Les explications du vote : la sociologie électorale

La sociologie électorale : l’analyse environnementale ou écologique du vote

La sociologie électorale tire son origine des travaux pionniers d’André Siegfried réalisés au début du XXe siècle qui compare les comportements électoraux avec la géologie du sol, l’habitat, le régime de propriété et la pratique religieuse. Elle bénéficie d’un souffle nouveau aux Etats-Unis avec les études de Paul Lazarsfeld.
Il inaugure la méthode d’enquête par interviews pour l’élection présidentielle américaine de 1940. Quelques années après, le modèle de Michigan cherche à établir des corrélations entre le comportement électoral et les caractéristiques sociologiques des individus.
L’écologie électorale vise à établir des corrélations entre les préférences électorales et les caractéristiques
économiques, démographiques, culturelles et religieuses d’un espace donné.

Ces analyses mettent en relation les choix des électeurs avec les caractéristiques de leur environnement. On entend par environnement, l’environnement quotidien : famille, travail, amis…

Ces environnements peuvent aller dans le même sens ou bien se contredire.

Ex: Si 2 parents votent à droite, il y a de fortes chances pour que leur enfant vote aussi à droite (sauf pendant la crise d’ado). Il existe une forte transmission.

Ex: Si les 2 parents ont des convictions différentes : la transmission sera plus compliquée.

Il faut tenir compte du milieu dans lequel vivent les électeurs pour comprendre le comportement électoral. Il ne faut pas considérer les lecteurs comme de simples raisons. C’est le contraire de la théorie de l’électeur rationnel.

Le comportement électoral est le prolongement dans la politique des comportements observables dans le domaine social.

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A. « L’électorat du granit » et « l’électorat du calcaire » sous la troisième république (thèse d’A. Siegfried)

Dans son ouvrage intitulé Tableau politique de la France de l’Ouest publié en 1913, Siegfried s’intéresse à la relation entre la géographie et le vote. Il cherche à comprendre pourquoi dans certaines zones rurales de l’ouest de la France les électeurs votaient majoritairement à droite et d’autres majoritairement à gauche.

Il a observé que les comportements politiques étaient à son époque largement conditionnée par le contrôle (ou l’absence de contrôle) exercé par le clergé et les notables (grands propriétaires terriens). Or, ce contrôle est lui-même dépendant pour une large part d’une forme d’habitat qui est elle-même dépendante de la nature géologique. Siegfried établit une corrélation entre la nature géologique des sols et le comportement de ces populations rurales. Il parvient à distinguer un « électorat du granit » et un « électorat du calcaire ».

L’électorat du granit vote largement à droite tandis que l’électorat du calcaire vote majoritairement à gauche.

Pourquoi ? Car la nature géologique du sol détermine les formes d’habitat et le type d’exploitation agricole. Le granit retient l’eau bien que dans les zones granitiques il y a beaucoup de puits et donc l’habitat est dispersé autour de ces nombreux puits. Dans ces zones, la structure agraire est également dominée par la grande propriété foncière.

Le calcaire est perméable si bien que dans les plaines calcaires, l’habitat est rare et donc regroupé autour de ces points d’eau. Ces zones sont marquées par une petite et moyenne exploitation agricole.

Or, les formes de l’habitat, de la propriété, déterminent les modes de vie, la mentalité des populations et leur comportement électoral.

Dans les zones granitiques, le morcellement de l’habitat et la structure de la propriété favorisent le contrôle social des grands propriétaires et du clergé sur les fermiers (ou métayers) qui habitent ces zones.

Pourquoi ? Car dans ces zones, l’église est un lieu de rencontre, de sociabilité essentielle.

Ce processus explique l’importance des votes conservateurs dans les zones granitiques.

Au contraire, dans les zones calcaires, les petits propriétaires sont regroupés en village et ont l’habitude de se rencontrer. Ils sont plus attachés aux valeurs égalitaires. Cela explique qu’ils votent largement à gauche.

Siegfried fut le premier à réaliser ce type d’études. Il établit un lien entre les caractéristiques de l’environnement et la couleur politique du vote.

On n’utilise pas un recours à une explication du choix en terme idéologique.

Une autre étude fut menée par Noëlle Burgi de façon beaucoup plus politique : la grande grève des mineurs anglais. Cette analyse a montré une corrélation entre l’habitat des mineurs et leur participation à la grève.

La grève des mineurs a été massivement suivie dans les zones d’habitat collectif alors que le taux de participation était beaucoup moins important dans les zones pavillonnaires.

Attention : la relation n’est pas directe: ce n’est pas directement le type d’habitat qui participe au comportement électoral mais l’habitat favorise des formes de sociabilité qui elles-mêmes favorisent plus ou moins la participation à des mouvements collectifs.

B. Des banlieues rouges aux « quartiers » : les votes ouvriers

C’est une manière de montrer que les quartiers des grands ensembles aient été pendant une époque (à partir de la guerre) marqués par un très fort réseau de militants pris en charge par les communistes (souvent, ce sont des anciens résistants, ils ne sont pas vraiment choisis pour leur étiquette partisane).

Après la guerre, les banlieues rouges étaient habitées par le gratin du milieu ouvrier (population assez mixte avec de bonnes conditions d’habitat). Dans ces zones existait des « cellules » communistes, c’est-à-dire des habitats dans lesquels on faisait des réunions. Il s’agissait d’un point de concentration de sociabilité. Ces cellules influençaient l’environnement au-delà de ceux qui se rendaient aux réunions.

La présence militante même si elle n’est pas très d’idéologique contribue à maintenir une ambiance favorable à la participation politique.

Les militants des cellules participaient à une forme de sociabilité locale (ex: distribuer l’humanité le dimanche).

La sociabilité entretenue par les militants dans les banlieues rouges renvoyait aux milieux populaires une image dont ils pouvaient être fiers, une image valorisante d’eux-mêmes. Ceci permettait de renforcer l’identité ouvrière et donc de favoriser une participation politique.

Ex : une mythologie locale avec des héros assimilés aux ouvriers.

Ces ressources que fournissaient les militants des banlieues rouges étaient doublées dans le monde du travail.

A l’époque, les unités de travail étaient grandes et favorisaient la politisation (si on est beaucoup, c’est plus facile de faire des revendications).

De plus, ces grandes unités de travail étaient favorables à la prolifération des syndicats.

Quand dans son travail, on a le sentiment d’appartenir à un groupe, ce sentiment d’appartenance continue en dehors du travail, dans son quartier.

Jusqu’au début des années 1980 en France, le milieu populaire a eu le plus fort taux de participation politique (90 % de taux de participation aux élections). Cela s’explique par le cumul de l’influence des militants, du monde du travail, du quartier… Aujourd’hui, c’est le contraire.

Aujourd’hui, les quartiers sont des zones dans lesquelles les environnements décrits précédemment ont été déstructurés.

Aujourd’hui, il n’y a plus militants communistes dans les grands ensembles (sauf exceptions). Ainsi, l’entraînement vers les urnes est réduit.

Aujourd’hui, il existe des réunions de quartier avec des conseils municipaux mais on n’y parle jamais de politique. Or, ce n’était pas envisageable il y a 30 ans.

Il y a de moins en moins de syndicats (sauf pour les fonctionnaires qui ont d’ailleurs un taux de participation plus élevé) car il y a de moins en moins de grosses unités de production.

Dans les ZUS (zones urbaines sensibles) le taux de chômage est de 25 % (alors que le taux de chômage au niveau national est de 9/10 %). Or, quand on est au chômage, on est dans la situation la moins propice à la politisation. On échappe à l’entraînement vers les urnes.

De même, le travail en intérim n’est pas une forme de travail propice à la participation politique car il faut se sentir appartenir à un groupe or avec l’intérim ce n’est pas possible. Il n’existe pas d’intégration ni de solidarité au travail. De plus, la situation des intérimaires n’est pas prise en compte par les syndicats car les intérimaires ne participent pas aux élections des syndicats.

Aujourd’hui, il n’y a plus de militants ni de politisation dans le cadre du travail.

Aujourd’hui, comme seul entraînement vers les urnes, il reste la famille. Mais la famille a évolué depuis 30 ans (exemple : familles éclatées). Or, le couple était un facteur d’entraînement vers les urnes et notamment un facteur d’entraînement des femmes vers les urnes. Mais la déstructuration des familles, surtout concernant les femmes isolées a pour effet que le mari ou concubin ne soit plus un facteur d’entraînement vers les urnes pour les femmes. Bien souvent après une séparation, les femmes ne votent plus.

Ce facteur se superpose aux deux autres (fin du militantisme et du travail) pour expliquer les taux de participation dans les milieux populaires.

On dit qu’il n’y a plus de vote ouvrier, que les ouvriers ne votent plus à gauche. Mais cela est en fait un effet d’optique : la déstructuration du milieu populaire favorise le taux d’abstention.

Si on avait des instruments d’analyse plus fins on verrait un lien entre l’appartenance socioprofessionnelle et le vote.