Les requérants du recours en annulation

Le recours en annulation : Les conditions relatives aux requérants

Définition du recours en annulation : Par ce recours, le requérant demande l’annulation d’un acte émanant d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union (notamment règlement, directive, décision).

Des voies de droit ont été crées afin d’assurer aux justiciables et aux États membres une liberté d’agir et de se retourner contre les institutions qui n’auraient pas respecté le droit communautaire. Le recours en annulation fait partie des ces voies de droit. Il s’inspire très largement du recours pour excès de pouvoir et paraît être un élément essentiel du contrôle de légalité des actions des institutions de l’Union européenne.

Qu’est ce qu’un recours en annulation? Le recours en annulation vise à faire annuler des actes de l’Union contraires au droit de l’Union Européenne. Les États membres de l’UE, les institutions européennes et les particuliers peuvent saisir la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) d’un recours en annulation. À l’issue de la procédure, si l’annulation de l’acte contesté est prononcée, celui-ci est réputé ne pas exister. L’institution compétente doit alors remédier au vide juridique créé par l’annulation de l’acte. Cependant, ce recours ne peut se faire librement et sans contrainte et les requérants doivent remplir certaines conditions avant de pouvoir former leur recours.

Quelles sont les conditions de recevabilité du recours en annulation? Tous les actes ne sont pas attaquables et il existe des conditions de recevabilité :

  • concernant non seulement les actes eux-mêmes (I)
  • mais concernant également les requérants, ce qui renforce le contrôle de légalité des actions des institutions de l’Union européenne (étudié dans ce chapitre ici ).

  1. Les requérants privilégiés

Il s’agit en premier lieu des Etats (sauf collectivités territoriales qui les composent) qui peuvent agir en annulation contre les actes du Conseil bien qu’ils y siègent, y compris si le représentant de l’Etat a participé au vote de la prise de l’acte. Ils peuvent agir contre tout type d’actes, y compris contre des décisions adressées à un autre Etat membre qu’eux mêmes.

C’est aussi les institutions, telles que le Parlement, le Conseil, la Commission, mais également quatre autres institutions dont les recours en annulation sont cependant recevables de façon plus restrictives, puisqu’ils ne peuvent être exercés que s’ils tendent à la sauvegarde desprérogatives de l’institution requérante : la Cour des comptes, la BCE, la Comité des régions et les parlements nationaux.

Le Parlement européen s’est vu reconnaître en 1986 une légitimation passive, c’est-à-dire la possibilité d’agir contre ses actes ; il y a aussi une légitimation active, c’est-à-dire le pouvoir d’agir lui-même en annulation. Pourtant, à l’origine, le traité de Rome ne l’avait pas prévu.

  • D’abord, en 1988, la Cour de justice a refusé un recours en annulation par le Parlement européen.
  • Mais dans l’arrêt Parlement c./ Conseil du 22 mai 1990, la Cour de justice s’est ravisée en retenant que l’équilibre institutionnel nécessitait cette légitimation active pour la sauvegarde des prérogatives du Parlement.

Le traité de Maastricht a ensuite codifié cette jurisprudence avant que le traité de Nice ne fasse disparaître cette restriction “de la mesure nécessaire à la défense des prérogatives du Parlement européen”.

  1. Les requérants ordinaires

Il s’agit des personnes physiques et morales hors Etats et institutions. Ils ne sont pas privilégiés car ils doivent, contrairement aux précédents, démontrer qu’elles jouissent d’un intérêt leur donnant qualité à agir.

Cette contrainte a pour effet de restreindre dans une certaine mesure l’accès des requérants ordinaires au recours en annulation.

Le traité de Lisbonne marque une ouverture : il faut d’abord souligner la différence de rédaction entre l’article 230 du TCE et de l’article 263 du TFUE.

  • L’article 230 du TCE était rédigé ainsi : «toute personne physique ou moral peut former, dans les mêmes conditions, un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement».
  • L’article 263 du TFUE est rédigé ainsi : «toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution».

Une autre illustration de cette ouverture tient au cas particulier de l’acte faisant l’objet d’un recours qui constitue un acte autosuffisant, lequel ne requiert aucune mesure complémentaire ni nationale, ni communautaire : le traité de Lisbonne exige toujours que le requérant démontre qu’il est concerné directement, mais le dispense de démontrer qu’il est concerné individuellement.

Ces deux conditions ne sont systématiquement remplies que dans un cas : c’est celui où le requérant agit en annulation contre un acte dont il est le destinataire ; dans les autres cas, l’exigence du lien direct et individuel n’est pas mécaniquement satisfaite, il faut donc la démontrer, ce qui est donc de nature à restreindre ce recours.

1) L’exigence d’un lien direct

Elle est satisfaite si les droits ou les intérêts du requérant sont affectés par l’acte attaqué lui-même, ou par une mesure subséquente dont l’acte attaqué a complètement déterminé le contenu. En revanche, elle n’est pas satisfaite quand ils sont affectés par un acte ultérieur, par une mesure complémentaire, adoptée dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

Logiquement, cette condition ne devrait jamais être considérée comme satisfaite contre une directive car elle est adressée à un Etat qui doit la mettre en oeuvre par une mesure de transposition lui ménageant un pouvoir d’appréciation.

Dans le cas où la directive est très détaillée, précise et inconditionnelle, la mesure de transposition est un acte subséquent : dans ce cas, il est envisageable que le requérant ordinaire agisse contre la directive après avoir démontré qu’elle l’affecte directement.

L’article 230 du TCE ne permettait pas à un requérant de contester par la voie du recours en annulation une décision prise sous la forme d’un règlement ; la nouvelle version de l’article 263 du TFUE est plus générale car il est question de recours en annulation contre non pas des règlements mais des actes règlementaires, c’est-à-dire des actes de portée générale, qu’ils constituent des règlements au sens strict ou pas.

À l’inverse, l’exigence devrait être plus aisément satisfaite en présence de règlements car ils sont directement applicables dans tous leurs éléments ; néanmoins, il faut considérer le développement de la tendance des règlements incomplets laissant une marge d’appréciation.

2) L’exigence d’un lien individuel

La question ne se pose pas quand le requérant ordinaire agit en annulation contre l’acte dont il est le destinataire (c’est-à-dire lorsqu’il est individuellement concerné selon la définition).

En revanche, en principe, si l’acte attaqué n’est pas une décision dont il est le destinataire, ce recours devrait être considéré comme irrecevable car il ne peut se prévaloir d’un lien individuel vis-à-vis de cet acte.

Pourtant, la jurisprudence, incitée par l’article 230 du TCE, a admis l’hypothèse du lien individuel dans d’autres cas que le recours en annulation contre une décision dont le requérant est le destinataire. Cela résulte de la jurisprudence inaugurée par l’arrêt Plaumann c./ Commission du 15 juillet 1963 : la Cour de justice admet qu’un requérant ordinaire puisse agir contre un acte, contre une mesure autre que celui ou celle dont il est destinataire si cette mesure l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières, ou d’un situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne, et donc l’individualise d’une manière analogue à celle du destinataire de l’acte. Il peut s’agir de plusieurs cas de figure :

  • la décision individuelle adressée à une autre personne que le requérant ; le lien individuel ne pourra être démontré sauf si le requérant est intervenu de façon ou d’une autre dans le processus d’adoption de l’acte ;
  • l’acte de portée générale (généralement un règlement) ; à priori, il sera bien difficile de démontrer le lien individuel vu qu’il est général, mais c’est sans compter la lettre de l’article 230 du TCE qui, même dans ce cas, ouvrait la voie à un recours en annulation de la part du requérant ordinaire ; le problème est qu’elle l’ouvrait mais pas assez largement pour satisfaire aux exigences de la communauté de droit : ainsi, elle l’ouvrait aux actes de portée générale, c’est-à-dire que l’article 230 du TCE, sans attendre le traité de Lisbonne, avait admis la recevabilité d’un recours par un particulier en annulation contre une décision prise sous l’apparence d’un règlement ; littéralement, cela concernait le cas de l’artifice instrumental, de sorte qu’il fallait faire prévaloir la réalité sur l’apparence ; il pouvait s’agir :
  • d’un acte formellement règlementaire englobant une pluralité de décisions individuelles,
  • d’un véritable règlement dans lequel se serait glissée une décision individuelle,
  • d’un acte pouvant à la fois revêtir une portée normative (générale) et concerner l’un des sujets de droit qui lui est soumis de façon individualisée ; encore fallait-il que parmi la multitude de sujet de droit, l’un d’eux, le requérant, arrive à démontrer qu’il était affecté par cet acte de manière particulière, l’individualisant par rapport aux autres sujets de droit.

On touche là à la limite qu’impose cette exigence d’un lien individuel dans le cadre de la mise en oeuvre d’un recours en annulation des particuliers contre les règlements.

Dans un certain nombre de cas, la jurisprudence a assoupli cette exigence afin de favoriser ce recours, mais même cumulés, ces accommodements jurisprudentiels étaient insuffisants pour être acceptables. En conséquence, d’autres voies de droit ont dû être envisagées :

  • le renvoi préjudiciel en appréciation de validité, mais il est subordonné à l’appréciation du juge a quo,
  • l’exception d’illégalité, mais cela supposait, lorsque le requérant souhaitait l’exercer, que l’acte règlementaire dont il ne pouvait demander l’annulation faute de lien individuel constitue l’acte de base sur le fondement duquel un autre acte qu’il attaquait devant la Cour de justice avait été adopté.

Ni l’un ni l’autre ne pouvait donc suffire à compenser la restriction du recours en annulation ; de plus, ces voies de droit posaient un défaut irrémédiable dans un cas particulier :

  • il fallait que le règlement donne lieu à une mesure nationale de mise en oeuvre, ce qui n’est pas possible pour un règlement complet ;
  • il fallait que l’acte règlementaire ait donné lieu à une mesure individuelle.

Ces deux alternatives étaient impraticables dans le cas où le règlement que le requérant contestait était auto-suffisant : la seule solution est de violer délibérément le règlement pour qu’il y ait des poursuites contre le plaideur, lequel pourra justifier l’illégalité de son comportement par l’exception d’illégalité.

C’est ce qui a été plaidé devant la juridiction communautaire afin d’obtenir d’elle qu’elle neutralise l’exigence trop contraignante du lien individuel. Le Tribunal de première instance s’est montré ouvert à cette demande, la Cour de justice s’y est opposée, et c’est le traité de Lisbonne qui a tranché. Dans l’arrêt UPA du 25 juillet 2002, elle a considéré pour l’essentiel qu’il appartenait aux Etats membres eux-mêmes d’organiser des recours effectifs, et en admettant que la réduction de l’exigence soit envisageable, cela ne relevait pas de l’office du juge mais du constituant.

Le Tribunal de première instance s’est incliné dans les affaires ultérieures. Pourquoi la Cour de justice s’est-elle comportée ainsi ?

  • Elle a peut-être eu peur d’être saisie d’une avalanche de recours individuels.
  • À ce moment là, la gestation du traité constitutionnel était déjà en cours : il ne lui appartenait donc pas de couper l’herbe sous le pied du constituant, lequel met un terme à l’exigence d’un lien individuel pour les actes règlementaires ne comportant pas de mesure d’exécution, c’est-à-dire précisément le recours en annulation.