La reconnaissance de la société en droit international

La reconnaissance de la société et de la « société multinationale » en droit international.

L’activité internationale d’une société pose un problème : la reconnaissance de l’existence de cette société sur le plan international. Ce n’est pas parce qu’une société est reconnue en tant que telle en droit français qu’obligatoirement tous les autres droits sont obligés de reconnaître l’existence de cette société. Il faut que la société soit reconnue en tant que personne morale. Cette reconnaissance étant admise, on est confronté à la question des sociétés multinationales (a-t-elle, comme son nom semble l’indiquer, plusieurs nationalités ?).

La reconnaissance de la société en droit international

  • &1. La reconnaissance de la personnalité morale.

Quand une société prétend avoir une activité internationale, dispose-t-elle des droits nécessaires pour le faire ? Lorsque la personnalité morale d’une société lui est reconnue dans son pays d’origine, est-elle de plein droit reconnue par les Etats dans lesquels elle développe une activité ?

Le problème de la reconnaissance ne concerne que les sociétés ressortissantes d’un pays non membre de l’UE. En effet, pour les sociétés ressortissantes, l’article 48 du traité de l’Union implique de plein droit que toute société constituée dans un pays de l’Union en conformité avec le droit de ce pays peut s’établir dans les autres pays de l’Union c’est à dire bénéficier des mêmes droits que les sociétés ressortissantes de ces pays.

Les sociétés « étrangères » bénéficient-elles de la reconnaissance de plein droit du seul fait que cette personnalité juridique leur est reconnu dans leur pays d’origine ? Pour la théorie de la fiction, seul le législateur d’un pays a le pouvoir de déterminer si un groupement peut se voir reconnaître la personnalité morale. Dans ce cas, si on admet la théorie de la fiction comme fondement de la reconnaissance de la personnalité morale, elle devrait être seulement reconnue dans le pays de la naissance car seul ce pays a le pouvoir de décider qu’elle a ou non la personnalité morale.

Si, en revanche, on adopte la théorie de la réalité qui veut que la personnalité soit reconnue en toute circonstance à partir du moment où elle est dotée d’organes qui permettent à ce groupement d’exprimer une volonté collective et un but distinct des membres qui font partie de ce groupement. Normalement, la personnalité morale de la société, si elle correspond à la définition du groupement, devrait être reconnue dans tout pays.

Dans un arrêt de la Cour de Versailles, le juge a reconnu la personnalité morale de la société alors même que le droit allemand ne lui reconnaissait que la faculté d’être titulaire de droits et obligations et non de la personnalité morale à proprement parler.

Dans les textes, on a en droit français une loi 1857 selon laquelle la personnalité morale des sociétés étrangères en France est reconnue sous réserve d’un décret collectif qui reconnaît la personnalité morale de toutes les sociétés étrangères issues d’un même pays. Cette loi implique la reconnaissance de plein droit. En pratique, cette lourdeur dénoncée s’est allégée dans la mesure où de très nombreux collectifs ont été pris pour tempérer la rigueur de la loi.

En outre, un autre mécanisme existe : celui de la clause de la nation la plus favorisée qui permet à un pays tiers de faire reconnaître en France la personnalité morale de ses sociétés ressortissantes. En l’absence de décret collectif et de l’invocation de cette clause, la Cour de Cassation (2003) a reconnu que toute personne morale, quelle que soit sa nationalité, a droit au respect de ses biens en France et à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. La Cour de Cassation s’est fondée en réalité sur la CEDH et son art.1er pour permettre à une banque guinéenne de faire valoir ses droits sur le territoire français.

Il existe des conventions internationales abordant cette question de la reconnaissance de la personnalité morale des sociétés. Décevant, la plupart des conventions ne bénéficient pas de la mise en vigueur car n’ont pas obtenu le nombre de ratifications nécessaires. On a une convention de 1956 qui a pour effet d’admettre la reconnaissance de plein droit sous certaines conditions de la personnalité morale des sociétés étrangères dès lors que le siège social et les formalités de publicité sont localisés sur le même territoire et que le siège social statutaire corresponde au siège social réel (lutte contre les immatriculations fictives). Cette convention n’a cependant jamais été ratifiée, reste qu’elle a eu une influence certaine sur le droit français. Il en est de même d’une convention du conseil de l’Europe du 20.01.1966 qui aboutissait à une reconnaissance de plein droit en proposant d’assimiler aux nationaux les personnes morales de droit étrangère.

Sur le plan communautaire, on a une convention de Bruxelles du 29.02.1968 qui implique la reconnaissance de la personnalité morale des sociétés, du moment qu’une société dispose à la fois de son siège social statutaire et de son siège social réel dans le même pays. Si cette concomitance n’existe pas, la France a pris l’habitude de reconnaitre le droit du siège social réel. Cette convention n’est pas non plus rentrée en vigueur, du coup, sur le plan conventionnel on en est réduit à se rabattre sur les conventions bilatérales. On a une convention franco-américaine qui reconnait les sociétés constituées dans l’autre Etat.

Application de la CEDH. Dans un arrêt du 8.07.2003 : la banque du commerce international d’origine guinéenne (aucune convention n’existant) a saisi le juge pour faire valoir de ses droits sur des biens en France. Il s’agissait de savoir si elle avait la personnalité morale. On lui a dénié ce droit dans la mesure où il n’existait aucun décret collectif avec la Guinée. La banque a fait valoir l’application de la CEDH car cette société financière avait le droit à ce que sa cause soit entendue et au respect de ses biens. Certes il n’y avait pas de conventions collectives mais dans le cadre de la hiérarchie des normes, la CEDH est supérieure et donc s’applique. Ainsi, même en l’absence de personnalité morale, cette banque avec le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial et avait droit au respect de ses biens.

Le décret collectif de 1857 était donc un obstacle ce qui pousse certains à demander son abrogation. Mais avec la multiplication d’Etats nouveaux, on assiste à la multiplication des créations de sociétés étrangère. Ce décret est donc utile en tant que garde-fou car il y a toujours possibilité d’avoir un abus de fixation de la personnalité morale. Ceci explique que le décret n’est toujours pas été abrogé.

  • &2. Le cas particulier des sociétés multinationales.

Ce phénomène de société multinationale a-t-il une traduction juridique ? Est-ce une catégorie juridique.

Il s’agit d’une société qui a une implantation simultanée dans plusieurs pays (pour raisons économiques : marché trop étroit au niveau national, coût de la main d’œuvre parfois moins élevé ailleurs…ou juridiques, …). Il s’agit d’occuper un marché ou de le maitriser.

En réalité, on devrait parler de groupe multinational que l’on peut définir comme un ensemble de sociétés autonomes chacune implantée dans un pays et donc assujettie à des droits différents mais économiquement soumises à une même direction stratégique qui va coordonner à l’échelle nationale l’activité de ces différentes sociétés. La société multinationale sur le plan juridique n’est pas vraiment reconnue

  • A) l’absence de reconnaissance de la société multinationale.

Sur le plan économique, cette société a une raison d’être mais sur le plan du droit elle n’est pas appréhendée en tant que telle. Ce n’est qu’un ensemble de sociétés les unes contrôlant les autres ou participant à leur capital. Le plus souvent, elles se présentent sous la forme d’une holding qui détient des participations majoritaires ou pas dans les filiales qui peuvent avoir entre elles des participations croisées mais en droit chacune de ces personnalités est dotée d’une personnalité morale comme les autres.

On retrouve en matière internationale, un phénomène présent en droit interne à savoir l’absence d’appréhension du groupe de sociétés. Pourquoi ? Sans doute parce que les Etats attachés à leur souveraineté, veulent pouvoir exercer une mainmise juridique sur les sociétés dont le siège est implanté sur le territoire. En effet, si on admettait la notion de société multinationale ou de groupe international de sociétés, la logique voudrait que les sociétés parties à ce groupe échappent en tout ou partie à la loi du pays où elles ont leur siège (et soient par exemple soumises à la loi de la société la plus importante). Un courant doctrinal voudrait pourtant voir cette reconnaissance de la personnalité morale accordée mais ce n’est pas le cas en droit français.

Est-ce à dire que le droit ignore totalement la notion de groupe ? Certainement pas. On retrouve quelques règles ou solutions jurisprudentielles qui prennent en compte cette notion.

Ex : en matière d’arbitrage international, on a pu admettre que la stipulation d’une clause d’arbitrage par la société d’un groupe multinational pouvait être étendue à une autre société membre de ce même groupe qui participait à l’opération en cause.

Ex : règles dans le Code de commerce français qui prennent en compte la réalité du groupe (loi de 1966 dans Code de commerce).

Cependant, il n’y a aucune construction cohérente de la notion de groupe de sociétés et a fortiori de la notion de groupe international de sociétés. Le droit français s’interdit-il tout contrôle sur ces sociétés ? La réponse est évidemment négative

  • B) la nécessité d’un contrôle de l’activité des sociétés multinationales.

Beaucoup d’Etats considèrent que l’activité d’une société multinationale peut représenter une menace pour la puissance publique. Ils se sont donc préoccupés de contrôler les activités de ces sociétés. Une série d’instruments juridiques ont été envisagés pour mettre en place ce contrôle.

  1. l’intervention judiciaire.

Lorsqu’une société a, par le biais d’une de ses filiales, une activité sur un territoire, celle-ci doit être conforme à l’ordre public du pays d’implantation de sa filiale (filiale doit avoir un objet licite). De même, on a pu considérer de manière exceptionnelle qu’une décision d’une mère envers sa filiale pouvait être remise en cause à chaque fois que cette décision porte atteinte à l’intérêt social de la filiale.

L’affaire Fruehauf est très emblématique en la matière. Dans les années 60, les USA n’avaient pas de relations diplomatiques avec la Chine populaire (ces deux Etats ne se supportaient pas même en peinture). En outre, ces deux pays s’invectivaient par voie de presses interposées (tigre de papier pour les USA et Satan pour la Chine). Les USA avaient posé un embargo sur toutes les livraisons à destination de la Chine. La société Fruehauf américaine avait une filiale en France, société Berlier, installée dans la région lyonnaise, laquelle avait conclu un marché avec la Chine et pour l’exécution de ce contrat, la firme Berlier avait accepté de fabriquer une partie des fournitures. Le gouvernement américain fit injonction à la société-mère américaine d’interdire à sa filiale d’exécuter ce contrat (régulier). Autrement dit, juridiquement les actionnaires majoritaires américains (représentants de la mère) de la filiale française avaient refusé d’exécuter le contrat. Le Tribunal commercial de Paris fut saisi. Un appel fut interjeté.

La CA de Paris en 1965 a considéré que l’interdiction faite à la filiale française (implantée aux USA) portait atteinte à l’intérêt social de cette filiale. Il fallait donc selon elle ignorer la décision des actionnaires majoritaires. La CA a alors désigné un administrateur provisoire de la filiale chargé d’exécuter le contrat.

C’est la consécration du pouvoir du juge qui s’immisce dans la gestion d’une société quand la stratégie du groupe multinational est contraire à l’intérêt social de la filiale. Ceci montre que le juge, face aux décisions d’un groupe multinational, n’est pas complètement démuni. Si on avait voulu appliquer la règle de droit stricto sensu on aurait suivi la décision des majoritaires car la société-filiale est soumise aux desiderata des majoritaires.

Il faut bien le dire, cette décision est exceptionnelle. C’est très rare que le juge accepte de s’immiscer dans la gestion d’une entreprise.

A l’inverse, quand la filiale d’une société multinationale cause un dommage dans son pays d’implantation (ex : dommage écologique) en principe l’autonomie de la personnalité morale de la filiale interdit que l’on puisse mettre en cause la responsabilité de la société-mère mais bien souvent la filiale n’a pas la surface financière nécessaire pour assumer sa responsabilité écologique et dès lors, la question se pose de savoir si on peut aller chercher dans le cadre d’une action en responsabilité par exemple de la mère en prenant en compte l’existence d’un groupe de sociétés.

A priori, si on raisonne par rapport à la technique de la personnalité morale, la société fait écran entre les actionnaires et les créanciers et donc entre les actionnaires de la société-mère et les créanciers de la filiale.

Il existe cependant différentes techniques pour actionner la société mère. 2 techniques principalement :

  • quand il est démontré que la société-mère s’est immiscée dans la gestion de sa filiale. On pourrait raisonner sur la base de la théorie de l’apparence (quand le tiers a contracté avec la filiale, il a cru contracter avec la mère).
  • quand l’activité de certaines filiales est présentée comme un département de la société mère c’est à dire qu’en réalité économiquement, les filiales n’ont aucune marge de manœuvre, aucune autonomie en matière économique.

Il y a aussi l’hypothèse de l’abus de majorité quand la mère a imposé à sa filiale une action contraire à l’intérêt social à la filiale et aux créanciers donc il y aurait une possibilité de faire annuler la décision abusive (affaire Fruehauf). Autre moyen de démontrer l’immixtion de la mère dans la fille : la confusion des patrimoines qui permet d’actionner la mère (ex : quand la fille est une société de façade). Cela permet aussi d’invoquer la notion de direction de fait (de la société mère). Cette possibilité est utilisée de manière assez exceptionnelle par les juges et peut être utile en matière de procédure collective.

La mise en cause de la responsabilité de la société-mère se heurte à de multiples obstacles et ce, quel que soit le moyen de mettre en cause cette responsabilité. Ex. obstacle géographique : on va devoir aller plaider dans le pays du lieu du siège social de la mère et rien ne dit que le pays soit enclin à l’action contre la mère alors que le dommage a été réalisé par la fille.

  1. la règlementation légale.

Y-a-t-il des textes qui consacrent le groupe multinational mais ne sont pas particulièrement efficaces. Plusieurs séries existent. 3 principales :

  • codes d’investissements à l’étranger sur un territoire :

En effet, beaucoup d’Etats se sont dotés de telles réglementations. Elles poursuivent des finalités contradictoires : d’un côté, elles ont pour objectif d’attirer les investisseurs et d’autre part, il s’agit de contrôler les investissements réalisés sur le territoire (ex : pour contrôler certains secteurs tel que l’armement). Là encore, ces réglementations peuvent interdire telle ou telle activité et éventuellement interdire à un groupe d’exercer une activité sur le territoire national.

  • législations en matière de transfert de technologie :

Elles se sont développées il y a quelques années mais elles sont aujourd’hui en perte de vitesse. Elles ont pour objet d’empêcher qu’un groupe multinational se servant de la structure du groupe en arrive à faire obstacle à la diffusion technologique. En effet, les firmes multinationales, par le jeu du dépôt de brevet, vont acquérir dans tous les pays où elles disposent d’un brevet, un monopole technologique. Par la suite, ayant déposé le brevet dans un pays, elles vont obliger toute entreprise qui voudrait exploiter cette technologie, à conclure un contrat de licence de brevet. Ainsi, toute une série de clauses stipulées dans le contrat vont empêcher le cocontractant de développer une stratégie autonomie.

Ex : clause d’achat lié par laquelle si on souhaite utiliser la technique brevetée, il faudra se fournir en matières premières auprès d’un fournisseur désigné par le détenteur de la technique.

Ex : clause de restriction géographique qui empêche de commercialiser les produits hors d’une zone déterminée par le brevet.

Dès lors, plusieurs pays (latino-américains) ont essayé de lutter contre ces clauses en les déclarant nulles ou de nul effet, par exemple chaque fois qu’elles étaient conclues avec une entreprise des pays participant à l’adoption de ces réglementations. Cette réglementation n’a pas toujours eu les effets escomptés car les sociétés multinationales, en raison du rapport de force qui leur est favorable, a le plus souvent la faculté de conclure ou de refuser de conclure un contrat de licence de brevet dans les pays où existent ces législations restrictives. De plus ces dernières sont en contradiction avec les principes de l’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE dégagés en matière de propriété industrielles, principes qui tendent au renforcement de la protection de la propriété industrielle. Ainsi, ces pays risquent, s’ils adhèrent à l’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, d’être en contradiction avec leurs engagements internationaux d’où le côté très relatif de ces législations.

  • les règles en matière de concurrence :

La société multinationale est au cœur des préoccupations du droit de la concurrence. En droit de l’UE, on a pu constater que parfois ces sociétés implantaient leurs filiales dans le territoire européen pour bénéficier de certains avantages (réservés au sujet communautaire). Le droit communautaire peut alors devenir un moyen de contrôle des sociétés en considérant que celles-ci ne sont pas des sujets de droit communautaire car elles dépendent d’une personne qui n’est pas sujet de droit communautaire.

Autre hypothèse : la société fille se rend coupable d’abus de position dominante mais cet abus n’est parfois qu’un élément de stratégie de la mère. La CJUE a parfois fait peser la responsabilité de l’abus sur la mère en faisant jouer la réalité du groupe multinational.


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