Les missions juridictionnelles de la Cour des comptes

Les missions juridictionnelles de la Cour des comptes

Le contrôle juridictionnel constitue la fonction originelle et traditionnelle de la Cour des comptes. Selon les dispositions de la loi du 22 juin 1967, la Cour a une compétence générale à l’égard des comptables publics, qui doivent lui rendre au moins une fois par an leurs comptes. Mais la compétence de la Cour en premier et dernier ressort est limitée dans la mesure où elle n’est saisie que des comptes des comptables principaux.

A-Le contrôle juridictionnel des comptes des comptables publics

La mission juridictionnelle de la Cour des comptes est d’ordre public. Elle doit juger les comptes des comptables publics et, lorsque ces comptes sont irréguliers, elle doit engager leur responsabilité. Elle doit les mettre en débet, c’est-à-dire engager la responsabilité pécuniaire du comptable.

1) Une mission ancienne et partagée

C’est la mission la plus ancienne de la cour. Cette activité a été allégée. Exemple : la loi du 2 mars 1982 a créé les chambres régionales des comptes (CRC) qui sont chargées de contrôler la régularité des comptes des comptables des collectivités territoriales. Les Chambres Régionales des Comptes, rendent des jugements. Ces jugements peuvent être déférés devant un juge d’appel, qui est la Cour des comptes.

Pour alléger le travail des Chambres Régionales des Comptes, on a organisé le système de l’apurement administratif, c’est-à-dire que certain comptes de comptable locaux ne sont pas contrôlés par la CRS, mais par un agent comptable supérieur. Cet acte d’apurement administratif concerne les comptes des comptables qui s’occupent de petites Collectivités Territoriales (pas beaucoup d’habitants et petites recettes). Mais les chambres régionales des comptes peuvent s’immiscer dans le travail d’apurement administratif, car si les comptes qui sont contrôlés par le comptable supérieur sont irréguliers, seule la Chambre Régionale des Comptes peut engager la responsabilité de ce compte.

Mise à part les compétences des Chambres Régionales des Comptes, la cours des comptes va contrôler les comptes des autres comptables. Elle intervient en tant que juge de 1ère instance, et les arrêts qu’elle va rendre sont susceptible de cassation devant le CE.

Lorsque la cour des comptes intervient en tant que juge d’appel, c’est-à-dire les appels des jugements rendus par les Chambres Régionales des Comptes, et bien là aussi ces arrêts peuvent être déférés devant le CE juge de cassation. Donc la mission de contrôle des comptes des comptables public est partagée.

Les comptables publics peuvent être jugés par les ministres, autrement dit, la théorie du ministre juge existe toujours dans le domaine des finances publiques, donc l’administration va se juger elle-même. Ce qui pose donc un problème d’impartialité, cette théorie du ministre juge a été abandonnée en droit administratif par l’arrêt CADOT en 1989.

Cela signifie qu’un comptable public qui aurait commis des irrégularités peut être mis en débet par le ministre du budget ou le ministre dont il relève. Ça veut donc dire que plusieurs autorités sont compétentes pour juger les comptable, mais normalement ces compétences concurrentes ne portent pas atteinte normalement au pouvoir respectif de chaque autorité.

Mais en cas d’opinion divergente, la règle c’est que la décision du juge des comptes l’emporte toujours sur la décision du ministre. Par exemple si le juge des comptes a estimé que les comptes du comptable étaient réguliers, le ministre ne peut pas décider par la suite d’engager la responsabilité du comptable.

Quand le ministre a décidé d’engager la responsabilité du comptable public, le juge des comptes peut, par la suite, écarter cette décision du ministre et donc prononcer la décharge du comptable.

Mais l’autorité de la décision du juge des comptes est atténuée par une prérogative importante du ministre des budgets, c’est ce que l’on appelle le pouvoir de remise gracieuse. Ça veut dire que dans une première étape la cours des comptes a estimé qu’il fallait engager la responsabilité du comptable car ses comptes comprenaient des irrégularités. Mais le comptable concerné peut bénéficier par la suite d’une remise gracieuse opérée par le ministre du budget, c’est-à-dire que le ministre peut décharger gracieusement le comptable, c’est-à-dire lui ôter toute responsabilité. Ce pouvoir de remise gracieuse très choquant est fréquemment employé, car le ministre porte atteinte aux décisions du juge des comptes.

2) Une mission en évolution

Le comptable public peut être mis en débet lorsque le juge ou le ministre constate un manquement dans la caisse publique, c’est-à-dire lorsqu’il constate que certains deniers publics sont anormalement absent de la caisse publique. Il y a un manquement en denier dans deux cas :

  • Lorsque le comptable a payé une dépense alors qu’il n’aurait pas dû payer cette dépense : c’est le paiement de dépense irrégulière. Il a ouvert la caisse et en a fait sortir de l’argent alors qu’il n’aurait pas dû.
  • Le comptable a très bien pu ne pas recouvrer une recette qu’il aurait pourtant dû percevoir. Il manque alors des deniers publics dans la caisse : c’est un manquement en denier.

Dans ces deux cas le comptable public sera mis en débet, le juge des comptes dans ce cas-là rendra des arrêts de débet, le ministre lui prendra des arrêtés de débet. Ces arrêtés ou ces arrêts de débet ordonne au comptable public de restituer les sommes qui manquent dans la caisse.

Il faut savoir que pendant très longtemps le juge des comptes a contrôler de façon très rigoureuse le compte des comptables publics, et ce contrôle très rigoureux est résumé par un adage «Le juge des comptes, juge les comptes, pas les comptables». Cela signifie que le système de responsabilité est un système objectif, ça veut dire que le juge des comptes, pour décider de la mise en débet du comptable, ne prendra pas en compte le comportement du comptable public, il ne regardera pas par exemple s’il a bien fait son travail. Pour décider de la mise en débet du comptable, le juge des comptes se borne à étudier les comptes du comptable, il se fiche de son attitude.

Conséquence : s’il y a un manquement en denier dans le compte d’un comptable, le juge des comptes mettra en débet le comptable, même si le comptable a commis une erreur en toute bonne foi, même si le comptable ne pouvait pas repérer cette erreur. C’est donc un système très rigoureux.

Jurisprudence NICOLLE, dans un arrêt du CE 12 juillet 1907: cet arrêt est souvent à titre d’exemple pour illustrer le caractère rigoureux de la mise en débet. Au début du siècle, l’état avait décidé de donner des subventions aux producteurs de vers à soie et le montant de la subvention dépendait de la quantité de production. Le problème, c’est qu’il y a de nombreuses fraudes et abus, de nombreuses subventions ont été versées à des producteurs de vers à soie, alors qu’ils avaient commis une fraude, c’est-à-dire qu’ils avaient donné des chiffres mensongers concernant la production. Ça veut dire que le comptable public qui avait versé la subvention avait été piégé par les producteurs qui lui avaient de fausses indications concernant le montant de la production. En l’espèce le comptable NICOLLE avait payé des subventions sur des pièces justificatives mensongères. Et bien le juge des comptes a engagé la responsabilité du comptable et l’a condamné à reverser les sommes irrégulièrement donnée aux producteurs. Mais le problème est que le comptable était de bonne foi, il ne pouvait pas s’apercevoir que les pièces justificative étaient des fausses. On aurait pu donc penser que le juge des comptes allait prendre en compte la bonne foi du comptable. La cours des comptes et le CE ont appliqué à la lettre le mécanisme de mise en débet.

Ce système a été très critiqué, car il est injuste à l’égard des comptables, mais il est resté en vigueur jusqu’en 2006 et on a essayé de justifier ce système par l’argument de dire que ce système est très sévère pour les comptables, c’est donc un système dissuasif, et les comptables devront redoubler de vigilance.

Ce système a évolué depuis les années 2000, il s’est considérablement assoupli, puisque le juge des comptes va progressivement prendre en compte le comportement des comptables lorsqu’il doit juger le compte du comptable. Deux exemples :

  • Arrêt d’assemblée du 27 octobre 2000 Desvignes : le juge des comptes, selon le CE, doit prendre en compte le comportement du comptable lorsque le juge examine les opérations de recouvrement de recette que le comptable a effectuées. Ça signifie que si le juge des comptes s’aperçoit que certaines recettes n’ont pas été recouvrées, il pourra ne pas engager la responsabilité du comptable.

C’est le cas où le comptable a tout essayé pour recouvrer la recette et le juge prendra en considération l’attitude positive du comptable et ne le mettra pas en débet.

  • Concernant les opérations de dépenses, la cour des comptes a essayé de se révolter contre la jurisprudence, mais le CE a contre-attaqué en cassant l’arrêt de la cours des comptes. Donc jusqu’en 2006 la jurisprudence NICOLLE continuait à s’appliquait lorsque le juge des comptes doit contrôler les opérations de dépenses effectuées par le comptable public.

C’est le législateur qui va intervenir, et c’est la loi de finance rectificative pour 2006 qui va permettre d’assouplir le régime de responsabilité des comptables publics puisqu’à présent le juge des comptes ne pourra pas mettre le comptable public en débet en cas de force majeure. Ça veut dire que s’il manque des deniers publics dans la caisse, par exemple à cause d’un paiement irrégulier, si ça provient d’un cas de force majeure, le juge ne pourra pas engager la responsabilité du comptable.

Donc si le comptable public, comme dans NICOLLE, a payé une dépense sur le fondement de pièce justificative mensongère, on peut penser qu’on est dans un cas de force majeure car le comptable n’a aucun moyen de détecter cette fraude.

Aujourd’hui le juge des comptes prend en compte le comportement du comptable, et le ministre a toujours pu prendre en compte ce comportement.

Conclusion du petit 2: dans certains cas des recettes sont recouvrées par des régisseurs et non des comptables, comme par exemple les droits d’entrées au musée. Des régisseurs, peuvent également à la place des comptables, faire des dépenses. Ces régisseurs sont normalement contrôler par le comptable public dont ils dépendent, on parle de comptable assignataires.

Si le régisseur commet une irrégularité, l’ordonnateur pourra engager effectivement sa responsabilité en émettant un arrêté de débet. Mais si le régisseur a bénéficié d’une remise de responsabilité, le juge des comptes conserve la possibilité de mettre en débet le comptable assignataire mais cette responsabilité est limitée, le comptable assignataire sera mis en débet s’il a commis une faute caractérisée dans le contrôle qu’il a exercé sur le régisseur.

3) Procédure juridictionnelle à suivre

Quelle est la procédure à suivre lorsque le juge des comptes a à juger les comptes du comptable public ? Deux hypothèses :

  • Le juge des comptes ne trouve aucune irrégularité, par conséquent, il va rendre une ordonnance de décharge du comptable.
  • Il existe un manquement en denier dans le compte, le juge va alors devoir engager la responsabilité du comptable (sauf réserve de prise en compte du comportement).

La procédure juridictionnelle à suivre a été profondément révisée par une loi du 28 octobre 2008, qui a pour objectif de rendre euro compatible la procédure juridictionnelle. Ça veut dire que la procédure qui s’appliquait avant la loi de 2008 était contraire aux exigences de la convention EDH, notamment à l’article 6 §1 (procès équitable, délai raisonnable de jugement). Exemple de la règle du double arrêt qui était une véritable institution existant depuis des années, a été supprimée par la loi de 2008. Cette règle permettait de garantir le principe du contradictoire, c’est-à-dire que le comptable public mis en cause par le juge avait un droit de réponse pour se défendre dans de bonne condition. Lorsque le juge relevait une irrégularité comptable, il rendait tout d’abord un arrêt provisoire, cet arrêt était envoyé au comptable et dans cet arrêt provisoire le juge des comptes, expliquait les irrégularités qu’il avait trouvées dans les comptes du comptable. A la suite de cet arrêt le comptable pouvait répondre au juge financier.

Conséquences : si le juge des comptes était convaincu par l’argumentation du comptable, il rendait un arrêt définitif qui décharge le comptable. Si l’argumentation du comptable, au contraire, n’a pas convaincue le juge, par un arrêt définitif le juge engageait la responsabilité du comptable.

Ce système du double arrêt a été supprimé car la procédure juridictionnelle pouvait durer très longtemps, donc contraire au délai raisonnable de jugement. Ca a donc était remplacé par une autre procédure.

Cette loi de 2008 reste insuffisante car de nombreux éléments de procédure restent contraires au droit de la CEDH, deux exemples :

  • La théorie du ministre juge toujours en vigueur, plus précisément le pouvoir de remise gracieuse du ministre des finances qui peut finalement décharger le comptable de sa responsabilité alors même qu’il a été mis en débet par le juge des comptes. Cela est contraire au principe d’impartialité du juge.
  • La loi n’a pas supprimé ce qu’on appelle les débets sans préjudices. Dans certains cas il y a effectivement une irrégularité comptable qui affecte le compte du comptable. Mais cette irrégularité n’a absolument pas causé un préjudice financier à l’administration. Par exemple un comptable qui a payé le déplacement d’un fonctionnaire, ce comptable public commet une irrégularité s’il a payé le déplacement sans avoir sous les yeux des pièces justificatives (billet de train). Dans ce cas-là il sera mis en débet puisqu’il a payé une dépense irrégulière. Mais c’est un débet sans préjudice car le fonctionnaire s’est déplacé pour effectuer son travail, donc la collectivité n’a pas été gênée.

Cette situation de débet sans préjudice est contraire au protocole additionnel n°1 à la CEDH. Ce protocole additionnel empêche que quelqu’un soit privé de sa propriété, de ses biens, si cette privation n’est pas justifiée par un motif d’utilité publique, les débets sans préjudice c’est une violation de ce protocole parce que quand on met en débet le comptable public dans ce cas-là, on prive le comptable d’une partie de ses ressources, et cette privation n’es pas motivée par un intérêt général.

B-Les gestions de fait

1) La définition de la gestion de fait

C’est une procédure juridictionnelle suivie soit devant la cour des comptes, soit devant une CRC, l’intérêt essentiel de cette procédure c’est de faire respecter le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables et de lutter contre les détournements de fonds publics. 2 éléments cumulatifs permettent de constituer la gestion de fait :

  • Lorsqu’il y a maniement de fonds publics, voir détention de fonds public.
  • Lorsque la personne qui a détenu ou manier les fonds publics n’étaient pas habilité juridiquement à les manier. Donc une personne qui a manié ou détenu des deniers publics irrégulièrement a irrégulièrement exercé des fonctions de comptable public, on l’appelle donc un comptable de fait.

Seul le comptable public peut manier ou détenir des deniers publics, par exemple si le maire d’une commune décide lui-même de donner une subvention à une association, il y a gestion de fait, le maire est comptable de fait parce que la subvention aurait dû être payée par le comptable, c’est le comptable public qui aurait dû payer.

Dans la plupart des cas la gestion de fait est commise de bonne foi, c’est-à-dire que les agents publics sont devenus comptables de fait sans le vouloir par méconnaissance des règles. Mais dans certains cas les gestions de fait sont commises régulièrement. Par conséquent ces cas-là traduisent l’existence de détournement de fond public.

Par exemple c’est ce qu’on appelle les mandats fictifs, l’objectif de cette technique c’est de sortir des deniers publics de la caisse afin d’effectuer des paiements poursuivants un objectif caché. Ça signifie que pour faire sortir l’argent de la caisse publique on a envoyé au comptable public un mandat fictif, c’est-à-dire que ce mandat a pour objectif de faire payer par le comptable des dettes inexistantes. Dans ce mandat fictif, est invoqué le paiement pour un service qui n’a jamais été réalisé. Mais cet argent va être détourné, puisque la dette qui figurée dans le mandat fictif était inexistante donc l’argent public va servir à financer d’autre dépense, en général pour satisfaire des intérêts privés.

Dans ce cas-là il y a gestion de fait car il y a bien sortie irrégulière de fond public et que l’argent qui est sortir irrégulièrement reste de l’argent public. Donc les personnes qui ont organisé le stratagème, et les personnes qui ont perçu l’argent seront déclarées comptable de fait.

Le juge des comptes doit absolument engager une procédure de gestion de fait lorsqu’il constate l’existence de ces gestions de fait, on dit que la procédure est d’ordre public.

2) La procédure en gestion de fait

Le juge des comptes est le seul compétent pour lancer une procédure en gestion de fait, il va tout d’abord demander au comptable suspecté de se justifier. Si les justifications ne sont pas satisfaisantes, le juge pas le déclarer comptable de fait, il va ensuite mettre en débet les comptables de fait, c’est-à-dire leur ordonner de reverser les sommes qu’ils ont extraie de la caisse publique.

Le juge des comptes peut aller plus loin, en condamnant les comptables de fait au paiement d’une amande. Les comptables de fait sont en règle générale des agents de l’administration, et dans certains cas ça peut être des ordonnateurs qui s’immiscent dans les fonctions de comptable public. Dans ce cas-là le juge des comptes pourra juger les ordonnateurs, c’est la seule fois où le juge des comptes, cour des comptes et CRC pourront juger un ordonnateur.

Les comptables de fait peuvent également faire l’objet d’une procédure pénale, notamment pour détournement de fond public, ou délit d’usurpation de fonction. Procédure pénale et financière peuvent se combiner.

Aujourd’hui le juge des comptes engage très peu de procédure de gestion de fait pour des raisons d’opportunité, notamment parce que les faits reprochés sont anciens.