Le renvoi préjudiciel : définition, conditions

Le renvoi préjudiciel

Le renvoi préjudiciel est la procédure qui permet à une juridiction nationale d’interroger la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) sur l’interprétation ou la validité du droit communautaire dans le cadre d’un litige dont cette juridiction est saisie. Le renvoi préjudiciel offre ainsi le moyen de garantir la sécurité juridique par une application uniforme du droit de l’Union européenne.

La procédure permet la coopération entre le juge national et le juge communautaire. Elle assure une interprétation et une application uniforme du droit dans l’Union européenne. Quelle est la définition du renvoi préjudiciel? Quelles sont les conditions du renvoi préjudiciel?

I. La définition du renvoi préjudiciel

Ce mécanisme était prévu par l’article 234 du TCE et était applicable pour les matières du pilier communautaire et du volet communautarisé du pilier III (coopération en matière civile relative à circulation des personnes, visa, asile, etc… ).

Il y avait un mécanisme particulier pour le pilier III résiduel (coopération en matière pénale) : l’article 35 du traité UE ancien aménageait un système de renvoi préjudiciel très spécifique puisqu’à la différence de ce qui s’appliquait en vertu de l’article 234 du TCE, le mécanisme de l’article 35 du TUE était subordonné à l’acceptation par chaque Etat de la compétence de la Cour de justice.

L’effacement de la structure en piliers est un élément de simplification dans ce domaine. Le mécanisme est désormais régi par l’article 267 du TFUE, mais pendant une période transitoire de cinq ans à compter de la signature du traité de Lisbonne, le régime dérogatoire de l’article 35 devra s’appliquer pour les actes pris avant le traité de Lisbonne.

La PESC est soustraite à la compétence préjudicielle de la CJUE.

Le mécanisme du renvoi préjudiciel se divise en trois temps (les deux derniers peuvent être regroupés) :

  • le renvoi préjudiciel,
  • l’arrêt préjudiciel,
  • le juge national tranche l’instance au regard de l’arrêt préjudiciel.

Le renvoi par le juge national n’est pas totalement libre et est soumis à certaines conditions.

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II. Les conditions du renvoi

A) Les conditions tenant à l’auteur du renvoi

C’est l’article 267 du TFUE qui évoque un tel renvoi par une juridiction d’un Etat membre. Cela exclut immédiatement le renvoi préjudiciel par les parties elles-même, que ce soit individuellement ou ensemble, mais cela exclut aussi le renvoi par une juridiction d’un Etat tiers ou par une juridiction internationale. Cette règle est interprétée par la jurisprudence dans un double souci :

• l’ouverture la plus large du renvoi préjudiciel dans l’intérêt de la meilleure application du droit de l’Union. La recevabilité d’un renvoi préjudiciel par une juridiction d’un territoire d’outre mer est simplement soumis à un régime d’association par rapport au droit de l’Union, ce qui témoigne de la souplesse d’interprétation de la Cour de justice. La recevabilité du renvoi préjudiciel introduit par la Cour d’appel du Bénélux, juridiction commune à trois Etats membres, en témoigne également ;

• l’autonomie du renvoi préjudiciel, puisqu’elle ne fait pas dépendre la recevabilité du renvoi de la qualification juridictionnelle dont bénéficie ou pas cette instance. Ce qui compte, c’est que l’on ait affaire, du point de vue organique, à une juridiction ayant des activités juridictionnelles.

1. Les critères organiques de la juridiction

Dans la plupart des cas, il n’y a pas de difficultés particulières : l’organe considéré comme juridiction au plan international a toutes les chances de bénéficier de cette qualification au niveau communautaire.

Il y a néanmoins des cas où la Cour de justice a développé une méthode du faisceau d’indices : c’est l’arrêt du 30 juillet 1966 Vaassen Göbbels, confirmé par un arrêt du 17 septembre 1997 Dorsch Consult. Ces indices sont les suivants :

  • l’établissement par la loi de l’organe en question,
  • la nomination de ses membres par l’autorité publique,
  • le caractère permanent de cet organe,
  • le caractère obligatoire de sa juridiction pour trancher les différends relevant de sa compétence,
  • le fait que celle-ci consiste à trancher des litiges,
  • le fait qu’ils doivent être tranchés au regard d’une procédure contradictoire,
  • le fait que l’organe en question doivent trancher ces litiges en droit,
  • l’indépendance.

Ainsi, par exemple, cette méthode a conduit a refusé le renvoi préjudiciel opéré :

• par des juridictions arbitrales,

• par tel organe statuant sur des réclamations fiscales ne satisfaisant pas le critère de l’indépendance à l’égard de l’administration fiscale.

À l’inverse, elle a admis des renvois opérés par des organes qui pouvaient statuer en équité, et non pas seulement en droit.

2. L’approche fonctionnelle de la juridiction

La juridiction doit être amenée à opérer un renvoi préjudiciel pour rendre son jugement selon l’article 267 du TFUE. Il en résulte nécessairement que la recevabilité du renvoi préjudiciel est conditionnée par l’éventualité du jugement rendu en droit, peu importe la matière en présence.

Le Conseil constitutionnel français se refuse à opérer des renvois préjudiciels pour des contrôles à priori de la constitutionnalité des lois à la Cour de justice car l’article 61 de la Constitution impose au Conseil constitutionnel de statuer dans le délai d’un mois, voire de huit jours en cas d’urgence demandée par le Gouvernement : il y a donc une incompatibilité matérielle, pratique.

En sera-t-il de même pour le contrôle à posteriori, c’est-à-dire dans le cadre de la QPC ? Il pourrait en aller différemment vu que le délai est de trois mois et vu que celui-ci est prescrit par la loi organique, laquelle est subordonnée au droit de l’Union, et donc à l’article 267 du TFUE (alors que l’article 61 de la Constitution est en conflit avec la norme communautaire).

Il faut, quelle que soit la matière, que le juge de renvoi soit appelé à rendre une décision de justice en vue de laquelle il opère ce renvoi préjudiciel. Mais il peut arriver que cette perspective se soit évanouie :

  • le juge peut soit avoir fini par statuer au fond entre temps,
  • soit parce qu’un incident de procédure, tel le désistement des parties, a pu mettre un terme au jugement.

Il faut donc une décision à venir présentant un caractère juridictionnel : c’est très important dans les cas particuliers où l’organe de renvoi est un organe qui remplit à la fois des fonctions juridictionnelles mais aussi non-juridictionnelles (consultatives, normatives par l’exercice d’un pouvoir règlementaire ou d’un pouvoir d’adoption d’actes). Ainsi, si le renvoi est opéré au titre d’une fonction juridictionnelle, il sera recevable, et inversement, il ne le sera pas.

Ex : c’est le cas pour les ordres professionnels, lesquels peuvent parfois remplir des fonctions juridictionnelles en matière disciplinaire, et qui dans d’autres cas remplissent des fonction de gestion administrative de la profession : ce sera recevable dans le premier cas mais pas dans le second.

Ceci étant dit, la notion de jugement à venir est assez largement entendue : le jugement peut être purement déclaratoire, statuer à titre provisoire (telle une ordonnance de référé, il appartient alors au juge des référés de déterminer si l’urgence qui s’impose à lui est compatible avec une procédure préjudicielle nécessairement longue).

B) Les conditions tenant à la question posée

1. Les conditions formelles

a) Les conditions générales

Y a-t-il un délai de renvoi ? C’est au juge national qu’il appartient d’apprécier le meilleur moment de l’instance pour opérer un tel renvoi. Ceci étant, du point de vue de la Cour de justice, il peut être opportun de ne pas renvoyer trop tôt, afin que les faits de la cause éclairant la question préjudicielle soient parfaitement établis.

b) La condition propre au renvoi en appréciation de validité

Ceci doit être nuancé lorsqu’il s’agit d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité. En effet, la Cour de justice, depuis un arrêt du 9 mars 1994 TWD, estime qu’un renvoi en appréciation de validité est irrecevable s’il a été opéré par le juge national à la demande d’une partie qui aurait été recevable à agir en annulation devant le juge communautaire contre l’acte communautaire de droit dérivé dont la validité est mis en doute dans le cadre du renvoi préjudiciel et qui s’en serait abstenue.

La Cour de justice fait jouer une sorte d’exception de recours parallèle : le renvoi préjudiciel est irrecevable car il y avait un recours parallèle en annulation qui n’a pas été exercé. La Cour de justice cherche à éviter que le renvoi préjudiciel serve de session de rattrapage au plaideur négligent ayant laissé s’écouler le délai de deux mois pour agir en annulation. Pour autant, cette position est discutable pour deux raisons :

• elle est fondée sur l’idée implicite selon laquelle le renvoi préjudiciel est opéré par le justiciable, alors que ce n’est pas le cas, il est opéré par le juge national et lui-seul (il peut refuser la demande des parties et aller à l’encontre de leur volonté en l’autorisant) ;

• cette jurisprudence est sévère dans le cas où l’illégalité de l’acte communautaire en cause peut très bien n’apparaître au grand jour qu’au fil des usages.

Cette jurisprudence implique le cas particulier de l’irrecevabilité du renvoi en appréciation de validité dans le cas où la partie à l’origine de ce renvoi était recevable à opérer un recours en annulation et ne l’a pas fait en temps utile.

2. Les conditions substantielles

a) Les conditions relatives à l’objet de la question préjudicielle

Il faut être en présence d’une question qui porte sur l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une norme communautaire. Cela implique deux exclusions :

• le renvoi préjudiciel est irrecevable si la question a pour objet d’amener la Cour de justice à se prononcer sur les faits de la cause ;

• la Cour de justice n’a pas à être saisie de questions l’invitant à se prononcer sur le droit national ; la Cour de justice n’a pas à se prononcer sur la validité du droit national, mais il n’en est pas moins vrai que bien souvent, des questions préjudicielles en interprétation du droit de l’Union européenne vise en réalité à faire ressortir l’incompatibilité entre le droit national et le droit de l’Union européenne ainsi interprété ; par ailleurs, la question préjudicielle ne peut porter non plus sur l’interprétation du droit national, mais il peut arriver que le droit national reprennent la substance même du droit communautaire, étendant parfois son champ d’application ; dans ce cas, la Cour de justice admet la recevabilité de la question de l’interprétation du droit de l’Union européenne, bien que celle-ci revienne à interpréter le droit national puisque celui-ci reprend les termes de la norme communautaire.

b) La condition relative à l’utilité de la question préjudicielle

L’appréciation de l’utilité du renvoi dépend de l’appréciation du juge, indépendamment de l’avis des parties. Elle s’impose à la Cour de justice qui considère qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité des questions dont elle est saisie, appliquant ici une saine répartition des compétences entre le juge de renvoi, le juge du principal, et la Cour de justice, le juge de l’application du droit.

Des limites ont été posées par la jurisprudence au pouvoir d’appréciation du juge de renvoi en vue d’éviter l’engorgement du rôle de la Cour de justice qui risquerait d’être encombré de questions préjudicielles inutiles.

• Est irrecevable une question préjudicielle qui ne prendrait pas sa source dans un litige réel mais dans une construction procédurale arrangée (parties qui s’entendent dans une sorte de procès fictif pour obtenir le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice pour obtenir une invalidité du droit national vers laquelle tendent conjointement les intérêts des parties).

• La Cour de justice exige que le point de droit faisant l’objet de la question préjudicielle ne soit pas sans aucun rapport avec la réalité du litige.

Autres questions :

Conclusion sur la CJUE

Pour la nécessaire uniformité du droit de l’Union européenne, un juge unique, la CJUE, doit intervenir. Les juridictions nationales ne peuvent pas censurer les violations du droit de l’Union européenne par des institutions, c’est donc la CJUE qui s’en charge.

La CJUE se compose de la Cour de justice elle-même, du Tribunal de première instance de l’Union européenne et de tribunaux spécialisés, comme le tribunal de la fonction publique.

L’effectivité du droit de l’Union européenne est visible de par les renvois préjudiciels des juridictions nationales et par le biais des recours directs des particuliers directement devant la Cour de justice.

La CJUE est une juridiction internationale car elle est fondée sur des traités et peut trancher des différends inter-étatiques, soit par le biais d’un compromis, soit par l’action en constatation de manquement introduit par un autre Etat membre.

Cette juridiction est très spécifique et ce pour quatre raisons :

• la CJUE est obligatoire en vertu des traités pour tous les Etats membres, alors que la juridiction internationale est facultative, subordonnée et encadrée par les limites du consentement de l’Etat ;

• la compétence de la CJUE est une compétence exclusive ; certains litiges doivent obligatoirement être jugés par cette juridiction, alors qu’il est possible en droit international de recourir au compromis ou à l’arbitrage pour certains litiges plutôt qu’à un jugement ;

• le prétoire de la CJUE est accessible aux personnes physiques et morales, alors que c‘est exceptionnel en matière de justice internationale (seulement en matière pénale ou administrative de certaines organisations internationales) ;

• l’effectivité des décisions de justice internationale dépendent du bon vouloir des Etats, alors que les décisions de la CJUE bénéficient de la même force exécutoire que les décisions nationales et peuvent faire l’objet d’une exécution forcée.

Certains se demandent donc si elle ne serait pas devenue une juridiction interne, mais évidemment non, et ce pour deux raisons :

• elle n’a pas le pouvoir d’annuler ou de réformer les actes de droit interne contraire au droit communautaire ;

• elle n’est pas une cour suprême fédérale par rapport aux cours souveraines nationales ; il n’y a pas de mécanisme d’appel ou de pourvoi contre les décisions du Conseil d’État ou de la Cour de cassation devant la CJUE.

Néanmoins, la Cour de justice s’apparente à divers égards à une juridiction interne car elle remplit tour à tour des fonctions analogues à celles des juridictions internes :

• rôle de juge constitutionnel lorsqu’elle veille au respect des traités ; contrôle préventif de compatibilité des traités avec un projet d’accord international de l’Union (analogie avec l’article 54 de la Constitution) ;

• rôle de juge administratif car elle est garante de la légalité communautaire ;

• rôle de juridiction de type politique lorsqu’elle se prononce sur les manquements par les membres de la Commission des devoirs attachés à leur charge.

Chaque juridiction nationale est quotidiennement appelée à appliquer le droit de l’Union, donc à l’interpréter, donc éventuellement aussi à être confrontée à l’affirmation d’un plaideur en vertu de laquelle telle disposition serait contraire au droit communautaire.

Étant juge de droit commun, il est en principe normalement habilité à interpréter le droit de l’Union, voire même à se prononcer sur la validité d’une norme européenne qu’il serait amené à appliquer.

Il y a bien sûr le risque de la pluralité d’interprétation. Le premier recours aurait été d’ériger la Cour de justice en cour suprême, chose que les Etats membres auraient refusé. La solution qui a été retenue fut l’application d’un principe de coopération entre les juridictions nationales et la Cour de justice, et non pas un principe de hiérarchie. Cela se concrétise par la procédure de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice.