Le statut des médecins (accès, monopole, indépendance, déontologie…)

LE STATUT DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Toutes les professions de santé n’ont pas le même statut, on parle essentiellement de la profession de médecin car les autres statuts découlent un peu de celui-ci. Quand on parle de statut, on parle surtout de la façon dont la profession est réglementée car par nature les professions de santé ne sont pas assimilables à d’autres professions privées car on parle de professionnels dont l’objet est la santé humaine. Pour cette raison, on a des professions particulièrement réglementées de deux façons : dans l’accès à la profession & par la constitution de monopoles de professions de santé.

A- L’accès à la profession

Pour accéder à une profession de santé, plusieurs conditions sont à remplir : de compétences, de nationalité,… Celle touchant à la nationalité est exigée pour les médecins, les dentistes, les pharmaciens et donc les professions pour lesquelles on requiert la nationalité française en principe. Notamment sous l’influence du droit de l’UE, cette condition de nationalité a connu de nombreuses exceptions et donc on a libéralisé dans un sens économique « le marché des prestations de soins » dans l’UE. Cela a eu pour conséquence d’accepter que des médecins par exemple de nationalité différente mais de pays membres de l’espace Schengen puissent exercer sur le sol français. On a aussi élargi la possibilité d’exercer sur le sol français aux Etats qui ont un accord international avec l’espace économique européen sans être membre de l’UE : Islande, Norvège, Lichtenstein. On a eu un accès aussi facilité pour les étrangers non ressortissants d’un pays de l’UE lié par un traité avec l’UE. On a donc des traités reconnaissant les diplômes étrangers : L. 4111-2 du Code de la Santé Publique qui régit la procédure pour autoriser un médecin étranger à exercer sur le sol français.

On a donc élargi juridiquement les conditions d’accès mais on a une forme de contradiction entre ces dispositions qui se voulaient initialement assez restrictives et le numerus clausus français qui est un nombre de médecins qui seront recrutés et qui est déterminé chaque année et on ne peut pas aller au delà de ce nombre. Le numerus clausus a pour effet de transformer les examens en faculté de médecine en concours. Deuxième effet, il est mal calculé et cela a eu pour conséquence un déficit de médecins assez conséquent en France, toute spécialité confondue, notamment dans les années 1990. On a donc comblé cela en recrutant des médecins étrangers.

Seconde condition, il faut détenir un diplôme délivré par l’Etat français et qui a pour vocation d’attester les compétences de son titulaire. On a eu dans le courant des années 2000 deux mouvements : un de renforcement des compétences exigées dans les facultés de médecine et donc de nombreux étudiants ont été plus strictement acceptés & une multiplication des spécialités (31 aujourd’hui) et on retrouve un intérêt à la fois économique et de recherche scientifique qui est d’accroitre la spécialisation des médecins.

Dernière condition, c’est celle d’un contrôle public sur l’accès à la profession elle-même. Ce contrôle s’exerce au travers de l’inscription au tableau de l’ordre qui est une véritable autorisation administrative préalable. Cette inscription est vraiment liée à la volonté de contrôler et connaître les personnes qui vont exercer. Pour les professions médicales, c’est l’article L. 4111-1 du Code de la Santé Publique. Il y a des règles de forme et des règles de fond.

Pour les règles de forme, l’inscription au tableau est prononcée par le conseil départemental de l’ordre des médecins. En l’absence d’un conseil départemental, c’est le conseil régional qui inscrit ou non le titulaire du diplôme de médecine sur le tableau de l’ordre. Il ne suffit donc pas d’avoir un diplôme de médecine pour exercer. Il faut détenir cette autorisation. Pour solliciter son inscription, il faut constituer un dossier composé de nombreuses pièces : diplôme, bulletin n°2 du casier judiciaire, attestations,… Le conseil départemental peut refuser l’inscription, notamment si la personne a dans son casier judiciaire l’inscription d’une condamnation pénale incompatible avec la déontologie de la profession médicale. Ce refus d’inscription au tableau est susceptible d’un REP qui contrôlera la légalité du refus qui doit être motivé. Le juge administratif se fait le garant du respect des procédures et de la légalité des décisions prises par le conseil de l’ordre. Si on a l’intervention du juge administratif pour contrôler les actes des ordres professionnels, c’est parce qu’ils sont chargés d’une mission de service public, malgré leur nature privée.

Pour les règles de fond, c’est l’article L. 4112-1 du Code de la Santé Publique. Le candidat doit respecter « des conditions nécessaires de moralité, d’indépendance et de compétences ». Ce sont des prérequis pour l’accession à la profession. L’inspirant médecin qui ne pourrait pas par exemple justifier de l’exercice de sa profession dans un cabinet pourrait voir sa demande refusée car on demande au préalable des garanties d’exercice indépendantes et dignes de la médecine. Ces règles de fond, quand elles sont remplies par le candidat, font que le conseil départemental n’a pas le choix de l’inscrire ou de refuser car il est dans l’obligation d’inscrire le candidat. Ces questions de fond ont un impact sur les règles de retrait et d’abrogation de l’inscription au tableau. CE. Section. 6 mars 2009. Coulibaly: l’inscription au tableau est une décision individuelle créatrice de droits une fois le délai de 4 mois passé. Cela veut dire qu’un conseil départemental, qui aurait mal contrôlé les conditions de forme et/ou de fond, ne peut plus retirer l’inscription au tableau de l’ordre une fois le délai de 4 mois passé. Toujours selon l’arrêt, l’abrogation de l’inscription au tableau s’analyse comme une pure et simple radiation disciplinaire, c’est-à-dire que si par exemple l’élément de moralité était absent au moment de l’inscription au tableau et que le conseil a mal contrôlé et donc inscrit le candidat, le conseil peut se servir de la condition de moralité comme fondement de l’abrogation au tableau mais c’est une mesure de radiation donc une mesure disciplinaire. Il y a un garde fou s’agissant de l’inscription d’un candidat ne remplissant pas les conditions, c’est le cas de fraude sur n’importe quel élément de son dossier car le candidat pourrait voir son inscription retirée à tout moment et sans délai.

B- Le monopole d’exercice de la profession

Chacune des professions médicales ou paramédicales est exclusivement réservée aux personnes remplissant les conditions légales pour les exercer. Ce monopole est garanti par des dispositions pénales et quiconque exerce une profession médicale ou paramédicale en dehors du monopole, cette faute a une condamnation pénale : L. 4161-1 du Code de la Santé Publique. Cet exercice illégal de la médecine est puni de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Tout cela s’explique encore par la nature de l’enjeu : question d’ordre public par la protection de la sécurité des personnes. Cette question est problématique car les médecins ont un champ de compétences assez large et qui leur permet d’intervenir pour accomplir des actes médicaux dans un champ couvrant aussi bien la détresse psychologique ou un rhume ou des actes de chirurgie. En réalité, la jurisprudence pénale est relativement clémente s’agissant de ce délit, mis à part des actes médicaux très identifiés comme des actes de chirurgie ou de diagnostic qui sont totalement prohibés. Ce flou en matière de définition des actes de médecine est un peu maintenu par les médecins eux-mêmes qui revendiquent toujours ce qu’on appelle le principe d’omnivalence de leur diplôme, c’est-à-dire qu’ils revendiquent ce principe selon lequel ils sont les seuls à pouvoir intervenir.

Pour les autres professions, la définition est plus précise. Par exemple, l’article L. 4151-1 du Code de la Santé Publique, pour les sages femmes, donne une définition extrêmement précise : la profession de sage femme se traduit par une activité de diagnostic et surveillance d’une grossesse, préparation et pratique des accouchements.

Section 2- Les principes essentiels des professions médicales

Le contrôle de l’accès vise à s’assurer de la compétence des patriciens en matière médicale et paramédicale. L’accès à la profession est strict car les études sont compliquées et il faut répondre à des critères notamment. Mais, à la clé, il y a un monopole de la profession et une protection de la liberté d’exercice. S’agissant en particulier les médecins, si on contrôle tellement l’accès à la profession dans la forme et dans le fond, ce n’est pas simplement pour s’assurer des compétences des médecins mais c’est aussi parce qu’une fois qu’il est inscrit au tableau de l’ordre, il bénéficie d’une très grande indépendance, d’une grande liberté qui sont la contrepartie des efforts fournis pour arriver à la profession.

Les libertés des médecins sont principalement au nombre de quatre : principe d’indépendance, principe de liberté de prescription, principe de la liberté d’installation (très en débat) et principe de la libre fixation des honoraires (en débat).

A- Le code de déontologie

Il est préparé par le conseil national de l’ordre. Il est contrôle et ratifié par le Conseil d’Etat et il fait l’objet après préparation du conseil de l’ordre d’une publication en décret du Conseil d’Etat. Le code de déontologie actuel résulte d’un décret du 6 septembre 1995 modifié par un décret du 7 mai 2012. Le code de déontologie est retranscrit dans le code de la santé publique aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112.

Comme tous les codes de déontologie, il se présente comme une série de devoirs des professionnels de santé auxquels ils sont soumis. Mais il ne faut pas se tromper sur cette impression qu’il ne s’agirait que de devoirs qui pèsent sur la profession car en réalité un code de déontologie, des normes de déontologie, sont toujours là pour garantir une liberté supérieure de l’exercice de la profession. Par exemple, dans le code de déontologie médicale, il y a des dispositions relatives au salariat des médecins. Ces dispositions font peser sur le médecin salarié un certain nombre de devoirs (rémunération, secret professionnel,…) et elles sont de nature à dévoyer le contrat de salarié lui même et donc le rendre difficile. Ce nombre d’obligations a pour objet de garantir au professionnel de santé une liberté supérieure, une liberté essentielle du médecin qui est la garantie de l’indépendance de son jugement. Il s’agit de faire disparaître le lien de subordination présent chez le salarié car la profession est libérale et donc elle est assise sur la libre conscience. Il s’agit donc d’être protégé dans sa liberté de se déterminer. On a donc l’impression que ce sont des obligations fortes mais cela permet de garantir cette liberté supérieure, celle de se déterminer sans supérieur hiérarchique. L’ensemble des normes de déontologie doit être pris avec cette finalité.

Le code de déontologie médical est divisé en 5 parties :

  • devoirs généraux du médecin : article 2 : le médecin est astreint au respect de la vie et de la dignité de la personne ; article 3 : le médecin est soumis au principe de moralité et de probité ; article 4 : le secret professionnel (qui perdure après la mort du patient) ; article 5 : l’indépendance professionnelle ; article 6 : libre choix ; article 7 : non discrimination
  • devoirs envers les patients : article 32 : qualité des soins ; article 33 : obligation de diagnostic ; article 34 : obligation de prescription ; article 35 : information du patient ; article 36 : consentement du patient ; article 37 : soulagement des souffrances
  • rapports entre les médecins eux-mêmes et rapports entre les médecins et les autres professions
  • exercice de la profession (salariat, clientèle privée, médecine de contrôle, médecine d’expertise,…)
  • dispositions diverses

Le code de déontologie médical est applicable à l’égard des médecins inscrits au tableau de l’ordre selon l’article 1 mais il est aussi applicable aux étudiants en médecine dès lors qu’ils sont appelés à exercer des actes médicaux pour assister ou remplacer un médecin.

Il ne faut pas confondre le code de déontologie avec le serment d’Hippocrate qui n’est pas normatif et qui est juste un serment très ancien et ancestral des médecins. Il n’est pas totalement abandonné car il demeure comme une sorte de rite de passage lorsque l’étudiant en médecine va candidater pour devenir médecin. Il prête serment en citant le serment d’Hippocrate. Le code de déontologie peut être réformé. Il peut être attaqué devant le Conseil d’Etat car c’est un décret en Conseil d’Etat. Il n’est pas différent d’un acte administratif, la seule différence étant qu’il ne s’applique qu’à une catégorie de personnes et donc on donne compétence au conseil de discipline pour le faire appliquer. La portée juridique de ce code est donc différente des autres actes administratifs.

B- Le principe d’indépendance

C’est un principe matriciel des autres principes. Il faut entendre le principe d’indépendance comme le principe garant des autres libertés. C’est l’article R. 4127-5 du Code de la Santé Publique. Ainsi, dans les établissements publics de santé, cela s’est traduit par une division entre les médecins d’une part qui avaient leur fonctionnement, leur hiérarchie, et l’encadrement administratif d’autre part qui n’avait pas vocation à ni donner des ordres, ni intervenir dans la pratique des médecins, des infirmiers, sages femmes,… L’administratif était donc cantonné à un rôle d’organisation administrative de l’établissement et ne pouvait en aucun cas intervenir dans la sphère des médecins. Cela a créé des conflits car les dirigeants des hôpitaux ont voulu avoir un peu plus la main sur leur établissement et notamment maitriser les dépenses. On fait participer les médecins à l’organisation administrative des établissements.

Le médecin ne peut donc être aliéné sous quelque forme que ce soit et donc le médecin qui se départi de son indépendance ne peut plus revendiquer son statut de médecin car il méconnait les règles déontologiques et justifie alors une sanction disciplinaire qui peut être le cas échéant, en fonction de la gravité, la radiation du tableau de l’ordre.

Ce principe est fondamental car il est le seul à garantir au patient qu’il est dans une relation avec un professionnel qui se détermine sur le seul fondement de ses compétences. Cela exclut donc que des tiers interviennent dans l’acte médical et donc des personnes pas suffisamment éclairées ou surtout qui auraient des intérêts différents de la seule santé du patient et puissent donc se prononcer. Cela touche notamment la question du conflit d’intérêt, notamment dans le cas de l’affaire du Médiator. Le médecin peut prescrire un traitement parce qu’il a été influencé par des démarcheurs à domicile qui l’ont imparfaitement informé du traitement ou qui au contraire vont lui avoir venté des mérites que le médecin aurait prit pour vrai avec trop de légèreté. L’indépendance est donc la prévention du conflit d’intérêt. A la suite de l’affaire du Médiator, la loi du 29 décembre 2011 a renforcé les règles de prévention des conflits d’intérêts.

Les règles déontologiques ont une portée plus précise sur des conflits d’intérêt du quotidien pour le médecin. En particulier, le conseil de l’ordre a eu à se prononcer sur la situation d’un médecin qui soigne un membre de sa famille et le conseil a déconseillé cette pratique car dès lors que le patient est un membre de la famille du médecin, nécessairement une part de l’indépendance est perdue car le médecin n’est plus impartial. Notamment, le médecin voudra éviter une opération chirurgicale risquée pour un membre de sa famille. C’est un risque lié au principe d’indépendance et donc ces situations doivent être évitées. A contrario, dans les règles déontologiques, le principe d’indépendance doit éviter à ce qu’un médecin soigne une personne qu’il déteste.

Ce principe d’indépendance a aussi une traduction dans l’interdiction du principe de cumul des activités. Le cumul d’activités peut conduire à une perte d’indépendance et peut aussi avoir pour conséquence que le médecin ne soit pas entièrement consacré au patient.