La nullité de la période suspecte en droit des entreprises en difficulté

Les nullités de la période suspecte

Les nullités de la période suspecte

La période suspecte est une période au cours de laquelle les actes passés par une entreprise en difficultés financières sont susceptibles d´être remis en cause. La « période suspecte » est la période qui précède le jugement d´ouverture d´une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire et qui a pour point de départ la date de « cessation des paiements de l´entreprise.

I) Définition de la période suspecte

C’est la période comprise entre la cessation des paiements et le jugement d’ouverture. Est inapplicable à la sauvegarde où le débiteur est censé être in bonis. Est destinée à reconstituer l’actif de l’entreprise en remettant en cause la validité de certains actes conclu par le débiteur.
Depuis la réforme, la cessation de paiement ne peut être reportée à une période antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable. Cette période suspecte est propice à la fraude. Le débiteur en cessation des paiements peut chercher à organiser son insolvabilité (dissimulation d’une partie de ses biens ou avantager ses créanciers au détriment du principe d’égalité). Art. L. 632-1 Code de Commerce reprenant la liste (art. L. 621-107 Code de Commerce) ne précise plus que les actes annulables doivent avoir été effectués par le débiteur lui même. La nullité obligatoire peut être étendue à des actes émanant de créanciers. La durée de la période suspecte est fixée par le tribunal au moment du jugement d’ouverture. ne peut excéder 18 mois. Depuis L. 1985, les actes conclus en période suspecte sont frappés de nullité. Mais ne frappe pas l’ensemble des actes. L’impératif de sécu juridique et ignorance légitime de certains créanciers de la cessation des paiements imposent de limiter la nullité aux actes les plus probablement frauduleux. Nullité de droit ou nullité facultative.
Quelque soit la nature de la nullité, le régime est identique. La loi de 2005 a apporté quelques modifs au régime des nullités. Ce régime mis en place n’interdit pas au créancier d’agir aussi sur le terrain de l’action paulienne.


II) Les actions frappées d’une nullité de plein droit

C’est une nullité obligatoire pour le juge. Art. L. 632-1 Code de Commerce énonce 7 cas considérés comme objectivement anormaux quand ils sont accomplis par un débiteur en cessation des paiements. Sont indépendants de la bonne ou mauvaise foi du débiteur.

1) Les actes translatifs à titre gratuit

Les actes translatifs à titre gratuit de propriété mobilière ou immobilière accomplis pendant la période suspecte sont nuls. S’agit de toutes les libéralités (donations) et actes d’appauvrissement sans contrepartie consenti par le débiteur en cessation des paiements. Entraînent une diminution de l’actif de l’entreprise et en compromettent les chances de redressement, peu important la forme de la libéralité.
Il faudra prouver que l’acte à titre gratuit a été accompli après la cessation des paiements du débiteur, c’est à dire à une date où le débiteur ne pouvait plus faire face à son passif exigible au moyen de son actif dispositif.

2) Les contrats commutatifs déséquilibrés

Correspondent à tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l’autre partie. Permet de sanctionner des actes qui sans pour autant être de vraies libéralités – pas d’intention libérale du débiteur, sont conclu sans réelle contrepartie. La nullité ne pourra pas être prononcé contre un contrat aléatoire car l’aléa chasse la lésion. Le caractère lésionnaire du contrat commutatif est apprécié souverainement par les juges du fond. Doivent cependant exposer dans la motivation de leurs décisions en quoi le déséquilibre des prestations contractuelles est notable.

3) Les paiements anormaux

Paiement de dettes non échues en période suspecte ou de dettes échues selon des modes de paiement anormaux est sanctionné par une nullité de plein droit.

A) Le paiement de dettes non échues
Art. L. 632-1-1§3 Code de Commerce déclare nul tout paiement, quelqu’en ait été le mode pour dette non échue au jour du paiement. La loi interdit donc en période suspecte tout paiement avant terme. Il est suspect en raison de l’état de cessation des paiements, peu important le mode de règlement utilisé. Seul compte le caractère anticipé du paiement. Peut s’agir d’un paiement en espèce par cession de créance ou compensation conventionnelle. Quand le paiement est réalité avec un edc, la jurisprudence distingue suivant que la provision existe au moment de la création de l’effet ou n’a été constitué qu’après cette création. Si la dette payée avec l’effet est échue ou remise à l’escompte, l’opération échappe à la nullité. Si la provision est constituée pour garantir une dette non échue, l’opération doit être déclarée nulle car le débiteur a alors voulu appauvrir l’actif de l’entreprise en donnant au bénéficiaire de l’effet une situation plus favorable. La provision doit, en cette hypothèse, faire l’objet d’un rapport par le tiré ou le porteur, car n’a pas été valablement transmise. De même, est nul de plein droit l’opération par laquelle le tireur émet un edc alors qu’il n’est pas titulaire d’une créance sur le tiré. La constitution de la provision en période suspecte est considérée par la jurisprudence comme équivalant à la constitution d’une sûreté pour garantir une dette antérieure soumise à la nullité prévue par Art. L. 632-1-1§6 Code de Commerce.

B) le paiement des dettes échues par un procédé anormal
Est nul tout paiement pour dette échue fait autrement qu’en espèce – edc, virement, Dailly, ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d’affaire : sanction du débiteur qui confère à l’un de ses créanciers un avantage par / aux autres (violation du ppe d’égalité des créanciers). La nullité ne frappe que le paiement des dettes échues selon un mode anormal de paiement, c’est à dire non communément admis dans le monde des affaires. Ex : le paiement est considéré comme fait par un procédé anormal lorsqu’il a lieu par le biais d’une dation en paiement. La dation modifie l’objet de l’obligation du débiteur qui se libère par la remise d’un bien et non par le versement d’espèces. Au même titre, la cession de créance selon art. 1696 cciv sera considérée comme anormale.

4) Dépôt et consignation
Tout dépôt ou toute consignation de somme ordonnées à titre de garantie ou conservatoire par une décision de justice n’ayant pas acquis force de chose jugée avant la date de cessation des paiements est nul. L’acte réalisé en vertu d’une décision de justice prise à l’initiative du créancier lui conférerait artificiellement une position préférentielle.

5) Constitution d’une sûreté pour des dettes antérieures
Sont nulles de plein droit. Règles particulières concernant les sûretés constituées pour garantir le solde débiteur d’un CC.

A) Domaine de cette nullité

Concerne les sûretés réelles. Hypothèse conventionnelle ou judiciaire, légale des époux, tout droit de nantissement avec ou sans dépossession.
Ces sûretés réelles ont été constituée en période suspecte pour garantir une dette contractée avant que le débiteur ne soit en cessation des paiements. Cette nullité concerne les sûretés constituées en période suspecte en exécution d’une promesse de constitution antérieure à la cessation des paiements ou concomitant à la naissance de la dette.
Le gage est nul de plein droit quand l’acte sous seing privé concu entre les parties est enregistré ou signifié au débiteur au cours de la période suspecte. Le gage ne confère de droit réel au créancier qu’à compter de l’accomplissement de ses formalités.

Sont valables : l’inscription en période suspecte d’une sûreté réelle constituée avant la cessation des paiements, constitution en période suspecte d’une sûreté réelle destinée à garantir une dette nouvelle ou concomitante. Pourra néanmoins être frappé d’une nullité facultative.

B) le cas particulier d’un solde débiteur de CC (compte courant)

Pour apprécier la validité de la constitution, il faut examiner la date de la créance garantie et la date de la constitution de la sûreté. La comparaison entre les 2 est délicate lorsque la sûreté est constituée en vue de garantir le solde débiteur d’un CC. La Cour de Cassation écarte la théorie de l’indivisibilité du CC. Il faut s’attacher au mouvement du compte depuis la constitution de la sûreté et rechercher si des avances nouvelles ont été consenties par le banquier après cette date.
Cela permet d’identifier la cause de chaque article du compte pour établir si les fluctuations du solde traduisent ou non des avances nouvelles : il faut comparer le montant du solde débiteur définitif du compte au jour de sa clôture et le montant du solde provisoire au jour de la constitution de la sûreté litigieuse. Si le solde débiteur définitif du compte est sup au solde provisoire, la sûreté constituée en période suspecte est alors valable car est présumée garantir les avances consenties par le banquier après sa constitution et non le solde débiteur existant au jour de sa constitution. Si le solde définitif est inférieur au solde provisoire, il faudra tenir compte de toutes les fluctuations intervenues dans fraude depuis constitution de la sûreté et identifier les causes juridiques de ces fluctuations. La sûreté sera nulle s’il n’a pas eu d’avance nouvelle de la part de la banque. Un expert sera nécessaire pour analyser les mouvements du compte (nouvelles avances ou dénouement d’opérations antérieures à la constitution de la sûreté).

6) Les mesures conservatoires

Est nulle de plein droit toute mesure conservatoire prise en période suspecte, sauf lorsque l’inscription ou l’acte de saisi est antérieur à la date de cessation des paiements. Dans ce cas la procédure conservatoire pourra être menée jusqu’à son terme sous réserve de l’art. L. 622-21-2 qui suspend et interdit toute voie d’exécution de la part des créanciers antérieurs. Quand la mesure conservatoire est une sûreté judiciaire, la nullité prévue ne concerne que la sûreté faisant l’objet d’une inscription provisoire en période suspecte et no la sûreté inscrite provisoirement avant cessation des paiements et consolidé par une inscription définitive en période suspecte. L’interdiction ne concerne pas les mesures d’exécution forcées. Ne fait pas échec l’avis à tiers détenteur qui emporte attribution immédiate de la créance (mesure d’exécution forcée).
Le créancier ne peut cependant pas obtenir avant le jugement d’ouverture la conversion en saisie attribution d’une saisie conservatoire pratiquée après date de cessation des paiements car conduirait à faire produire effet à une mesure conservatoire nulle de plein droit en vertu de l’art. L. 632-1 Code de Commerce.

7) les autorisations levées ou revente d’option au sens de art. L. 625-70

L. 2005 depuis cette loi, sont nuls de plein droit toute autorisation levée et revente d’option (art. L. 225-77 et suiv. Code de Commerce). Ils sont relatifs à la possibilité pour une AG extraordinaire d’uns SA d’autoriser le conseil d’administration ou directoire à consentir à une partie ou à la totalité du personnel salarié des options donnant droit à la souscription d’actions.
Ainsi, dorénavant, l’octroi, levée ou cession de ces options sont nulles lorsque réalisées au cours de la période suspecte. Il s’agit d’éviter que les salariés bénéficiaire de stock option n’affaiblissent l’entreprise en profitant de leur droit. On veut éviter que les dirigeants connaissant la situation de l’entreprise bénéficient des stock option pendant la période suspecte.