Les conflits de qualification en droit international

LES CONFLITS DE QUALIFICATION.

Le choix de la règle nécessite d’interpréter la règle de conflit. Dans cette interprétation , on va rencontrer des difficultés qui vont naître du particularisme de chaque système national.

Cette coexistence de systèmes juridiques va donner naissance à d’autres sortes de conflits : il y a les conflits de qualification et conflits de rattachement et les conflits de lois dans le temps. (nous étudions ici les conflits de qualification).

L’expression « conflits de qualification » est associée au nom de Bartin car c’est lui qui développa fin 19e siècle toute une théorie de qualification. A la même époque que lui , un auteur allemand, Kahn , va réfléchir aux conflits de qualification. Charles Dumoulin déjà au 16e siècle en était déjà le précurseur. Cette question a beaucoup d’importance en Droit International privé car la qualification va commander la solution du conflit de lois, car le Droit International privé pose des catégories de rattachement , et donc lorsque le juge est saisi d’une question, il est censé placer la question posée dans l’une de ces catégories de rattachement. Cela permettra au juge de désigner la loi applicable au rapport de droit. Cette opération de « classification » n’est pas exclusive au Droit International privé car dans toutes les branches du droit, on procède à des qualifications. La spécificité des qualifications en Droit International privé, c’est le problème des conflits de qualification, qui eux-même proviennent du particularisme de chaque système juridique et ces conflits de qualification peuvent surgir lorsque les différentes lois qui sont en conflit ne donnent pas du rapport de droit la même analyse. Cette prise en compte du conflit de qualification va avoir une incidence sur la désignation de la loi applicable puisque l’une des fonctions de la qualifications est de résoudre un conflit de lois. Donc , de ce fait , si on prend en compte le conflit de qualification lorsqu’il y en a un, cela entraîne la mise en œuvre de différentes règles de conflit qui va se traduire par la désignation de lois différentes :

3 exemples classiques :

la « quarte du conjoint pauvre »: cet exemple est tiré d’une affaire appelée encore l’affaire des « époux anglo-maltais ». Il s’agissait d’un couple anglo-maltais vivant à Malte et y avaient établi leur premier domicile matrimonial et quelques années après ils s’étaient installés en Algérie qui était un territoire français à l’époque et le mari avait acquis des immeubles et quelques temps plus tard, décède en Algérie. Au moment de régler la succession l’épouse réclame sur les biens situés en Algérie, un droit que lui reconnaît la loi maltaise et c’est ce qu’on appelle la quarte du conjoint pauvre.

La suite du problème consiste à savoir comment classer cette quarte du conjoint pauvre. Le juge est saisi de cette demande : pour résoudre ce conflit de lois France/Malte, il faut classer la quarte dans une des catégories. 2 catégories semblaient s’appliquer à la question : soit on estime que la question relève du domaine successoral, soit elle est matrimoniale donc relève des régimes matrimoniaux.

Si c’est une question successorale, ce serait donc une question de succession immobilière. Or on a vu que les successions immobilières étaient régies par la loi du lieu de situation de l’immeuble, ce qui en l’espèce conduisait à désigner la loi française (puisque l’Algérie est française à cette époque).

Si on classe la question dans la catégorie des régimes matrimoniaux, notre règle de conflit désignait la loi du 1er domicile matrimonial des époux, or en l’espèce, leur 1er domicile c’était Malte, donc application de la loi maltaise qui elle connaît l’institution de la quarte du conjoint pauvre et donc pourra en bénéficier :

Arrêt de la CA d’Alger du 24 décembre 1889 , BARTHOLO (= nom des époux). Cette affaire a inspiré Bartin. Dans cette décision les juges ont estimé que la question relevait des régimes matrimoniaux. En fait, dans la décision il n’y avait pas de conflit de qualification . Le droit maltais ne classait pas forcément la question différemment que le droit français. Mais c ‘est à partir de cette affaire que Bartin a imaginé un conflit.

2e exemple : celui du « testament olographe hollandais ». Le problème= le code civil hollandais interdisait aux Hollandais de rédiger leur testament sous forme manuscrite. C’est à dire en la forme olographe et il estimait que cette interdiction valait même si le Hollandais se trouvait dans un pays étranger. De l’autre côté le droit français permet les testament olographe. La question s’est ensuite posée de savoir quelle était la validité d’un testament olographe rédigé en France par un Hollandais. Ici donc, d’un côté le droit hollandais qui classe cette question dans la catégorie des capacités juridiques et cela désigne alors la loi nationale, et donc la loi hollandaise ici, d’où conséquence, le testament est nul. D’un autre côté, le droit français classe la question dans la catégorie de la forme des actes juridiques, donc va être régie par la loi du lieu de conclusion, donc comme le testament est rédigé en France, cela désigne donc la loi française d’où conséquence : le testament est valable.

L’exemple du « mariage du Grec orthodoxe ». Un Grec orthodoxe épouse une Française en France devant l’officier d’état civil, donc en la forme civile et seulement en cette forme , alors que le droit grec exigeait à l’époque que les Grecs se marient en la forme religieuse même s’ils se marient à l’étranger. Plus tard se pose la question de la validité du mariage dans le cadre d’une procédure de divorce. Le mari , pour échapper à ses obligations invoque la nullité du mariage. On a vu que les conditions de forme sont régies par la loi du lieu de célébration et les conditions de fond par la loi nationale de chacun des époux. Seulement ici le mari Grec estimait que l’exigence d’une célébration religieuse était une véritable condition de fond du mariage (selon son droit grec) donc il fallait appliquer la loi nationale donc cela revient à appliquer le droit grec (donc nullité du mariage).

Se profile alors une question : sous quel angle de droit se place-t-on pour qualifier la question litigieuse ?

Section 1 : La détermination de la loi de qualification.

3 courants peuvent être dégagés.

1) Qualification lege fori.

Ici, chaque juge doit qualifier la question en se référant à sa propre loi , c’est-à-dire la loi du for . Donc le juge français se réfèrera aux concepts du droit français pour effectuer ces classifications. La qualification lege fori est la conséquence du caractère national de chaque système de conflit de lois et puisque chaque pays a son système de Droit International privé , il est naturel qu’il mettra en œuvre sa règle de conflit de loi en fonction des conceptions de son propre droit. En effet on insiste sur le fait que la règle de conflit qui va être appliquée est une règle de conflit française , donc elle ne peut être interprétée que par des références françaises (car qualifier c’est interpréter la règle de conflit ). La qualification est nécessairement préalable à la solution du conflit de lois, et la conséquence est qu’à ce moment là du raisonnement conflictuel , la loi étrangère n’a aucune raison de s’appliquer et elle ne le pourra éventuellement que lorsque la règle étrangère aura été expressément désignée. Donc , c’est une raison supplémentaire pour qualifier lege fori.

2) Qualification lege causae

Cette qualification consiste à demander la qualification au droit étranger éventuellement applicable au rapport de droit qui fait l’objet du litige. Ex : c’est demander au droit grec de qualifier la validité du mariage.

C’est une qualification selon le droit éventuellement applicable à la cause.

Mais c’est un cerce vicieux car on soumet la question à un droit dont on ne sait pas encore s’il va être applicable. Mais les partisans de la qualification lege causae se défendent pour dire que ce défaut peut être reproché à la qualification lege fori car au moment de la qualification , on ne sait pas quel va être le droit applicable.

Cette qualification lege causae débouche sur une triple qualification : donc si on va jusqu’au bout de la qualification lege causae, il faut qualifier selon toutes les lois qui sont en conflit (sinon on peut être accusé de partialité), mais cette qualification conduit à un cumul de qualification, or on a vu que les cumuls de qualifications conduisent à la solution la plus restrictive.

3) Qualification par référence à des concepts autonomes et universels.

C’est un auteur allemand, Rabel , qui a soutenu que la qualification d’un rapport de droit pouvait se faire en utilisant une méthode comparative qui permettait de dégager des concepts universels. Du coup s’il existait des concepts universels , cela supprimerait les qualification. Mais il faut avouer que cette thèse est utopique car il semble impossible de parvenir à des concepts universels.

Quelle est finalement la loi de qualification utilisée en droit français ?

Dans un arrêt de la cour de cassation : 22 juin 1955, Caraslanis (affaire du « grec orthodoxe ») : la cour de cassation a clairement affirmé que la qualification doit s’opérer lege fori , donc ce mariage des Caraslanis était valable. Donc la cour cassation a clairement choisi la classification lege fori.

Section 2 : Domaine de la loi de qualification.

Il faut noter que la loi étrangère en conflit a un rôle à jouer dans le processus de qualification :

1ère hypothèse : où l’institution litigieuse est inconnue du droit français.

Par exemple, la quarte du conjoint pauvre , ou le majorat russe.

Dans cette hypothèse , il faut quand même interroger le droit étranger. Et un auteur ,

Henri Battifol , a distingué 2 phases dans l’opération de qualification.

Tout d’abord , la phase d’analyse (qui va s’opérer lege causae) et ensuite une phase qu’il a appelé « phase de jugement » ( qui va s’opérer lege fori). Donc c’est dans la phase d’analyse qu’on va interroger le droit étranger pour expliquer ce qu’ est l’institution qui est inconnue en France , en quoi elle consiste ( ex : le trust ) .

Ensuite dans la phase de jugement , le juge va classer l’institution étrangère dans nos propres catégories . La loi étrangère ne vient que pour expliquer comment ça fonctionne , dans cette hypothèse.

2e hypothèse : elle vise le cas où le droit interne s’est adapté à un droit étranger pour

élargir ces catégories , et pour y faire entrer une institution étrangère.

Ex : cela a été le cas pour le mariage polygamique , le droit français a élargi la catégorie du mariage pour y traiter un mariage polygamique qui était en cause.

3e hypothèse : où il est fait exception à la qualification lege fori.

Il y a 2 principales exceptions :

1er : la première concerne les qualifications « en sous ordre » (= les qualifications secondaires) elle va être opérée lege causae , mais ce n’est pas grave.

La qualification secondaire est celle qui intervient une fois que la loi applicable au litige a été désignée. Donc il y a déjà eu une qualification primaire lege fori qui a été opérée.

Ex : une question de droit des biens a été qualifié par lege fori , cette qualification désigne la loi malgache. Mais peut-être ce droit va distinguer entre meuble et immeuble d’une autre façon que nous. Et bien ici , celle qualification secondaire va être opérée lege causae car elle ne remet pas en cause la 1er qualification qui a été lege fori.

En fait cette qualification secondaire est une qualification interne et elle n’est permise que si elle ne remet pas en cause la 1ere qualification.

2e: qualification en matière des traités diplomatiques.

On estime alors qu’on ne peut pas qualifier lege fori pour ne pas remettre en cause le traité et donc il faut rechercher l’intention des négociateurs de la convention. C’est comme cela qu’il faut procéder en théorie pour ne pas nuire aux conventions internationales.