Le rôle du Parlement sur les finances publiques

La mise en œuvre de la démocratie financière

C’est l’autre point majeur concerné par l’intervention du Parlement. Cette mise en œuvre de la démocratie financière vise à répondre de l’impératif de l’article 14 de la DDHC. Cette mise en œuvre passe par plusieurs points.

La priorité accordée à l’Assemblée Nationale : Depuis la Restauration, on a un Parlement formalisé en 2 chambres (chambre des députés + Sénat). On retient qu’on a une chambre basse et une chambre haute. La mise en place du parlementarisme s’accompagne d’une priorité accordée à ce qui s’appelle à l’époque la chambre basse. On constate dès la charte constitutionnelle du 4 juin 1814, dont l’article 17 dispose « la proposition de la loi est portée au gré du Roi à la chambre des pères ou à celle des députés, excepté la loi de l’impôt qui doit être adressé d’abord à la chambre des députés », que la priorité est accordée à la chambre des députés en ce qui concerne la loi de l’impôt. 2 idées fondamentales :

– la priorité à la chambre des députés,

– et la notion de la loi de l’impôt.

Pour expliquer cette loi, il faut dire que c’est la première forme du budget, de la loi de budget. Ensuite, en tant que juriste, il faut analyser cela en utilisant des normes juridiques. Il s’agit ici de la DDHC qui prescrit le consentement de l’impôt. Voilà comment naît le principe de l’autorisation budgétaire donnée aux parlementaires. Il y a un lien entre consentir l’impôt et voter le budget public. Le lien se fait instantanément : à l’époque loi de l’impôt = budget. Dès l’introduction du parlementarisme, la priorité financière donnée à l’Assemblée nationale, chambre représentant la Nation. Cette priorité se retrouve dans les constitutions successives dont celle de la V République, à l’article 39 (« Les projets de loi de finance et de financement de la Sécurité Sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée Nationale »).

L’article 39 constitue une transposition de l’article 14 de la DDHC.

Le fait que le PLF soit déposé en premier lieu devant l’Assemblée Natinale, justifié du fait de son caractère représentatif, induit des conséquences en termes de délai. l’Assemblée Nationale dispose de 40 jours pour étudier, discuter, et voter le PLF, alors que le Sénat n’a que 20 jours. On pourrait analyser cette différence de délai comme une faveur, ou une marque, de la priorité de l’Assemblée Nationale. Sa primauté lui donnerait un délai double. On peut aussi penser qu’il s’agit de tenir compte du fait qu’à partir du moment où le PLF est en discussion devant l’Assemblée Nationale, les documents budgétaires existent et son accessibles de fait à la chambre haute. On accorde donc 40 jours à l’Assemblée Nationale pour qu’elle dispose du temps d’analyse, sachant que pendant ces 40 jours, les membres de la commission des finances du Sénat commencent déjà à étudier le texte. Ils ont en fait 60 jours : 40 pour l’étude du PLF, et 20 pour l’étude du PLF avec ses amendements.

Le pouvoir d’amendement :

Le pouvoir d’amendement des parlementaires exprime un rapport entre les institutions. Ce droit accordé aux représentants de modifier un texte exprimé par l’exécutif exprime ce rapport et est régi par la Constitution. L’article 44 de la Constitution pose le principe de ce droit d’amendement : « les membres du Parlement et du Gouvernement ont le droit d’amendement ». Ils en disposent concourremment. Exception : art. 40 de la Constitution du 4 oct. 58. « (…) diminution des ressources publiques ou aggravation des charges publiques ».

La notion de recevabilité financière : elle implique le fait qu’au droit d’amendement, ce droit est soumis à des conditions. Il y a un contrôle de cette recevabilité.

L’amendement est présenté en commission ou en séance, et il appartient au Président de la chambre (AN ou Sénat) d’apprécier souverainement la recevabilité de l’amendement. Si le président constate une irrecevabilité, l’amendement n’est même pas distribué. Le parlementaire a transmis par écrit sa proposition d’amendement, celle-ci est observée, n’est pas recevable ; puis le président dit que l’amendement n’est pas recevable. Personne ne connaît le contenu de l’amendement, et il n’y a aucune justification à fournir à cette recevabilité. La recevabilité est une sanction extrêmement efficace.

Sur le fond, les parlementaires ne peuvent pas aggraver une charge ou diminuer une ressource.

Cela semble une restriction très forte au droit d’amendement. En théorie, tout ce que peuvent faire les parlementaires, c’est proposer de restreindre une dépense ou d’augmenter un impôt. Cette logique repose sur l’idée qu’il est nécessaire de mettre fin à la démagogie des parlementaires. Sous l’emprise de l’ordonnance de 1959, le régime des droits d’amendement s’est un peu précisé, et le Conseil Constitutionnel a validé la pratique dite des « compensations ». Elle implique d’un parlementaire peut proposer une hausse de dépenses s’il gage cette hausse sur une baisse d’un crédit dans une proportion égale. C’est la même chose en matière de recettes : on peut baisser d’un point la TVA, si on augmente une recette correspondant à un montant égal. Finalement, d’une pratique apparemment très stricte, on en arrive à une application moins stricte, puisqu’a priori, le pouvoir des parlementaires était restreint. Le gage nuance cela. On finit par déclarer recevables les amendements qui proposaient une baisse de recettes (taux de TVA par ex. sur la restauration) gagée sur une hausse équivalente d’une autre recette. L’obligation juridique du gage peut être l’augmentation de toute autre recette dans des proportions correspondantes : la hausse préconisée n’a pas à être individualisée. L’article 40 de la Constitution, repris dans l’ordonnance de 59, a été précisé par la loi organique de 2001, qui apporte 2 types de précisions supplémentaires : 70 – Art. 47 : il faut interpréter la notion de charge au niveau de la mission. Si une charge est une mission, on comprend que les parlementaires ne peuvent pas créer une mission (cf. art. 40 Constitution). Les missions sont de la création exclusive du Gouvernement : elles correspondent beaucoup à des ministères. C’est donc logique. – Art. 47 : on ne peut pas aggraver les dépenses d’une mission (lecture de l’article 40), ce qui signifie qu’un amendement ne peut pas augmenter le montant des crédits d’une mission, et que donc le pouvoir de compensation s’exprime au sein de la mission. Les parlementaires peuvent demander par amendement des mouvements financiers entre les programmes. Tant que les crédits de la mission restent constants ou baissent, les amendements parlementaires sont recevables. > L’idée est que la spécialisation politique de l’intervention parlementaire s’exprime sur les politiques publiques (une mission est une politique publique à l’intérieur de laquelle les parlementaires interviennent. Le montant global est fixé par le PLF, à l’intérieur des politiques publiques, les parlementaires sont susceptibles de réorienter les crédits). Dans le rapport de forces entre institutions, le schéma est très précis. Les politiques publiques sont encadrées par le Gouvernement. Les parlementaires peuvent redéfinir financièrement le contenu de ces politiques publiques, mais pas le périmètre. La loi organique a apporté un autre type de précision.

Les nouvelles formes du débat : Nouveauté de la loi organique de 2001. Jusqu’à maintenant, le Parlement faisait vraiment office de guiche, auquel les administrations venaient demander plus d’argent. C’est « l’effet guichet » (comme devant les administrations sociales). Cet effet se traduisait à travers un dispositif de l’ordonnance de 59, art. 33 : il consistait en la distinction entre les services votés et les mesures nouvelles.

Les services votés représentaient le minimum de dotation budgétaire que le Gouvernement jugeait indispensable pour poursuivre l’action des services publics, telles qu’ils existaient l’année précédente. Un ministère disposait des services votés : c’étaient ceux de l’Assemblée Nationale dernier. Le Parlement, en se prononçant à la fois sur les services votés et les mesures nouvelles avaient pris l’habitude d’accorder par un vote global l’ensemble des services votés, et le Parlement ne discutait donc réellement que des mesures nouvelles. Autant dire que le Parlement ne discutait réellement que d’une minorité des crédits contenus dans le budget. 98 ou 99% du budget était constitué des services votés, reconduits en bloc année après année. N N+1 N+2 100 100 + 10 de mesures nouvelles 110 C’est un élément de très forte rigidité financière. Sous la pression des commissions des finances, on a introduit la pratique dite des « mesures nouvelles négatives ». Elles permettaient bien de diminuer des crédits budgétaires, mais en les justifiant par une diminution du périmètre de l’action publique. Services votés = minimum du nécessaire pour poursuivre l’action. Revenir sur les services votés revient à diminuer l’action correspondante.

Cette pratique était jugée trop rigide par tout le monde. La loi organique de 2001 a abolit cette notion de services votés et de mesures nouvelles, et a introduit un nouveau principe appelé la négociation au premier €uro. Il n’y a plus de services votés. Les parlementaires sont susceptibles de proposer la suppression d’un programme. Cette justification au premier €uro entre dans le cadre du droit d’amendement très strictement. Les parlementaires peuvent proposer une baisse de charge. Cette négociation au premier €uro permet la suppression d’une charge. Plus certainement, elle permet de faire peser une très forte pression sur les responsables de programme.

Cette pression s’exprime au moment du débat en commission. Les responsables de programmes se présentent devant la commission des finances, et vont devoir justifier de l’emploi de leurs crédits. Cette justification, si elle n’est pas jugée convaincante par les députés, est susceptible de générer une baisse des crédits. On a commencé à voir l’expression de cette violence au cours du vote du dernier budget et de ce budget. Les débats ont été assez virulents en commission des finances, au cours desquels les commissions plaçaient les Administrations devant leurs difficultés. Ces demandes « impertinentes » à l’égard des directeurs des administrations centrales mènent les responsables de programme à comprendre qu’une baisse interviendra dans les crédits attribués par les parlementaires. Il y a à l’inverse une relative inéquité dans cette mesure, car si le responsable de programme justifie l’utilisation des crédits et leur insuffisance, les parlementaires ne pourront proposer une augmentation des crédits. Si les parlementaires ne peuvent le faire, c’est le Gouvernement qui s’en charge (il dispose du droit d’amendement). Le Gouvernement peut amender son propre texte et proposer une augmentation de dépense. Il s’agit là incontestablement d’une revalorisation du rôle du Parlement.