne 8 mois. Certes, au début, cette instabilité n’est pas très forte et elle n’empêche pas la troisième République de gagner la guerre de 1914 1918 ce qui la légitime définitivement (du moins le pense-t-on) : il n’y a plus de débat sur la république mais il peut y avoir encore un débat sur les institutions. Ms tout de suite après, avec les législatures de l’entre 2 guerre, le mouvement s’affole.

Des élections de 1919 aux élections de 1924, soit en 5 ans, on a 6 gouvernements.

  • De 1924 à 1928 : 9 gouvernements, en à peine 4 ans.
  • De 1928 à 1932 : 10 gouvernements, en 4 ans. Un gouvernement dure 5 mois
  • De 1932 à 1936 : 11 gouvernements
  • De 1936 à 1940 : 6 gouvernements (Pétain non compris)

Alors on voit par ces simples chiffres et ce qu’ils recouvrent (une crise ministérielle tous les 6 mois), qu’au nom de la souveraineté de l’assemblée et au nom de la prévention de ce risque que serait le césarisme (le pouvoir exécutif fort), on assiste à une caricature du régime parlementaire : la crise permanente. Le peuple est en réalité dépossédé de tout rôle dans l’attribution du pouvoir puisque la majorité qu’il désigne au moment des élections s’effondre au bout de quelques mois. Finalement, la défaite de 1940 va amener à la prise en compte renouvelée des deux dangers :

Il y a bien sur l’instabilité qui a mené la troisième République, mais il y a aussi et surtout le césarisme et le risque parait plus grave d’autant qu’il y a les années de gouvernance du maréchal Pétain, et finalement quand on se pose le problème en 1945 et 1946 c’est l’instabilité qui est la principale préoccupation (elle l’était déjà dans la résistance). Pour autant il faut trouver les moyens de renforcer l’exécutif : ce sera cette idée de rationalisation du parlementarisme qui échouera sous la quatrième République parce que le mécanisme était mal conçu et que le problème de majorité devient insoluble. La création d’une majorité réussira sous la cinquième République. Là aussi la cinquième République a un peu tenu le dos à l’héritage et a substitué l’idée que le césarisme est moins grave que l’instabilité contrairement à la 4ème.

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :