Les charges de voisinage grevant domaine public et propriétés privées

Les charges réciproques de voisinage entre domaine public et propriétés privées.

On peut parler de réciprocité des charges dans la mesure où certaines charges grèvent la propriété privée au profit du domaine public, et que le mouvement en sens inverse s’observe également. Mais cette réciprocité ne concerne pas les mêmes catégories de charges, et selon le bénéficiaire (domaine public ou propriété privée), la logique juridique à suivre emprunte des chemins différents.

  1. Les charges grevant la propriété privée au profit du domaine public.

Il s’agit de montrer que lorsqu’une propriété privée jouxte le domaine public, elle supporte en plus des charges qu’elle devrait supporter si la propriété contiguë était une propriété privée, les charges propres issues des règles de droit public.

Principe : à des charges dites de droit commun (de droit privé) s’ajoutent des charges dites spéciales (de droit public) car elles bénéficient au domaine public de l’État sans jamais pouvoir jouer au profit d’une propriété privée.

Cette présentation est à nuancer :

_ D’une part, la règle énoncée n’a pas une portée absolue.

_ D’autre part, à partir du moment où on considère le droit des biens publics et privés comme une discipline à part entière, il devient difficile de parler de droit commun pour les règles issues du droit privé, et de droit spécial pour les règles issues de droit public, même si la distinction s’explique pour des raisons historiques et notamment par la construction récente d’une théorie du droit des biens en droit public. On parlera alors de charges d’utilité privée au profit du domaine public et de charges d’utilité publiques.

  1. Les charges d’utilité privée au profit du domaine public.

La propriété privée supporte les mêmes charges que celles qu’elle devrait subir si le fond jouxtant le sien était un fond privé. On importe en quelque sorte la « théorie du voisinage civil » en matière de voisinage public. Mais:

_ Il y a absence de réciprocité, c’est-à-dire que le propriétaire doit supporter la charge comme si le fond contigu était privé sans pouvoir espérer à son tour bénéficier d’une quelconque charge sur le domaine public, alors qu’il pourrait le faire s’il s’agissait d’une propriété privée.

_ Il persiste une incertitude quant aux charges concernées, c’est-à-dire que sur le principe même de la transposition des charges d’utilité privée au domaine public, il n’y a pas de difficultés ; en revanche, quand il s’agit de faire application de ce principe (c’est-à-dire déterminer concrètement quel type de charges est concernées et quel type de charges est éventuellement exclu), la réponse est plus délicate à apporter de manière certaine.

Exemple : la cession de mitoyenneté : article 661 du code civil : il s’agit de la cession forcée d’un mur mitoyen, qui joue en faveur du domaine public même s’il n’y a aucune réciprocité au profit de propriété privée. On fait comme si le domaine public était un propriétaire privé, mais le propriétaire privé ne peut demander aucune réciprocité.

Mais certaines décisions refusent d’appliquer les servitudes légales du code civil aux fonds voisins du domaine public. Question : est-ce que toutes les servitudes de droit privé peuvent s’appliquer au domaine public ? Les exigences sont pas toujours les mêmes. La jurisprudence préfère ne pas faire jouer le jeu automatique des servitudes légales, cela permet un contrôle du juge.

  1. Les charges d’utilité publique.

Les servitudes administratives.

L’exactitude du terme de servitudes est discutée. On considère généralement que les servitudes administratives ne sont pas des servitudes au sens de droit civil. En effet, la notion de fond dominant, inhérente au concept de servitudes ne se retrouverait pas nécessairement en droit public.

Au sens strict, il s’agit de servitudes administratives.

Au sens large, il s’agit des servitudes administratives ainsi que des servitudes d’urbanisme et d’environnement. En matière de servitudes d’urbanisme, il n’y a pas de fond dominant, ce qui pose problème.

Yves GAUDEMET: « les charges administratives sont imposées aux fonds riverains au profit de la conservation et de la meilleure utilisation du domaine public ». En ce sens, il y a fond dominant.

Cette discussion a perdu de son intérêt depuis que la Cour de Cassation a admis le 15 décembre 1999, que le fond dominant et un fonds servant ne sont pas essentiels à l’existence d’une servitude créée par la loi c’est-à-dire d’une servitude légale.

Le Code civil prévoit l’existence de ces servitudes particulières grevant la propriété privée. L’article 649 dispose que les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale ou utilité des particuliers.

L’article 650 recense les servitudes d’utilité publique. Mais c’est une liste non exhaustive. En effet, il existe de multiples servitudes administratives et leurs régimes juridiques sont très divers.

Exemples :

La servitude NON AEDIFICANDI qui interdit la construction à proximité des terrains et des aérodromes.

La servitude de visibilité en matière de circulation automobile : suppression des murs de clôture ou des plantations pour les remplacer par une grille à proximité des croisements des endroits dangereux.

La servitude au profit du domaine public maritime pour assurer le passage des piétons sur le littoral.

L’article L 160-6-1 du code de l’urbanisme dispose qu’en l’absence de voie publique à moins de 500 m du rivage, il est institué une servitude littorale sur les voies et chemins privés afin de permettre l’accès de la voie publique ou rivage maritime, et inversement.

Les servitudes administratives sont d’ordre public, c’est-à-dire qu’on ne peut y déroger par convention. Elles sont également imprescriptibles et inaliénables (caractères du domaine public). Leurs sanctions sont propres au droit administratif. L’État dispose de pouvoirs importants pour en assurer le respect (démolition d’office, convention de voierie).

  1. Les charges grevant le domaine public au profit de la propriété privée.

Parmi ces charges se trouvent les aisances de voierie applicables aux riverains du domaine public. Elles sont issues du droit administratif (droit d’accès, droit de vue, égouts, écoulement des eaux,…).

Est que les charges d’utilité privées que connaît le droit civil peuvent toucher le domaine public ? Principe: celui de la non applicabilité des charges d’utilité privée à l’encontre du domaine public. Ainsi le Conseil d’Etat et le tribunal des conflits ont affirmés qu’aucune servitude ne peut être valablement instituée sur le domaine public.

L’arrêt du conseil d’État du 6 mai 1985 a renouvelé cette position. Il y avait incompatibilité avec les règles de la domanialité publique.

Exemple : la cession forcée de mitoyenneté valable au profit du domaine public est inapplicable quand il s’agit de grever ce domaine public. Le conseil d’État et la Cour de Cassation l’ont affirmé tous les 2.

Exemple : en matière de servitudes, la position des juridictions est plus nuancée.

_ pour ce qui concerne les servitudes légales (jour, vue, passage pour clause d’enclave), les juges administratifs et judiciaires rejettent leur application au domaine public en raison de l’inaliénabilité du domaine public, et cela même si la servitude ne compromet pas l’affectation domaine public envisagé.

_ pour ce qui concerne les servitudes conventionnelles, leur établissement sur le domaine public, en dépit de certaines réticences du juge administratif et d’une partie de la doctrine serait envisageable pourvue que leur exercice soit compatible avec l’affectation du domaine public concerné. L’administration négocie les servitudes, donc elle est bien placée pour voir la compatibilité ou non de la servitude avec l’affectation du domaine public concerné. La servitude conventionnelle suppose que l’administration y consente, ce qui lui laisse un contrôle d’opportunité. La plupart du temps, ces servitudes sont sur le domaine public en volume (gares Parisienne,…). On peut ainsi réaliser des opérations d’urbanisation complexes.

_ pour ce qui concerne les servitudes préconstituées : ce sont des servitudes qui préexistaient sur le fond avant l’entrée de ce fonds dans le domaine public. Les juridictions administratives et judiciaires admettent que ces servitudes survivent à l’entrée du fonds servant dans le domaine public à condition qu’elles demeurent compatibles avec son affectation et sa conservation. En général, les servitudes qui survivent sont celles de passage.

CONCLUSION:

Le domaine public a tendance à se fondre dans la masse des propriétés privées lorsqu’il s’agit d’en tirer bénéfice, alors qu’inversement, la spécificité de la domanialité publique empêche la propriété privée d’être identifiée au domaine public. La raison principale est l’inaliénabilité du domaine public. On observe néanmoins des assouplissements, notamment dès que le danger d’une atteinte à l’inaliénabilité est écartée. En ce sens, il semble que le conseil constitutionnel a franchi un pas important dans un arrêt du 21 juillet 1994 saisi de la constitutionnalité de la loi du 25 juillet 1994 relatif à la catégorie des droits réels sur le domaine public. Le conseil constitutionnel a considéré que : « si les députés, auteurs de la saisine, invoquent à l’encontre de l’article 1er de la loi le principe, selon eux à valeur constitutionnelle, de l’inaliénabilité du domaine publique, il ressort des dispositions de cet article qu’aucune d’entre elles n’a pour objet de permettre ou d’organiser l’aliénation des biens appartenant au domaine public. Par contre, le grief n’est pas fondé ». Il s’agit d’un mouvement d’assouplissement.