Les apports en société

LA CONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ : la condition de l’apport (apport en industrie ou apport d’un bien)

Pour le contrat de société il faut se reporter au texte fondateur pour identifier cette figure juridique :article 1832 du code civil. Il y a donc trois éléments caractéristiques dans un contrat de société. Les deux premiers se trouvent dans l’article 1832

  • Les apports : affecter à une entreprise commune des biens ou une industrie
  • Les vocations de chacun des associés à participer au résultat:
  • – Le texte suppose implicitement une entreprise commune qui cache un 3ème élément constitutif : c’est l’affectio societatis.
  • Nous étudions ici les apports en société.

apport en société

§1 – Définition de la notion d’apport : ce mot est ambivalent

Désigne l’acte juridique par lequel l’associé affecte à l’entreprise commune des biens ou l’industrie et reçoit quelque chose en contrepartie, des parts sociales par exemple. C’est un acte à titre onéreux d’apport.

C’est également l’objet de cet acte. L’immeuble que j’apporte est mon apport. Donc par mon apport je rends la société propriétaire.

L’article 1832distingue deux sortes d’apports : il dit que la société est un contrat par lequel la société affecte des biens ou l’industrie des associés.

§2 – L’apport d’un bien

C’est l’hypothèse la plus fréquente. Ce qui caractérise le bien c’est qu’il a une valeur économique. Ce peut être de l’argent et on appelle cela un apport en numéraire. Ce peut être autre chose que de l’argent. Par exemple un immeuble ou bien un meuble, un fonds de commerce, un véhicule pouvant être corporel ou incorporel. On appellera ca un apport en nature.

Cette distinction n’a pas énormément de conséquence. L’apport en numéraire ou l’apport en nature ont un point commun : ils ont une valeur économique et il y a des conséquences très importantes à comprendre. Mais il faut les distinguer toute de même.

1- La valeur économique commune

Qu’il soit en nature ou en numéraire l’apport a pour objet un bien qui a une valeur économique. En conséquence, l’apport aura pour effet de constituer les premiers actifs de la société. On lui constitue sa dotation patrimoniale initiale, appelée le capital social. A l’origine, le patrimoine de la société est composé exclusivement des apports en numéraires et en nature que font les associés.

Ce capital social va être chiffré et ce chiffre du capital social est très important car il sera un instrument de mesure pendant toute la vie de la société, jusqu’à sa dissolution. Il sera porté à la connaissance des tiers en permanence, au RCS ou sur son papier d’en tête. C’est censé être une garantie pour les tiers.

En quoi est-ce une garantie pour les tiers ?

C’est une formule trompeuse. On peut penser que les tiers ont pour gage le capital social porté à l’origine mais ce n’est pas vrai.

Les créanciers peuvent saisir les autres biens de la société quelle que soit leur provenance.

Réciproquement, les actifs apportés au moment de la constitution n’ont pas vocation à demeurer dans les mains de la société.

Le gage des créanciers n’est pas limité aux apports initiaux.Cette idée de garantie pour les tiers est une commodité de langage. Le capital social est d’une manière intangible. L’intangibilité ne veut pas dire que l’on ne peut pas le modifier. On peut très bien décider d’augmenter la dotation initiale de la société. Elle fait souvent rentrer un nouvel associé qui va faire un nouvel apport. Ce chiffre sacré du capital social, c’est le minimum de richesse que les associés s’engagent à laisser dans le patrimoine social.

C’est très important qu’il y ait cette règle : dès le lendemain de la société, elle a une dotation initiale de 1 million d’euros. 15 jours plus tard, sa fortune ne sera pas évaluable à 1 million d’euros.

Partant, cette règle d’intangibilité veut dire que les associés s’interdisent de se distribuer les biens de la société si cela se traduit par un appauvrissement pour elle en dessous du capital social. Ils ne peuvent se distribuer que le surplus du capital social d’où l’importance de la comptabilité, uniquement s’ils font des bénéfices. C’est une garantie de comportement des associés.

1ère hypothèse : la société fait des bénéfices et ces bénéfices sont mis en réserve. Les associés peuvent prendre tous les bénéfices mis en réserve en restant en deçà du capital social

2ème hypothèse : la société fait de mauvaises affaires, elle fait des pertes : la société se trouvera un jour plus pauvre que son capital social, les associés sont tenus de ne pas pomper leur société, ils n’ont pas le droit de se distribuer quoi que ce soit tant que la société n’a pas reconstitué son capital social.

C’est une garantie assez illusoire. En somme, ce principe d’intangibilité interdit d’appauvrir la société par des distributions excessives. Mais il n’est pas interdit à la société de s’appauvrir autrement.

Le créancier qui comptait sur le patrimoine peut se faire du souci. Souvent les sociétés ont un capital social au départ mais qui n’a ensuite que des dettes. Et la le principe d’intangibilité n’y peut rien. C’est simplement une garantie sur le comportement des associés et non une garantie sur les mauvaises affaires de la société.

Dans les sociétés comportant une responsabilité indéfinie des associés :C’est le cas par exemple des SNC. Pour les créanciers, au delà de la société, ils ont une action contre les associés. La question du capital n’est pas importante car ils ont la possibilité de se retourner contre les associés. Cette garantie n’est pas quelque chose d’essentiel. Le capital social est une garantie pour les tiers, à cause du principe d’intangibilité du capital. Les associés doivent respecter ce chiffre du capital social, qui n’est qu’un instrument de mesure. Cet instrument de mesure est important en comptabilité. Cela n’interdit pas la société de s’appauvrir par les pertes.

Dans les sociétés à risques limités, on trouve des contraintes supplémentaires, car le capital social est la seule garantie que la loi peut donner aux tiers (type SARL, SA, SAS). Le régime du capital social est encadré et le régime est renforcé. Il faut un capital social mais aussi :

Le capital doit être au minimum d’un certain chiffre (37 000€ pour les SA), règle bouleversée aujourd’hui car elle s’est heurtée à un souci de législateur.

Un commissaire aux apports désignés par le juge procède à l’évaluation du capital social pour éviter que les associés trompent les tiers. Les apports peuvent faire l’objet d’un contrôle.

Dans les SA et SARL, il y a une règle selon laquelle si durant la vie sociale la réalité de la richesse est inférieure à la moitié du capital social, il faut régulariser.

Art 223-42: si du fait des pertes constatées dans les documents comptables les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident dans les 4 mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître la perte, la dissolution de la société. Dans une situation anormale, la société doit régulariser cette situation par 2 solutions donc :

■ 1° : dissolution de la société

■ 2° : La solution de repli : aligner le chiffre du capital social sur la réalité. Après cette opération de réduction de capital, on doit en général restituer les capitaux propres en faisant des nouveaux apports. C’est un coup d’accordéon.

2- Les particularités de l’apport en nature

L’apport en nature se caractérise par le fait qu’il peut porter par autre chose que de l’argent.

Il peut prendre deux formes juridiques :

Apport en propriété:C’est une opération qui ressemble beaucoup au contrat de vente. La différence tient seulement au fait que l’apporteur reçoit en contrepartie de son bien non pas une somme d’argent mais des parts sociales qui lui confèrent un certain nombre de droits, des parts sociales de la société. Pour le reste, cela ressemble à une vente par ses effets car l’apporteur cesse d’être propriétaire du bien et la société devient propriétaire, il y a un transfert de propriété comme dans la vente. Cet apport pose les mêmes problèmes que la vente. Par exemple, lorsque l’associé apporteur est quelqu’un d’insolvable, il a des créanciers à payer et lorsqu’il apporte, le seul actif qu’il apporte pose un problème à ses créanciers, il enlève leur gage. On va de ce fait transposer des règles de la vente à l’apport en société. Il est possible que les parts de la société s’avèrent avoir moins de valeur que l’immeuble apporté. Par ailleurs, il est plus difficile de saisir des parts sociales qu’un immeuble, notamment parce que l’associé apporteur était minoritaire dans la société donc on les vendra difficilement. Une vente peut poser le même problème : si le vendeur débiteur brade son immeuble, le créancier subi un préjudice. Autre problème : un immeuble ne peut pas se cacher, mais l’argent peut vite disparaître, donc les créanciers ne pourront rien saisir. Problème pour lequel il existe des solutions, transposées dans le cas de l’apport en société :

Action paulienne: mécanisme de droit commun. Les créanciers peuvent se faire déclarer cette vente inopposable en démontrant l’intention frauduleuse. Cette action est applicable à un débiteur qui fait un apport à une société causant délibérément un préjudice aux créanciers, il va vendre le bien pour le faire échapper délibérément aux créanciers.

Dans la vente ou l’apport de fonds de commerce: Le commerçant a très généralement des créanciers, or il a généralement un seul actif au soleil, c’est son fonds de commerce, c’est un bien qui a une valeur importante, et souvent c’est la principale valeur du patrimoine d’un commerçant. Donc les créanciers doivent pouvoir compter sur cette valeur. Donc quand il y a vente, il y a tout un mécanisme pour qu’aucun préjudice ne soit causé au créancier. La vente de fonds de commerce obéit à une formalité particulière et doit être accompagnée d’une publicité légale, indiquant telle date et tel prix. Il est noté que « les oppositions seront reçues par … » cela signifie que les créanciers ont un délai pour se manifester et seront payés sur le prix avant qu’il ne soit remis au vendeur. Le notaire ou l’avocat garde la somme le temps de purger ces oppositions. Il distribuera les fonds aux créanciers, et une fois qu’ils seront désintéressés, on donnera le solde au vendeur. Ce mécanisme propre à la vente de fonds de commerce est transposé en cas d’apport en société d’un fonds de commerce. L’apporteur reçoit des parts sociales en contrepartie. Cette protection s’applique aussi quand le fonds de commerce est apporté en société.

Art L 141-21 dispose que tout apport de fonds de commerce fait à une société doit être porté à la connaissance des tiers.

Art L 141-22 indique comment la situation se dénoue : tout créancier (de l’apporteur) fait connaître au greffe du tribunal de la situation du fonds sa qualité de créancier et la somme qui lui est due. La société est alors tenue solidairement avec le débiteur principal au paiement du passif déclaré. Donc le créancier est protégé. Le créancier acquiert un nouveau débiteur ce qui est une garantie pour lui.

Apport en jouissance:Il faut le rapprocher au contrat de louage cela signifie que l’opération ressemble cette fois à un bail du bien par la société, avec une différence. Au lieu que la société paie un loyer au propriétaire, le propriétaire va recevoir des parts sociales qui lui donnent un droit à bénéfice. Ce qui change est la contrepartie reçue par l’apporteur, ici le propriétaire. L’apport en jouissance ressemble à un contrat de location en ce sens que l’apporteur reste propriétaire des biens loués, il a donc vocation à la récupérer à la dissolution de la société. Entre-temps, il a les obligations d’un bailleur : assurer la jouissance paisible de la chose à la société, effectuer les grosses réparations… Cela se rencontre moins fréquemment que l’apport en propriété. On résout les difficultés en raisonnement par analogie au contrat de bail.

§3– L’apport en industrie

Le mot industrie n’est pas pris au sens commun qu’on lui donne. Comme souvent en droit, le mot industrie est dérivé directement en latin. Il s’agit de l’industria. C’est le travail humain. L’apport en industrie consiste donc à travailler pour la société. L’apporteur, l’associé effectue une prestation de travail pour la société. Ici, l’analogie qui s’impose à l’esprit est une analogie avec le contrat de travail car l’associé met à disposition sa force, son travail avec deux différences :

La première différence est la contrepartie : l’associé reçoit les parts sociales et non un salaire, lesquelles se traduiront en argent à un moment donné puisqu’il aura droit aux bénéfices (encore faut-il que la société en fasse et les distribue).

L’apporteur n’est soumis à aucune subordination, alors que c’est la caractéristique du Contrat de travail. C’est le contraire du lien de subordination : l’affectio sociétatis implique une égalité entre les associés. L’associé apporteur en industrie est au même niveau que les autres associés.

Plusieurs particularités :

1 ° : c’est un apport qui ne constitue pas une valeur économique saisissable car ce n’est pas un bien :

Conséquence directe: l’apport en industrie ne contribue pas à la formation du capital social, il n’est pas pris en considération. Article 1843-2 indique que les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donne lieu à l’attribution de parts … L’apporteur reçoit des parts sociales, il est donc bien associé mais son apport ne contribue pas au capital social.

Conséquence indirecte: dans les sociétés à risque limité (SA, SARL, Sociétés par actions), il ne peut y avoir d’apports en industrie, puisque par définition l’associé ne risque que son apport, or ici, l’apporteur de travail ou en industrie ne risque absolument rien, on ne peut saisir cet apport. Traditionnellement, l’apport en industrie ne pouvait se concevoir que dans les sociétés à risques illimités. Logique un peu écornée par le législateur aujourd’hui au nom de la poudre aux yeux. On veut faire croire qu’on peut créer une société facilement. Depuis quelques années, il est possible de faire un apport à une SARL ou une SAS. Cela dit, dans la pratique, on ne rencontre quasiment jamais cet apport en société à risque limité.

2 ° : c’est un apport qui ne se réalise pas en un trait de temps, de manière immédiate. C’est un apport successif, qui se réalise au jour le jour, il s’inscrit sur la durée et ne peut être libéré que par l’apporteur. Pendant le temps où il est associé, l’apporteur en industrie est censé travailler pour la société.

Conséquence juridique : les parts correspondantes à un apport en industrie sont dominées par un intuitu personae très fort, au point d’être incessibles.

Conséquence pratique: l’apport en industrie est une source de difficulté perpétuelle. L’apporteur va acquérir son droit au bénéfice en fonction de l’évaluation qui sera faite de son travail, c’est très dur à apprécier, il va varier avec le temps, cette évaluation peut devenir erronée ultérieurement. Ses mérites peuvent justifier des parts supérieures. C’est ce qui fait que l’apport en industrie se rencontre essentiellement dans les sociétés civiles d’activité libérale.