Les preuves parfaites : écrit, aveu judiciaire, serment

LES DIFFÉRENTES PREUVES PARFAITES

On distingue les preuves parfaites et les preuves imparfaites. Les premières sont, en principe, requises pour la preuve des actes juridiques. Ces procédés de preuve lient le juge : il n’a aucun pouvoir d’appréciation.

Les preuves imparfaites sont admises pour les faits juridiques et pour les actes juridiques, par exception. Ces preuves imparfaites sont laissées à l’appréciation souveraine du juge (II).

-Il existe 3 procédés de preuve dite parfaite : l’écrit, dit également preuve littérale, l’aveu judiciaire et le serment décisoire. Seul le premier a une grande importance pratique.

I – L’aveu judiciaire

– Il faut ici citer la définition classique d’Aubry et Rau: « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne

reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques. » Planiol et Ripert ont précisé la notion en relevant que le terme aveu doit être réservé aux « déclarations accidentelles, faites après coup, par lesquelles une partie laisse échapper la reconnaissance du fait ou de l’acte qu’on lui oppose ». On dit que l’aveu est la reine des preuves, si cela est faux en matière pénale, cela est finalement peut-être exact en droit civil. Le Code civil distingue deux sortes d’aveu dans l’article 1354 du Code civil : « L’aveu qui est opposé à une partie, est extrajudiciaire ou judiciaire ».

Seul l’aveu judiciaire sera ici étudié puisque lui seul est une preuve parfaite, liant le juge quant au prononcé de sa décision.

-L’aveu judiciaireest celui qui est fait au cours d’un procès et dont dépend le sort de ce procès. Bien entendu, cette forme d’aveu est rare. Le plaideur reconnaît rarement le bien-fondé de la prétention de son adversaire au cours du procès.

Il le reconnaît avant ou jamais. L’article 1356 alinéa 2 précise qu’ « il fait pleine foi contre celui qui l’a fait ». Cela signifie que l’aveu est un procédé de preuve parfait. Il lie le juge. Le juge doit tenir pour vrai ce qui est avoué et y conformer sa décision. Pour prouver un acte juridique, l’aveu est aussi efficace que l’écrit. Pendant très longtemps, l’aveu était un mode de preuve interdit en matière de divorce pour faute. Le législateur du 11 juillet 1975 a admis expressément ce mode de preuve pour la faute en matière de divorce. La règle est contenue dans l’article 259 du Code civil.

-L’aveu emportant des conséquences si graves, il est nécessaire qu’il émane d’une personne capable de disposer pleinement de ses droits. Aussi, l’aveu n’est pas recevable s’il émane d’un mineur ou d’un majeur protégé.

-L’aveu judiciaire est indivisible.L’article 1356 alinéa 3 le précise : « il ne peut être divisé contre lui ». Cette règle signifie qu’on ne peut retenir qu’une partie de l’aveu et rejeter l’autre. Mais l’aveu peut être complexe c’est-à-dire que l’auteur, tout en reconnaissant le fait allégué par son adversaire, « articule un nouveau fait dont le résultat serait de créer une exception à son profit ». La jurisprudence a écarté la règle de l’indivisibilité de l’aveu, lorsque l’aveu est complexe. Cette règle a diminué considérablement la portée du principe de l’indivisibilité de l’aveu. Dans ce cas, les juges écartent les faits affirmés qui n’ont qu’un rapport indirect avec le fait principal ou les faits qui apparaissent grossièrement invraisemblables. Par exemple, la jurisprudence considère que l’aveu de l’existence d’une convention n’oblige pas les juges à adopter l’interprétation que l’auteur de l’aveu donne de cette convention. Ainsi, il a été décidé qu’il est possible de maintenir l’aveu de l’existence d’un prêt et d’écarter l’affirmation selon laquelle l’emprunteur se serait libéré de sa dette (Civ. 1re, 17 juin 1968).

-L’aveu est enfin irrévocable.Le dernier alinéa de l’article 1356 le précise : « il ne peut être révoqué, à moins qu’on ne prouve qu’il a été la suite d’une erreur de fait. Il ne pourrait être révoqué sous prétexte d’une erreur de droit. » Cela signifie l’aveu ne fait foi que jusqu’à preuve contraire. L’auteur de l’aveu peut donc démontrer la fausseté de son aveu, en apportant la preuve qu’il n’a été donné qu’à la suite d’une erreur de fait.

II – Le serment décisoire

-« Le serment est la déclaration par laquelle un plaideur affirme d’une manière solennelle et devant le juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable ». (Ghestin et Goubeaux) Le serment décisoire est une espèce particulière de serment, très rare en pratique, car très dangereux pour celui qui serait tenté de l’utiliser. Pour cette raison, seules les personnes capables de disposer de leurs droits peuvent déférer le serment. En effet, l’un des plaideurs offre de s’en remettre au serment de son adversaire pour établir le fait contesté, dont dépend l’issue du débat. On dit qu’il défère serment à son adversaire. Celui-ci peut adopter 3 attitudes. Ou bien il prête le serment qui lui est déféré et gagne son procès. Ou bien il refuse de le prêter, ce qui constitue un véritable aveu judiciaire dont l’autre partie pourra se prévaloir pour gagner le procès. Il lui reste une troisième attitude possible : il peut référer le serment au plaideur qui le lui a déféré. Si ce dernier prête serment, il gagne le procès ; si, au contraire, il refuse de prêter le serment, il perd le procès.

-Le serment décisoire est un mode de preuve parfait. Le serment décisoire lie le juge qui doit conformer sa décision aux conséquences du serment. Le serment dicte sa décision. Cet appel à la bonne foi de son adversaire est, on se l’imagine, très rare.

III – La preuve littérale ou écrit

Avant la loi du 13 mars 2000, ce type de preuve n’était pas défini par le Code civil. On considérait qu’il s’agissait de toutes les sortes de preuve qui avaient en commun d’être fixés par écrit sur un support papier.

Pour permettre l’admission des écrits électroniques, la loi du 13 mars 2000 a retenu une définition plus large de la preuve littérale. Désormais, l’article 1316 du Code civil dispose que «La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support et leur modalité de transmission».

L’article 1316-1 précise que «L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

Dans la catégorie des preuves littérales, on trouve des écrits très variés, qui n’auront pas tous la même force probante (= force en tant que preuve). Ex : un acte notarié, une lettre de grand-mère à sa petite-fille, un mail, un registre commercial… Seul point commun : l’écrit.

Parmi tous ces écrits, on distingue 2 catégories : les écrits préconstitués et les autres écrits.

1) Les écrits préconstitués

Il s’agit d’écrits spécialement rédigés dans le but de constater un acte juridique ou un fait juridique et d’en rapporter la preuve. On dit que la preuve est préconstituée car elle est établie avant tout litige, avant tout contentieux. Ex : un acte de naissance.

Ces écrits préconstitués sont qualifiés d’actes. Mais le mot acte doit être pris dans un autre sens que celui d’acte juridique ; il a ici le sens d’acte instrumentaire (instrumentum) : il désigne l’écrit.

Il existe 2 types d’écrits préconstitués : l’acte authentique et l’acte sous seing privé.

  • 1)L’acte authentique

a) Définition : L’acte authentique peut être défini comme l’acte dressé par un officier public auquel la loi attribue compétence pour le faire. Il est en principe rédigé «en minute» (= acte original) et conservé par l’officier public qui en délivre des copies aux parties. L’acte authentique est assorti de la formule exécutoire, càd d’un ordre du pouvoir exécutif enjoignant tous les représentants de la force publique d’assurer l’exécution forcée de l’acte si le débiteur ne s’exécute pas spontanément. Ex : Le jugement est un acte authentique.

Il existe différentes catégories d’officiers publics pouvant prendre des actes authentiques et c’est la loi qui définit la mission de chacun d’eux. Ainsi, c’est l’officier de l’état civil qui a seule compétence pour dresser un acte d’état civil (acte de naissance, acte de mariage, acte de décès). L’huissier est également un officier public à qui la loi donne le pouvoir de prendre des actes authentiques dans le cadre de sa mission. Les notaires sont des officiers publics particulièrement importants car la loi leur accorde le monopole pour conférer l’authenticité à des actes faits pas des particuliers, et notamment aux contrats. Ainsi, pour certains contrats, la forme notariée est obligatoire. Ex : les donations. Mais même si la loi n’impose pas le recours au notaire, les particuliers peuvent toujours choisir de passer leur contrat devant un notaire pour lui donner la forme d’un acte authentique.

Les actes authentiques sont toujours soumis, pour leur validité, à de nombreuses formalités qui, si elles ne sont pas respectées, entrainent la nullité de l’acte en tant qu’acte authentique. Ex : Pour l’acte notarié, la loi impose, s’il n’est pas entièrement rédigé à la main, que chaque page soit paraphée et que l’acte soit signé par le notaire et les parties. Si une de ces formalités n’est pas remplie, l’acte est nul en tant qu’acte authentique. Mais il peut valoir comme acte sous seing privé.

Il faut préciser que, depuis la loi du 13 mars 2000, l’article 1317 du Code civil prévoit qu’un acte authentique peut être fait sur support électronique dans des conditions prévues par décret. Or, le décret n’est jamais passé.

b) La force probante de l’acte authentique : La force probante de l’acte authentique est fixée par la loi. Elle est particulièrement grande, puisqu’on dit que les actes authentiques font foi jusqu’à inscription en faux. Cela signifie que celui qui conteste l’exactitude d’un acte authentique ne peut le faire qu’en prouvant que cet acte authentique est un faux, càd en engageant la procédure d’inscription en faux (art 303 et suivants du Code de procédure civile) : c’est une procédure complexe qui, en cas d’échec, expose le demandeur à une amende civile et au paiement de dommages et intérêts.

Il faut toutefois être précis. Cette force probante accordée à l’acte authentique ne s’applique qu’aux mentions que l’officier public a pu directement constater. En revanche, si l’acte mentionne des circonstances ou reprend des déclarations que le notaire n’a pas pu constater, alors cette partie de l’acte ne fait preuve, ne fait foi que jusqu’à preuve contraire (par une preuve par écrit).

  • 2)L’acte sous seing privé

a) Définition : L’acte sous seing privéest rédigé par les parties elles-mêmes ou leurs représentants et n’est soumis à aucun formalisme => Les parties bénéficient d’une liberté totale. La seule exigence de validité est la signature des parties. Cette signature permet d’identifier l’auteur de l’acte et de déduire son adhésion totale à cet acte.

Avant la loi du 13 mars 2000, le Code civil ne donnait pas de définition de la signature. On considérait qu’il s’agissait d’un graphisme personnel par lequel une personne manifeste son consentement. Une telle compréhension de la notion de signature empêchait d’admettre qu’un acte sous seing privé puisse être formé sous forme électronique. C’est pourquoi la loi du 13 mars 2000 a pour la première fois introduit dans le Code civil une définition de la signature, et une définition suffisamment large pour permettre de passer des actes sous seing privé sous forme électronique.

Cette définition est donnée à l’article 1316-4 du Code civil : « La signature, nécessaire à la perception d’un acte juridique identifie celui qui la pose ». Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l’authenticité à l’acte. Lorsqu’elle est électronique, elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée jusqu’à preuve contraire. Lorsque la signature est créée, l’identité du signataire assuré, et l’intégrité de l’acte garanti dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Un décret du 30 mars 2001 est intervenu le pour énoncer à quelles conditions la signature électronique peut être considérée comme sécurisée.

Aujourd’hui donc, un acte sous seing privé peut être établi sur support papier ou sur support électronique dès lors qu’il est signé. Dans tous les cas, l’acte sous seing privédoit émaner de la personne à qui on l’oppose. Ce n’est pas une exigence propre à l’acte sous seing privé, mais c’est une exigence commune à tous les modes de preuve, et qui reprend un principe essentiel selon lequel : « Nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ». Un mode de preuve n’a de valeur que s’il émane de celui à qui on l’oppose, càd dès lors qu’il est signé par la personne à qui on l’oppose.

Dans 2 hypothèses particulières, la signature ne suffit pas, et une formalité supplémentaire doit être accomplie.

  • Les contrats synallagmatiques (= font naître des obligations réciproques entre les parties) : L’article 1325 du Code civil exige, en plus de la signature de leurs auteurs, qu’il soit rédigé en autant d’originaux qu’il y a d’intérêts distincts, et que chaque exemplaire porte la mention du nombre total d’originaux établis => la «règle du double original». En effet, dans ce type de contrats, chaque partie étant à la fois créancière et débitrice de l’autre, chacune doit pouvoir apporter la preuve de ses droits en cas de difficulté, et donc avoir à sa disposition un original de l’acte sous seing privé. Si cette formalité n’est pas respectée, l’écrit n’est pas considéré comme un acte sous seing privé, alors même qu’il est signé. Cependant, il pourra valoir comme commencement de preuve par écrit. La jurisprudence assouplit l’exigence de l’article 1325 en acceptant que l’acte ne soit rédigé qu’en un seul exemplaire s’il est déposé entre les mains d’un tiers qui peut le produire à la demande de l’une ou l’autre des partie.
  • Les promesses unilatérales de somme d’argent ou promesses unilatérales de livraison de biens fongibles : C’est un acte juridique unilatéral par lequel une personne s’engage à verser à une autre une somme d’argent (ex : une reconnaissance de dette) ou des biens qui se consomment. Pour ces actes-là, l’article 1326 du Code civil exige que celui qui souscrit l’engagement (= celui qui promet) porte sur l’acte, en plus de la signature, la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En principe, si l’acte ne porte pas cette mention particulière, il ne peut être considéré comme un acte sous seing privé ; il peut en revanche valoir commencement de preuve par écrit.
  1. b) La force probante de l’acte sous seing privé : La force probante de l’acte sous seing privé est prévue par la loi. Elle est moins forte que celle de l’acte authentique. En effet, l’acte sous seing privé ne fait pas foi de son origine. Ainsi, la personne à qui on l’oppose peut affirmer ne pas en être l’auteur. Si elle désavoue l’écriture ou la signature de cet acte, c’est à son adversaire de saisir le juge pour procéder à une vérification d’écriture. Si le juge confirme que c’est la signature ou l’écriture de l’auteur de l’acte, l’acte ainsi vérifié acquiert la même foi qu’un acte authentique.

De même, l’acte sous seing privé ne fait foi de son contenu que jusqu’à preuve contraire. On peut toujours contester l’exactitude des faits que relate un acte sous seing privé à condition d’en rapporter la preuve contraire. Mais attention, cette preuve contraire ne peut être rapportée qu’au moyen d’un autre écrit préconstitué, d’un aveu ou d’un serment (car preuve parfaite).

Enfin, la date de l’acte de l’acte sous seing privé fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire. En revanche, elle ne fait pas foi à l’égard des tiers, car les parties peuvent toujours s’être entendues pour antidater l’acte et frauder les droits des tiers. Il existe toutefois des moyens, énumérés à l’article 1328 Du Code civil, pour donner à un acte sous seing privé une date certaine et donc une date indiscutable. Il y en a 3 : l’enregistrement, constatation par un acte dressé par un officier public, en cas de mort de l’une des parties.

Attention, l’article 1316-3 précise qu’il n’y a pas de différence entre un acte sous seing privé sur support papier et un acte sous seing privé sur support électronique.

2) Les autres écrits

Les autres écrits n’ont en commun avec l’acte authentique et l’acte sous seing privé que d’être issus du même procédé : l’écriture (au sens très large du terme). Ces écrits-là n’ont pas été établis en vue d’apporter la preuve future d’un fait ou d’un acte juridique. Ils peuvent toutefois être utilisés à cette fin.

Ces écrits sont aussi variés que peut l’être l’utilisation de l’écriture. Le Code civil fait par exemple référence aux registres et papiers domestiques. Ce peut être une lettre missive, un courriel, un SMS… => Il suffit, pour qu’il puisse avoir une valeur en tant que preuve, qu’il émane de la personne à qui on l’oppose.

Selon leurs caractéristiques (ex : signés ou non), ces écrits pourront se voir reconnaître une force probante plus ou moins forte. Ex : Une lettre missive par laquelle son auteur reconnaissait un droit contesté a pu être qualifiée d’aveu extra-judiciaire. On a également pu considérer qu’une lettre puisse valoir commencement de preuve par écrit, ou être encore une simple présomption

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