La responsabilité des parents : condition et moyen d’exonération

RESPONSABILITÉ DES PARENTS

 En 1804 la faute avait incontestablement une coloration morale. Dans l’esprit des rédacteurs du code civil, elle était un acte blâmable, il y avait donc un aspect moral. On considérait alors que les personnes n’ayant pas une pleine conscience de leurs actes ne pouvaient pas commettre de faute au sens de l’article 1382. Ainsi, la jurisprudence décidait que le tout jeune enfant (l’infans) et l’aliéné, ne pouvaient pas commettre de faute dès lors qu’ils n’avaient pas de faculté de discernement. Autrement dit, la faute nécessitait le discernement.

  1. I) L’objectivation de la faute
  2. I) Histoire de la naissance de la responsabilité des parents

Cette conception de la faute a été peu à peu abandonnée d’abord par le législateur puis par la jurisprudence afin d’indemniser les victimes de dommages des fois très graves causés par des aliénés ou de de très jeunes enfants. La loi du 03 janvier 1968 a inséré dans le code civil l’article 489-2 qui dispose que celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. Ainsi, toute personne qui sous l’empire d’un trouble mental, même momentané (absorption massive d’alcool), si elle cause par un fait objectivement fautif un dommage à autrui, doit le réparer. Le législateur considère donc que celui qui cause à autrui, alors qu’il se trouve sous l’empire d’un trouble mental, un préjudice, doit réparer le dommage. Cela était une brèche dans la conception traditionnelle.

La Cour de cassation a ensuite étendu cette solution retenue par le législateur à la situation de l’infans. Il n’est pas rare que de très jeunes enfants, non doués de faculté de discernement, causent de très graves dommages à autrui (camarades, etc…). La jurisprudence a alors considéré que le très jeune enfant devait être déclaré responsable des dommages qu’il cause à autrui, mais ce n’est jamais l’enfant qui sera directement responsable mais ses parents. La Cour de cassation a jugé dans des arrêts de principe de l’assemblée plénière du 9 mai 1984 (Dalloz 1984 page 525 conclusions Jean Cabannes note Chabas) que la responsabilité des parents, du fait de l’un de leurs enfants, est engagée dès lors que cet enfant a commis un acte qui est la cause directe du dommage invoqué par la victime.

Ainsi, il n’est plus nécessaire, pour que la responsabilité des parents soient engagées du fait de leur enfant, que ce dernier ait eu conscience de ses actes.

La Cour de cassation a ainsi retenu une solution favorable aux victimes et parfois défavorables à l’enfant car sa faute (comportement objectivement illicite) pourra aussi, le cas échéant, être prise en considération pour minorer son droit à réparation, ce qui est davantage contestable, et donc l’assureur en responsabilité civile des parents.

La faute est appréciée désormais in abstracto, i.e par rapport au bon père de famille, à l’homme raisonnable prudent et avisé, et sans qu’il soit donc nécessaire de prendre en compte le discernement, l’imputabilité de l’action à son auteur. La faute est débarrassée de tout élément subjectif, on parle souvent de faute objective pour souligner que la faute est détachée du discernement.

  1. II) Condition de l’application de la responsabilité des parents et moyens d’exonération

La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur est prévue par les alinéa 4 et 7 de l’article 1384. Dans sa dernière rédaction issue d’une loi du 04 mars 2002, l’alinéa 4 énonce que le père et la mère en tant qu’ils exercent l’autorité parentale sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux. L’alinéa 7 précise que la responsabilité ci-dessus a lieu à moins que les père et mère (aussi pour les artisans) ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.

Ces deux alinéas envisagent donc le cas où un dommage a été causé par un enfant mineur. Dans ce cas de figure, la victime peut demander réparation à l’enfant lui-même si elle le souhaite mais cela n’a guère d’intérêt pour elle puisque cet enfant sera le plus souvent insolvable.

La victime peut également demander réparation aux parents de l’enfant soit en invoquant un fait générateur de responsabilité des parents, une faute de leur part à l’origine de la survenance du dommage (par exemple faute du surveillance de l’enfant), soit en invoquant contre les parents un fait de l’enfant.

Il s’agit donc bien d’un cas de responsabilité du fait d’autrui qui est prévu par cet alinéa puisque la victime d’un dommage causé par un enfant peut rechercher la responsabilité des parents sans avoir à démontrer une faute des parents. En principe, les père et mère sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant (chacun des parents supporte la réparation de l’intégralité du dommage). Cela ne vaut que si les deux parents ont l’autorité parentale. Si un seul des parents à l’autorité parentale, seul celui-ci est responsable.

α. les conditions de la responsabilité des parents

La responsabilité des parents du fait de leurs enfants suppose la réunion de trois conditions :

  • l’enfant doit être mineur et non émancipé
  • l’enfant doit habité chez ses parents, on appelle cela la condition de cohabitation, ou chez le parent ayant l’exercice de l’autorité parentale. Cette condition est devenue anachronique et la Cour de cassation, par faveur pour les victimes, en minimise la portée en considérant que la cohabitation avec les parents résulte de la résidence habituelle de l’enfant au domicile des parents ou de l’un d’eux. Il importe donc peu qu’au moment où l’enfant a causé le dommage il n’ait pas résidé effectivement sous le toit de ses parents. Le fait de confier un mineur à un internat ou aux grands-parents ne supprime pas la cohabitation (deuxième chambre civile du 20 janvier 2000 Bulletin civil II n°14)
  • le dommage allégué par la victime doit avoir été causé par un fait de l’enfant

La Cour de cassation a écarté l’exigence traditionnelle d’un discernement de l’enfant pour pouvoir engager sa responsabilité. Dans un arrêt du 09 mai 1984, l’assemblée plénière a en effet jugé qu’un enfant peut être déclaré responsable sans qu’il soit nécessaire qu’il soit doué de discernement.

L’assemblée plénière est allée encore plus loin le 13 décembre 2002 dans plusieurs arrêts qui ont posé le principe selon lequel « pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait même non fautif du mineur ». Ces deux arrêts ont ajouté que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité (Dalloz 2003 page 231).

Il suffit donc désormais, pour que la responsabilité des parents puisse être engagée, que l’enfant ait commis un acte étant la cause directe du dommage. Il n’est même plus nécessaire que cet acte puisse être qualifié de faute. Ce n’est plus une responsabilité pour faute objective de l’enfant, mais une responsabilité de plein droit. Cette responsabilité a donc un caractère objectif et est fondée sur le risque car on estime que l’activité des mineurs qui disposent de plus en plus de libertés en raison de l’évolution des moeurs, expose les tiers à des risques de dommages dont les parents doivent obligatoirement répondre. L’enfant est présenté comme un risque pour ne pas dire une chose dangereuse. L’indemnisation des victimes sera quasiment systématique en pratique car les parents sont presque toujours assurés à un coût très raisonnable par l’assurance de responsabilité civile du père de famille qui couvre à bon compte les dommages causés par les enfants.

β. les moyens d’exonération des parents

Il résulte des arrêts du 13 décembre 2002 que dorénavant, les moyens d’exonération des parents sont très limités.

Traditionnellement, la responsabilité des parents était fondée sur une présomption de faute, de surveillance ou d’éducation. Les parents pouvaient échapper à la responsabilité en prouvant qu’ils n’avaient pas commis ces fautes. Depuis ces arrêts, ces causes d’exonération ont disparu puisque la Cour de cassation affirme que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les parents. C’est une responsabilité de plein droit en leur seule qualité de parent, indépendamment de toute faute d’éducation ou de surveillance. Pour une partie de la doctrine, cette jurisprudence est néfaste car n’incite pas les parents à bien élever et surveiller les enfants.

Cette jurisprudence favorable aux victimes n’est pas défavorable aux parents puisque ceux-ci sont assurés, elle est une évolution qui n’est pas en soi choquante.

LES THÉMATIQUES ABORDÉES DANS CE COURS SONT LES SUIVANTES :