Les troubles anormaux de voisinage

LA THÉORIE DES TROUBLES ANORMAUX DE VOISINAGE

Les troubles anormaux de voisinage sont des nuisances qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage. La victime d’un trouble de voisinage doit non seulement apporter la preuve d’un dommage mais aussi la preuve que ce dernier remplit les caractéristiques nécessaires pour être indemnisé.



1) La notion

Dans l’usage régulier de son bien, tout propriétaire supporte une obligation de ne pas causer à ses voisins un dommage excédant la mesure des inconvénients tenus pour normaux : « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Civile 3ème, 24 octobre 1990).
Ce principe associe deux règles complémentaires. La 1ère exonère de sa responsabilité le propriétaire qui demeure en dessous du seuil de tolérance ; la seconde engage automatiquement la responsabilité du propriétaire qui dépasse ce seuil.

Cette notion représente une étape supplémentaire du respect des droits du voisin du fait des agissements d’un propriétaire. La théorie de l’abus de droit est l’attitude fautive ce qui diffèrent des troubles anormaux où le préjudice compte plus que le fait générateur.


2) Fondements de la responsabilité

– Abus du droit de propriété : il ne peut être question d’abus du droit de propriété, car la responsabilité du propriétaire est engagée alors qu’il n’a commis aucune faute caractérisée. .

– Dépassement des inconvénients normaux du voisinage : un propriétaire n’a pas le droit d’imposer impunément à ses voisins une gêne excédant les obligations ordinaires du voisinage. Ainsi le droit à réparation a été reconnu lorsque le trouble causé à un voisin « a incontestablement dépassé la mesure des obligations ordinaires du voisinage » (Amiens, 21 décembre 1932).

Entre les fonds voisin doit exister un rapport d’équilibre. La vie en communauté implique inéluctablement une gêne réciproque, mais celle-ci doit être cantonnée dans des limites normales. Celui qui, même par des activités licites, détruit le rapport d’équilibre doit réparer le dommage causé aux voisins.
Arrêt de la cour de cassation de 2002 : la cour d’appel relève qu’il convient d’établir un équilibre entre la vocation balnéaire et touristique de la ville et le respect du voisinage pour établir des troubles.
La Cour Européenne Des Droits De L’Homme dit « il faut un équilibre entre l’intérêt du bien être économique d’une ville et la protection des droits garantis par la convention européenne des droits de l’homme le respect de la vie privée ».


– Le risque créé : On a pu voir dans cette jurisprudence une application de la notion de risque créé (Ripert) : celui qui crée un risque doit, si ce risque vient à se réaliser aux dépens d’une tierce personne, réparer les dommages causés. L’acte excessif, bien que non fautif, devient source de responsabilité. Cependant, si cette théorie était adoptée, le propriétaire devrait être conduit à réparer tous les dommages causés par son voisinage, qu’ils soient normaux ou anormaux.

– l’Immissio (empiètement, immixtion) : Dès lors que le préjudice dû à l’immissio excède la mesure des obligations ordinaires du voisinage, il y a responsabilité résultant du fait que le propriétaire impose à ses voisins une gêne exceptionnelle sans réparer le préjudice qu’il leur cause ; la faute ne sera pas tant l’acte nocif, puisqu’il correspond à l’exercice régulier d’un droit, mais le refus d’une réparation qui doit accompagner l’acte. (Inspiration écologique)


3) La mise en œuvre

La jurisprudence a considéré qu’il fallait mettre en œuvre un régime autonome qui est l’existence d’un trouble qui revêt un caractère anormal. Dans la plupart des cas, la responsabilité du propriétaire est engagée, alors qu’il n’a commis aucune faute caractérisée ; il a causé un dommage à autrui sans pouvoir l’éviter, en exerçant un droit qui présente pour lui un intérêt certain.

La jurisprudence, évacuant non seulement l’exigence d’une faute caractérisée, mais encore la référence à une considération de culpabilité, a même décidé que l’existence d’une faute quelconque n’était pas nécessaire. (Civile 1ère, 23 mars 1982)

Cependant, la jurisprudence a parfois retenu une faute c’est-à-dire l’obligation de ne pas causer un préjudice dépassant les inconvénients normaux du voisinage. L’article 1382 du Code civil est visé dans l’arrêt de cassation. L’article 544 du Code civil fait référence aux droits de propriété.
L’arrêt de 1971 de la cour d’appel avait refusé de sanctionner un propriétaire puisqu’en l’absence de toute faute, la responsabilité ne saurait être retenue. La cour de cassation casse en précisant que le propriétaire avait enfreint l’obligation de ne pas dépasser les inconvénients normaux de voisinage.
Dans des arrêts récents, la cour de cassation vise le principe selon lequel « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Civile 3ème, 24 octobre 1990).

Cela donne au plaideur plusieurs manières d’agir :
– si il y a trouble de voisinage, il n’est pas nécessaire de rechercher une faute
– si on se place sur la responsabilité civile classique (article 1382) il faut caractériser une faute mais il est plus nécessaire de caractériser l’aspect anormal de la faute.


4) Régime de la responsabilité

a. Conditions et appréciation de la responsabilité

1) Pour que la théorie joue, il faut un préjudice avec des caractéristiquesparticulières :
affecter le voisinage et un trouble anormal. Il n’y a pas besoin d’un comportement fautif, abusif.

Dès lors qu’un dommage est occasionné par l’utilisation licite d’un bien immobilier, dès lors qu’il excède un certain seuil, la responsabilité est encourue. Peu importe la nature et l’origine des inconvénients : bruit, fumée, la privation de lumière ou de vue (Civile 3ème, 11 février 1976). L’appréciation souveraine des juges du fonds estimant que le préjudice ressenti était anormal suffit à engager la responsabilité

Les deux seules conditions requises sont l’utilisation de l’immeuble et la création d’un dommage anormal. « Le propriétaire voisin (…) est tenu de subir les inconvénients normaux du voisinage ; en revanche, il est en droit d’exiger une réparation dès lors que ces inconvénients excèdent cette limite » (Civile 3ème, 4 février 1971).



2) Dans l’appréciation de la responsabilité, les juges doivent faire appel à des considérations

(a) tenant au lieu et au temps.

Ainsi, lorsqu’un établissement est créé dans une ville, on tient compte du quartier dans lequel il est établi : ce qui est admissible dans tel quartier peut être anormal dans tel autre.

L’auteur d’un trouble peut-il arguer de l’antériorité de son exploitation ?

À une certaine époque, la jurisprudence le permettait : ainsi le propriétaire d’un terrain situé à côté d’une usine ne pouvait, s’il construisait une villa dans ces conditions, se plaindre des inconvénients du voisinage. Mais la jurisprudence dominante ne tient pas compte de l’antériorité de l’exploitation de l’auteur du trouble (civile, 1ère section, 20 février 1968). Sinon un propriétaire pourrait, du seul fait de l’antériorité de son installation, grever les fonds voisins d’une véritable servitude, restreignant en fait leur usage.

On peut en revanche, permettent de se prévaloir de l’antériorité de l’exportation lorsqu’il y a une sorte de préoccupation collective. Ainsi, dans un quartier industriel, déjà couvert d’usines, le propriétaire d’un terrain serait mal venu à y faire bâtir une villa et à se plaindre ensuite des inconvénients du voisinage.

Il convient ainsi de tenir compte de la combinaison des diverses règles à la lumière des évolutions législatives telles que l’Article 112-16 du Code de l’habitation de la construction : « l’exploitant d’une activité agricole, industrielle, artisanale ou commerciale qui respecte les lois et les règlements n’est pas responsable du préjudice subi par ses voisins mais il faut qu’il n’ait pas aggravé les nuisances par rapport au moment où il a commencé à exploiter ».
Arrêt de 2002 : dans un domaine réservé à l’artisanat un atelier est remplacé par un grand bâtiment privant ses voisins de clarté et de soleil : prépare le trouble anormal de voisinage car son activité s’est transformée et à aggravé les nuisances (deuxième condition de l’article non rempli).


Les juges doivent tenir également compte de (b.) considérations personnelles à la victime du dommage. Tel homme, exerçant telle profession, étant en pleine santé, ne sera pas gêné outre mesure par le bruit, alors que celui-ci peut empêcher le travail d’un intellectuel, le sommeil d’un nerveux. La jurisprudence tend à prendre en considération la réceptivité personnelle ; elle détermine le dommage supportable en fonction de chaque victime.
Parlement de Grenoble 1614 : réception accrue d’un avocat (besoin de calme) contre le maréchal Ferrand (qui tapait sur une enclume) : la couloir refuse de tenir compte de la réception accrue.
La jurisprudence a tenu compte dans certains arrêts de la réceptivité personnelle :
Ex : clinique, grand blessé de guerre…
Appréciation au cas par cas mais la jurisprudence à tendance à prendre en compte la sensibilité personnelle.


Qui peut agir en cas de trouble caractérisé ?
La victime : si elle est propriétaire voisin dans le cadre de la théorie.
Si elle n’est pas propriétaire voisin, elle doit agir contre son propriétaire qui se retourne contre l’auteur du trouble.
Contre qui va-t-on pouvoir agir ?
Contre le propriétaire du terrain sur lequel s’exerçait l’activité dommageable même si ce n’est pas lui-même qui exerce activité.
Que se passe-t-il quand le locataire est responsable du trouble ?
Le voisin peut agir directement contre le locataire.
Si le locataire ne répond pas à la mise en demeure, on peut agir contre le propriétaire bailleur (en fonction des cas et de l’efficacité ont choisi l’un des deux).

Il y a de temps en temps des condamnations.
Ex : franchisage : savoir-faire. Franchises de nettoyage de voitures (car l’enjeu de nettoyage, bruit) implantée près d’habitations (agit contre le franchisé pour trouble de voisinage) franchiseurs et franchisés ont été condamnés (car faute dans l’étude de marché…).
On peut agir contre l’entrepreneur des constructions du fond d’à côté si il y a désordres sur son fond, et contre le propriétaire du fond sur lequel il y a la source du dommage. Et on peut agir contre les deux.

En cas d’action contre le propriétaire et lorsque celui-ci a réparé les troubles, ce propriétaire à une action récursoire contre l’entrepreneur : il faut qu’il soit subrogé dans les droits des voisins (reprend l’action des voisins contre l’entrepreneur) par conséquent n’a pas a prouver la faute. Sinon quand la décision ne se fait pas sur la subrogation le propriétaire est obligé de prouver la faute car l’action est indépendante du trouble anormal.


b. mode de réparation

Les tiers peuvent s’adresser aux tribunaux pour obtenir à la fois de dommages-intérêts et la défense faite à l’auteur des agissements dommageables de persévérer dans l’avenir. L’exécution de cette dernière condamnation peut être sanctionnée par une astreinte. Cependant, lorsque l’établissement, source de dommages excessifs, fonctionne en vertu d’une autorisation administrative, les tribunaux judiciaires ne peuvent procéder à cette défense de continuer l’activité préjudiciable ; ils ne peuvent qu’ accorder des dommages-intérêts ; ils peuvent toutefois également ordonner des travaux propres à diminuer l’ inconvénient.

De même, la suppression de l’ouvrage de l’exportation ne pourrait être envisagée lorsqu’elle apparaît comme étant hors de proportion avec les inconvénients constatés ; il aura lieu à réparation sous forme de dommages-intérêts.