Les atteintes au droit de propriété

Les atteintes au droit de propriété.

Si le conseil constitutionnel a donné valeur constitutionnelle au droit de propriété, et si l’article 544 du Code civil affirme que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, les impératifs de la vie en société et les prérogatives accordées à la puissance publique pour organiser cette vie en société conduisent à relativiser le droit que le propriétaire exerce sur son bien. C’est la raison pour laquelle, après le constat de ce pouvoir absolu du propriétaire, succède généralement celui des atteintes à ce droit. Celles-ci se traduisent soit en une perte de pouvoir du propriétaire sur son bien, soit en une restriction de ce pouvoir. Étant précisé que le propriétaire dont il s’agit est traditionnellement présenté comme un propriétaire privé et que l’État est également concerné par ces entraves à ces prérogatives de propriétaire.

  • 1 : La perte du pouvoir.

La perte du pouvoir que le propriétaire du bien subi est soit totale, soit partielle. Dans le 1er cas, le propriétaire perd tout contrôle sur le bien, si bien qu’il perd sa qualité de propriétaire. Le 2ème cas correspond à l’hypothèse où il se voit retirer une prérogative tout en conservant les autres. Cette perte partielle est parfois difficile à distinguer de la restriction de pouvoir, c’est la raison pour laquelle nous nous en tiendrons à la prérogative essentielle du droit de propriété, le droit de disposer de son bien.

  1. La perte totale du pouvoir.

Elle signifie qu’une personne s’est vue retirer tout droit sur son bien, le pouvoir qu’elle détenait a été transférée à une autre personne. Cette situation doit être justifiée par des impératifs d’une exceptionnelle gravité. On songe plus souvent à des impératifs d’utilité publique mais il arrive que cette perte soit issue des seules préoccupations et mécanismes du droit privé. Exemple : la prescription acquisitive qui permet aux possesseurs de revendiquer la propriété d’un bien pour en déposséder le propriétaire initial.

En ce qui concerne la privation de propriété pour des motifs d’intérêt public, il existe diverses sortes :

L’expropriation : elle est entourée de mesures destinées à garantir, en dépit de la cession forcée, le droit de propriété. Ces mesures reposent sur la procédure administrative contenant une enquête publique et une déclaration d’utilité publique, et reposent également sur l’intervention du juge judiciaire qui prononce le transfert de propriété et fixe le montant de l’indemnité préalable et reposent éventuellement sur le droit de rétrocession ouvert au propriétaire évincé lorsque le bien n’est pas affecté. L’existence de garanties explique les efforts de la jurisprudence. En matière d’expropriation, d’une part l’expropriant peut être une personne privée, et d’autre part le domaine privé de l’État peut faire l’objet d’une aliénation forcée (expropriation au profit d’une collectivité locale).

Les nationalisations.

La réquisition au projet de l’autorité administrative militaire. Afin de répondre à des besoins exceptionnels et temporaires le propriétaire n’est pas privé définitivement de son droit de propriété mais on lui enlève temporairement tout pouvoir d’usage sur le bien.

La confiscation de bien au profit de l’État. Elle est prononcée par le juge pénal, le plus souvent à titre de peine complémentaire. La confiscation prononcée est une confiscation non pas pour les besoins de l’enquête ! C’est une peine.

  1. La perte partielle du pouvoir.
  2. Personnes publiques.

C’est l’hypothèse du bien frappé d’inaliénabilité, c’est-à-dire que le propriétaire conserve le pouvoir d’utiliser ce bien mais il ne peut pas en disposer librement. C’est le cas de l’État, et de manière générale des personnes publiques qui ne peuvent aliéner leurs biens, du moins lorsque ceux-ci sont compris dans le domaine public conformément à l’article L-52 du code du domaine de l’État.

Le conseil constitutionnel affirme que la protection constitutionnelle des droits de propriété « ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi à titre égal la propriété de l’État et des autres personnes publiques » : décision du 25-26 juin 1986. C’est une décision importante.

L’État se voit soumis au principe d’inaliénabilité pour les biens inclus dans le domaine public, principe pour lequel le conseil constitutionnel a refusé de se prononcer sur le caractère constitutionnel ou non : décision du 21 juillet 1994. Ce principe ne vaut qu’autant que dure l’affectation, et l’aliénabilité est cantonnée à ce qui est nécessaire pour assurer les besoins de l’affectation. En revanche, s’agissant des dépendances du domaine privé et hormis de rares exceptions, elles ne sont pas soumises à l’inaliénabilité, ce qui signifie que l’État ou ses émanations recouvrent leur liberté de disposer. Le régime de ces biens est en grande partie celui du droit civil.

Ce pouvoir de l’État sur les dépendances du domaine privé est néanmoins encadrer puisque par la décision précitée du 25-26 juin 1986, le conseil constitutionnel a considéré que « la constitution s’oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie du patrimoine public soient cédées à des personnes poursuivant des fins privées pour des prix inférieurs à leur valeur ». C’est le principe dit de l’interdiction de céder une propriété publique en deçà de sa valeur. Le juge administratif applique cependant ce principe avec un sens libéral prononcé, admettant par exemple qu’une commune cède une parcelle de son domaine privé pour un franc symbolique dans la mesure où en contrepartie la personne poursuivant des intérêts privés crée des emplois.

  1. Personnes privées.

Le droit consacre parfois une véritable inaliénabilité. L’article 1598 du Code civil dispose que tout ce qui est dans le commerce peut être vendu lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation.

Exemple: les articles 900-1 et suivants du Code civil permettent une telle inaliénabilité pour le donateur ou le légataire. Attention : inaliénabilité temporaire motivée par des motifs sérieux et légitimes.

Exemple : la procédure collective organise un régime d’acidité des titres est bien de la société en redressement judiciaire à compter du jugement d’ouverture.

Exemple : le particulier ne peut pas vendre ces cigarettes car il y a un monopole.

  • 2 : Restrictions du pouvoir.

Ces restrictions sont nombreuses et de nature très variées, de telle sorte qu’on a cru aisé d’en dresser une liste exhaustive. En raison de la perception élargie de cette matière droit public / droit privé des biens, on peut envisager d’une part la restriction du pouvoir du propriétaire, et d’autre part le caractère mouvant de ces restrictions dans la mesure où l’organisation de la vie en société évolue.

  1. Restrictions fondées sur l’organisation de la vie en société.

Le rapport que le propriétaire entretient avec son bien est souvent envisagé comme une relation exclusive en raison de l’affirmation du pouvoir absolu. On est tenté de considérer cette relation de manière isolée au monde environnant. Mais ce n’est qu’une relation parmi d’autres, et surtout une relation susceptible de subir les influences extérieures les plus diverses. En d’autres termes, le droit de propriété doit être concilié avec d’autres impératifs. Le propriétaire ne vit pas seul avec son bien, il va devoir composer soit en raison de la situation géographique du bien, soit en raison des caractéristiques propres de ce bien, soit en raison de la qualité du propriétaire (public ou privé), soit des trois : le voisinage du bien emporte ainsi un certain nombre de restrictions (servitude d’utilité publique ou privée ; théorie de l’abus de droit ; la cession forcée de mitoyenneté contraignant le propriétaire à céder la partie privative de son mur pour une propriété indivise ; contraintes d’ordre urbanistique ou environnementale ; raisonnement différent selon que le voisinage est public ou privé…). Les caractéristiques du bien influent différemment sur le pouvoir du propriétaire : objets d’art ou objets courant ayant une réglementation différente ; affectation à un service public ou à l’usage public. S’il y a expropriation, le risque est de devoir rétrocéder le bien à la personne expropriée.

  1. Caractère nécessairement évolutif de la restriction.

Cette évolution va plutôt dans le sens de l’accroissement. On observe en effet, une inflation de la réglementation, notamment en matière d’urbanisme et d’environnement. Cette inflation se répercute fatalement sur la propriété, en particulier sur la propriété privée et notamment les immeubles.

Par ailleurs, l’installation de situation de précarité des personnes conduit parallèlement les pouvoirs publics ou le législateur à prendre des mesures de protection de ces personnes. Il s’agit notamment de faire en sorte qu’elles puissent être logées, ce qui se traduit par une politique sociale qui heurte parfois de plein fouet le caractère absolu du pouvoir du propriétaire sur son bien.

Exemple : expropriation pour la création de réserves foncières destinées à l’habitat social. Exemple : dans le cas de l’HLM, l’expulsion devient conditionnée à la mauvaise foi du locataire dans le non paiement des loyers.

La CEDH considére ainsi qu’une réduction du loyer imposé par la loi en raison du but légitime d’utilité publique poursuivie, demeure compatible avec les exigences de protection du droit de propriété.

Elle donne la même solution pour une loi limitant les possibilités de résiliation d’un bail pour une législation protégeant le maintien dans les lieux de locataires âgés à faibles ressources. De manière générale, elle considère que « le législateur national peut s’immiscer dans les relations contractuelles entre particuliers pour protéger le besoin de logements d’une société moderne ».

CONCLUSION :

On voit que pour chacun, propriétaire public et propriétaire privé, ils subissent tout 2 des contraintes quant à l’utilisation de leurs biens même si traditionnellement l’atteinte au droit de propriété de la personne publique est perçue comme une protection. L’inaliénabilité est par exemple comprise comme garantie assurant à la personne publique la pérennité voire l’éternité de son droit de propriété.