Le droit du corps humain

Le droit du corps humain

Peut-on être titulaire de droit(s) sur son propre corps ? (I) Peut-on protéger le corps de la personne qu’il supporte ? (II) Comment protéger le corps des atteintes commises par les tiers ? (III)

Introduction

Le corps humain, support de la personne soulève des questions de droit importantes quant à la protection qui doit lui être accordée. Selon le Pr. Cornu le droit du corps humain est un droit « primordial » ce qui le différencie des autres droits fondamentaux attachés à la personnalité. Cette expression, qui fait du droit du corps humain un droit sui generis (puisque il est le seul de son genre), soulève cependant des difficultés que ni la jurisprudence, ni le législateur et encore moins la doctrine n’ont réussi à résoudre: peut-on être titulaire de droit(s) sur son propre corps ? (I) Peut-on protéger le corps de la personne qu’il supporte ? (II) Comment protéger le corps des atteintes commises par les tiers ? (III).

Le droit du corps humain

I – La personne, le corps, l’esprit et le droit.

A) Le corps humain peut-il être objet de droit ?

Pour certains auteurs (Pr. Terré notamment), la personne ne peut disposer de droits sur son propre corps car ce dernier ne peut être envisagé séparément de l’esprit et en dehors de la notion de personne. Ainsi, le corps ne serait pas une chose (à laquelle on attribuerait une certaine humanité cf. l’affaire de la main volée) et ne pourrait donc faire l’objet ni d’un droit de propriété (droit patrimonial) ni de droits extra-patrimoniaux. Selon cet auteur, admettre que le corps puisse être objet de droit de la part d’un sujet de droit (la personne) serait admettre que l’esprit soit titulaire de droits sur le corps qui le matérialise. Dès lors que le corps n’est qu’un juridiquement avec l’esprit pour former la personne humaine le corps ne peut être à lui seul inviolable ni hors du commerce et ne saurait être l’objet de conventions puisque seule la personne (au titre des droits fondamentaux) peut être protégée. Le corps ne saurait donc être reconnu par le droit car ce dernier serait incapable de le protéger, seule la personne humaine dans son ensemble pouvant être l’objet d’une protection efficace (selon le principe d’indisponibilité de l’état des personnes pris au sens large).

La majorité de la doctrine consacre toutefois le corps comme objet de droit: le droit sur son corps est un droit de la personnalité, en conséquence le corps ne saurait être assimilé à une chose puisque à défaut d’être la personne il en est le support et qu’à ce titre il est une entité juridique particulière ne s’intégrant dans aucune qualification (ce ni un bien ni la personne: ce serait donc une entité sui generis). Cette opinion repose sur des textes internationaux ( article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, article 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme) et ne semble pas heurter les principes établis par la jurisprudence et le législateur.

B) Le statut juridique du corps humain: la loi du 29 juillet 1994.

La loi du 29 juillet 1994 a consacré le statut juridique du corps humain en dissociant, pour mieux les protéger, la personne et le corps. Cette loi résulte, semble-t-il, d’une prise de conscience de la part du législateur que la personne était protégée dans son cadre et dans son mode de vie (article 9 c.civ.) mais non dans son enveloppe charnelle. Le législateur a choisi de confirmer la position de la jurisprudence et de consacrer l’existence de droits de nature extra-patrimoniale de la personne sur son propre corps. Ces droits ont été agrémentés d’attributs: ils sont hors du commerce juridique et la personne ne peut y renoncer puisque l’ensemble de la loi est d’ordre public.

Le corps humain est donc juridiquement distinct de la personne: la personne est protégée par les articles 9 et suivants du code civil (Titre 1, Chapitre 1 » des droits civils « : droit au nom, à la vie privée, à la présomption d’innocence…) alors que le corps humain a son propre corpus de règles introduit aux articles 16 et suivants (Chapitre 2 » du respect du corps humain « : inviolabilité, indisponibilité…)

La loi du 29 juillet 1994 s’articule autour de deux principes fondamentaux: l’inviolabilité et l’indisponibilité du corps humain tant pour la personne que pour les tiers.

  • 1° L’inviolabilité qui consacre l’interdiction de porter atteinte à l’intégrité corporelle d’une personne sans son consentement (article 16-1 al.2) n’est pourtant pas un principe absolu puisque en cas de nécessité médicale (loi du 27 juillet 1999) l’intégrité corporelle peut être violée.
  • 2° L’indisponibilité se traduit par la nullité des conventions à titre onéreux portant sur le corps (article 16-5) et par le fait que le corps humain se trouve être en dehors du commerce (article 16-6).

II – Les droits de la personne sur son propre corps.

Le pouvoir dont dispose la personne sur son propre corps (principe d’autodisposition) n’est pas absolu: les principes d’inviolabilité et d’indisponibilité sont d’ordre public si bien que toute personne est tenue de s’y soumettre. Ainsi, les mutilations volontaires ou la stérilisation volontaire accomplie par des moyens irréversibles sont illicites.

Néanmoins la personne peut consentir à des atteintes à son propre corps par le biais de conventions strictement encadrées.

A) Le corps humain, objet de conventions.

Concernant les conventions auxquelles la personne pourrait consentir et dont les objets seraient des éléments du corps humain, la loi du 29 juillet 1994 ne prohibe que les conventions à titre onéreux (celles conférant une valeur patrimoniale au corps), les conventions à titre gratuit ne sont donc pas illicites. Cependant, la maternité pour autrui, même à titre gratuit, demeure interdite: la loi confirme ainsi les arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 31 mai 1991 au sujet des « mères porteuses » (en vertu des principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes).

Le don d’éléments du corps humain (organes) reste donc possible: selon l’article L.665-11 du code de la santé publique, les prélèvements doivent être effectués avec le consentement du donneur. Le prélèvement d’organes sur une personne vivante obéit donc à des règles strictes puisque le consentement doit être recueilli par l’autorité judiciaire et le prélèvement doit s’effectuer dans un stricte intérêt thérapeutique pour l’un des membres de la famille du donneur (excepté pour la moelle osseuse).

Le prélèvement de produits ou de tissus du corps (sang, cheveux, peau…) sur une personne vivante doit s’effectuer avec son consentement sans autre condition restrictive.

Ces prélèvements doivent s’effectuer en respectant les principes de gratuité et d’anonymat les régissant.

Selon le Pr. Mallaurie, le corps n’est donc plus indisponible du moment que la cause (i.e. thérapeutique) de la convention à titre gratuit dont il est l’objet n’est ni illicite ni immorale. Il conviendrait donc de s’attacher beaucoup plus à la cause des conventions sur le corps humain qu’à l’objet même de ces conventions (le corps en lui-même), or selon cet auteur le législateur semble s’être intéressé beaucoup plus au corps qu’à la définition des nécessités thérapeutiques.

B) Le contrat médical et la recherche biomédicale.

Le contrat médical, autorisé à l’article 16-3 c.civ., rend légitime la violation du corps humain dès lors que le soigné a exprimé son consentement (hors cas d’urgence) et que l’intervention s’effectue dans le cadre d’une nécessité médicale (et non plus thérapeutique depuis la loi du 27 juillet 1999). Toutefois, le soignant est tenu de recueillir le consentement libre et éclairé du soigné. De plus, le médecin ne peut aller au delà de la violation consentie par le malade sauf dans le cas d’une intervention curative nécessaire et urgente [CE 29 janvier 1988]. Le consentement est l’élément déterminant de l’intervention médicale: il lui confère non plus la qualité juridique d’acte unilatéral (qui était un fait justificatif du délit de blessures involontaires) mais de convention. Cette recherche de la volonté du soigné fait que l’on ne peut soigner une personne sans son accord. Toutefois lorsqu’il existe une nécessité médicale mais que les parents refusent la violation du corps de leur enfant l’autorité judiciaire, par l’intermédiaire du juge des enfants, peut prononcer le consentement. Hors cas d’urgence, une intervention médicale doit donc toujours être précédée d’un consentement éclairé personnel (ou judiciaire pour les incapables mineurs et majeurs).

Lorsque la violation de l’intégrité du corps humain ne se justifie pas par une nécessité médicale il est tout de même possible de consentir à une violation ayant pour finalité l’esthétique (mais la violation de l’intégrité corporelle devient alors fautive si il existe des risques sérieux [Civ 1ère; 22 septembre 1981]) ou la recherche biomédicale (loi du 20 décembre 1988).

L’expérimentation sur l’Homme est donc tolérée avec le consentement des personnes qui s’y prêtent et suivant un intérêt scientifique avalisé par l’autorité médicale régionale. Cependant la loi interdit à certaines personnes d’être le sujet d’expérimentations biomédicales: les personnes emprisonnées, les personnes hospitalisées sans leur consentement ainsi que les incapables mineurs et majeurs.

III. Les tiers et le corps d’autrui.

A) Les atteintes tolérées au corps d’autrui

A défaut de consentement, voire contre, est-il permis de porter atteinte au corps d’une personne ? Un principe général demeure: toute atteinte à l’intégrité corporelle d’une personne engage la responsabilité de l’auteur de la violation sur le fondement de droit commun (article1382) mais l’expose également à des sanctions pénales.

Certaines atteintes sont tolérées au nom de l’intérêt public: ce sont les vaccinations obligatoires prescrites par les autorités publiques, les obligations de cures aux fins de désintoxication imposées par l’autorité judiciaire, il en va de même concernant les études génétiques ordonnées, dans le cadre d’une enquête, par une juridiction pénale (alors que les juridictions civiles doivent recueillir le consentement de la personne concernée selon l’art.16-11 c.civ.) ou bien des autopsies. Il est à noter qu’en aucun cas le juge civil ne peut prescrire la violation de l’intégrité corporelle d’une personne (en l’obligeant à subir une intervention d’ordre médical par exemple).

D’autres atteintes à l’intégrité corporelle, bien que n’émanant pas des institutions politiques, administratives ou judiciaires mais de personnes physiques, sont tolérées par la loi ou le juge: il s’agit des violations corporelles dans le cadre du principe d’autorité parentale (article371-2 c.civ.) et de la pratique d’activités sportives dangereuses tant que la violation de l’intégrité corporelle demeure involontaire et se situe dans la pratique habituelle du jeu ou du sport concerné [Civ. 2ème; 5 décembre 1990].

Toutes ces violations de l’intégrité corporelle de la personne ne peuvent donner lieu à réparation en vertu d’un ordre de la loi, du juge ou de simples tolérances. L’intégrité corporelle est donc une garantie qui n’est pas absolue.

B) La violation de l’intégrité corporelle dans un intérêt thérapeutique.

Dans les cas d’intervention médicale rendue nécessaire par l’urgence, les soignants sont tenus de recueillir le consentement du soigné ou de sa famille dans la mesure où il est matériellement possible de le faire (article16-3 c.civ.): » l’urgence fait nécessité de loi « .

Le prélèvement d’organes, tissus et produits du corps humain sur le cadavre d’une personne a vu son statut juridique évoluer. Les principes généraux du prélèvement (gratuité, anonymat, fins thérapeutiques) doivent être respectés bien que la personne ait cessé d’exister. Or la mort prive la personne de la possibilité de consentir au prélèvement (en dehors des cas où elle a fait connaître sa volonté concernant le prélèvement de son vivant). Le législateur a donc introduit un nouveau principe: privilégier la santé des vivants au détriment de l’intégrité corporelle du cadavre et ce au nom de la solidarité. Toutefois la volonté de chacun sur le sort de son propre cadavre (et à défaut la volonté de la famille) doit être respectée: la loi du 22 décembre 1976 a ainsi consacré une présomption de consentement au prélèvement. Dès lors, un prélèvement peut être opéré sur un cadavre d’une personne dès lors que cette dernière n’a pas fait connaître de son vivant le refus d’un tel prélèvement (selon le Pr. Mallaurie il s’agirait d’un » forçage de la volonté des morts « ). La loi du 29 juillet 1994 est venue compléter l’art.L.671-7 al.2 du code de la santé publique: dans tous les cas, le personnel soignant doit s’efforcer de recueillir les intentions de la famille.

Conclusion

Le législateur, avec l’aide du juge, a fait du corps humain un objet de droit aux fins de mieux le protéger de la personne qu’il supporte et du monde qui l’entoure. Le statut juridique du corps qui n’est limité ni par des contraintes géographiques (dans et en dehors du milieu médical) ni par des contraintes biologiques (pendant et après l’existence) permet une protection efficace et complète en ne privilégiant ni ne sacrifiant aucun intérêt (autorités publiques, personne humaine, recherche scientifique et collectivité nationale). Le statut du corps humain est donc un équilibre (précaire?) entre une protection nécessaire et des besoins sociaux.

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