Explorez les conflits de lois dans le temps, les doctrines clés et l'approche jurisprudentielle visant à résoudre ces conflits dans divers contextes juridiques

Les conflits de lois dans le temps

Les conflits de lois dans le temps (ou la question de l’application de la loi dans le temps)

Lorsqu’une situation juridique née sous l’empire de la loi ancienne continue de produire ses effets après l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle, la question des conflit de lois se posent de manière encore plus aigüe. Les conflits de lois dans le temps surviennent lorsqu’une loi nouvelle remplace une loi ancienne. Ils se posent principalement pour les situations juridiques existantes et les contrats en cours. Deux doctrines dominent : la doctrine des droits acquis, axée sur la protection des droits patrimoniaux, et la théorie de Roubier, centrée sur l’intérêt général. Juridiquement, deux principes prévalent : la non-rétroactivité, sauf pour des raisons d’intérêt général, et l’application immédiate, avec des exceptions pour certaines situations contractuelles.

I) La problématique des conflits de lois dans le temps

Les conflits de lois dans le temps naissent lorsque deux lois ayant le même objet se succèdent dans le temps. Une loi nouvelle abroge la loi ancienne.. Dans quelle mesure la loi nouvelle s’applique-t-elle aux situations juridiques nées avant son entrée en vigueur mais poursuivant ses effets après son entrée en vigueur?

Quelle loi appliquer aux situations juridiques en cours de constitution, la loi ancienne ou la loi nouvelle ? La question qui se pose est que l’on a des règles de droit obligatoires qui se succèdent dans le temps et la difficulté est de savoir quelles règles de droit il faut choisir.

Quel est le problème ? Les règles précédemment vues relatives à l’entrée en vigueur d’un texte permettent de déterminer la période durant laquelle une règle de droit est obligatoire. Le problème est de déterminer l’instant à partir duquel la loi qui est obligatoire s’applique au sujet de droit et l’instant à partir duquel cesse de s’appliquer.

Autrement dit, quand est ce qu’une règle de droit d’origine textuelle saisit une situation juridique ? Lorsqu’on a une seule règle de droit il n’y pas de problèmes. Mais quand il y a une succession de règles de droit il y a un problème.

Exemple : le 8 mai 1816, le divorce est abrogé. Cette nouvelle loi est ce qu’elle s’applique aux gens mariés après ou avant l’entrée en vigueur de cette loi ? Ex 2 : le 5 juillet 1974, une loi a abaissé l’âge de la majorité de 21 ans à 18 ans. Est-ce que cette loi s’applique à toutes les personnes dès son entrée en vigueur ? A cette question, l’article 2 du code civil donne une réponse : « la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif ». Donc dans ce texte il y a deux propositions : « la loi n’a pas d’effet rétroactif » ce qui signifie qu’elle ne s’applique pas à des éléments antérieurs à son entrée en vigueur. ; « la loi ne dispose que pour l’avenir » cela signifie donc qu’elle va s’appliquer aux situations juridiques mais postérieurement à son entrée en vigueur. Le problème c’est que c’est un peu plus compliqué : il faut revenir sur la notion de situation juridique. Une situation juridique c’est un état de droit. Cette situation juridique peut avoir deux sources majeures : source légale c’est-à-dire résulté de la loi (ex : l’état de divorcé) et source contractuelle, c’est-à-dire résulté d’un accord de volonté entre deux personnes (ex : contrat de travail, contrat de vente). Mais la situation juridique n’existe pas qu’à un instant T. il y a différent temps : le moment de sa formation (cette formation peut être instantanée ou elle peut s’étaler sur le temps), le moment de durer dans le temps (ex : contrat de bail entre sa formation et l’extinction, il y a du temps qui s’écoule) et le moment de son extinction. Le conflit de loi dans le temps existe lorsque la situation juridique née sous l’empire d’une loi produit encore ses effets (revoir avec l’écoute audio).

II) 2 doctrines pour résoudre les conflits de lois dans le temps :

  • Doctrine des droits acquis:

La doctrine des droit acquis a été formulé au 19ème siècle par les premiers commentateurs du code civil et son énoncé est relativement simple : « la loi est rétroactive si elle s’applique à des droits acquis, elle ne l’est pas si elle s’applique à des simples expectatives » donc le critère d’application de la loi nouvelle est articulée autours de la notion de droits acquis. La loi nouvelle ne doit pas remettre en cause ces droits là.

Pour Merlin Dedouaix, les droits acquis sont ceux qui sont ancrés dans notre domaine, qui en font partis et que ne peut plus nous ôter celui de qui nous les tenons. En pratique, cela correspond aux droits ancrés dans le patrimoine d’une personne (droits patrimoniaux).

Cette théorie des droits acquis a subi deux types de critique :

  • critique d’ordre technique (la notion de droits acquis a été entièrement construite pour empêcher l’implication de la loi nouvelle sans que cette notion présente une précision quelconque ; la théorie des droits acquis se penche uniquement sur le passé mais elle n’envisage absolument pas les effets futurs d’une situation juridique construite dans le passé)
  • critique d’ordre politique (la doctrine des droits acquis repose sur une philosophie individualiste, libérale visant à protéger l’individu de l’Etat ; cette doctrine est profondément conservatrice puisqu’elle suppose que tout changement de loi est nécessairement préjudiciable au sujet de droit).

 

  • La théorie de Paul Roubier:

L’analyse de Roubier n’est pas centrée sur les droits subjectifs contrairement à la précédente doctrine. Son analyse a pour objet central la protection de l’intérêt général. Pour lui, la solution des conflits de loi dans le temps ne peut pas être articulée autours de l’idée qu’il faut protéger les individus contre l’Etat et pour lui, un sujet de droit n’est pas titulaire d’un droit à l’encontre de l’Etat. Le sujet de droit est dans une situation juridique et cette situation juridique est un complexe, un ensemble de droits et de devoirs.

Cet ensemble connaissant plusieurs phases :

  • une phase dynamique (temps de la création et de l’extinction de la situation juridique et lorsque ces phases sont achevées, on est en présence d’un fait accompli et il en résulte que le principe de non rétroactivité de la loi nouvelle interdit de remettre en cause ce fait accompli)
  • une phase statique (phase pendant laquelle va se produire des effets juridiques et pour cette phase là, Roubier estime que la loi nouvelle doit s’appliquer aux effets juridiques en cours lors de son entrée en vigueur ; pour cela il parle d’application immédiate de la loi nouvelle aux situations en cours et Roubier admet une exception à ce principe d’application immédiate de la loi nouvelle c’est pour les situations juridiques contractuelles en cours, Roubier estime que les effets futurs d’un contrat conclu sous l’empire d’une loi ancienne reste régi par cette loi et échappe à la loi nouvelle à cette exception est nommée principe de survie de la loi ancienne et Roubier justifie cette exception car le contrat est un acte de prévision).

III ) Les 2 solutions retenues par la jurisprudence : non rétroactivité et application immédiate

La jurisprudence a consacré un temps la théorie des droits acquis. Il semble que ce ne soit plus le cas aujourd’hui même si les décisions de justice continuent d’employer le terme de droits acquis. La jurisprudence semble s’être fortement inspirée de l’analyse de Roubier. La doctrine peut être source d’inspiration de règle de droit. La solution jurisprudentielle s’articule autours de deux principes :

Le principe de non rétroactivité :

Ce principe s’applique à toutes les situations juridiques qu’elles soient d’origine légale ou contractuelle. Une situation juridique qui a épuisé ses effets dans le passé ne peut pas être remise en cause par une loi nouvelle. Plus généralement la loi nouvelle ne saisit pas les effets antérieurs à son entrée en vigueur même si cette situation juridique produit encore des effets sous l’empire de la loi nouvelle.

La règle de non rétroactivité est une règle énoncée dans le code civil (article 2).

Comme il s’agit d’un texte législatif, le législateur peut y déroger et pour un motif impérieux d’intérêt général, il peut décider qu’une loi nouvelle sera rétroactive.

Il faut nuancer ce pouvoir du législateur :

En premier lieu, le principe de non rétroactivité vise toutes les lois mais le principe de non rétroactivité en matière pénale est également consacré par l’article 8 de la DDHC (« nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit »). Le conseil constitutionnel a précisé que le législateur ne pouvait pas déroger à l’article 8 de la DDHC. Cette interdiction est logique puisque la loi pénale doit être théoriquement une loi exceptionnelle. Mais on ne peut pas exiger de quelqu’un de se comporter d’une certaine manière si la règle imposant ce gouvernement n’existe pas au moment où la personne agit : il s’agit de protéger la personne. Il y a une exception en matière pénale : si la loi pénale nouvelle est plus douce que la loi pénale ancienne, on appliquera alors à des faits passés et qui n’ont pas encore été jugés, la nouvelle loi ; c’est ce qu’on appelle la rétroactivité inmitius.

Cette rétroactivité inmitius a une valeur constitutionnelle. Pour les lois non pénales, la rétroactivité de la loi peut prendre plusieurs formes : la loi peut être expressément rétroactive (le législateur le dit il n’y a pas de problème, dans ce cas le conseil constitutionnel exige que cette rétroactivité soit justifier par un motif d’intérêt général suffisant), la loi peut être interprétative (elle a pour objet de déterminer, de dire, de dénoncer le sens d’une loi antérieure, il y a une interprétation officielle d’une loi ; la loi interprétative fait corps avec la loi interprétée et qu’on est en présence d’une seule loi et comme la loi interprétée est entrée en vigueur à une date antérieure on dit que la loi interprétative a la même date que l’entrée en vigueur de la loi interprétée ; pour être en présence d’une loi interprétative, il faut que cette loi se borne à reconnaitre sans rien innover un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse, autrement dit le législateur doit expliciter mais ne doit pas créer ; la difficulté est quelle est la frontière entre le fait d’éclaircir et de créer car toute interprétation est créatrice ; la rétroactivité résulte du fait que l’ancienne loi s’incorpore dans la nouvelle loi), les lois de validation ou lois confirmatives (elles ont la particularité d’avoir pour objet de valider des actes antérieurs à leur édiction et parce que ces actes étaient nuls ou irréguliers selon les dispositions de la loi ancienne mais le législateur décide qu’il faut considérer que ces actes sont valables et pour ce faire il va voter une loi qui déclare ces actes irréguliers ;

 

  • – exemple 1 : en matière de crédit immobilier, le législateur impose le respect de certaines formes, les offres de prêt doivent comporter certaines mentions impératives, en cas de manquement à ce formalisme, la sanction est la privation du droit aux intérêts, il se trouve que dans les années 90 les banques ont utilisé un modèle qui a été jugé contraire aux dispositions du code de la consommation et bien entendu sanction, les emprunteurs ont demandé de bénéficier d’un prêt à taux 0, les banques se sont émues car grosse perte et le législateur a décidé par une loi du 12 avril 1996 qu’on venait de déclarer réguliers ces prêts qui étaient irréguliers selon la loi ancienne et ces emprunteurs ont obtenu que cette loi de validation ne s’applique pas à eux et ce par la grâce de la jurisprudence, en effet la jurisprudence décide qu’une loi rétroactive n’est compatible avec les exigences du droit à un procès équitable énoncé à l’article 6-1 de la convention que si elle est justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général, et à partir de ce moment là la loi du 12 avril 1996 était contraire à l’article 6-1 de la convention et de plus que cette loi portait atteinte au droit de propriété des emprunteurs ;

 

  • – exemple 2 : l’affaire Perruche, l’hypothèse est que l’on a un enfant qui est né handicapé et son handicap n’a pas été décelé en raison d’une faute médicale et les parents de cet enfant demandent la réparation du préjudice résultant de la naissance handicapée, dans cette hypothèse il n’est pas reproché au médecin un acte médical ayant apporté l’handicap mais il est reproché un acte médical n’ayant pas décelé l’handicap, peut-on reprocher à un médecin ce préjudice ? la jurisprudence a longtemps refusé toute réclamation et par un arrêt Perruche elle a abandonné cette proposition en considérant que la faute médicale avait privé la mère de la possibilité d’éviter cette naissance handicapée donc cette décision en 2000 a créé un débat invraisemblable et le législateur a décidé d’intervenir dans le cadre du 4 mars 2002 relative au droit des malades et au système de santé, le législateur a décidé que nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance par la même le législateur a condamné la jurisprudence Perruche puisqu’il précise ensuite que les préjudices dont l’enfant né handicapé peut demander réparation sont ceux qui résultent soit d’une faute médicale ayant provoqué le handicap ou la faute médicale consistant à n’avoir pas permis de prendre les mesures susceptibles d’atténuer le handicap cette loi s’applique aux instances en cours et donc elle a pour effet de priver des parents et des enfants du droit de demander réparation et donc de leur créance éventuelle à l’encontre des médecins considérés comme fautifs mais ici comme précédemment la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme vient contrecarrer la volonté du législateur, cette loi de validation est contraire au droit à un procès équitable et elle porte atteinte à la propriété de l’enfant handicapé et de ses parents, rien n’interdit au législateur d’interdire pour le futur mais ce qui lui est interdit c’est de rétrospectivement d’interdire à une population présente)

Le principe d’application immédiate de la loi nouvelle :

Ce principe intervient pleinement pour les situations extracontractuelles c’est-à-dire qui ne sont pas issues d’un contrat. A titre d’exemple, lorsqu’en 2006 a été entrée en vigueur une loi sur le divorce, elle a eu une application immédiate.

Qu’en est-il pour les situations contractuelles ? Si les contrats sont formés après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle on applique la loi nouvelle. Si les contrats sont en cours d’exécution au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. : on a un contrat formé précédemment mais qui doit se renouveler, est ce que cette loi s’applique aux effets en cours du contrat conclu antérieurement ?

  • En principe, la réponse devrait être oui.
  • Cependant, la jurisprudence considère que l’application immédiate de la loi nouvelle aux situations contractuelles en cours serait une source d’insécurité juridique pour les parties à un contrat. Le contrat c’est un acte de prévision, on se projette dans l’avenir et on l’aménage en fonction des données que l’on a le jour où l’on a conclu le contrat. La jurisprudence décide qu’il ne faut pas modifier cet équilibre et donc pour les situations juridiques contractuelles on écarte le principe d’application immédiate de la loi nouvelle et on applique le principe de survie de la loi ancienne.

 

  • Mais il y a des exceptions à ce principe de survie de la loi ancienne :

C’est le retour au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle. 1ère exception : c’est la loi, quand elle dispose qu’elle s’applique immédiatement au contrat en cour. 2ème exception : en présence d’une loi d’ordre public (loi très impérative), il existe parmi les lois impératives une catégorie dont l’application doit être immédiate selon un objet précis (à reprendre), cet objectif de protection ne pourrait pas être atteint si cette loi ne s’appliquait pas à tous les salariés ou à tous les locataires. 3ème exception : on dit que certaines lois établissent un statut (corps de règles qui définit une certaine situation dans le groupe social), dès lors qu’une loi a pour objet d’organiser un statut, cette loi s’applique à toutes les personnes relevant de ce statut quelque soit la date de formation du contrat ayant permis la création du statut.