Relations du Gouvernement avec le Parlement et le Président

Les compétences du gouvernement et ses relations avec le Parlement et le Président de la République

La restauration de l’autorité et de la stabilité de l’exécutif, sous la Vème République, s’est appuyée sur deux principes :

1) les pouvoirs confiés au président de la République et son élection au suffrage universel.

2) l’adaptation des rapports entre le Parlement et le Gouvernement au monde moderne. C’est ce qu’on appelle le « parlementarisme rationalisé » qui vise à protéger l’exécutif contre le Parlement.

Définition du « parlementarisme rationalisé : c’est le fait, dans un régime parlementaire, de doter le gouvernements de pouvoirs nouveaux, pour lui permettre de lutter contre la prédominance du parlement.

Sous les Troisième et Quatrième République, le pouvoir exécutif était sous la domination totale et permanente du pouvoir législatif. Après un premier échec en 1946, le constituant de 1958 va mener à bien un effort de rationalisation du parlementarisme, afin de renforcer le pouvoir exécutif face au pouvoir législatif.

Il s’agit :

  • – d’une part de lutter contre l’instabilité gouvernementale qui a marqué les Troisième et Quatrième Républiques ;
  • – d’autre part de permettre au pouvoir exécutif de mener une politique efficace.

On peut dire que la Constitution de 1958 a parfaitement rempli ces deux objectifs.

Le Gouvernement dispose sous la Cinquième République de moyens juridiques relativement développés qui lui permettent de diriger et d’encadrer au quotidien l’exercice du pouvoir législatif.

Ainsi, c’est le Gouvernement qui maîtrise pour l’essentiel l’ordre du jour des assemblées.

Selon l’article 48 al. 1er de la Constitution, « l’ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l’ordre que le gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi déposés par le gouvernement et des propositions acceptées par lui. (…) ».

Le Gouvernement peut donc faire examiner et adopter en priorité les textes législatifs qu’il juge nécessaires à la conduite de sa politique.

En outre, le Gouvernement a les moyens de contraindre le Parlement à l’adoption d’un texte : lorsque le majorité parlementaire qui soutient le gouvernement hésite à voter un texte qui est nécessaire à la politique gouvernementale, le premier ministre peut faire adopter ce texte sans vote en recourant à la procédure de l’article 49-3.

Peuvent également être mentionnées ici les ordonnances de l’article 38 de la Constitution de 1958 : selon cet article, le gouvernement peut demander au parlement l’autorisation d’adopter

lui-même, par voie d’ordonnances, des dispositions qui relèvent normalement de la compétence du parlement.

Des mesures de rationalisation du même type apparaissent dans certaines constitutions étrangères, notamment dans la Loi Fondamentale allemande de 1949. Il est donc possible de dire que certaines constitutions européennes, dont la Constitution française de 1958, organisent à travers cette rationalisation une domination du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif.

relations du gouvernement avec le parlement et le président

Section 1 : Le renforcement de la branche gouvernementale

La Ve république étant un régime parlementaire, le texte constitutionnel consacre l’existence d’un gouvernement responsable (article. 20 al.3 de la constitution). Un gouvernement à coté du président qui, ensemble, constituent le pouvoir exécutif. Dans l’ordre des articles de la Constitution, le gouvernement est mentionné après le président mais avant le parlement. Cette présentation illustre bien la position intermédiaire du gouvernement, entre le président et le parlement. Nommé par le président de la république et, selon les conjonctures, souvent étroitement dépendant de lui, le gouvernement dispose cependant de moyens d’action importants pour contraindre le parlement à adopter les textes qui vont lui permettre de déterminer et de conduire la politique de la Nation puisque telle est sa mission (article de la Constitution n° 20). La Constitution de 1958 consacre l’existence d’une équipe gouvernementale à la fois solidaire et collégiale et qui va disposer (au titre III et IV de la Constitution) de prérogatives très importantes.
Sous la Ve république on renforce la branche gouvernementale de trois manières : on affine les structures gouvernementales, on clarifie le statut des membres du gouvernement et enfin, on détermine constitutionnellement les attributions gouvernementales.

I) L’affinement des structures gouvernementales

Sous la Ve république, le gouvernement est dirigé (et c’est une innovation) par un premier ministre et comprend un nombre très variable de ministres/secrétaires d’Etat titulaires ou non d’un portefeuille ministériel.

Le premier ministre occupe une place à part dans la «hiérarchie» (il n’existe pas juridiquement de hiérarchie) du gouvernement. L’article 21 de la Constitution indique que c’est lui qui dirige l’action du gouvernement. Il est donc doté d’un pouvoir de direction qui lui permet concrètement d’assurer des arbitrages, de trancher les conflits (notamment en matière budgétaire).

Les autres membres du gouvernement sont plus variables. Leur nombre et la hiérarchie des membres de l’équipe gouvernementale sont très variables en fonction de deux paramètres. Tout d’abord, un élément technique : l’apparition de nouveaux besoin, de nouvelles questions de société prise en charge par l’Etat. De nouveaux besoins sociaux engendrent de nouveaux ministères. Un second élément, politique cette fois : un dosage politique entre les composantes des partis qui forment la coalition ou entre les différentes composantes du parti majoritaire.

Malgré la volonté des premiers ministres qui se succèdent de composer des gouvernements efficaces, c’est à dire les moins nombreux possibles, les gouvernements français sont très peuplés.
La considération portée à une personnalité politique ou la volonté de souligner l’importance portée à un domaine de l’activité étatique vont expliquer la hiérarchie qui existe entre les membres du gouvernement. On trouve, placé juste après le premier ministre le ministre d’Etat. Les ministres viennent ensuite dans l’ordre de leur nomination. On trouve ensuite des ministres délégués rattachés au premier ministre ou à d’autres ministres. Enfin, on trouve la catégorie des secrétaires d’Etats qui complètent l’équipe gouvernementale et qui sont rattachés à un ministre. Ils ne participent au conseil des ministres que lorsque celui-ci examine des affaires qui les concernent.

Une innovation du tandem Fillon-Sarkozy : le haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.

II) La clarification du statut des membres du gouvernement

Sous la Ve république, il est clair que la fonction de ministre est quelque chose d’important et plus simplement une fonction honorifique. Cette fonction nécessite donc un très grand engagement. Les ministres vont être soumis au principe d’incompatibilité qui doit permettre d’assurer leur indépendance. Certaines fonctions sont jugées incompatibles avec l’exercice de leur fonction ministérielle.

L’article 23 de la Constitution, complété par une loi organique du 27 novembre 1958 va fixer 4 séries d’incompatibilités :
– entre la fonction de ministre et celle de tout emploi public. Tout fonctionnaire/agent public a un ministre comme supérieur hiérarchique, cela paraît donc assez logique.
– Entre la fonction de ministre et l’exercice de toute activité professionnelle privée. Elle a pour but d’assurer l’indépendance des membres du gouvernement vis à vis des intérêts privés. Cette incompatibilité se prolonge 6 mois après la fin des fonctions gouvernementales.
– Incompatibilité avec toute fonction de représentation professionnelle à caractère national (syndicalisme). Souci de préserver l’intérêt général. Le risque est que le ministre défende des intérêts catégoriels.
– Incompatibilité avec un mandat parlementaire (article de la Constitution n° 23). Cette idée est en rupture avec la pratique antérieure : on ne peut pas être à la fois contrôleur et contrôlé. On a cherché ici à luter contre l’une des causes de l’instabilité ministérielle de la IVe république. Les ministres n’hésitaient pas à démissionner puisqu’ils savaient qu’ils allaient retrouver leur siège de député/sénateur. Les ministres peuvent toutefois conserver des mandats locaux (ex : maires). Le rapport Balladur avait d’ailleurs préconisé une incompatibilité totale entre la fonction de ministre et la fonction d’élu local. La réforme de 2008 n’a pas retenu cette proposition et elle modifie même l’article 23 de la Constitution. Le dispositif prévu en 1958 est modifié en prévoyant le retour automatique des anciens ministres au parlement (article 25 de la Constitution). Le dispositif d’incompatibilité fixé à l’article 23 fonctionne de la manière suivante : à ’expiration d’un délai d’un mois à compter de sa nomination, le parlementaire qui est devenu membre du gouvernement perd son mandat. Deuxièmement, c’est son suppléant qui occupe le siège. Mais, la perte de son mandat était définitive (le Conseil Constitutionnel le rappelle dans une décision du 5 juillet 1977). Or les parlementaires n’ont jamais vraiment accepté cette règle de l’incompatibilité, d’où le développement de pratiques de contournement de cette règle. D’une part, on constate que les parlementaires, une fois devenus ministres, ne prenaient jamais leurs distances vis à vis de leurs électeurs, le lien local perdurait. De plus, lorsqu’ils démissionnaient des gouvernements où que celui-ci prenait fin, les ministres demandaient à leur suppléants de démissionner, provoquant des élections partielles qui, la plupart du temps leur redonnait leur place au parlement. Face à cela, des réformes ont été tentées pour permettre le retour automatique des anciens ministres au parlement. C’est la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui franchit le pas. Cela présente un avantage : éviter d’organiser des élections partielles qui suscitaient le désarroi des électeurs.

III – La détermination constitutionnelle des attributions du gouvernement (article 20 à 23 de la Constitution)

De prime abord, le texte constitutionnel semble vouloir définir le rôle du gouvernement sur un registre distinct de celui prévu pour le Président de la République. Le titre III ne commence pas par l’énoncé d’une mission fondamentale de nature supérieure (comme c’est le cas pour le président). La mission du gouvernement est définie de manière beaucoup plus sobre, de manière technique. La Constitution définit avec force la mission du premier ministre et du gouvernement : l’article 20 al.1er précise que «le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation» et l’article 21 dispose que «le premier ministre dirige l’action du gouvernement». On a ici concentrée la définition technique du pouvoir exécutif dans un régime parlementaire.

Section 2 – L’ambiguïté du double renforcement de l’exécutif

Si la fonction exécutive a été considérablement renforcée sous la Ve, ce renforcement s’est fait dans les deux branches de l’exécutif, présidentielle comme gouvernementale. Il en résulte une ambiguïté fondamentale liée au fait que le premier ministre est susceptible de venir concurrencer le chef de l’Etat d’une part quant aux moyens pour gouverner (I) et d’autre part quant au partage des fonctions exécutoires (II).


I – Ambigüité liée aux moyens de gouvernement

Rien ne sert d’attribuer constitutionnellement des prérogatives fortes, propres à un organe si concrètement cet organe n’a pas les moyens matériels pour agir. La réalité du pouvoir se mesure au nombre et au poids des organes/institutions que chaque autorité peut diriger. On peut chercher à évaluer qui, du Président de la République et du premier ministre dispose du plus grand nombre de forces pour lui permettre d’agir. Le bilan révèle un partage inégal des moyens de gouvernement entre les deux têtes de l’exécutif. Le président ne dispose pas de véritable administration à sa disposition (A) alors que le premier ministre se trouve promu chef de l’administration française par la Constitution (article 20 de la Constitution) (B).

A – Un président sans véritable administration
Il n’existe pas, à proprement parler, de service administratif du président de la république. Il ne dispose que d’une équipe de collaborateurs/conseillers (entre 30 et 40 personnes qui travaillent à l’Elysée). Mais d’un point de vue juridique, cette équipe ne constitue pas une administration. Le président de la république ne peut leur déléguer aucune compétence, aucun pouvoir de signature. Ils n’ont aucune compétence juridique, ce sont des collaborateurs «personnels» du chef de l’Etat. Il n’y a donc pas, à proprement parler, d’une administration à l’Elysée.
Il existe toutefois quelques exceptions : l’Etat major militaire (4 à 5 officiers supérieurs) et le secrétariat du CSM (2 à 3 personnes).
Les moyens de gouvernement à la disposition directe du chef de l’Etat sont donc très limités.

B – Un premier ministre, chef de l’administration
Le premier ministre dispose quant à lui d’un appareil administratif beaucoup plus lourd.
Sur le plan juridique, le premier ministre est constitutionnellement (article 20 de la Constitution) le chef du gouvernement et dispose de l’administration et de la force armée. Pour agir, le premier ministre prend appui sur une administration personnelle de grande ampleur. En premier lieu, le premier ministre dispose d’un cabinet comportant deux fois plus de membres que celui du chef de l’Etat. Surtout, le premier ministre a autorité directe sur le secrétariat général du gouvernement, véritable machine de commande de l’Etat au plus haut niveau). Il dispose également du comité inter-ministériel des affaires européennes et dirige la direction générale de la fonction publique.
A l’exception du cabinet, la grande différence de ces équipes avec celles qui sont situées à la présidence de la république est qu’elles constituent de véritables rouages administratifs permanents qui demeurent même lorsque le premier ministre change. Ils vont être dotés de compétences juridiques propres. Ces organes ont à la fois le pouvoir de prendre des décisions, par délégation du premier ministre, et le pouvoir de les faire exécuter. Matignon dispose au total de près de 5000 fonctionnaires.

L’ambiguïté est liée à la fois aux moyens de gouvernement mais aussi au partage des fonctions entre les deux têtes de l’exécutif.


II – Ambiguïté liée au partage des fonctions

Bicéphalisme de l’exécutif mais en réalité, les responsabilités entre les deux têtes de l’exécutif ne sont pas toujours tranchées. En matière militaire par exemple, d’un côté l’article 15 précise que le président est chef des armées, qu’il préside les conseils et comités supérieurs de la défense nationale. D’un autre coté, l’article 20 précise que «le gouvernement dispose de la force armée». Dans la réalité, la prééminence supposée du président de la république sur l’exécutif doit être nuancée car le premier ministre peut venir concurrencer le Président à la fois dans l’exercice de sa fonction d’impulsion politique (A) et dans l’exercice de sa fonction de contrôle (B).


A – Concurrence possible dans l’exercice des fonctions d’impulsion

Quelle est la capacité réelle, (au delà du texte) au Président de la République à donner son impulsion à la machine étatique ? Le Président de la République préside certes le conseil des ministres mais en réalité, c’est le premier ministre qui pilote ce conseil. De plus, cette fameuse autonomie présidentielle est loin d’être aussi étendue qu’il n’y parait. Le président de la république ne dispose pas juridiquement d’un domaine réservé.

1. La maîtrise partagée du Conseil des ministres
En théorie, le Conseil des ministres serait, selon l’article 9 de la Constitution, dirigé par le chef de l’Etat. A la fin de la délibération sur le texte examiné, c’est théoriquement le président qui a le dernier mot. En pratique, cela signifie que c’est lui qui a le pouvoir de formuler la décision prise en conseil des ministres. On peut alors penser que si le premier ministre et le président interviennent conjointement pour animer et diriger le conseil des ministres, c’est le président qui domine. En réalité la situation est plus subtile. Le conseil des ministres n’est que la version visible d’un processus beaucoup plus complexe/antérieur. En réalité, quantité de réunions ont précédé celle du Conseil des ministres et ces réunions ont été présidées et dirigées par le premier ministre. Les textes, les dossiers sur lesquels on travaille en Conseil des ministres ont été largement influencés en amont par l’administration du premier ministre.

2. L’absence de domaine réservé au Président

Cette notion est juridiquement fausse. Quand on regarde les choses de plus près, le président de la république ne parvient réellement à donner son impulsion à la machine gouvernementale que dans certains domaines. En premier lieu, en matière d’affaires étrangères et en deuxième lieu en matière militaire/de défense nationale. En matière d’arbitrage financier, le président parvient à dire son mot. La formule de Chaban-Delmas caractérise les relations président-premier ministre sous l’ère gaullienne et ne correspond pas à une réalité juridique.


B – Concurrence possible dans l’exercice des fonctions de contrôle


1. Le contrôle partagé de l’activité gouvernementale

Revient au premier ministre tout ce qui fait la vie quotidienne des rapports gouvernement parlement et donc l’essentiel de ce qui fait un Etat. La procédure législative qui dépend du premier ministre et non du Président de la République, initiative des lois, inscription prioritaire des projets ou des propositions de lois à l’ordre du jour des assemblées, tout ce qui concerne les questions posées aux parlementaires.
En revanche, dès qu’il s’agit d’une question politique plus spectaculaire, on voit resurgir le président de la république. Le président de la république joue un rôle essentiel pour les questions fondamentales mais pour le fonctionnement de la machine étatique, c’est le gouvernement et notamment la machine étatique, qui joue le rôle le plus important.
Toutefois, cette «ligne de partage» entre le Président de la République et le premier ministre est susceptible de bouger en fonction de la personnalité du président de la république et de son premier ministre.

2. La maîtrise de l’activité administrative par le Premier ministre


Concernant les projets de loi, ils sont obligatoirement soumis au Conseil des ministres. Ils ne peuvent donc échapper à la tutelle présidentielle. C’est assez différent en matière réglementaire (les décrets). Trois catégories de décrets : les décrets simples du Président de la République, les décrets délibérés en Conseil des ministres (supposent le contreseing du ministre et le cas échéant des ministres concernés) et les décrets simples du Premier ministre. En pratique, 90 % des décrets publiés au J.O sont des décrets simples du Premier ministre. Le Premier ministre domine largement l’activité décrétale et donc l’activité administrative.
Dans le domaine de l’activité gouvernementale, le partage est plus équilibré.

On reste finalement assez loin de l’idée selon laquelle le chef de l’Etat serait le maître absolu de l’ensemble de la machine étatique française. L’hyper présidentialisation du régime qui a été tant contestée par certains n’est réelle que dans la première période de la Ve république, c’est à dire sous l’ère gaullienne. Elle s’atténue considérablement par la suite et cela notamment grâce à la cohabitation. S’ajoute à cela la réforme constitutionnelle de juillet 2008 ayant deux objectifs : mieux encadrer l’exercice de la fonction présidentielle (pour atténuer encore l’hyper présidentialisation) et la revalorisation du rôle du parlement face à l’exécutif.