Les principales règles de conflit bilatérales

Exposé des principales règles de conflit bilatérales

La Règle de conflit bilatérale est la règle de conflit de lois qui désigne la loi applicable (la loi de l’Etat de l’autorité qui la met en œuvre ou la loi étrangère), en présence d’une situation de droit privé concernant plusieurs Etats. Elle est neutre, car elle est indifférente au contenu de la loi qu’elle désigne, c’est-à-dire la règle de fond. La plupart des règles de conflit de lois sont de nature bilatérale, c’est-à-dire elles peuvent désigner indifféremment une loi étrangère ou la loi du for.

A titre d’exemple, l’on peut citer la règle française selon laquelle le juge doit, pour déterminer la filiation de l’enfant, appliquer la loi de la nationalité de la mère. Si la mère est française, le juge français appliquera la loi française; si elle est italienne, il appliquera la loi italienne. Les règles de conflit bilatérales s’opposent à celles de natureunilatérale.

Le fonctionnement de la règle de conflit bilatéral, aussi appelée méthode savignienne (du nom de F. C. von Savigny , milieu du XIXe siècle) est basé sur la localisation du rapport de droit. Savigny avait affirmé que, « pour chaque relation juridique, il faut rechercher le territoire auquel cette relation appartient et au droit duquel elle est soumise, conformément à la nature qui lui est propre, c’est-à-dire le terrain juridique où elle a son siège ».

ici, on expose les règles françaises. Le plus souvent, chaque Etat a ses propres règles de conflit de lois. On va localiser la situation litigieuse pour la soumettre à un ordre juridique. Cette localisation par le biais du facteur de rattachement, on peut la faire à partir de 3 éléments. On peut la localiser soit à partir du sujet de la relation, soit à partir de l’objet de la relation, soit par rapport à la source de la situation litigieuse (cas des actes et es faits juridiques).

  1. La localisation à partir du sujet

On localise à partir du sujet dans une matière : celle du statut personnel. Traditionnellement, le statut personnel est soumis à la loi nationale. Sur ce point, l’article 3 alinéa 3 du Code civil nous dit « les lois concernant l’Etat et la capacité des personnes régissent les Français même résidant en pays étranger ». A priori, on ne s’intéresse qu’à la loi française. Mais très rapidement, la jurisprudence a bilatéralisé cette règle : l’état et la capacité des individus sont régis par leur loi nationale (arrêt Busqueta, CA Paris, 13 juin 1814). Pourquoi cette règle est-elle la mieux adaptée ? En matière personnelle, il faut assurer une certaine permanence du statut juridique de la personne. Il faut que son statut la suive. La nationalité est plus stable que le domicile. Et pourtant, à l’heure actuelle, le critère de la nationalité en matière de statut personnel est de plus en plus en régression au profit du critère du domicile ou de la résidence habituelle. Il y a un phénomène où les Etats veulent un peu soumettre tous les gens installés sur leur territoire à un même traitement. L’autre tendance est une tendance à la spécialisation, on a affiné la catégorie en créant des questions particulières qui amènent à des réponses particulières.

Quand il s’applique, le critère de la loi nationale ne pose pas de véritable difficulté de mise en œuvre lorsqu’un seul individu est en cause. Il va être appliqué facilement pour des questions relatives à son nom ou la capacité d’un individu. Sauf petite difficulté lorsqu’on s’interroge même sur sa nationalité. Parfois, l’individu en a plusieurs. Quand le critère d’application est la loi nationale, c’est important. On va faire un choix entre les deux nationalités. Si l’une des nationalités est française, elle prévaudra toujours devant le juge français. Si les deux nationalités sont étrangères, le juge français regardera quelle est la nationalité la plus effective (pays avec lequel il y a le plus de liens).

On va parfois faire une application distributive des lois en présence.

Les difficultés commencent dans la mise en œuvre lorsque le statut de l’individu n’est plus envisagé isolément mais en tant qu’appartenant à un groupe particulier : la famille. Au sein d’une famille, il est possible que les différents protagonistes n’aient pas la même nationalité. Ex : validité du mariage en fonction de la loi nationale des époux. Epoux de nationalités différentes : on apprécie les conditions applicables à chaque époux. On va parfois faire une application distributive des lois en présence. Il y a néanmoins des conditions communes, appelées empêchements bilatéraux car ils concernent les deux époux, on va alors faire une application cumulative, c’est-à-dire que pour que la condition soit satisfaite, il faut qu’elle soit admise par les deux lois.

Pour le divorce de deux personnes de nationalité différente, on va recourir à d’autres critères de rattachement que la nationalité. Ex : divorce d’époux de nationalités différentes. Selon la jurisprudence Rivière (17 avril 1953), en matière de divorce, on devait appliquer la loi nationale commune. Mais à défaut de nationalité commune, on appliquait la loi du domicile commun. Mais il arrive que la jurisprudence applique aussi la loi du for, à défaut de domicile commun. Dans un arrêt Chemouni (19 février 1963), la jurisprudence a étendu cette solution à l’ensemble des effets du mariage. Le législateur fait la même chose mais il a changé les critères par la loi du 11 juillet 1975, qui a réformé le divorce, a posé une règle de conflit de lois à l’article 310 du Code civil, c’est aujourd’hui devenu l’article 309. Cet article a posé une règle unilatérale. Le règlement Rome III de 2010 qui va entrer en 2012 pose des solutions différentes à l’article 309 et va venir le remplacer.

Un autre exemple est en matière de filiation, on applique la loi nationale aussi. Seulement, en droit international privé, il arrive relativement souvent que les individus n’aient pas la même nationalité. En effet, les deux parents et les enfants peuvent ne pas avoir la même nationalité. Donc l’établissement et les effets de la filiation posent un problème. La jurisprudence a distingué la filiation légitime et la filiation naturelle : on soumet la filiation légitime à la loi des effets du mariage (parce que c’est souvent un effet du mariage). La filiation naturelle est soumise à la loi nationale de l’enfant (c’est le plus concerné par la relation). Le législateur est, là encore, intervenu. Il a posé des règles de conflit de lois aux articles 311-14 à 311-18 du Code civil. Ce sont des règles de conflit de lois. Idée de base, en matière de filiation, légitime ou naturelle (sans distinction), une seule règle : c’est la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant.

Parfois on a un seul individu mais le critère de la nationalité n’est pas approprié, cela vise principalement les apatrides et les réfugiés. On substitue alors le critère de la nationalité à celui du critère du domicile.

  1. La localisation à partir de l’objet de la relation

C’est le statut réel. Dans certaines relations, une chose est au cœur de la relation. Soit une chose mobilière soit une chose immobilière. Au départ : article 3 alinéa 2 Code civil : les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. La phrase est doublement limitée : d’abord dans son domaine (les immeubles) et ensuite dans sa formulation (les immeubles en France).

Mais la jurisprudence a bilatéralisé l’article 3 alinéa 2, « les immeubles sont soumis à la loi du lieu de leur situation ». Elle a aussi étendu le domaine de la règle, qu’elle a appliqué aux meubles comme aux immeubles. Donc la règle de conflit est que les droits réels sont régis par la loi du lieu de situation du bien sur lesquels ils portent. C’est la lex rei sitae. On estime que lorsque le rapport de droit porte sur une chose, il est naturellement localisé là où se trouve cette chose. Ensuite, l’avantage est que pour la protection des tiers, le meilleur critère est aussi le lieu où se situe le bien.

Principe dont la mise en œuvre peut poser des difficultés. La plupart des biens font l’objet de contrats. Va se poser un problème de délimitation des compétences d’un côté de la loi réelle et de l’autre côté de la loi de l’acte qui a transféré le bien. Ex : opposabilité au tiers, transfert de propriété, transfert des risques : loi réelle ou loi du contrat ?

  1. La localisation à partir de la source du rapport de droit en cause

C’est le statut des actes et des faits juridiques. C’est la source du rapport qui va localiser la loi applicable. Catégorie assez hétérogène. Pour les faits juridiques, il n’y avait rien dans le Code civil. Mais la jurisprudence a repris une solution assez traditionnelle depuis le Moyen-âge. La responsabilité civile délictuelle est régie par la loi du lieu du délit (Cour de Cassation, 25 mai 1948 Lautour). On l’appelle aussi la lex loci delicti. Justification : critère le plus pertinent. De plus, les conséquences d’un délit intéressent l’Etat sur le territoire duquel il a eu lieu. En matière d’accidents de la circulation, il est normal de retenir la loi du lieu du délit pour assurer le respect du Code de la route.

Mais ce principe peut poser des problèmes pour les délits complexes où on a du mal à localiser le fait générateur ou le préjudice. C’est le cas par exemple des pollutions transfrontières. Tout cela donne lieu à des vraies difficultés de mise en œuvre.

Pour les actes juridiques, il faut traditionnellement différencier la forme et le fond. Au fond, la solution est la loi d’autonomie, c’est-à-dire la loi choisie par les parties. C’est elle qui va régir au fond le contrat. Solution non formulée par le Code civil ; progressivement dégagée par la jurisprudence. Cela a commencé avec Dumoulin (XVIe siècle) et n’a été consacré qu’en 1910 (arrêt American Trading, 5 décembre 1910). La justification de cette solution est qu’on considère que pour bien faire marcher le commerce international, il y avait tout intérêt à laisser aux contractants la liberté de choisir leur loi ; comme ça, ils pourront établir des prévisions. En matière commerciale, on aime bien la prévisibilité. Et cette solution a été ensuite consacrée par la Convention de Rome du 19/06/1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles entrée en vigueur le 1er avril 1991 ; cette loi pose le principe d’autonomie.

C’est plus compliqué quand les parties ne choisissent pas la loi applicable à leur contrat, soit parce qu’elles n’y pensent pas, soit parce qu’elles n’arrivent pas à se mettre d’accord. Dans ce cas là, on va essayer de localiser objectivement le contrat, de voir avec quel Etat le contrat entretient les liens les plus étroits.

Pour la forme des actes juridiques, la solution traditionnelle est de soumettre la forme d’un acte à la loi du lieu où il est conclu. On appelle ça la règle locus regit actum. Solution dégagée au Moyen-âge. Idée : c’est là où on conclut un acte qu’il est le plus facile de se renseigner sur les exigences de forme. C’est d’autant plus vrai qu’il y a parfois des formes imposées. Parfois il faut faire intervenir des autorités publiques (notaire), or les autorités publiques n’agissent qu’en appliquant leur loi.

Mais on s’est aperçu que c’était peut-être un peu trop rigide. Souvent, les contrats sont conclus à distance. Solution : assouplissement de la règle locus regit actum; on la rend facultative. Arrêt Chaplin, 28 mai 1963: les parties peuvent choisir de respecter soit la loi du lieu de conclusion de l’acte soit la loi applicable au fond de l’acte.

Le seul domaine où la règle reste impérative est en matière d’acte de mariage.

Il y a des actes juridiques particuliers : ceux qui ont trait au patrimoine pécuniaire de la famille, qui vont organiser le statut des biens des époux (régimes matrimoniaux). Depuis Dumoulin, les régimes matrimoniaux sont soumis à la loi d’autonomie. Les futurs époux vont pouvoir choisir la loi applicable à leur contrat de mariage. Mais souvent ils ne le font pas. La jurisprudence retient alors la loi du pays où les époux ont fixé leur premier domicile conjugal. Pour tous les époux qui se sont mariés après le 1er septembre 1992, application de la Convention de La Haye du 14/03/1978 qui a un peu modifié les règles. En l’absence de choix, on fixe à la première résidence habituelle mais il y a des dérogations au profit de la loi de la nationalité commune des époux.

En matière de succession, la jurisprudence a repris une distinction traditionnelle entre les successions mobilières et les successions immobilières. On applique la loi du dernier domicile du défunt pour la succession mobilière. On estime que les meubles sont un peu rattachés au dernier domicile du défunt. Alors que les successions immobilières sont régies par la loi du lieu de situation de l’immeuble.