Le contrôle juridictionnel du pouvoir politique

La limitation du pouvoir politique par le contrôle juridictionnel


La soumission du pouvoir politique au contrôle d’un juge ne va pas de soi : c’est un processus lent et complexe. Cela suppose que les titulaires du pouvoir dans l’Etat acceptent de respecter la norme fondamentale qui fixe le statut de l’Etat, c’est-à-dire la Constitution. Cela implique que l’on entende faire de la Constitution un rempart contre l’arbitraire, une technique de limitation du pouvoir.


Ce mouvement qui insiste sur le caractère supérieur de la norme constitutionnelle, à garantir la Constitution, en soumettant l’exercice du pouvoir par un juge, s’appelle le constitutionnalisme. Sa mise en place constitue un préalable, pour que s’établisse un Etat de Droit.


1 – Le constitutionnalisme

Le mot « constitutionnalisme » est d’un usage récent en France : pourtant dans de nombreux Etats, ce terme existait déjà. Il traduit l’acceptation juridique et politique de la primauté de la Constitution sur toute autre norme. Politiquement, le constitutionnalisme signifie que la loi fondamentale est la traduction du pacte social conclut entre toutes les composantes du pays.



Parce qu’elle incarne l’adhésion de l’immense majorité des éléments du corps social, la Constitution va bénéficier d’une légitimité érigée en mythe, qui la sacralise : aux Etats-Unis, la Constitution de 1787 est l’un des éléments peu nombreux autour de laquelle se rassemble toute la nation. Elle commence par : « We, the people … ».
C’est la même chose, en Allemagne, où en 1949, pour se protéger des menaces internes et externes, les auteurs ont fait insérer un ensemble de mesures contre les ennemis de la Constitution, que sont les nazis et les communistes.
En France, rien de tel : on ne trouve pas ce mouvement politique qui fait de la Constitution, la norme supérieure. Cela explique l’instabilité politique qu’il y a eu entre 1789 et 1958, durant laquelle on a eu une quinzaine de Constitution. Le résultat est que cette instabilité a fini par dévaluer la prétendue supériorité de la Constitution, puisqu’à peine née, elle est remplacée par une autre.

Ce constitutionnalisme est donc beaucoup plus récent, et il se développe à partir des années 1970, pour 3 raisons :

• transformation de la conjecture idéologique et politique : c’est le départ du général de Gaulle et l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing avec une nouvelle classe politique, que l’on appelle les libéraux ; leur conception de la démocratie se démarque de la vision gaullienne, pour qui le Droit est au service de l’Etat : ainsi, les procédures juridiques et les règles de droit sont la meilleure sauvegarde de la liberté

Voir feuille : Démocratie française

• le départ du général de Gaulle : cela va permettre de nouvelles interprétations de la Constitution, puisque pour lui l’Etat devait être fort pour être garant de la société ; on va désormais relativiser l’Etat pour le mettre au service de la société

• changement capital dans le rôle du conseil constitutionnel : en 1958, on innove, avec la mise en place d’une juridiction chargée de contrôler la conformité de la Loi à la Constitution ; en effet, sous la IV° République, lorsqu’une loi était déclarée non-conforme à la Constitution, elle n’entrait pas en vigueur, tant qu’on avait pas changé la Constitution : on avait mis en place ce système, conformément à l’Art. 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, comme quoi tout ce qui porte atteinte à la Loi porte atteinte à la volonté générale, c’est ce qu’on appelle le légicentrisme.
Mais, jusqu’en 1971, le conseil constitutionnel va jouer un rôle modeste, en se contentant de contrôler, de la manière la plus neutre possible, la répartition des compétences entre le législatif et l’exécutif, c’est-à-dire entre les Art. 34 et 37 de la Constitution. De Gaulle étant parti, le conseil va s’émanciper, en décidant d’intégrer le préambule de la Constitution au bloc de constitutionnalité ; à partir de là, il s’érige comme un gardien des libertés contre le Gouvernement et contre le Parlement, en prenant appui sur la Constitution

En 1974, une révision constitutionnelle va être opérée, car auparavant seul le président de la République, le président de l’Assemblée Nationale, le président du Sénat et le Premier Ministre pouvaient saisir le conseil constitutionnel. Désormais, cette saisine est étendue à 60 députés ou 60 sénateurs. Cela permet de donner à l’opposition parlementaire, un véritable statut protecteur : la saisine devient de ce fait une arme politique, au bénéfice de l’opposition, de telle sorte qu’avant Monsieur Laignel disait :
« Vous avez juridiquement tort, car vous êtes politiquement minoritaire »

L’opposition parlementaire peut saisir le conseil constitutionnel pour faire sanctionner une loi, inspirée par la majorité gouvernementale, dès lors qu’elle viole la Constitution. Celle-ci retrouve donc son statut de norme fondamentale.
Sans la transformation du rôle du juge constitutionnel, le constitutionnalisme ne se serait pas développé en France. Aux Etats-Unis, c’est l’arrêt Marbury vs. Madison de 1803 qui a mis en place ce constitutionnalisme.

2 – L’Etat de Droit

Etat de Droit : Etat dans lequel les gouvernants, tout comme les gouvernés, sont soumis aux règles de droit qu’ils édictent et dans lequel les gouvernés ont la possibilité de contester les actes des titulaires de l’autorité devant un juge



« Point de Droit sans Etat ; point d’Etat sans Droit »

Il y a plusieurs doctrines sur le rapport entre l’Etat et le Droit :

• la théorie de la dualité : c’est la position des tenants du Droit naturel, les jusnaturalistes ; ils pensent qu’il y a deux Droits qui co-existent, l’un étant supérieur à l’autre : c’est le Droit posé par les organes de l’Etat, appelé aussi Droit positif et le Droit qui préexiste et qui est supérieur au Droit positif, le Droit naturel, qui vient soit de Dieu soit de la raison de l’Homme

• la théorie de l’unité : c’est la position des positivistes, qui pensent que le Droit n’est formé que des règles juridiques observables concrètement dans la société ; le Droit n’est que le produit des volontés humaines : il n’y a de Droit que venant de l’Etat
L’approche moderne trouve davantage sa source dans le Droit naturel, car pour les jusnaturalistes, le Droit limite l’Etat et est supérieur à l’Etat. Pour les positivistes, on peut justifier l’Etat de Droit car c’est le Droit positif qui met en place les procédures, qui vont permettre de saisir un juge : l’Etat justifie ce Droit, mais en est soumis. C’est l’autolimitation de l’Etat, mise en place par les allemands.

L’Etat de Droit est la soumission de l’Etat au Droit garantit par des procédures que peuvent mettre en œuvre des citoyens ; c’est donc un Etat, dans lequel les différents organes agissent en vertu du Droit, d’où l’exercice de la puissance publique qui résulte toujours d’une compétence juridique. Le Droit vient à la fois instituer et limiter les organes étatiques.