La responsabilité des incapables

La responsabilité des incapables

Dès lors que la capacité délictuelle devient de plus en plus englobante, en raison de considérations d’équité, les causes subjectives de non-imputabilité disparaissent du droit de la responsabilité civile pour laisser place à une responsabilité pour faute objective voire selon certains auteurs, une responsabilité sans faute…

Introduction

L’existence d’une cause d’irresponsabilité constitue pour le défendeur au procès en responsabilité un moyen pour obtenir le rejet de la demande dirigée contre lui. Certaines de ces causes sont essentiellement fondées sur la considération de la personne du responsable. Il s’agit en ce cas de causes de non-imputabilité, qui empêche de mettre le fait dommageable au compte de son auteur. Dans une acception étendue de l’imputabilité, celle-ci est à peu près synonyme de responsabilité et englobera tout ce qui contribue à désigner l’auteur du dommage, le sujet imputable et donc des éléments subjectifs tels que la personnalité et surtout la capacité. Le fait est qu’en principe toute personne de plus de 18 ans dispose d’une capacité totale. Elle est capable d’ester en justice et d’engager sa responsabilité pénale et civile, elle peut valablement conclure tous les actes juridiques à titre gratuit ou onéreux. Il faut malgré tout souligner que la capacité délictuelle a toujours été reconnue plus largement par le droit que la contractuelle. Ainsi, les personnes privées d’une raison suffisante pour comprendre la nature et la portée de leurs actes sont désormais civilement responsables, qu’il s’agisse des majeurs qui ont agi sous l’empire d’un trouble mental mais aussi certains mineurs (peut-être tous selon la Cour de Cassation). Elles sont capables de s’obliger délictuellement alors qu’elles ne peuvent en général s’engager par des contrats. En conséquence, alors que la capacité contractuelle apparaît comme un épanouissement de la personnalité, la capacité délictuelle se retourne contre le sujet ce que ne saurait compenser l’honneur d’être traité en sujet responsable. Cela se justifie par le fait qu’il suffit, pour ne pas commettre de faute extracontractuelle, d’une expérience plus élémentaire que pour contracter. Par ailleurs, les victimes d’un dommage accidentel méritent plus de protection que des contractants. Il y va donc de leur intérêt même si c’est au détriment de la protection des incapables.

On constatera ainsi que dès lors que la capacité délictuelle devient de plus en plus englobante, en raison de considérations d’équité, les causes subjectives de non-imputabilité disparaissent du droit de la responsabilité civile pour laisser place à une responsabilité pour faute objective voire selon certains auteurs, une responsabilité sans faute.

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  • I – Si le principe de l’irresponsabilité civile des aliénés affirmé par la Cour de Cassation le 14 mai 1866, reçut un coup fatal du législateur, un siècle plus tard, par l’introduction dans le Code Civil du nouvel article 489-2…

Contrairement à la position constante en matière d’actes juridiques, consacrant l’incapacité contractuelle de celui qui est atteint d’un trouble mental (en sorte de le protéger), la loi du 3 janvier 1968 adopte une solution diamétralement opposé à celle qui, généralement, avait cours antérieurement en ce qui concerne l’obligation à réparation pour les personnes atteintes dans leurs facultés mentales. En effet, l’article 489-2 consacre la responsabilité civile des personnes privées de raison : « Celui qui a causé un dommage à autrui sous l’empire d’un trouble mental, n’en est pas moins obligé à réparation ». Le fait est qu’avant 1968, les victimes ne recevaient aucune indemnisation de leur dommage. Le législateur répondit donc à une nécessité sociologique mais nous le verrons consacra aussi l’aboutissement d’une nécessité historique en ce qui concerne la jurisprudence.

A/ De l’irresponsabilité de principe jusqu’en 1968 à la responsabilité résultant de l’article 489-2 du Code Civil :

La philosophie individualiste qui fondait l’irresponsabilité des incapables sur la notion de volonté libre de l’agent ne put contourner longtemps l’ absence d’équité qu’elle impliquait pour les victimes.

Les textes et les travaux préparatoires du Code Civil n’apportant aucune réponse à la question de la responsabilité des incapables, la Cour de Cassation ne tarda guère à déclarer les déments civilement irresponsables des dommages causés par eux. Un déséquilibre flagrant entre la protection des incapables déments et le droit des victimes à réparation de leur dommage incita cependant les tribunaux à contourner la rigueur du principe, essentiellement en faisant un détour jurisprudentiel par des formes de responsabilité plus objective. Tout d’abord, lorsque le fait directement dommageable ne pouvait être imputé à son auteur en raison de son état mental, les juges pouvaient cependant retenir sa responsabilité en relevant une faute antérieure à son état de démence, si celle-ci était en relation de causalité avec le dommage. Il en était ainsi pour les cas de démence passagère, en cas d’ivresse, d’abus de stupéfiants, de débauche ou de refus de se soigner. Ainsi du capitaine de navire qui tira sur un matelot dans un accès de démence provoqué par l’abus d’alcool mais résultant avant tout des excès de boisson antérieurs ( T civ, Le Havre, 13 février 1873, « La Mathilde » )

Par ailleurs, après la découverte d’un principe général de la responsabilité du fait des choses, les tribunaux ont eu l’idée d’appliquer l’article 1384 alinéa 1, à la responsabilité du dément. Le caractère objectif de cette responsabilité devait en effet exclure la condition d’imputabilité morale exigée dans les responsabilités personnelles subjectives. La Cour de Cassation en vint ainsi à admettre dans l’affaire Trichard que le conducteur d’une automobile pris d’une crise d’épilepsie, et relaxé au pénal en raison de son état de démence, fut condamné à indemniser sa victime sur la base de l’article 1384 al1 (CCass, 2° civ, 18 décembre 1964). En ce qui concerne la responsabilité de tiers du fait d’autrui, la jurisprudence eut largement recours à ce palliatif pour parvenir à l’indemnisation des victimes d’aliénés. Ainsi, les juges retenaient une faute objective, « acte objectivement illicite » de mineurs ayant agi en état de démence qui ne dérogeait pas à l’irresponsabilité personnelle du dément (Cass, 2° Civ, 16 juillet 1969). En effet, en ce cas, l’imputabilité est une condition de la responsabilité qui s’apprécie normalement en la personne du responsable (les parents) et non de l’auteur direct du dommage.

En 1968, l’article 489-2 du Code Civil pose le principe de l’obligation à réparation intégrale des dommages causés par un malade mental :

Cette disposition assez surprenante, eu égard à l’esprit de l’ensemble du texte, n’a pas été sans soulever des controverse quant à son fondement. Il est vrai que les prises de position divergentes étaient inévitables après la dérive parlementaire qui avait supprimé du projet gouvernemental le pouvoir du juge de modérer en équité, l’indemnité de réparation. Ainsi, dès lors qu’il y avait en toile de fond de cet article, l’idée d’un devoir de réparation intégrale pour ceux des incapables qui ressortiraient de son champ d’application, les commentateurs se sont immédiatement divisés en deux camps selon qu’ils étaient favorables à son interprétation stricte ou large. Cette interprétation est plus ou moins extensive selon les réponses que l’on apporte à la question de savoir quelle est la nature et le fondement de cette obligation de réparation, son incidence au sein du régime de la responsabilité.

En premier lieu, une interprétation étroite de la lettre de la loi se fait jour lorsqu’on considère qu’il s’agit d’un texte d’exception, dérogatoire du droit commun de la responsabilité civile. Le fait est que le mot responsabilité ne figure pas dans l’article 489-2. En conséquence nombreux sont ceux qui n’ont souhaité voir dans la disposition légale qu’une simple « obligation à réparation » fondée sur le rétablissement de l’équilibre des droits des victimes et non sur une véritable responsabilité. Par ailleurs, pour ceux qui pensent également que l’aliéné ne peut commettre de faute mais considèrent en revanche que le législateur a consacré une véritable responsabilité, celle-ci revient à un nouveau cas de responsabilité objective, une responsabilité sans faute selon Jean Carbonnier.

Pour les partisans d’une interprétation large (par exemple J. Mazeaud et F. Chabas) voire extensive de l’article 489-2, l’obligation mise à la charge des aliénés a la nature d’une véritable responsabilité. Non seulement ce texte n’est pas dérogatoire du droit commun de la responsabilité, mais encore sa portée va jusqu’à modifier ce droit commun, en faisant disparaître la dimension subjective de la définition de la faute civile. La faute doit désormais s’apprécier in abstracto par rapport au comportement d’un homme normal. Une telle analyse conduit à étendre le cercle des personnes obligées : pourquoi ne pas l’appliquer à tous les incapables même aux infantes. Cependant, le risque avec une telle analyse serait de remettre en cause trop brutalement les rapports entre fautes et responsabilités civile et pénale en portant atteinte au principe de l’unité des fautes civiles et pénales.

B/ La jurisprudence semble s’être ralliée à une interprétation stricte mais non restrictive, dans tous les cas raisonnables de la nouvelle disposition législative.

Ainsi si elle a refusé d’admettre son application à l’infans ou même à la victime d’une syncope consécutive à un malaise physique, la Cour de Cassation en a cependant étendu l’application au mineur dément. Surtout, elle a reconnu que ce texte avait vocation à s’appliquer largement aux divers cas de responsabilité du droit commun. Quant à la nature de l’obligation à réparation, la Cour de Cassation s’est montrée nettement favorable à l’existence d’une véritable responsabilité. Elle a cependant rejeté catégoriquement l’opinion des auteurs qui analysaient l’article 489-2 comme créant un nouveau cas de responsabilité objective autonome par rapport au droit commun (Cass, 17 mai 1982 1° Civ).

Le champ d’application de l’article 489-2 dépend étroitement de l’interprétation qu’il convient de lui attribuer, c’est à dire celle que la Haute Juridiction en donne en ce qui concerne tout d’abord les cas de démence visés par ce texte…

Le trouble mental prévu à l’article 489-2 renvoie à l’altération des facultés personnelles de l’article 488. Il doit s’entendre aussi largement qu’en matière d’actes juridiques et le texte a donc vocation à s’appliquer indépendamment de tout régime de protection. Cependant il faut s’interroger sur les possibilités d’extension de l’obligation à réparation. En effet, au lendemain de la réforme de 1968, les tribunaux se trouvèrent confrontés à la question du recours systématique au nouveau principe dès lors qu’il y avait absence de discernement, quelle qu’en soit la cause (durable ou passagère). La notion de trouble mental selon l’article 489-2 recouvre incontestablement les maladies mentales, ainsi que toutes les affections mentales non pathologiques ou passagères ayant atteint l’agent au moment de l’accomplissement du fait dommageable. Mais convient-il d’y inclure les troubles physiques tels que crise cardiaque, syncope, hémorragie cérébrale, épilepsie et autres malaises physiques ? Pour les partisans d’une interprétation stricte, les déficiences évoquées doivent être exclues du champ d’application du texte. Mais d’un autre côté, il semble que l’origine physique du trouble importerait assez peu, du moment que l’affection a eu pour conséquence d’altérer des facultés mentales normales au moment du dommage. C’est cette opinion que retint la cour d’appel de Grenoble dans un arrêt du 4 décembre 1978 où elle appliqua l’article 489-2 à une personne qui succombant à un malaise cardiaque, tomba sur la victime et l’entraînant dans la chute, la blessa grièvement. Mais cette décision fut cassée par la 2° chambre civile dans un arrêt du 4 février 1981 qui considéra que le bref passage de la connaissance à l’inconscience ne constituait pas un trouble mental.

… de même qu’en ce qui concerne les responsabilités visées par ce texte :

Par ailleurs, dans le cadre d’une interprétation restrictive, les termes de cette loi qui ne visent que « celui qui a causé un dommage », pouvaient faire penser que la nouvelle disposition ne s’appliquerait qu’aux responsabilités du fait personnel. La Cour de Cassation a cependant très nettement repoussé cette interprétation littérale en affirmant dans un arrêt de principe de sa deuxième chambre civile en date du 4 mai 1977 que « l’article 489-2 du Code Civil ne prévoit aucune responsabilité particulière et s’applique à toutes les responsabilités prévues aux articles 1382 et suivants dudit code ». Cette interprétation large des termes de la loi semble logique. On aurait en effet mal compris que le nouveau principe de responsabilité de l’aliéné fut exclu dans les cas de responsabilité objective contenus dans les article 1384 et 1385 du Code Civil. D’autant plus, qu’on l’a vu, la jurisprudence posait dès avant 1968 le principe de la responsabilité du gardien dément sur la base de l’article 1384 al 1.

Pour ce qui concerne l’application de l’article 489-2 aux fautes commises en matière contractuelle – notamment en faisant croire au cocontractant que l’on est capable – d’aucuns, tels que J. Massip, prétendent que le législateur de 1968 a « uniquement voulu régler le problème de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle de l’aliéné ». Et ce dans la mesure où les actes juridiques passés par l’aliéné sont régis par les article 489 et 489-1 du Code Civil et ne peuvent entraîner sa responsabilité contractuelle. D’autres en revanche, comme R. Savatier, estiment que ce texte ne doit pas être limité à la seule responsabilité délictuelle, en raison de l’identité de faute dans les deux domaines. En ce sens, la Cour de Cassation, par un arrêt de la première chambre civile, en date du 9 novembre 1983, condamne un dirigeant social, insane d’esprit, sur le fondement de l’article 489-2 du Code Civil au comblement du passif. La gestion d’une société implique la passation d’actes juridiques de caractère contractuel. La Cour de Cassation estime ainsi que l’accomplissement de ceux-ci, frappés de nullité n’est pas exclusif de la responsabilité prévue par l’article 489-2 du Code Civil.

En ce qui concerne les personnes visées par l’article 489-2 :

L’application de celui-ci à la victime aliénée est encore aujourd’hui la question la plus délicate, car elle pose le problème de la spécificité de la responsabilité de la victime, responsabilité envers elle-même. Les partisans de la faute objective soutiennent que l’appréciation de la faute doit être la même pour la victime et le défendeur. L’esprit de la loi semble cependant s’y opposer dans la mesure où le législateur entendait justement à travers cette loi rééquilibrer la situation de la victime. Ce qui semble incompatible avec l’idée d’une aggravation du sort des aliénés victimes de dommages par rapport à ce qu’il était antérieurement. La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer de façon certaine sur cette question . En revanche, la question de l’application du texte au mineur dément fut rapidement et définitivement tranchée par la Cour de Cassation. Dans un arrêt de sa 1° chambre Civile du 20 juillet 1976, la Haute Juridiction rejeta un pourvoi formé contre un arrêt qui retenait la responsabilité d’un mineur de 17 ans qui avait agi en état de démence, en application de l’article 489-2.

Plusieurs enseignement peuvent être tirés sur la portée de la jurisprudence qu’a entendu promouvoir la Cour de Cassation, mais aussi des controverses doctrinales :

Il semble que la haute juridiction a entendu engager la situation de l’aliéné sur celle de l’homme « normal » en matière de responsabilité civile. Cette jurisprudence découlerait en droite ligne de la volonté du législateur de rayer l’imputabilité morale des conditions de la responsabilité civile, au moins en ce qui concerne les déments, sans pour autant toucher à la définition de la faute. La question fut ainsi de savoir si la faute qualifiée ou intentionnelle, circonstance aggravante de la responsabilité civile prenaient place dans cette responsabilité des aliénés où l’imputabilité avait disparu. En effet, dès lors que la faute est appréciée in abstracto, sans prise en compte de la personnalité du sujet fautif, il ne semble pas y avoir d’incompatibilité entre le trouble mental et la faute qualifiée, l’intention coupable. Cependant, selon J. Mazeau et F. Chabas, pourtant partisans d’une interprétation large de l’article 489-2 du Code Civil, les aliénés demeurent quoiqu’on en dise incapables de commettre de telles fautes. Par ailleurs, on sait que la logique assurantielle ne fonctionne pas en cas de faute intentionnelle dans la mesure où il ne s’agit pas d’un risque. La Cour de Cassation a en ce sens jugé que l’incendie allumé par une personne atteinte au moment des faits par un trouble mental n’était pas intentionnel mais constituait un accident (Cass, 1° Civ, 25 mars 1991). La solution s’explique parce que du point de vue de l’assureur, l’aléa subsiste si l’incendie est causé par une personne privée de raison.

Par ailleurs, la disparition de l’imputabilité morale de la faute, de la question de la capacité de discernement suffisante pour anticiper les conséquences de ses actes, dans le cadre d’une interprétation extensive de l’article 489-2, aurait pu conduire à une application directe de l’article 489-2 à l’infans. Mais il semble que c’eut été forcer le sens clair de ses termes. Et si par un revirement spectaculaire, l’assemblée plénière de la Cour de Cassation proclama dans une série d’arrêts rendus le 9 mai 1984, leur responsabilité civile, celle-ci n’y est cependant pas fondée sur l’article 489-2.

II …L’irresponsabilité du mineur en bas âge disparaît quant à elle du fait jurisprudentielle de la Cour de Cassation à travers les arrêts de principe du 9 mai 1984 qui consacrent la capacité délictuelle des Infantes :

La jurisprudence a donc fait pour les Infantes ce que le législateur avait accompli en 1968 pour les aliénés.

A/ En 1984, la Cour de Cassation met un terme à une jurisprudence constante affirmant l’exclusion de principe de tout condamnation civile des enfants en bas âge :

Constance du principe jusqu’en 1984 en dépit de l’objectivation de la responsabilité des incapables déments :

Le rejet de la responsabilité de l’infans s’explique de la même façon que pour le dément. C’est encore une fois la condition d’imputabilité morale et donc la capacité délictuelle qui leur fait défaut. Mais, de 1963 à 1964, la jurisprudence concernant la responsabilité des incapables perd de son homogénéité, se scinde entre celle des déments et celle des infans. En effet deux arrêts de la Cour de Cassation relatifs et l’un et l’autre à la responsabilité du fait des choses de l’article 1384, alinéa 1° consacrent, d’une part, que l’enfant ne pouvait être gardien d’une chose au sens de la responsabilité civile (Cass, 2° Civ, 14 mars 1963), et d’un autre côté, la responsabilité du gardien dément (Cass, 2° Civ, 18 décembre 1964, Trichard). Les deux devenaient inconciliables. Cependant, l’existence d’une responsabilité des père et mère du fait de leurs enfants mineurs permettait à la victime d’obtenir réparation en actionnant les parents plus logiquement solvables.

Après l’entrée en vigueur du nouvel article 489-2 du CC, la question se posa cependant de l’unification de la jurisprudence des incapables, à travers une interprétation de ce texte législatif étendu aux enfants en bas-âge. La Cour de Cassation, mettant fin à une période d’incertitude de près de 10 ans, rejeta par un arrêt du 7 décembre 1977, un pourvoi contre une décision ayant refusé d’engager la responsabilité d’un très jeune enfant. Il semblait en effet impossible d’assimiler sérieusement le manque de discernement du jeune enfant avec l’existence d’un trouble mental. Cependant, dans les situations où l’infans n’était plus auteur mais victime du dommage, la jurisprudence se contentait de l’établissement de l’existence d’un discernement suffisant chez l’enfant pour que puisse être laissée à sa charge une partie du préjudice, conséquence de son comportement fautif (Cass, 2°Civ, 11 décembre 1974). La contradiction devenait intenable.

Revirement jurisprudentiel par les arrêts du 9 mai 1984 :l’infans victime et auteur de dommage.

Par cinq arrêts rendus le 9 mai 1984 dans des espèces où étaient en question la responsabilité d’un infans, l’assemblée plénière a réalisé un retentissant revirement de jurisprudence en proclamant le principe de la responsabilité civile de plein droit de cinq mineurs âgés respectivement au moment de l’acte de 9, 7, 3, 5 et 13ans, pour les dommages causés par leurs faits.

Pour garder tout de même une continuité logique avec sa précédente jurisprudence, c’est tout d’abord dans des espèces où l’infans était victime de dommage que la Cour de Cassation, statuant dans sa plus haute formation, a solennellement affirmé le 9 mai 1984, le principe de la responsabilité civile d’un jeune enfant de 13 ans qui s’était électrocuté, en oubliant de couper le courant avant de visser une ampoule, et ce bien que l’ouvrier de la société d’électricité avait commis une erreur dans l’installation (aff. Dcelerc c. Lemaire). L’assemblée plénière affirma en effet que les juges du fond n’étaient pas tenus de vérifier la capacité de discernement du mineur pour retenir à son encontre une faute sur le fondement de l’article 1382 CC.

Le principe de la responsabilité personnelle vaut également pour l’infans auteur de dommage. C’est logiquement parce que l’enfant privé de discernement est responsable en tant qu’auteur autant qu’il peut l’être en tant que victime. Là encore les juges du fond n’étaient pas tenus de vérifier la capacité de discernement du mineur de 7 ans pour retenir à son encontre une faute personnelle.

B/ Désormais tous les êtres privés de raison sont soumis au même régime d’objectivation de la faute quant à leur responsabilité civile.

Selon Jean Carbonnier la solution dépasse la seule protection des victimes, la Cour de Cassation ayant entendu déprendre la responsabilité de tous les mineurs du discernement et de la faute.

La responsabilité civile de l’infans s’inscrit dans le vaste courant d’objectivation de la responsabilité qui traverse le siècle. La considération des victimes pousse sans cesse vers cette objectivité en sorte d’aboutir à une indemnisation généralisée des victimes. Cependant, au regard de cette logique, on peut se poser la question de l’utilité pratique de l’affirmation de la responsabilité personnelle de l’infans dans la mesure où l’enfant est généralement insolvable et où la responsabilité des parents assure à la victime l’indemnisation de ses dommages. Et ce d’autant plus que le mouvement d’objectivation de la responsabilité gagne également celle des parents du fait de leurs enfants. Ils ne pourront bientôt plus se dégager en prouvant qu’ils n’ont commis aucune faute.

Par ailleurs, la logique apparente d’un rigoureux parallélisme de solutions apparaît dans ce cadre comme un piège dès lors que l’enfant est victime. En ce cas, en effet, l’objectivation de la responsabilité personnelle de l’enfant victime présente l’inconvénient de favoriser les partages de responsabilité au détriment des victimes (en l’occurrence l’infans). Le partage de responsabilité qu’aurait neutralisé son incapacité délictuelle et donc la non imputabilité de sa faute, redevient possible et l’auteur du dommage en profitera par un bienfait du hasard. Même sur sa position de principe, la Cour de Cassation n’évite pas le reproche d’aller contre le sens commun en uniformisant la capacité délictuelle tout au long de la minorité. Vers le haut c’est nier l’éducation et l’école; vers le bas c’est nier l’image d’innocence qui s’attache au très jeune enfant.

Et la responsabilité de l’infans gardien est la consécration logique de ce mouvement d’objectivation de la responsabilité des incapables :

La responsabilité du fait des choses est plus objective que la responsabilité du fait personnel. On la qualifie même souvent de responsabilité sans faute. Le maintien de l’imputabilité morale s’imposait donc d’autant moins dans ce cadre. En conséquence, dans un autre arrêt du 9 mai 1984, l’assemblée plénière de la Cour de Cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité d’un enfant de 3 ans en qualité de gardien, sur le fondement de l’article 1384 al 1, et ce sans rechercher s’il avait un discernement suffisant – l’enfant était tombé d’une balançoire et avait blessé dans sa chute un de ses camarades avec le bâton qu’il tenait à la main. La solution consacrée est désormais identique à celle que retient la cour de Cassation pour le dément gardien depuis l’arrêt Trichard du 18 décembre 1964. La boucle est donc bouclée sur la totale mise en jeu de la responsabilité civile des incapables.

Conclusion

Auparavant l’aliéné et le mineur en bas âge était protégé par une incapacité délictuelle qui faisait échos à leur incapacité contractuelle de principe. Le dommage qu’il causait à autrui devait être tenu pour un fait matériel, vide de volonté raisonnable. Ainsi, aucune faute ne pouvait être mise à leur compte, ne pouvait leur être imputée. Aujourd’hui, l’article 489-2 nouveau du Code Civil ainsi que la jurisprudence de la Cour de Cassation née des arrêts d’assemblée plénière de 1984, ont renversé totalement cette tendance. La protection de l’incapable est en quelque sorte « sacrifiée » à l’intérêt des victimes. En effet, le dément, sur le fondement de l’article 489-2, comme le mineur en bas âge, sur celui du régime de droit commun de la responsabilité civile, dès lors qu’ils sont auteurs matériels du dommage, sont obligés à réparation. L’article 489-2 ne parle pas de faute; quant aux arrêts de 1984, il dépasse la seule protection des victimes dès lors que la responsabilité délictuelle de l’infans est engagée s’il est lui même victime (en partie victime de son imprudence). En conséquence, il semble que le législateur et la Cour de Cassation ait entendu départir la responsabilité des incapables du discernement, de l’imputabilité morale et donc de la faute. Il s’agirait selon Jean Carbonnier d’une responsabilité sans faute, purement matérielle et objective, dénuée de tout jugement de valeur sur le comportement de la personne. Pour d’autres le jugement de la société et donc la faute demeure à laquelle on a cependant imprimé un caractère objectif, supprimé l’élément subjectif. D’autres soutiennent que cette responsabilisé serait dérogatoire du droit commun en ce qui concerne uniquement les incapables et ne modifierait en rien la définition de la faute, même dans son aspect subjectif : son fondement est social et d’équité en faveur des victimes. Quoiqu’il en soit, afin de ne pas aggraver la situation des incapables, soumis à une potentielle réparation intégrale des dommages qu’ils ont causé, le recours à l’assurance obligatoire apparaît souhaitable. Elle se justifierait en outre du point de vue des victimes en ce sens que les incapables sont le plus souvent insolvables. Mais sa mise en oeuvre n’irait pas sans grande difficulté. Il en est de même de la création d’un fonds de garantie alimenté par l’impôt.

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